L Cancers bronchiques DOSSIER THÉMATIQUE Lung cancers

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DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Cancers bronchiques
Lung cancers
D. Moro-Sibilot*, P.J. Souquet**, J. Cadranel***
L
e programme de l’ASCO 2010 a été très riche,
avec une participation marquée de la recherche
clinique française et tout particulièrement de
l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT). L’impression globale est celle d’une
omniprésence des traitements ciblés et de leurs
facteurs prédictifs de réponse. En pratique, si notre
quotidien est encore majoritairement marqué par
les traitements de chimiothérapie (CT), l’avenir qui
transparaît dans les sujets abordés lors de ce congrès
sera celui d’un choix thérapeutique personnalisé,
fondé sur une ou plusieurs anomalies moléculaires
prédictives de l’efficacité du traitement. Reste un
grand absent de ce congrès : les cancers à petites
cellules, avec une quasi absence de communication
sur ce sujet si ce n’est une étude assez discutable
sur le picoplatine (Ciuleanu TE et al., abstr. 7002).
Épidémiologie et tabagisme
La polémique sur le risque carcinogène du tabagisme
passif a été récemment relancée dans les grands
médias français. Cette question est encore plus
d’actualité dans les pays asiatiques, où l’on constate
depuis quelques années une véritable épidémie
d’adénocarcinomes portant des mutations de l’EGFR
(Epidermal Growth Factor Receptor), chez des femmes
non fumeuses. Une étude prospective a évalué, de
manière détaillée, l’exposition au tabagisme passif
de 126 patients ayant fumé moins de 100 cigarettes
dans leur vie et présentant néanmoins un cancer
bronchique non à petites cellules (CBNPC). L’interrogatoire portait sur le lieu (domicile, travail),
la période et la durée de l’exposition. La dose
cumulée d’exposition (DCE) passive était définie
comme la somme du nombre d’expositions par
année et par lieu : 98,4 % des patients avaient
une exposition passive, avec une DCE médiane de
50 expo­sitions/an/lieu (0-118 expositions/an/lieu).
Une mutation activatrice de l’EGFR était retrouvée
chez 83 patients (66 %). Il existait un lien significatif
entre la fréquence des mutations de l’EGFR et le
sexe féminin (p < 0,0046), ainsi qu’un effet dose
avec la DCE subdivisée en tertiles (p = 0,025). Cette
association restait significative en analyse multivariée
incluant également la notion de cancers familiaux.
Le risque relatif de présenter une mutation de l’EGFR
était de 1,02 (intervalle de confiance : 1,00-1,04) par
année d’exposition, c’est-à-dire un risque de 2 % pour
1 année et un risque de 20 % pour 10 années d’exposition au tabagisme passif. Cette relation dose-effet
du tabagisme passif à faible dose est un argument
supplémentaire pour son rôle carcinogène.
Prise en charge des formes
localisées
Le stade médiastinal est un élément important
dans la prise en charge thérapeutique des CBNPC.
La tomodensitométrie thoracique et le PET scanner
sont des techniques non invasives mais présentant
des faux positifs et négatifs. L’étude de K.G. Tournoy
et al. (abstr. 7000) a examiné la meilleure stratégie
d’évaluation du stade ganglionnaire dans les
CBNPC résécables et ceux justifiant une exploration médiasti­nale (hypertrophie ganglionnaire
médiastinale au scanner, hypertrophie ganglionnaire hilaire en cas de tumeur centrale ou fixation
au PET scanner sans hypertrophie ganglionnaire).
Elle comparait l’association d’une échoendoscopie (œso­phagienne et bronchique avec ponction
échoguidée) à l’exploration chirurgicale (médiastinoscopie, médiastinostomie, chirurgie vidéo assistée,
etc.). La thoracotomie était réalisée chez tous les
patients sans atteinte ganglionnaire individualisée, avec un curage ganglionnaire complet, dans
les 2 groupes. L’objectif principal était la détection
des atteintes ganglionnaires N2 et N3 ; l’objectif
secondaire était le taux de thoracotomies inutiles
et le taux de complications.
* Unité fonctionnelle d’onco­logie
thoracique, CHU de Grenoble, ­Inserm
U823.
** Service de pneumologie, centre
hospitalier Lyon-Sud.
*** Service de pneumologie et réani­
mation respiratoire, hôpital Tenon,
Paris.
La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 45
Résumé
Mots-clés
Cancer bronchique
Thérapeutiques
ciblées
Chimiothérapie
d’entretien
Patients âgés
Highlights
Patients who took gemcitabine
or erlotinib as a maintenance
therapy after their disease had
been controlled with a standard
gemcitabine cisplatinum had
an improved progression-free
survival when compared with
those without maintenance
treatment.
A Phase III randomized,
multicenter trial shows that
a combination of paclitaxel
and carboplatin significantly
increases overall survival and
progression-free survival in
patients aged 70 or older with
advanced non-small cell lung
cancer (NSCLC) compared to
standard single-agent therapy.
EML4-ALK defines a new
molecular subset of NSCLC
with distinct clinical and pathologic characteristics. The drug
crizotinib (PF02341066) was
shown to shrink or stabilize
tumors harboring EML4-ALK
rearrangement in about 90% of
the patients who took it.
Keywords
Lung cancer
Targeted therapy
Maintenance chemotherapy
Elderly patients
Un traitement d’entretien par gemcitabine ou erlotinib chez des patients en stabilisation ou en réponse
préalablement traités par 4 cycles de gemcitabine et cisplatine améliore la survie sans progression comparativement à une simple surveillance.
Une étude randomisée de phase III multicentrique démontre que l’association paclitaxel-carboplatine
augmente significativement la survie globale et la survie sans progression d’une population ayant un
CBNPC âgée de 70 ans ou plus, lorsqu’on la compare à une monothérapie standard.
EML4-ALK est un réarrangement génique caractérisant un groupe de CBNPC avec des caractéristiques
cliniques et histologiques spécifiques. Le crizotinib (PF02341066) entraîne la régression ou la stabilisation
des tumeurs porteuses du réarrangement EML4-ALK dans environ 90 % des cas.
