DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Cancers bronchiques Lung cancers D. Moro-Sibilot*, P.J. Souquet**, J. Cadranel*** L e programme de l’ASCO 2010 a été très riche, avec une participation marquée de la recherche clinique française et tout particulièrement de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT). L’impression globale est celle d’une omniprésence des traitements ciblés et de leurs facteurs prédictifs de réponse. En pratique, si notre quotidien est encore majoritairement marqué par les traitements de chimiothérapie (CT), l’avenir qui transparaît dans les sujets abordés lors de ce congrès sera celui d’un choix thérapeutique personnalisé, fondé sur une ou plusieurs anomalies moléculaires prédictives de l’efficacité du traitement. Reste un grand absent de ce congrès : les cancers à petites cellules, avec une quasi absence de communication sur ce sujet si ce n’est une étude assez discutable sur le picoplatine (Ciuleanu TE et al., abstr. 7002). Épidémiologie et tabagisme La polémique sur le risque carcinogène du tabagisme passif a été récemment relancée dans les grands médias français. Cette question est encore plus d’actualité dans les pays asiatiques, où l’on constate depuis quelques années une véritable épidémie d’adénocarcinomes portant des mutations de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), chez des femmes non fumeuses. Une étude prospective a évalué, de manière détaillée, l’exposition au tabagisme passif de 126 patients ayant fumé moins de 100 cigarettes dans leur vie et présentant néanmoins un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC). L’interrogatoire portait sur le lieu (domicile, travail), la période et la durée de l’exposition. La dose cumulée d’exposition (DCE) passive était définie comme la somme du nombre d’expositions par année et par lieu : 98,4 % des patients avaient une exposition passive, avec une DCE médiane de 50 expo­sitions/an/lieu (0-118 expositions/an/lieu). Une mutation activatrice de l’EGFR était retrouvée chez 83 patients (66 %). Il existait un lien significatif entre la fréquence des mutations de l’EGFR et le sexe féminin (p < 0,0046), ainsi qu’un effet dose avec la DCE subdivisée en tertiles (p = 0,025). Cette association restait significative en analyse multivariée incluant également la notion de cancers familiaux. Le risque relatif de présenter une mutation de l’EGFR était de 1,02 (intervalle de confiance : 1,00-1,04) par année d’exposition, c’est-à-dire un risque de 2 % pour 1 année et un risque de 20 % pour 10 années d’exposition au tabagisme passif. Cette relation dose-effet du tabagisme passif à faible dose est un argument supplémentaire pour son rôle carcinogène. Prise en charge des formes localisées Le stade médiastinal est un élément important dans la prise en charge thérapeutique des CBNPC. La tomodensitométrie thoracique et le PET scanner sont des techniques non invasives mais présentant des faux positifs et négatifs. L’étude de K.G. Tournoy et al. (abstr. 7000) a examiné la meilleure stratégie d’évaluation du stade ganglionnaire dans les CBNPC résécables et ceux justifiant une exploration médiasti­nale (hypertrophie ganglionnaire médiastinale au scanner, hypertrophie ganglionnaire hilaire en cas de tumeur centrale ou fixation au PET scanner sans hypertrophie ganglionnaire). Elle comparait l’association d’une échoendoscopie (œso­phagienne et bronchique avec ponction échoguidée) à l’exploration chirurgicale (médiastinoscopie, médiastinostomie, chirurgie vidéo assistée, etc.). La thoracotomie était réalisée chez tous les patients sans atteinte ganglionnaire individualisée, avec un curage ganglionnaire complet, dans les 2 groupes. L’objectif principal était la détection des atteintes ganglionnaires N2 et N3 ; l’objectif secondaire était le taux de thoracotomies inutiles et le taux de complications. * Unité