Encore un pavé dans la mare : diabe`te de type 2, insuline et cancer

Éditorial
Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ;
22, n° 1 : 11-3
doi: 10.1684/stv.2010.0447
Encore un pave
´dans la mare :
diabe
`te de type 2, insuline et cancer
Another bombshell: Type 2 diabetes, insulin and cancer
Marie Virally
1
,Se
´bastien Czernichow
2
1
Médecine B, Hôpital Lariboisière, Paris, France
2
Hôpital Avicenne, Unité de recherche en épidémiologie nutritionnelle, UMR (Inserm U557/INRA/CNAM/P13)
& Département de Santé Publique, Université Paris 13, Bobigny, France
Un deuxième coup de tonnerre bouleverse une fois de plus le monde de la diabé-
tologie. Après lannonce en mars 2008, dune mortalité accrue chez les diabéti-
ques de type 2 trop bien équilibrés (étude Accord interrompue prématurément
pour surmortalité dans le groupe intensif) [1], la médiatisation dun effet
cancérogène de linsuline glargine (Lantus®, analogue de linsuline) ébranle une fois
de plus les médecins mais aussi et à très juste titre les patients. Depuis leur mise sur le marché,
les analogues de linsuline (lents et rapides) sont de plus en plus utilisés au profit des insulines
humaines pour le traitement des diabètes de type 1 et 2. Une session entière a été consacrée à
ce sujet explosif lors du congrès annuel de lEuropean Association for the Study of Diabetes
(EASD) qui sest tenu cette année à Vienne en septembre 2009. La salle comble na pas suffi,
des écrans géants ont été disposés à lextérieur et des diabétologues assis à terre avaient les
yeux rivés sur les écrans.
Lhistoire débute le 26 juin 2009 : quatre articles paraissent dans Diabetologia (revue de
lEASD) [2-5]. Le premier article, signé par une équipe a analysé une base de données de
remboursement de médicaments de 127 031 patients en Allemagne [2]. Après ajustement
sur la dose journalière dinsuline, les données montraient un effet dose-dépendant pour les
cancers sous glargine en comparaison aux autres insulines. Le risque, estimé par un hasard
ratio, était de 1,19 (IC 95 % : 1,10-1,30) pour 30 unités/j et de 1,31 (IC 95 % : 1,20-1,42)
pour 50 unités/j, en comparaison aux insulines humaines. Il nétait pas été observé daugmen-
tation du risque avec les autres analogues de linsuline (aspart (Novorapide®) et lispro
[Humalog®]).
Le second article est une étude suédoise qui a exploité les registres de santé de 114 841 patients
diabétiques insulino-traités [3]. Les données montraient une augmentation significative du
risque de cancer du sein chez les utilisateurs de glargine, en comparaison aux utilisateurs
dautres types dinsuline, avec un risque relatif (RR) de 1,99 (1,31 à 3,03). En revanche,
aucune association nétait observée pour les cancers de la prostate, digestifs ou pour
lensemble combiné des causes de cancer.
La troisième étude, écossaise, portait sur 36 254 diabétiques et montrait que lincidence
de tous les cancers était le même chez les utilisateurs ou non de glargine (HR = 1,02 ;
IC 95 % : 0,77-1,36, p= 0,9) [4]. Mais lincidence de tous les cancers était plus élevée
si la glargine était utilisée seule (HR : 1,55 ; IC 95 % : 1,01-2,37, p= 0,054), notamment
sur le risque de cancer du sein (RR = 3,39 ; 1,46-7,85, p= 0,004) mais il ny avait que
6 événements sur 233 femmes [4] !. Il faut souligner que létude a une puissance limitée
pour explorer limpact sur les sites spécifiques de cancers. Enfin, le quatrième article, une
11
STV, vol. 22, n°1, janvier 2010
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étude anglaise, exploitant les données de 62 809 patients
âgés de plus de 40 ans, montre que le risque de cancer
est augmenté chez les utilisateurs dinsuline (RR = 1,42 ;
1,27-1,60) mais sans différence entre la glargine et les
insulines humaines et sans effet de la glargine sur le
cancer du sein [5].
Il est important de rappeler la plus grande fréquence du
cancer dans le diabète et la plus grande mortalité par cancer
chez le diabétique. Les méta-analyses montrent un risque
augmenté de ~30 % pour le côlon, ~50 % pour le pancréas
et ~20 % pour le sein chez la femme ménopausée [6, 7].