Cet essai a inclus 241 patients. Les caractéristiques
des patients inclus étaient identiques dans les
2 groupes. L’étude a évalué 236 personnes, 118 dans
chaque groupe. L’atteinte ganglionnaire a été trouvée
chez 62 patients (52 %) dans le groupe échoendoscopie (56 par l’échoendoscopie et 6 par la chirurgie)
versus 41 patients (35 %) dans le groupe chirurgie
seule. La sensibilité était de 94 % (n = 111) dans le
groupe échoendoscopie versus 80 % (n = 94) dans le
groupe chirurgie. Les thoracotomies inutiles étaient
au nombre de 8 (7 %) dans le groupe échoendoscopie
et de 21 (18 %) dans le groupe chirurgie. La fréquence
des complications dans les 2 groupes était similaire.
L’association échoendoscopie bronchique trans­
œso­phagienne et transbronchique avec ponction
échoguidée représente, pour les auteurs de cette
étude, le nouveau standard de l’exploration
médiasti­nale dans les CBNPC résécables avec des
arguments scannographiques ou au PET scanner
d’atteinte ganglionnaire médiastinale.
La question de l’intérêt de la CT néo-adjuvante des
stades précoces a été soulevée par les résultats de
l’étude française MIP 91, publiée en 2002 (1). Cet
essai comparait 2 stratégies : CT par mitomycineifosfamide-platine (MIP) durant 2 cycles suivie d’une
chirurgie versus chirurgie avec ou sans radiothérapie (RT). Les patients répondant au schéma MIP
recevaient 2 cycles supplémentaires de CT immédiatement après l’opération ainsi que, dans certains
cas, une RT. Le bénéfice de la CT préopératoire
était plutôt observé dans les stades I et II que dans
le stade IIIa (N2).
Ces résultats ont été confirmés par plusieurs
travaux, dont l’étude S9900 présentée par K. Pisters
au congrès de l’ASCO 2005 (2). Cette dernière
comparait une CT par 3 cycles de paclitaxel-­
carboplatine suivie d’une chirurgie à une chirurgie
seule. Les patients inclus dans l’étude présentaient
des stades Ib à IIIa (T3N1). Cette étude a cependant
été prématurément arrêtée à 354 patients, du
fait d’un recrutement insuffisant résultant de la
publication des résultats positifs des études de CT
adjuvante. L’effectif ne permettait pas d’avoir la
puissance statistique nécessaire. En dépit d’une
amélioration de la survie globale (SG) et de la survie
sans progression (SSP), la différence restait statis-
46 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010
tiquement non significative, comme dans l’étude
d’A. Depierre, MIP91.
Plusieurs méta-analyses ont donné une dimension
supplémentaire à ces études préopératoires, avec
un bénéfice qui devenait statistiquement significatif. Cependant, ce bénéfice se maintient-il
à long terme ? Cette question a déjà été posée
dans les essais portant sur la CT adjuvante, avec
notamment l’étude IALT (International Adjuvant
Lung Cancer Trial), dans laquelle le bénéfice
disparaît avec le temps, en partie du fait d’une
surmortalité due à des pathologies non cancéreuses dont certaines sont peut-être liées à un
effet tardif de la CT (3).
Au terme d’un recul de 10 ans, l’importance de l’amélioration de la survie dans l’étude périopératoire MIP
est confirmée (Westeel V et al., abstr. 7003). Elle reste
non significative en analyse univariée mais représente un gain d’environ 9 % à 10 ans. En revanche,
en analyse multivariée, la CT néo-adjuvante apporte
un bénéfice en survie. Il faut tout particulièrement
noter l’absence de surmortalité non liée au cancer
ainsi qu’une diminution du risque de rechute sous
forme de métastases osseuses, alors que le risque
de rechute cérébrale est équivalent dans les groupes
avec et sans CT.
La question du traitement multimodalité optimal
pour les tumeurs de l’apex envahissant le défilé
cervico-thoracique a été posée. Une étude (Komaki R
et al., abstr. 7026) a comparé 2 essais de phase II
comparant une chirurgie d’emblée suivie d’une
radio-chimiothérapie en séquentiel ou en concomitant à une CT d’induction suivie de la chirurgie
puis d’une RT. Il ressort de cette analyse que la
chirurgie immédiate suivie d’une radio-chimiothérapie donne de meilleurs résultats en termes de SG
et de survie sans récidive. Ces résultats, obtenus
sur des cohortes de petite taille, sont d’autant plus
troublants qu’une étude japonaise (Tsuboi M et al.,
abstr. 7025), également présentée cette année,
montre le contraire avec de très bons résultats à
7 ans pour une association initiale CT (mitomycine,
vindésine, cisplatine) et RT suivie d’une chirurgie. La
SG des patients R0 à 7 ans est excellente, de 67 %, et
le taux de SSP de 44 %. Chez les patients en réponse
complète, la survie à 7 ans est de 92 %.
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Traitements des stades IIIb/IV
des patients âgés
Le traitement des personnes âgées atteintes d’un
cancer a longtemps été mal codifié. En effet, ces
patients étaient souvent exclus des essais cliniques
pour de multiples raisons, et notamment à cause
de l’existence de comorbidités sévères risquant de
pénaliser les résultats des études.
Puis les résultats concernant les patients âgés furent
extrapolés à partir des résultats d’études concernant
une population générale plus large comportant
notamment des personnes âgées.
En 1999, une première étude randomisée incluant
154 patients de plus de 70 ans avait comparé
la vinorelbine aux soins de support. Il y avait
un bénéfice significatif de la monothérapie par
vinorelbine, avec une médiane de survie qui
passait de 21 à 28 semaines et une survie à 1 an de
14 à 32 % (4).
Deux études ultérieures ont tenté de remettre
en question ce qui allait devenir le dogme de la
monothérapie chez les personnes âgées. Tout
d’abord, l’étude de G. Frasci et al. (5) qui comparait
une monothérapie par vinorelbine ou gemcitabine
au doublet gemcitabine-vinorelbine. Prévue pour
240 patients, elle a cependant été interrompue
prématurément à 120 patients en raison d’une
différence significative en faveur du doublet.