fonctionnelle d’onco­logie thoracique, CHU de Grenoble, ­Inserm U823. ** Service de pneumologie, centre hospitalier Lyon-Sud. *** Service de pneumologie et réani­ mation respiratoire, hôpital Tenon, Paris. La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 45 Résumé Mots-clés Cancer bronchique Thérapeutiques ciblées Chimiothérapie d’entretien Patients âgés Highlights Patients who took gemcitabine or erlotinib as a maintenance therapy after their disease had been controlled with a standard gemcitabine cisplatinum had an improved progression-free survival when compared with those without maintenance treatment. A Phase III randomized, multicenter trial shows that a combination of paclitaxel and carboplatin significantly increases overall survival and progression-free survival in patients aged 70 or older with advanced non-small cell lung cancer (NSCLC) compared to standard single-agent therapy. EML4-ALK defines a new molecular subset of NSCLC with distinct clinical and pathologic characteristics. The drug crizotinib (PF02341066) was shown to shrink or stabilize tumors harboring EML4-ALK rearrangement in about 90% of the patients who took it. Keywords Lung cancer Targeted therapy Maintenance chemotherapy Elderly patients Un traitement d’entretien par gemcitabine ou erlotinib chez des patients en stabilisation ou en réponse préalablement traités par 4 cycles de gemcitabine et cisplatine améliore la survie sans progression comparativement à une simple surveillance. Une étude randomisée de phase III multicentrique démontre que l’association paclitaxel-carboplatine augmente significativement la survie globale et la survie sans progression d’une population ayant un CBNPC âgée de 70 ans ou plus, lorsqu’on la compare à une monothérapie standard. EML4-ALK est un réarrangement génique caractérisant un groupe de CBNPC avec des caractéristiques cliniques et histologiques spécifiques. Le crizotinib (PF02341066) entraîne la régression ou la stabilisation des tumeurs porteuses du réarrangement EML4-ALK dans environ 90 % des cas. Cet essai a inclus 241 patients. Les caractéristiques des patients inclus étaient identiques dans les 2 groupes. L’étude a évalué 236 personnes, 118 dans chaque groupe. L’atteinte ganglionnaire a été trouvée chez 62 patients (52 %) dans le groupe échoendoscopie (56 par l’échoendoscopie et 6 par la chirurgie) versus 41 patients (35 %) dans le groupe chirurgie seule. La sensibilité était de 94 % (n = 111) dans le groupe échoendoscopie versus 80 % (n = 94) dans le groupe chirurgie. Les thoracotomies inutiles étaient au nombre de 8 (7 %) dans le groupe échoendoscopie et de 21 (18 %) dans le groupe chirurgie. La fréquence des complications dans les 2 groupes était similaire. L’association échoendoscopie bronchique trans­ œso­phagienne et transbronchique avec ponction échoguidée représente, pour les auteurs de cette étude, le nouveau standard de l’exploration médiasti­nale dans les CBNPC résécables avec des arguments scannographiques ou au PET scanner d’atteinte ganglionnaire médiastinale. La question de l’intérêt de la CT néo-adjuvante des stades précoces a été soulevée par les résultats de l’étude française MIP 91, publiée en 2002 (1). Cet essai comparait 2 stratégies : CT par mitomycineifosfamide-platine (MIP) durant 2 cycles suivie d’une chirurgie versus chirurgie avec ou sans radiothérapie (RT). Les patients répondant au schéma MIP recevaient 2 cycles supplémentaires de CT immédiatement après l’opération ainsi que, dans certains cas, une RT. Le bénéfice de la CT préopératoire était plutôt observé dans les stades I et II que dans le stade IIIa (N2). Ces résultats ont été confirmés par plusieurs travaux, dont l’étude S9900 présentée par K. Pisters au congrès de l’ASCO 2005 (2). Cette dernière comparait une CT par 3 cycles de paclitaxel-­ carboplatine suivie d’une chirurgie à une