étude anglaise, exploitant les données de 62 809 patients
âgés de plus de 40 ans, montre que le risque de cancer
est augmenté chez les utilisateurs d’insuline (RR = 1,42 ;
1,27-1,60) mais sans différence entre la glargine et les
insulines humaines et sans effet de la glargine sur le
cancer du sein [5].
Il est important de rappeler la plus grande fréquence du
cancer dans le diabète et la plus grande mortalité par cancer
chez le diabétique. Les méta-analyses montrent un risque
augmenté de ~30 % pour le côlon, ~50 % pour le pancréas
et ~20 % pour le sein chez la femme ménopausée [6, 7].
Il existe également une association chez le diabétique
entre obésité, insulinorésistance et risque de cancer, suggé-
rant un facteur autre que la glycémie elle-même [8]. Le sur-
croît de cancers chez les diabétiques pourrait être en partie
lié à un chevauchement entre obésité et insulinorésistance.
Plusieurs études ont montré de ce fait une réduction du
risque de cancer chez les patients traités par metformine
(insulinosensibilisateur) [5, 9, 10]. D’autre part, il faut
rappeler que l’insuline est un facteur de croissance capable
de se lier au récepteur de l’IGF-1. L’affinité pour le récep-
teur IGF1 est différente selon les insulines humaines et
analogues, et celui de la glargine est supérieur à l’insuline
aspart (Novorapide®), lispro (Humalog®) et detemir
(Levemir®). De ce fait, l’insuline est un mitogène,
c’est-à-dire un promoteur de croissance mais en aucun cas
un oncogène, c’est-à-dire un initiateur. Il est donc peu sur-
prenant d’observer une relation dose-dépendante entre
l’insuline, l’insulino-résistance et l’incidence du cancer.
Il n’est pas plus surprenant de constater qu’un insulino-
sensibilisateur comme la metformine atténue le risque de
cancer sauf quand la dose d’insuline est très élevée.
La réaction des agences de santé est immédiate. Le 26 juin
2009, un communiqué de presse de l’Association Améri-
caine du Diabète (ADA) souligne que la possible relation
de causalité entre insuline glargine et cancer est confuse
et sans fondement, et recommande aux patients de poursui-
vre le traitement [11]. Le 29 juin, l’Afssaps et l’EMEA
recommandent de ne pas interrompre le traitement. Dans
l’attente d’une analyse approfondie de ces données, et
compte tenu de données discordantes voire contradictoires
entre ces études, aucune conclusion ne peut être apportée
[12, 13].
Un groupe d’experts est réuni le 29 juin 2009 par le labo-
ratoire Sanofi-Aventis. Ils concluent que ces études fournis-
sent des résultats contradictoires et non concluants et que
chacun des articles présente des lacunes et des défauts
méthodologiques majeurs. Ils recommandent une analyse
des données disponibles dans le respect de critères statisti-
ques appropriés à l’étude de l’incidence du cancer.
Ils recommandent d’envisager la réalisation d’essais chez
l’animal et chez l’homme, pour approfondir l’innocuité de
l’insuline glargine.
Les deux éditorialistes de la revue Diabetologia,le pro-
fesseur Edwin Gale (éditeur de la revue) et le professeur
Ulf Smith (président de l’EASD) sont eux-mêmes très
prudents dans leurs commentaires [14, 15]. Les risques
soulevés par ces études sont, selon eux, minimes et diffi-
ciles à interpréter. Ils pointent les limites de ces études
(notamment pour celle basée sur des registres d’assu-
rances) : absence d’information précise sur la nature du
cancer, sur le poids ou l’âge des patients et enfin sur la
durée d’utilisation de Lantus®.
En septembre 2009, Sanofi-Aventis publie les résultats
de pharmacovigilance de tous les essais randomisés
(phase 2, 3 et 4) chez les diabétiques de type 1 et 2 menés
par leur laboratoire. Les données portent sur 10 880 diabéti-
ques avec un suivi médian de 5 ans, et montrent qu’il n’ya
pas d’association entre Lantus® et le risque de cancer
(peau, colon, rectum, cerveau, gastro-intestinal) [16].
Dans le même temps, l’éventuelle association au cancer de
l’autre analogue lent de l’insuline, le détémir, a fait l’objet
d’une méta-analyse qui ne montre aucune augmentation
d’incidence [17].
Et finalement, que penser de cette histoire ? Tous
les experts sont d’accord pour dire que ces études présentent
de sérieuses lacunes méthodologiques, incohérences internes
et mutuelles, et ne peuvent établir un lien entre l’utilisation
de glargine et une élévation du risque de cancer. De plus, les
multiples facteurs confondants, tels que l’âge, l’obésité, la
résistance à l’insuline et les modes spécifiques de prescrip-
tion, réservés à des populations particulières, compliquent
l’interprétation du phénomène. Seules des études bien
conçues et suffisamment puissantes pourront répondre de
façon univoque aux questions sur le lien entre l’utilisation
de l’insuline en général, des analogues en particulier et le
risque de cancer. Mais le mérite de cette histoire est d’avoir
permis de générer au profit du monde scientifique et médical,
et cela en un temps record, une grande quantité de données
épidémiologiques qui n’auraient probablement pas vu le
jour avant longtemps. C’est un pavé dans la mare qui sème
le trouble parce qu’il n’inquiète pas, mais ne rassure pas
non plus ! ■
Références
1. Effects of Intensive Glucose Lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med
2008 ; 358 : 2545-59.
2. Hemkens LG, Grouven U, Bender B, et al. Risk of malignancies in
patients with diabetes treated with human insulin or insulin analogues :
a cohort study. Diabetologia 2009 ; 52 : 1732-44.
12 STV, vol. 22, n°1, janvier 2010
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