Ces résultats n’ont pas été confirmés par l’étude, plus
vaste (700 patients), de C. Gridelli et al. démontrant
l’absence d’avantages du doublet (6).
Ainsi, les recommandations de l’ASCO, mais aussi de
l’EORTC, sont actuellement de traiter les patients
âgés avec une monothérapie.
L’étude IFCT0501, présentée par E. Quoix et al. en
session présidentielle (abstr. 3), a comparé une
bithérapie par paclitaxel hebdomadaire + carboplatine administrée par cycles renouvelés toutes
les 4 semaines à une mono-chimiothérapie par
vinorelbine ou gemcitabine (au choix de l’investigateur). Cette étude prévue pour 522 patients
a été arrêtée à la seconde analyse intermédiaire
du fait d’une différence significative en faveur de
la bithérapie (tableau I). L’association paclitaxel-
carboplatine permet d’obtenir de meilleurs taux de
réponse, de SSP et de SG (figure 1).
Un des aspects intéressants de cette étude est que
le bénéfice du doublet s’observe dans tous les sousgroupes étudiés, y compris ceux dont le pronostic
Tableau I. Caractéristiques des patients inclus dans l’étude IFCT-0501.
Monothérapie
(n = 226)
Doublet
(n = 225)
p
Gemcitabine
(n = 164)
Vinorelbine
(n = 62)
Total
(n = 226)
129 (78,7 %)
43 (69,4 %)
172 (76,1 %)
161 (71,6 %)
0,2716
76,9
76,3
76,9
77,1
0,5856
0-1
2
115 (70,1 %)
49 (29,9 %)
50 (80,6 %)
12 (19,4 %)
165 (73 %)
61 (27 %)
164 (72,9 %)
61 (27,1 %)
0,977
Stade
IIIa-IIIb
IV
35 (21,3 %)
129 (78,7 %)
7 (11,3 %)
55 (88,7 %)
42 (18,6 %)
184 (81,4 %)
46 (20,4 %)
179 (79,6 %)
0,6181
Histologie
Épidermoïde
Adénocarcinome
Autre
54 (32,9 %)
85 (51,8 %)
25 (15,2 %)
20 (32,3 %)
30 (48,4 %)
12 (19,4 %)
74 (32,7 %)
115 (50,9 %)
37 (16,4 %)
77 (34,2 %)
114 (50,7 %)
34 (15,1 %)
Jamais fumeur
33 (20,1 %)
17 (27,4 %)
50 (22,1 %)
44 (19,6 %)
Hommes
Âge médian
PS
0,91
0,4866
100
Survie globale (%)
Ces données nous montrent que, dans ces tumeurs
qui envahissent les structures du défilé cervicothoracique avoisinant, la possibilité de faire une CT
suivie d’une résection complète offre aux patients
des chances significatives de guérison.
80
Médiane : 10,3 mois (IC95 : 8,3-13,3)
Survie à 1 an : 45,1 % (IC95 : 38,2-51,8)
60
Médiane : 6,2 mois (IC95 : 5,3-7,4)
Survie à 1 an : 26,9 % (IC95 : 21,0-33,1)
p = 0,00004
40
Doublet
20
Monothérapie
0
0
6
12
18
24
30
36
42
Mois
Figure 1. Survie des patients âgés sous monothérapie et sous paclitaxel-carboplatine.
La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 47
DOSSIER THÉMATIQUE
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Cancers bronchiques
selon les échelles gériatriques est mauvais. Le prix
de cette plus grande efficacité est une toxicité plus
importante avec, en particulier, une toxicité leucoplaquettaire plus grande et plus de décès toxiques,
mais, paradoxalement, moins de décès précoces.
Cette étude, qui change dès aujourd’hui la
perception du traitement des patients âgés, va
à l’encontre d’autres études plus petites et va
probablement modifier le standard de soins de ces
patients en faveur d’un doublet. La toxicité devra
être prise en compte en utilisant probablement
des facteurs de croissance hématopoïétiques, dont
la prescription devra être codifiée si l’association
paclitaxel hebdomadaire et carboplatine devient
le standard.
Parmi les questions ultérieures, celle de la place d’un
troisième médicament, et notamment du bévacizumab, est posée. On dispose de plusieurs résultats
rétrospectifs et notamment de ceux de l’étude ARIES
(Wozniak AJ et al., abstr. 7618), qui montrent un profil
de tolérance tout à fait bon chez les patients âgés,
entre autres.
Traitements d’entretien
des stades IIIb/IV
La stratégie thérapeutique dans les CBNPC a changé
ces dernières années : le choix du doublet n’est
maintenant plus empirique mais basé sur les caractéristiques histologiques de la tumeur. En revanche,
le nombre de cycles de CT a été établi par plusieurs
études avec une logique de type “stop and go”, le
traitement étant arrêté en fonction de la réponse
à 4 ou 6 cycles de CT, puis repris au moment de
la progression. Le traitement d’entretien (maintenance des Anglo-Saxons) ou de consolidation est
un sujet de recherche ancien, abandonné dans la
dernière décennie mais en cours de réactualisation.
Il y a plusieurs solutions pour progresser à partir du
concept de “stop and go”. Ces solutions se fondent
sur :
➤➤ le type de CT, en continuant l’administration d’un
des médicaments du doublet initial, comme dans
l’étude de T. Brodowicz et al. utilisant la gemcitabine (7) ;
➤➤ l’utilisation d’un médicament différent, ce qui
correspond à une seconde ligne précoce, comme
dans l’étude FIDIAS avec le docétaxel (8) ;
➤➤ le fait de continuer l’administration d’un traitement ciblé comme le bévacizumab, comme dans les
études SANDLER et AVAIL (9, 10), ou le cétuximab,
comme dans l’étude FLEX (11).
48 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010
Le National Cancer Institute (NCI) des États-Unis
a récemment clarifié la définition des différentes
possibilités de traitement d’entretien. Ce dernier
est défini comme le traitement aidant à contrôler le
cancer après sa disparition ou sa diminution à la suite
d’un traitement initial. Les objectifs du traitement
d’entretien sont de prolonger la survie et/ou de
maintenir la qualité de vie. Le médicament utilisé
doit atteindre un objectif clinique pertinent, être
bien toléré et sans toxicité cumulative.