Il existe également une association chez le diabétique
entre obésité, insulinorésistance et risque de cancer, suggé-
rant un facteur autre que la glycémie elle-même [8]. Le sur-
croît de cancers chez les diabétiques pourrait être en partie
lié à un chevauchement entre obésité et insulinorésistance.
Plusieurs études ont montré de ce fait une réduction du
risque de cancer chez les patients traités par metformine
(insulinosensibilisateur) [5, 9, 10]. Dautre part, il faut
rappeler que linsuline est un facteur de croissance capable
de se lier au récepteur de lIGF-1. Laffinité pour le récep-
teur IGF1 est différente selon les insulines humaines et
analogues, et celui de la glargine est supérieur à linsuline
aspart (Novorapide®), lispro (Humalog®) et detemir
(Levemir®). De ce fait, linsuline est un mitogène,
cest-à-dire un promoteur de croissance mais en aucun cas
un oncogène, cest-à-dire un initiateur. Il est donc peu sur-
prenant dobserver une relation dose-dépendante entre
linsuline, linsulino-résistance et lincidence du cancer.
Il nest pas plus surprenant de constater quun insulino-
sensibilisateur comme la metformine atténue le risque de
cancer sauf quand la dose dinsuline est très élevée.
La réaction des agences de santé est immédiate. Le 26 juin
2009, un communiqué de presse de lAssociation Améri-
caine du Diabète (ADA) souligne que la possible relation
de causalité entre insuline glargine et cancer est confuse
et sans fondement, et recommande aux patients de poursui-
vre le traitement [11]. Le 29 juin, lAfssaps et lEMEA
recommandent de ne pas interrompre le traitement. Dans
lattente dune analyse approfondie de ces données, et
compte tenu de données discordantes voire contradictoires
entre ces études, aucune conclusion ne peut être apportée
[12, 13].
Un groupe dexperts est réuni le 29 juin 2009 par le labo-
ratoire Sanofi-Aventis. Ils concluent que ces études fournis-
sent des résultats contradictoires et non concluants et que
chacun des articles présente des lacunes et des défauts
méthodologiques majeurs. Ils recommandent une analyse
des données disponibles dans le respect de critères statisti-
ques appropriés à létude de lincidence du cancer.
Ils recommandent denvisager la réalisation dessais chez
lanimal et chez lhomme, pour approfondir linnocuité de
linsuline glargine.
Les deux éditorialistes de la revue Diabetologia,le pro-
fesseur Edwin Gale (éditeur de la revue) et le professeur
Ulf Smith (président de lEASD) sont eux-mêmes très
prudents dans leurs commentaires [14, 15]. Les risques
soulevés par ces études sont, selon eux, minimes et diffi-
ciles à interpréter. Ils pointent les limites de ces études
(notamment pour celle basée sur des registres dassu-
rances) : absence dinformation précise sur la nature du
cancer, sur le poids ou lâge des patients et enfin sur la
durée dutilisation de Lantus®.
En septembre 2009, Sanofi-Aventis publie les résultats
de pharmacovigilance de tous les essais randomisés
(phase 2, 3 et 4) chez les diabétiques de type 1 et 2 menés
par leur laboratoire. Les données portent sur 10 880 diabéti-
ques avec un suivi médian de 5 ans, et montrent quil nya
pas dassociation entre Lantus® et le risque de cancer
(peau, colon, rectum, cerveau, gastro-intestinal) [16].
Dans le même temps, léventuelle association au cancer de
lautre analogue lent de linsuline, le détémir, a fait lobjet
dune méta-analyse qui ne montre aucune augmentation
dincidence [17].
Et finalement, que penser de cette histoire ? Tous
les experts sont daccord pour dire que ces études présentent
de sérieuses lacunes méthodologiques, incohérences internes
et mutuelles, et ne peuvent établir un lien entre lutilisation
de glargine et une élévation du risque de cancer. De plus, les
multiples facteurs confondants, tels que lâge, lobésité, la
résistance à linsuline et les modes spécifiques de prescrip-
tion, réservés à des populations particulières, compliquent
linterptation du phénone. Seules des études bien
conçues et suffisamment puissantes pourront répondre de
façon univoque aux questions sur le lien entre lutilisation
de linsuline en général, des analogues en particulier et le
risque de cancer. Mais le mérite de cette histoire est davoir
permis de générer au profit du monde scientifique et médical,
et cela en un temps record, une grande quantité de données
épidémiologiques qui nauraient probablement pas vu le
jour avant longtemps. Cest un pavé dans la mare qui sème
le trouble parce quil ninquiète pas, mais ne rassure pas
non plus !
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