chirurgie seule. Les patients inclus dans l’étude présentaient des stades Ib à IIIa (T3N1). Cette étude a cependant été prématurément arrêtée à 354 patients, du fait d’un recrutement insuffisant résultant de la publication des résultats positifs des études de CT adjuvante. L’effectif ne permettait pas d’avoir la puissance statistique nécessaire. En dépit d’une amélioration de la survie globale (SG) et de la survie sans progression (SSP), la différence restait statis- 46 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 tiquement non significative, comme dans l’étude d’A. Depierre, MIP91. Plusieurs méta-analyses ont donné une dimension supplémentaire à ces études préopératoires, avec un bénéfice qui devenait statistiquement significatif. Cependant, ce bénéfice se maintient-il à long terme ? Cette question a déjà été posée dans les essais portant sur la CT adjuvante, avec notamment l’étude IALT (International Adjuvant Lung Cancer Trial), dans laquelle le bénéfice disparaît avec le temps, en partie du fait d’une surmortalité due à des pathologies non cancéreuses dont certaines sont peut-être liées à un effet tardif de la CT (3). Au terme d’un recul de 10 ans, l’importance de l’amélioration de la survie dans l’étude périopératoire MIP est confirmée (Westeel V et al., abstr. 7003). Elle reste non significative en analyse univariée mais représente un gain d’environ 9 % à 10 ans. En revanche, en analyse multivariée, la CT néo-adjuvante apporte un bénéfice en survie. Il faut tout particulièrement noter l’absence de surmortalité non liée au cancer ainsi qu’une diminution du risque de rechute sous forme de métastases osseuses, alors que le risque de rechute cérébrale est équivalent dans les groupes avec et sans CT. La question du traitement multimodalité optimal pour les tumeurs de l’apex envahissant le défilé cervico-thoracique a été posée. Une étude (Komaki R et al., abstr. 7026) a comparé 2 essais de phase II comparant une chirurgie d’emblée suivie d’une radio-chimiothérapie en séquentiel ou en concomitant à une CT d’induction suivie de la chirurgie puis d’une RT. Il ressort de cette analyse que la chirurgie immédiate suivie d’une radio-chimiothérapie donne de meilleurs résultats en termes de SG et de survie sans récidive. Ces résultats, obtenus sur des cohortes de petite taille, sont d’autant plus troublants qu’une étude japonaise (Tsuboi M et al., abstr. 7025), également présentée cette année, montre le contraire avec de très bons résultats à 7 ans pour une association initiale CT (mitomycine, vindésine, cisplatine) et RT suivie d’une chirurgie. La SG des patients R0 à 7 ans est excellente, de 67 %, et le taux de SSP de 44 %. Chez les patients en réponse complète, la survie à 7 ans est de 92 %. DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Traitements des stades IIIb/IV des patients âgés Le traitement des personnes âgées atteintes d’un cancer a longtemps été mal codifié. En effet, ces patients étaient souvent exclus des essais cliniques pour de multiples raisons, et notamment à cause de l’existence de comorbidités sévères risquant de pénaliser les résultats des études. Puis les résultats concernant les patients âgés furent extrapolés à partir des résultats d’études concernant une population générale plus large comportant notamment des personnes âgées. En 1999, une première étude randomisée incluant 154 patients de plus de 70 ans avait comparé la vinorelbine aux soins de support. Il y avait un bénéfice significatif de la monothérapie par vinorelbine, avec une médiane de survie qui passait de 21 à 28 semaines et une survie à 1 an de 14 à 32 % (4). Deux études ultérieures ont tenté de remettre en question ce qui allait devenir le dogme de la monothérapie chez les personnes âgées. Tout d’abord, l’étude de G. Frasci et al. (5) qui comparait une monothérapie par vinorelbine ou gemcitabine au doublet gemcitabine-vinorelbine. Prévue pour 240 patients, elle a cependant été interrompue prématurément à 120 patients en raison d’une différence significative en faveur du doublet. Ces résultats n’ont pas été confirmés par l’étude, plus vaste (700 patients), de C. Gridelli et al. démontrant l’absence d’avantages du doublet (6). Ainsi, les recommandations de l’ASCO, mais aussi de l’EORTC, sont actuellement de traiter les patients âgés avec une monothérapie. L’étude IFCT0501, présentée par E. Quoix et al. en session présidentielle (abstr. 