Deux types principaux d’entretien sont à distinguer :
➤➤ l’entretien de continuation, où l’un des médicaments administrés à raison de 4 à 6 cycles dans la
première ligne est poursuivi après stabilisation ou
réponse objective ;
➤➤ la “switch maintenance”, que l’on peut désigner
aussi sous le terme de “seconde ligne précoce”, où
un nouveau médicament ne faisant pas partie de la
première ligne de traitement est introduit après une
réponse objective ou une stabilisation.
Parmi les médicaments ayant eu l’autorisation de
mise sur le marché (AMM) dans cette indication, le
pémétrexed est indiqué en seconde ligne précoce
après un doublet à base de cisplatine (12). L’erlotinib a également obtenu une AMM de ce type après
les résultats présentés l’an dernier et récemment
publiés de l’étude SATURN (13) en cas de maladie
stable.
Le bévacizumab a une AMM pour l’entretien de continuation. Cependant, jusqu’à cette année, aucune
étude n’a comparé l’entretien par bévacizumab à
l’absence de traitement dans les CBNPC.
Cette question scientifique pourrait être posée
dans les CBNPC. Cependant, sortant du domaine
de la cancérologie thoracique, une étude présentée
en session présidentielle traitant des tumeurs de
l’ovaire démontre qu’il vaut mieux ne pas arrêter le
béva­cizumab après la dernière séance de CT.
Cette année, C. Belani et al. (abstr. 7506) ont présenté
les résultats de l’étude comparant la gemcitabine
à un placebo en monothérapie chez des patients
contrôlés après 4 cycles de CT par gemcitabine +
carboplatine. Cette étude a inclus 519 patients
dans la phase initiale et 255 patients ont été randomisés entre soins de supports seuls et avec gemcitabine. À l’inverse des travaux présentés les années
précédentes, cette étude ne met pas en évidence
de différence de survie (objectif principal). Une des
limites de cette étude est le nombre important de
patients de mauvais performance status (PS), dont
beaucoup ne reçoivent pas de traitement ultérieur.
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
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Une autre est l’arrêt prématuré pour recrutement
insuffisant.
L’étude française IFCT-GFPC 0502, présentée par
M. Pérol et al. (abstr. 7507), compare la gemcitabine (154 patients), l’erlotinib (155 patients) et la
surveillance simple (155 patients) chez des patients
contrôlés après 4 cycles de CT par gemcitabine +
cisplatine. Contrairement à l’étude de C. Belani, elle
atteint son objectif principal, l’amélioration de la SSP,
que ce soit avec l’erlotinib ou avec la gemcitabine.
Les données de SG ne sont pas matures. La caractéristique de cette étude est que la vaste majorité
des patients reçoit un traitement de seconde ligne,
le pémétrexed (défini à l’avance), y compris dans
le groupe sans entretien. Par ailleurs, à l’inverse
des études de T. Ciuleanu et al. (pémétrexed en
entretien) [14] et SATURN (erlotinib en entretien), le
bénéfice s’observe essentiellement chez les patients
répondeurs.
Au terme de ces 2 nouvelles études, on peut conclure
que l’entretien n’est pas justifié chez les patients
de PS 2. En revanche, l’entretien de continuation
par gemcitabine est une option pour les patients
en bon état général. Il reste à savoir quels sont les
patients qui profitent le plus de l’entretien. Cela
n’est pas clair avec la CT, puisque les résultats des
études divergent. Le rapport coût/efficacité reste
également à déterminer.
Faute de disposer de facteurs prédictifs, on peut
proposer un traitement après une discussion avec
le patient après avoir pesé avec lui les bénéfices et
les risques.
Les échecs de l’année 2010
figitumumab) en première ligne de traitement de
CBNPC métastatiques ou localement avancés (IIIb)
avait montré des taux de réponse spectaculaires
dans les carcinomes épidermoïdes (78 %) [15]. Ces
résultats très prometteurs ont conduit à plusieurs
études : l’une comparant paclitaxel-carboplatine
avec et sans figitumumab chez 820 patients porteurs
de cancers non adénocarcinomes, l’autre comparant,
chez les patients réfractaires à la CT, l’erlotinib avec
et sans figitumumab.
Cette étude se fonde sur l’existence d’une forte
expression de l’IGF-1R dans les carcinomes épidermoïdes et sur les résultats de la phase II antérieure.
Initialement prévue pour inclure 820 patients, elle a
été interrompue à 681 patients, une analyse intermédiaire ayant démontré la supériorité du groupe
témoin. Les effets indésirables graves observés dans
le groupe traité par figitumumab sont la déshydratation, les hyperglycémies, les accidents cardiaques
et les infections. L’objectif principal d’amélioration
de la survie ne peut être atteint dans ce contexte
de toxicité excessive. Une analyse de biomarqueurs
est en cours, avec notamment le taux d’IGF-1 libre.
Dans cette analyse faite a posteriori, un taux d’IGF-1
libre supérieur à 1 ng/ml influencerait l’efficacité et
le profil de toxicité du figitumumab et, de ce fait,
pourrait entrer en compte dans le développement
ultérieur de cette molécule.
Deux voies de signalisation sont capables d’induire
une mort cellulaire : celle dite “intrinsèque“
(dépendante de la p53), qui est impliquée lors d’un
traitement par CT ou RT ; et celle dite “extrinsèque“
(dépendante de la voie des caspases), qui implique
les récepteurs de “mort cellulaire” (TRAIL1, TRAIL2,
DR4 ou DR5).
Les premiers résultats cliniques des molécules ciblant
l’IGF-1R (Insulin-like Growth Factor 1 Receptor),
présentés il y a 2 ans, ont suscité beaucoup
d’enthousiasme (15). L’IGF-1 est un facteur de croissance présentant 70 % d’homologie avec l’insuline,
principalement sécrété par le foie en réponse à la
sécrétion d’hormone de croissance (GH). C’est en
formant un dimère avec un membre de la famille
des IGF binding proteins qu’il se fixe sur un récepteur
tyrosine kinase transmembranaire exprimé de façon
ubiquitaire, en particulier par les cellules de CBNPC.
