Éditorial Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ; 22, n° 1 : 11-3 Encore un pavé dans la mare : diabète de type 2, insuline et cancer Another bombshell: Type 2 diabetes, insulin and cancer Marie Virally1, Sébastien Czernichow2 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Médecine B, Hôpital Lariboisière, Paris, France Hôpital Avicenne, Unité de recherche en épidémiologie nutritionnelle, UMR (Inserm U557/INRA/CNAM/P13) & Département de Santé Publique, Université Paris 13, Bobigny, France 2 doi: 10.1684/stv.2010.0447 U n deuxième coup de tonnerre bouleverse une fois de plus le monde de la diabétologie. Après l’annonce en mars 2008, d’une mortalité accrue chez les diabétiques de type 2 trop bien équilibrés (étude Accord interrompue prématurément pour surmortalité dans le groupe intensif) [1], la médiatisation d’un effet cancérogène de l’insuline glargine (Lantus®, analogue de l’insuline) ébranle une fois de plus les médecins mais aussi et à très juste titre les patients. Depuis leur mise sur le marché, les analogues de l’insuline (lents et rapides) sont de plus en plus utilisés au profit des insulines humaines pour le traitement des diabètes de type 1 et 2. Une session entière a été consacrée à ce sujet explosif lors du congrès annuel de l’European Association for the Study of Diabetes (EASD) qui s’est tenu cette année à Vienne en septembre 2009. La salle comble n’a pas suffi, des écrans géants ont été disposés à l’extérieur et des diabétologues assis à terre avaient les yeux rivés sur les écrans. L’histoire débute le 26 juin 2009 : quatre articles paraissent dans Diabetologia (revue de l’EASD) [2-5]. Le premier article, signé par une équipe a analysé une base de données de remboursement de médicaments de 127 031 patients en Allemagne [2]. Après ajustement sur la dose journalière d’insuline, les données montraient un effet dose-dépendant pour les cancers sous glargine en comparaison aux autres insulines. Le risque, estimé par un hasard ratio, était de 1,19 (IC 95 % : 1,10-1,30) pour 30 unités/j et de 1,31 (IC 95 % : 1,20-1,42) pour 50 unités/j, en comparaison aux insulines humaines. Il n’était pas été observé d’augmentation du risque avec les autres analogues de l’insuline (aspart (Novorapide®) et lispro [Humalog®]). Le second article est une étude suédoise qui a exploité les registres de santé de 114 841 patients diabétiques insulino-traités [3]. Les données montraient une augmentation significative du risque de cancer du sein chez les utilisateurs de glargine, en comparaison aux utilisateurs d’autres types d’insuline, avec un risque relatif (RR) de 1,99 (1,31 à 3,03). En revanche, aucune association n’était observée pour les cancers de la prostate, digestifs ou pour l’ensemble combiné des causes de cancer. La troisième étude, écossaise, portait sur 36 254 diabétiques et montrait que l’incidence de tous les cancers était le même chez les utilisateurs ou non de glargine (HR = 1,02 ; IC 95 % : 0,77-1,36, p = 0,9) [4]. Mais l’incidence de tous les cancers était plus élevée si la glargine était utilisée seule (HR : 1,55 ; IC 95 % : 1,01-2,37, p = 0,054), notamment sur le risque de cancer du sein (RR = 3,39 ; 1,46-7,85, p = 0,004) mais il n’y avait que 6 événements sur 233 femmes [4] !. Il faut souligner que l’étude a une puissance limitée pour explorer l’impact sur les sites spécifiques de cancers. Enfin, le quatrième article, une STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010 11 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. étude anglaise, exploitant les données de 62 809 patients âgés de plus de 40 ans, montre que le risque de cancer est augmenté chez les utilisateurs d’insuline (RR = 1,42 ; 1,27-1,60) mais sans différence entre la glargine et les insulines humaines et sans effet de la glargine sur le cancer du sein [5]. Il est important de rappeler la plus grande fréquence du cancer dans le diabète et la plus grande mortalité par cancer chez le diabétique. Les méta-analyses montrent un risque augmenté de ~30 % pour le côlon, ~50 % pour le pancréas et ~20 % pour le sein chez la femme ménopausée [6, 7]. Il existe également une association chez le diabétique entre obésité, insulinorésistance et risque de cancer, suggérant un facteur autre que la glycémie elle-même [8]. Le surcroît de cancers chez les diabétiques pourrait être en partie lié à un chevauchement entre obésité et insulinorésistance. Plusieurs études ont montré de ce fait une réduction du risque de cancer chez les patients traités par metformine (insulinosensibilisateur) [5, 9, 10]. D’autre part, il faut rappeler que l’insuline est un facteur de croissance capable de se lier au récepteur de l’IGF-1. L’affinité pour le récepteur IGF1 est différente selon les insulines humaines et analogues, et celui de la glargine est supérieur à l’insuline aspart (Novorapide®), lispro (Humalog®) et detemir (Levemir®). De ce fait, l’insuline est un mitogène, c’est-à-dire un promoteur de croissance mais en aucun cas un oncogène, c’est-à-dire un initiateur. Il est donc peu surprenant d’observer une relation dose-dépendante entre l’insuline, l’insulino-résistance et l’incidence du cancer. Il n’est pas plus surprenant de constater qu’un insulinosensibilisateur comme la metformine atténue le risque de cancer sauf quand la dose d’insuline est très élevée. La réaction des agences de santé est immédiate. Le 26 juin 2009, un communiqué de presse de l’Association Américaine du Diabète (ADA) souligne que la possible relation de causalité entre insuline glargine et cancer est confuse et sans fondement, et recommande aux patients de poursuivre le traitement [11]. Le 29 juin, l’Afssaps et l’EMEA recommandent de ne pas interrompre le traitement. Dans l’attente d’une analyse approfondie de ces données, et compte tenu de données discordantes voire contradictoires entre ces études, aucune conclusion ne peut être apportée [12, 13]. Un groupe d’experts est réuni le 29 juin 2009 par le laboratoire Sanofi-Aventis. Ils concluent que ces études fournissent des résultats contradictoires et non concluants et que chacun des articles présente des lacunes et des défauts méthodologiques majeurs. Ils recommandent une analyse des données disponibles dans le respect de critères statistiques appropriés à l’étude de l’incidence du cancer. Ils recommandent d’envisager la réalisation d’essais chez 12 l’animal et chez l’homme, pour approfondir l’innocuité de l’insuline glargine. Les deux éditorialistes de la revue Diabetologia, le professeur Edwin Gale (éditeur de la revue) et le professeur Ulf Smith (président de l’EASD) sont eux-mêmes très prudents dans leurs commentaires [14, 15]. Les risques soulevés par ces études sont, selon eux, minimes et difficiles à interpréter. Ils pointent les limites de ces études (notamment pour celle basée sur des registres d’assurances) : absence d’information précise sur la nature du cancer, sur le poids ou l’âge des patients et enfin sur la durée d’utilisation de Lantus®. En septembre 2009, Sanofi-Aventis publie les résultats de pharmacovigilance de tous les essais randomisés (phase 2, 3 et 4) chez les diabétiques de type 1 et 2 menés par leur laboratoire. Les données portent sur 10 880 diabétiques avec un suivi médian de 5 ans, et montrent qu’il n’y a pas d’association entre Lantus® et le risque de cancer (peau, colon, rectum, cerveau, gastro-intestinal) [16]. Dans le même temps, l’éventuelle association au cancer de l’autre analogue lent de l’insuline, le détémir, a fait l’objet d’une méta-analyse qui ne montre aucune augmentation d’incidence [17]. Et finalement, que penser de cette histoire ? Tous les experts sont d’accord pour dire que ces études présentent de sérieuses lacunes méthodologiques, incohérences internes et mutuelles, et ne peuvent établir un lien entre l’utilisation de glargine et une élévation du risque de cancer. De plus, les multiples facteurs confondants, tels que l’âge, l’obésité, la résistance à l’insuline et les modes spécifiques de prescription, réservés à des populations particulières, compliquent l’interprétation du phénomène. Seules des études bien conçues et suffisamment puissantes pourront répondre de façon univoque aux questions sur le lien entre l’utilisation de l’insuline en général, des analogues en particulier et le risque de cancer. Mais le mérite de cette histoire est d’avoir permis de générer au profit du monde scientifique et médical, et cela en un temps record, une grande quantité de données épidémiologiques qui n’auraient probablement pas vu le jour avant longtemps. C’est un pavé dans la mare qui sème le trouble parce qu’il n’inquiète pas, mais ne rassure pas non plus ! ■ Références 1. Effects of Intensive Glucose Lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008 ; 358 : 2545-59. 2. Hemkens LG, Grouven U, Bender B, et al. Risk of malignancies in patients with diabetes treated with human insulin or insulin analogues : a cohort study. Diabetologia 2009 ; 52 : 1732-44. STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 3. Jonasson JM, Ljung R, Haglund B, et al. Insulin glargine use and shortterm incidence of malignancies. A population based follow-up study in Sweden. Diabetologia 2009 ; 52 : 1745-54. 4. Colhoun HM. SDRN epidemiology group. Diabetologia 2009 ; 52 : 1755-65. 5. Currie CJ, Poole CD, Gale EAM. The influence of glucose-lowering therapies on cancer risk in type 2 diabetes. Diabetologia 2009 ; 52 : 1760-77. 6. Larsson SC, Orsini N, Wolk A. Diabetes mellitus and risk of colorectal cancer : a meta-analysis. J Natl Cancer Inst 2005 ; 97 : 1679-87. 7. Huxley R, Ansary-Moghaddam A, Berrington de Gonzalez A, et al. Type 2 diabetes and pancreatic cancer : a meta analysis of 36 studies. Br J Cancer 2005 ; 92 : 2076-83. 8. Giovannucci E, Michaud D. The role of obesity and related metabolic disturbances in cancers of the colon, prostate and pancreas. Gastroenterology 2007 ; 132 : 2208-25. 9. Evans JMM, Donnelly LA, Emslie-Smith AM, et al. Metformin and reduced risk of cancer in diabetic patients. BMJ 2005 ; 330 : 1304-5. 10. Smith U, Gale EAM. Does diabetes therapy influence the risk of cancer ? Diabetologia 2009 ; 52 : 1699-708. 11. ADA. 26 juin 2009, www.diabetes.org 12. EMEA : London 29 june 2009,408474/2009 13. Afssaps : 29.06.2009. [email protected] 14. Gale EA. Collateral damage : the conundrum of drug safety. Diabetologia 2009 ; 52 : 1975-82. 15. Smith U, Gale EA. Does diabetes therapy influence the risk of cancer? Diabetologia 2009 ; 52 : 1699-708. 16. Home PD, Lagarenne P. Combined randomised controlled trial experience of malignancies in studies using insulin glargine. Diabetologia 2009 (Epub ahead of print). 17. Dejgaard A, Lynggaard H, Rastam J. No evidence of increased risk of malignancies in patients with diabetes treated with insulin detemir : a meta-analysis. Diabetologia 2009 (Epub ahead of print). STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010 13