3), a comparé une bithérapie par paclitaxel hebdomadaire + carboplatine administrée par cycles renouvelés toutes les 4 semaines à une mono-chimiothérapie par vinorelbine ou gemcitabine (au choix de l’investigateur). Cette étude prévue pour 522 patients a été arrêtée à la seconde analyse intermédiaire du fait d’une différence significative en faveur de la bithérapie (tableau I). L’association paclitaxel- carboplatine permet d’obtenir de meilleurs taux de réponse, de SSP et de SG (figure 1). Un des aspects intéressants de cette étude est que le bénéfice du doublet s’observe dans tous les sousgroupes étudiés, y compris ceux dont le pronostic Tableau I. Caractéristiques des patients inclus dans l’étude IFCT-0501. Monothérapie (n = 226) Doublet (n = 225) p Gemcitabine (n = 164) Vinorelbine (n = 62) Total (n = 226) 129 (78,7 %) 43 (69,4 %) 172 (76,1 %) 161 (71,6 %) 0,2716 76,9 76,3 76,9 77,1 0,5856 0-1 2 115 (70,1 %) 49 (29,9 %) 50 (80,6 %) 12 (19,4 %) 165 (73 %) 61 (27 %) 164 (72,9 %) 61 (27,1 %) 0,977 Stade IIIa-IIIb IV 35 (21,3 %) 129 (78,7 %) 7 (11,3 %) 55 (88,7 %) 42 (18,6 %) 184 (81,4 %) 46 (20,4 %) 179 (79,6 %) 0,6181 Histologie Épidermoïde Adénocarcinome Autre 54 (32,9 %) 85 (51,8 %) 25 (15,2 %) 20 (32,3 %) 30 (48,4 %) 12 (19,4 %) 74 (32,7 %) 115 (50,9 %) 37 (16,4 %) 77 (34,2 %) 114 (50,7 %) 34 (15,1 %) Jamais fumeur 33 (20,1 %) 17 (27,4 %) 50 (22,1 %) 44 (19,6 %) Hommes Âge médian PS 0,91 0,4866 100 Survie globale (%) Ces données nous montrent que, dans ces tumeurs qui envahissent les structures du défilé cervicothoracique avoisinant, la possibilité de faire une CT suivie d’une résection complète offre aux patients des chances significatives de guérison. 80 Médiane : 10,3 mois (IC95 : 8,3-13,3) Survie à 1 an : 45,1 % (IC95 : 38,2-51,8) 60 Médiane : 6,2 mois (IC95 : 5,3-7,4) Survie à 1 an : 26,9 % (IC95 : 21,0-33,1) p = 0,00004 40 Doublet 20 Monothérapie 0 0 6 12 18 24 30 36 42 Mois Figure 1. Survie des patients âgés sous monothérapie et sous paclitaxel-carboplatine. La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 47 DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Cancers bronchiques selon les échelles gériatriques est mauvais. Le prix de cette plus grande efficacité est une toxicité plus importante avec, en particulier, une toxicité leucoplaquettaire plus grande et plus de décès toxiques, mais, paradoxalement, moins de décès précoces. Cette étude, qui change dès aujourd’hui la perception du traitement des patients âgés, va à l’encontre d’autres études plus petites et va probablement modifier le standard de soins de ces patients en faveur d’un doublet. La toxicité devra être prise en compte en utilisant probablement des facteurs de croissance hématopoïétiques, dont la prescription devra être codifiée si l’association paclitaxel hebdomadaire et carboplatine devient le standard. Parmi les questions ultérieures, celle de la place d’un troisième médicament, et notamment du bévacizumab, est posée. On dispose de plusieurs résultats rétrospectifs et notamment de ceux de l’étude ARIES (Wozniak AJ et al., abstr. 