La transduction du signal utilise les mêmes intermédiaires protéiques que la signalisation de l’EGFR,
activant la voie des MAP kinases (RAF, ERK, etc.)
et la voie de la PI3 kinase (PI3K, AKT, mTOR). Un
essai randomisé de phase Ib-II associant à la CT un
anticorps monoclonal humanisé anti-IGF-1R (le
Un essai de phase II randomisé a comparé une CT
par carboplatine-paclitaxel seule et associée au
mapatumumab (agoniste de TRAIL1) à 2 niveaux
de dose (10 mg/kg et 30 mg/kg), en première ligne
de traitement, chez 109 patients atteints de CBNPC
de stades IIIb-IV non sélectionnés (von Pawel J et al.,
abstr. LBA7501).
Les études concernant la toxicité du médicament
n’ont, pour l’instant, pas montré de toxicité excessive
ou inhabituelle. Néanmoins, les résultats concernant
les 2 principaux objectifs sont négatifs : les taux
de réponses ont été respectivement de 30,6 %
(sans mapatumumab), 13,5 % (avec 10 mg/kg de
mapatumumab) et 36,1 % (avec 20 mg/kg) ; les taux
de SSP étaient de 4,6 mois, 4,6 mois et 4,9 mois.
Ces résultats étaient prévisibles en l’absence de
données concernant l’expression tumorale de TRAIL,
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La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Cancers bronchiques
et surtout en l’absence de données sur le degré de
méthylation des protéines impliquées dans cette
voie de signalisation. A posteriori, l’expression de
TRAIL1 a été analysée chez 13 patients. Quatre
tumeurs étaient positives pour 5 à 30 % des cellules
tumorales.
Ciblage de l’EGFR
C. Gridelli et al. ont présenté l’essai italo-canadien
TORCH (Tarceva OR CHemotherapy) de phase III
comparant une stratégie standard de CT à base
de cisplatine-gemcitabine jusqu’à 6 cycles suivie
d’erlotinib à la progression avec une stratégie inverse
(erlotinib suivi, lors de la progression, de cisplatinegemcitabine). Cette étude de non-infériorité
prévoyait d’inclure 900 patients présentant un
CBNPC de stade IV avec un PS de 0 ou 1. Ils n’étaient
pas sélectionnés selon la présence d’une mutation
de l’EGFR ni selon leurs caractéristiques cliniques
(adénocarcinome, sexe, tabagisme). L’essai a été
arrêté à la suite de la première analyse intermédiaire
programmée, après 340 décès.
Les caractéristiques des patients étaient les
suivantes : 33 % de femmes, 21 % de non-fumeurs,
54 % d’adénocarcinomes. La médiane de survie était
de 7,7 mois dans le groupe erlotinib en première
ligne contre 10,9 mois dans le groupe CT première
(HR : 1,4 ; IC95 : 1,13-1,73) ; la SSP de 3,3 mois versus
5,7 mois.
En analyse de sous-groupes, la CT première était
meilleure dans tous les sous-groupes : sexe, histologie, tabagisme. Ces résultats s’expliquent par un
taux de progression tumorale plus important dans
le groupe erlotinib et par le faible taux de CT de
deuxième ligne par cisplatine (moins de 50 %) due
à la dégradation de l’état général des patients.
Cette étude démontre clairement que, en l’absence
de mutation de l’EGFR ou quand celle-ci ne peut
être établie (insuffisance de matériel ou problème
technique), il est délétère pour le patient de
commencer par des TKI, même s’il existe des
arguments cliniques en faveur d’une mutation
(sexe, tabagisme, adénocarcinome) et même si un
traitement de deuxième ligne est prévu.
L’utilisation d’un TKI de l’EGFR en première ligne de
traitement chez les malades porteurs d’un CBNPC
présentant une mutation activatrice de l’EGFR a
montré, à l’occasion de 3 essais de phase III, sa
supériorité sur différents doublets de CT à base
de platine, en termes de SSP et de qualité de
vie (16-18).
50 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010
Cette nouvelle stratégie explique le soutien apporté
par l’INCa (Institut national du cancer) à la recherche
des mutations activatrices de l’EGFR dans les plateformes moléculaires.
Il y a plusieurs obstacles à la diffusion de ce progrès
thérapeutique :
➤➤ le nombre important de malades à tester
(environ 10 000 par an) ;
➤➤ la nécessité d’avoir du matériel tumoral en quantité et de qualité suffisantes ;
➤➤ l’obligation pour les laboratoires d’anatomie
pathologique – déjà surchargés – de procéder à
un déstockage des blocs, de réaliser une coupe en
immunohistochimie (IHC) pour quantifier les cellules
tumorales et d’envoyer les prélèvements vers une
plate-forme ;
➤➤ le fait que 70 % des malades atteints d’un cancer
du poumon sont pris en charge dans un établissement éloigné d’une plate-forme ;
➤➤ l’augmentation de la prescription de biomarqueurs
à prévoir pour les différents types de cancer liée à
l’apparition d’un grand nombre de biothérapies.
Dans ce contexte, disposer de techniques d’IHC
permettant de réaliser une quantification tumorale
et de détecter une protéine mutée sur une même
lame constituerait un moyen moins coûteux de
sélection des malades. Deux équipes ont rapporté
leurs résultats qui utilisent la même série d’anticorps (Cell Signaling Technology®) appliquée sur
des prélèvements issus de malades chez lesquels le
statut mutationnel de l’EGFR avait été déterminé
au préalable par un séquençage ou une technique
alternative. Dans l’étude de S. Simonetti et al.
(abstr. 7570), portant sur 74 prélèvements, dont
24 mutés sur l’exon 19 et 27 sur l’exon 21, la
sensibilité et la spécificité pour la détection des
mutations sur les exons 19 et 21 étaient de 87 %
et de 71 %, respectivement. Pour l’exon 21, la sensibilité passait à 100 % si l’on ne s’intéressait qu’à la
mutation L858R, la plus fréquente. Pour l’exon 19,
la sensibilité passait à 84 % pour la délétion de
15 paires de bases, témoignant de la très grande
spécificité de ces anticorps. Dans l’étude de Y. Kato
et al. (abstr. 1054), portant sur 70 prélèvements,
dont 11 mutés sur l’exon 19, 12 sur l’exon 21, 1 sur
l’exon 18 et 18 sur l’exon 20, la sensibilité, la spécificité et l’exactitude pour la détection des mutations
sur les exons 19 et 21 étaient de 78,3 %, 95,7 % et
98,0 %. Bien entendu, la sensibilité du test chutait à
43,9 % si l’on considérait l’ensemble des mutations,
incluant celles de l’exon 20, qui n’ont que peu ou pas
d’intérêt en première ligne de traitement.
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Une stratégie progressive de proximité permettrait – à partir de données épidémiologiques
(sexe, tabagisme, origine ethnique), cliniques
(stade d’extension, comorbidités, PS), anatomopathologiques (type et sous-type histologique
OMS) – de classer les malades afin de rechercher par
IHC les biomarqueurs orientant vers des standards
ou des interdits thérapeutiques. Par exemple, une
IHC positive pour l’EGFR muté orienterait d’emblée
vers une première ligne par TKI. À l’inverse, l’absence
de ces anomalies conduirait à la réalisation par la
plate-forme régionale d’une analyse moléculaire
plus exhaustive incluant des mutations plus rares,
mais donnant accès à des thérapeutiques ciblées
en deuxième ligne ou dans le cadre d’essais thérapeutiques. Finalement, certains malades pourraient
bénéficier d’une analyse pangénomique au sein de
centres de référence d’oncologie d’organes ayant la
charge de traiter les cancers orphelins.
Nous disposons de l’erlotinib depuis 2005 et
du géfitinib depuis 2010. Le maniement de ces
médicaments est dorénavant passé dans la pratique
courante : on connaît bien les facteurs prédictifs
d’efficacité cliniques et épidémiologiques et on peut
rechercher en pratique quotidienne des mutations
de l’EGFR dans le tissu tumoral.
Cependant, la question de la dose idéale d’erlotinib
pour un patient donné reste posée : faut-il ou non
augmenter la posologie chez les patients fumeurs dont
la clairance de l’erlotinib est importante ? Le problème
des interactions se pose également, notamment avec
certains médicaments du quotidien tels que les imidazolés, qui diminuent la clairance de l’erlotinib, ou, à
l’inverse, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) si
souvent prescrits (parfois pour des raisons peu claires),
qui diminuent l’absorption des TKI.
Dans ce contexte de pratique courante, la diminution
de la posologie, et parfois même l’arrêt temporaire du traitement, est une recommandation pour
gérer les effets toxiques cutanés les plus sévères
ainsi que ceux qui résistent ou s’aggravent malgré
un traitement dermatologique adapté. Dans ces
cas précis, le clinicien ne doit pas oublier que cette
diminution de la posologie peut entraîner une perte
d’efficacité.
Deux études présentées en posters, réalisées
chez des patients traités pour des tumeurs
présentant une mutation de l’EGFR, rassureront la majorité d’entre nous (Inoue A et al.,
abstr. 7571 ; Yeo W et al., abstr. 7572). En effet,
elles confirment la très grande sensibilité des
tumeurs présentant une mutation de l’EGFR.
L’une propose une posologie très réduite de 25 mg/j
de géfitinib sans, semble-t-il, perte d’efficacité. On
ne peut cependant recommander une dose aussi
faible, même si elle semble ne pas affecter l’efficacité : un tel dosage pourrait exposer le patient
à un risque plus grand d’interaction médicamenteuse, modifiant encore à la baisse les taux sériques
efficaces du médicament. Enfin, dans certains
organes, dont le cerveau, la biodisponibilité plus
faible expose à un risque de sous-traitement.
En revanche, une diminution raisonnable de la
posologie en cas de toxicité semble justifiée et ne
pas être préjudiciable pour l’action thérapeutique.
À l’inverse, D.M. Jackman a rapporté quelques cas
de lésions secondaires cérébrales ou méningées qui
ont pu être traitées efficacement par l’augmentation des doses de géfitinib (de 750 à 1 250 mg),
entraînant une augmentation de la concentration
de la molécule dans le liquide céphalo-rachidien.
Résistance aux TKI de l’EGFR,
autres anomalies moléculaires
et associations de traitements
ciblés
Découvertes en 2004, les mutations de l’EGFR
sont maintenant au cœur du processus de décision
thérapeutique à la fois en première ligne et au-delà.
Les mécanismes de résistance aux traitements
commencent à être élucidés, et la définition de la
résistance acquise aux TKI de l’EGFR a été codifiée
pour simplifier le processus décisionnel.
Ainsi la résistance acquise se définit-elle par les
caractéristiques cliniques et biologiques suivantes :
➤ patient ayant déjà été traité par un TKI de l’EGFR ;
➤ présence d’une mutation prédictive de sensibilité
aux TKI de l’EGFR ou réponse complète ou partielle,
ou stabilisation durable (au moins 6 mois) ;
➤ progression systémique de la maladie pendant
un traitement par TKI de l’EGFR poursuivi au moins
30 jours ;
➤ pas d’intervention thérapeutique systémique
entre l’arrêt des TKI et l’instauration d’un traitement
adapté à la résistance.
Parmi les mécanismes connus de résistance, on
note la mutation T790 de l’EGFR, l’amplification
de c-MET, les amplifications de PI3K/AKT. Cependant,
une grande partie des mécanismes de résistance
reste à identifier.
La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 |
53
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Cancers bronchiques
Tableau II. Propositions thérapeutiques dans les tumeurs présentant des mutations de l’EGFR,
avec ou sans mécanisme de résistance.
Caractéristiques clinico-biologiques
Proposition thérapeutique
Mutation de l’EGFR
Première ligne thérapeutique
Actuellement :
• géfitinib première ligne
• erlotinib en entretien
Évolutions possibles dans l’avenir
Inhibiteur irréversible pan-HER :
• BIBW 2992
• PF-299804
(TKI de l’EGFR et inhibiteur de MET/HGF)
Mutation de l’EGFR
Résistance acquise
TKI de l’EGFR et chimiothérapie
Évolutions possibles dans l’avenir
TKI de l’EGFR et mAb anti-EGFR
(TKI de l’EGFR et inhibiteur de MET/HGF)
Inhibiteur irréversible pan-HER :
• BIBW 2992
• PF-299804
Sur le plan pratique, il est donc fondamental d’identifier le profil moléculaire des patients.
Sur le plan thérapeutique, les options actuelles et à
venir sont proposées dans le tableau II.
L’équipe de V. Miller (Oxnard GR et al., abstr. 7520) a
rapporté les résultats d’une étude prospective dont
l’objectif était d’analyser les mécanismes moléculaires de résistance acquise des malades mutés pour
l’EGFR et ayant progressé sous un TKI de l’EGFR. Les
tumeurs de 93 patients ont été biopsiées à nouveau
au moment de la progression et analysées à la
recherche d’une mutation T790M et d’une amplification de c-MET. Le traitement par TKI de l’EGFR
a été poursuivi dans 87 % des cas, en association
avec un nouveau traitement (le plus souvent une
association carboplatine-paclitaxel). La SG depuis
la mise sous TKI de l’EGFR était de 33 mois, et la
SSP depuis la rechute sous TKI de 19 mois. Une
mutation T790M a été retrouvée dans 62 % des cas ;
dans les 39 prélèvements analysables pour c-MET,
seulement 4 étaient FISH positifs. Selon l’analyse
univariée de la SG, le fait d’avoir été fumeur, un
bon PS, une maladie intra-thoracique exclusive et
une mutation T790M étaient associés à une survie
prolongée. L’analyse multivariée ne retrouvait que
la mutation T790M comme facteur de bon pronostic
(survie médiane : 39 contre 26 mois). Les malades
présentant une mutation T790M se caractérisaient
par une période avant rechute sous TKI beaucoup
plus longue (31 mois contre 19 mois ; p = 0,005) et
une rechute portant plus volontiers sur le site initial
qu’à distance (14 % versus 43 % ; p = 0,003).
54 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010
Lors du diagnostic initial, la présence d’une mutation
T790M est le plus souvent associée à une mutation
activatrice de type L858R et constitue un élément
de mauvais pronostic pour la SSP sous TKI de
l’EGFR (Rosell R et al., abstr. 7514). À l’inverse, la
sélection d’une mutation T790M au moment de
la progression sous TKI de l’EGFR est associée à
un échappement local, progressif et de meilleur
pronostic, probablement parce que la maladie
reste en partie contrôlée par le TKI. Par ailleurs,
l’adjonction d’une CT au TKI de l’EGFR paraît
possible et semble permettre un nouveau contrôle
de la maladie. Néanmoins, dans cette situation,
l’inclusion dans un essai thérapeutique évaluant
l’efficacité des nouveaux TKI irréversibles de l’EGFR,
théoriquement actifs sur les mutants T790M
(BIBW2992, PF299804), pourrait être également
proposée.
Le gène ALK (Anaplastic Lymphoma receptor tyrosine
Kinase), situé sur le chromosome 2 (2p23.1), est
un oncogène identifié dans certains lymphomes
anaplasiques. Son réarrangement (inversion au sein
du bras court du chromosome 2 ou translocation
avec échange de matériel d’un autre chromosome)
conduit à une activation permanente de l’activité
tyrosine kinase et donc des voies PI3K/AKT, MEK/
ERK et PLC (19). La présence d’un réarrangement
d’ALK avec EML4 (Echinoderm Microtubuleassociated protein-Like 4), également situé sur le
chromosome 2, a été retrouvée chez environ 5 %
des adénocarcinomes pulmonaires primitifs. Il
s’agit plus souvent de malades non ou ex-fumeurs,
ayant progressé sous CT et TKI de l’EGFR, avec la
particularité d’être alors plus souvent des hommes
jeunes, sans prédominance asiatique. La présence
d’une mucosécrétion ou d’un aspect des cellules
en “bague à chaton” a été également signalée (20).
EML4-ALK semble exclusive des mutations de
l’EGFR et de KRAS. Sur le plan thérapeutique, la
résistance aux TKI de l’EGFR est systématique.
Dans les modèles précliniques (lignées cellulaires
ou xénogreffes), l’utilisation d’un inhibiteur spécifique de la tyrosine d’ALK (TKI-ALK), le crizotinib
(PF-02341066), a permis d’obtenir des résultats
spectaculaires (21) qui ont conduit à la mise en
place d’un essai de phase I-II dont les résultats ont
été présentés en session plénière. Le crizotinib est
un TKI ciblant ALK (et c-MET), administré par voie
orale, avec une ­excellente biodisponibilité et une
demi-vie de 50 heures environ. Sa cinétique n’est
pas modifiée par l’alimentation, et il n’interfère que
modestement avec le CYP3A4. La dose retenue
après escalade thérapeutique chez 37 malades a
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Un essai de phase III (PROFILE III) et un essai de
phase II (PROFILE II) ont débuté, et des centres
investigateurs devraient ouvrir en France, dès ce
mois-ci.
Les malades devront être inclus sur les résultats
d’une FISH positive réalisée dans un laboratoire
centralisé. La phase III comparera, chez 318 malades,
en deuxième ligne, le crizotinib et le pémétrexed ou
le docétaxel après progression en première ligne
sous une CT à base de platine. La phase II sera
proposée à 250 malades, soit après échec de la CT
dans PROFILE III, soit chez les malades ayant reçu
plusieurs lignes de traitements antérieures.
L’amplification de c-MET est associée à un mauvais
pronostic des CBNPC ainsi qu’à une résistance in
vitro aux TKI de l’EGFR. La résistance entraînée par
c-MET est médiée par l’activation de la voie PI3K/
AKT par l’HER3. Le ciblage de c-MET représente donc
la possibilité de moduler la sensibilité des tumeurs
à l’erlotinib.
L’ARQ 197-209 est un inhibiteur sélectif de c-MET,
administré par voie orale. Son efficacité et son
profil de tolérance sont acceptables en phase I. Son
association in vitro et in vivo avec l’erlotinib montre
un profil d’efficacité supérieur à celui de chacune
des 2 molécules utilisées séparément. Une étude
randomisée de 167 patients a comparé erlotinib
(150 mg/j) et ARQ (360 mg/j) × 2/j à l’erlotinib
associé à un placebo, avec possibilité de crossover
en cas de progression. Les critères d’inclusion étaient
les suivants : CBNPC de stade IV, PS de 0-2, au moins
1 ligne de CT, mais pas de traitement par TKI de
60
Variation maximale de la taille tumorale (%)
été de 250 mg × 2/j. Ensuite, 82 malades ont été
sélectionnés par une méthode de FISH et inclus
dans la phase II. Il s’agissait de 43 hommes et de
39 femmes, âgés en moyenne de 51 ans, dont 56 %
étaient Caucasiens et tous, sauf 3, porteurs d’un
adénocarcinome métastatique (96 %). Plus de
50 % des malades avaient reçu au moins 2 lignes de
traitement. Les effets secondaires les plus fréquents
étaient des troubles digestifs (environ 50 %) et
des troubles visuels (environ 40 %). Il y a eu 12 %
d’effets indésirables de grade 3 (essentiellement une
élévation des transaminases), et un seul malade a
eu une élévation des transaminases de grade 4. Le
taux de réponse objectif est de 57 %, avec 87 % de
malades contrôlés à 8 semaines (figure 2).
La SSP a été estimée à 6 mois à 72 %, pour une durée
médiane de traitement de 5,7 mois (1 à 15 mois) ;
68 % des malades ont interrompu le traitement du
fait d’une progression.
Progression
Stabilité
40
Réponse partielle confirmée
20
Réponse complète confirmée
0
– 20
– 30
– 40
– 60
– 80
– 100
Figure 2. Efficacité du crizotinib sur une population présentant l’anomalie moléculaire
EML4-ALK.
n
Épidermoïde
Non épidermoïde
MET FISH > 4
MET FISH > 5
EGFR mutant
EGFR sauvage
KRAS mutant
KRAS sauvage
26/24
58/59
19/18
8/11
6/11
51/48
10/5
49/45
ARQ 197/erlotinib Placebo/erlotinib
SSP médiane (IC95) [semaines]
13,7 (8,0-18,1)
18,9 (15,0-21,1)
15,4 (8,1-24,4)
24,1 (16,3-NA)
24,1 (8,0-32,1)
13,7 (8,1-18,1)
9,7 (7,9-NA)
15,4 (8,1-18,1)
HR brut
8,4 (7,9-21,0)
9,7 (8-16,0)
15,3 (7,1-16,3)
15,6 (7,9-31,4)
21,0 (8,1-36,0)
8,1 (7,9-9,9)
4,3 (1,1-8,0)
9,9 (8,0-16,0)
1,05
0,71
0,71
0,45
1,23
0,70
0,18
1,01
0 0,5 1 1,5
NA : non atteinte.
ARQ 197/erlotinib
meilleur
2 5
Placebo/erlotinib
meilleur
Figure 3. Effet de 2 modalités thérapeutiques dans différents sous-groupes clinicobiologiques.
l’EGFR et suffisamment de tissu conservé pour des
études (recherche de mutation). L’objectif principal
était la SSP.
Les patients, d’un âge médian de 63 ans, étaient
majoritairement de sexe masculin (60 %) ; 90 %
avaient un PS de 0-1, 54 % un adénocarcinome. En
revanche, il y avait plus de mutations EGFR dans le
bras placebo (7 % versus 13 %) et plus de mutations
KRAS dans le groupe ARQ 197-209 (12 % versus 6 %).
La SSP en intention de traiter est allongée, mais non
significativement : 16,1 semaines contre 9,7 semaines
(HR : 0,81 ; IC95 : 0,57-1,15 ; p = 0,23). Cependant,
l’analyse de Cox, ajustée aux facteurs pronostiques,
montre un HR de 0,68 (IC95 : 0,47-0,98 ; p < 0,05).
L’amélioration de la SSP semble meilleure pour
La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 55
DOSSIER THÉMATIQUE
46e congrès américain
en oncologie clinique
Cancers bronchiques
l’histologie non épidermoïde, l’EGFR sauvage et les
mutations KRAS. Les toxicités étaient globalement
équivalentes dans les 2 groupes de patients. Les
réponses objectives étaient à 10 % dans le groupe
ARQ 197-209 contre 7 % dans le groupe erlotinib
seul.
L’ARQ 197-209, dans cette étude de phase II randomisée, est bien toléré et augmente la SSP, particulièrement dans le sous-groupe de patients à tumeur
non épidermoïde, avec mutation de KRAS et sans
mutation de l’EGFR. Ce bénéfice peut paraître faible,
mais l’efficacité de cette molécule en association,
en cas de mutation de KRAS, mérite des études
ultérieures.
Conclusion
En 2010, on retiendra la forte participation des
équipes françaises, témoignant d’une structuration
d’équipes dynamiques facilitée par l’aide concrète
apportée par le Plan cancer. Les messages de cette
année sont :
➤➤ de ne pas sous-traiter les patients âgés et de
leur proposer un doublet de chimiothérapie comme
dans l’étude d’E. Quoix (IFCT-0501) ;
➤➤ la validation du concept d’entretien par une
nouvelle étude positive (IFCT-GFPC 0502) ;
➤➤ enfin, et surtout, l’existence d’une nouvelle
anomalie moléculaire, qui peut être traitée par voie
orale par un TKI spécifique. Cette anomalie EML4ALK ainsi que les mutations de l’EGFR concernent
20 à 25 % de nos patients, qui bénéficieront d’un
traitement approprié par voie orale.
Ces découvertes enthousiasmantes soulignent la
nécessité d’améliorer nos techniques diagnostiques
en recourant à la biopsie le plus fréquemment
possible et, dans le même temps, de mettre au
point des techniques alternatives moins invasives,
plus adaptées à une simplification en clinique
courante.
■
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