7618), qui montrent un profil de tolérance tout à fait bon chez les patients âgés, entre autres. Traitements d’entretien des stades IIIb/IV La stratégie thérapeutique dans les CBNPC a changé ces dernières années : le choix du doublet n’est maintenant plus empirique mais basé sur les caractéristiques histologiques de la tumeur. En revanche, le nombre de cycles de CT a été établi par plusieurs études avec une logique de type “stop and go”, le traitement étant arrêté en fonction de la réponse à 4 ou 6 cycles de CT, puis repris au moment de la progression. Le traitement d’entretien (maintenance des Anglo-Saxons) ou de consolidation est un sujet de recherche ancien, abandonné dans la dernière décennie mais en cours de réactualisation. Il y a plusieurs solutions pour progresser à partir du concept de “stop and go”. Ces solutions se fondent sur : ➤➤ le type de CT, en continuant l’administration d’un des médicaments du doublet initial, comme dans l’étude de T. Brodowicz et al. utilisant la gemcitabine (7) ; ➤➤ l’utilisation d’un médicament différent, ce qui correspond à une seconde ligne précoce, comme dans l’étude FIDIAS avec le docétaxel (8) ; ➤➤ le fait de continuer l’administration d’un traitement ciblé comme le bévacizumab, comme dans les études SANDLER et AVAIL (9, 10), ou le cétuximab, comme dans l’étude FLEX (11). 48 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 Le National Cancer Institute (NCI) des États-Unis a récemment clarifié la définition des différentes possibilités de traitement d’entretien. Ce dernier est défini comme le traitement aidant à contrôler le cancer après sa disparition ou sa diminution à la suite d’un traitement initial. Les objectifs du traitement d’entretien sont de prolonger la survie et/ou de maintenir la qualité de vie. Le médicament utilisé doit atteindre un objectif clinique pertinent, être bien toléré et sans toxicité cumulative. Deux types principaux d’entretien sont à distinguer : ➤➤ l’entretien de continuation, où l’un des médicaments administrés à raison de 4 à 6 cycles dans la première ligne est poursuivi après stabilisation ou réponse objective ; ➤➤ la “switch maintenance”, que l’on peut désigner aussi sous le terme de “seconde ligne précoce”, où un nouveau médicament ne faisant pas partie de la première ligne de traitement est introduit après une réponse objective ou une stabilisation. Parmi les médicaments ayant eu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication, le pémétrexed est indiqué en seconde ligne précoce après un doublet à base de cisplatine (12). L’erlotinib a également obtenu une AMM de ce type après les résultats présentés l’an dernier et récemment publiés de l’étude SATURN (13) en cas de maladie stable. Le bévacizumab a une AMM pour l’entretien de continuation. Cependant, jusqu’à cette année, aucune étude n’a comparé l’entretien par bévacizumab à l’absence de traitement dans les CBNPC. Cette question scientifique pourrait être posée dans les CBNPC. Cependant, sortant du domaine de la cancérologie thoracique, une étude présentée en session présidentielle traitant des tumeurs de l’ovaire démontre qu’il vaut mieux ne pas arrêter le béva­cizumab après la dernière séance de CT. Cette année, C. Belani et al. (abstr. 7506) ont présenté les résultats de l’étude comparant la gemcitabine à un placebo en monothérapie chez des patients contrôlés après 4 cycles de CT par gemcitabine + carboplatine. Cette étude a inclus 519 patients dans la phase initiale et 255 patients ont été randomisés entre soins de supports seuls et avec gemcitabine. À l’inverse des travaux présentés les années précédentes, cette étude ne met pas en évidence de différence de survie (objectif principal). Une des limites de cette étude est le nombre important de patients de mauvais performance status (PS), dont beaucoup ne reçoivent pas de traitement ultérieur. DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Une autre est l’arrêt prématuré pour recrutement insuffisant. L’étude française IFCT-GFPC 0502, présentée par M. Pérol et al. (abstr. 7507), compare la gemcitabine (154 patients), l’erlotinib (155 patients) et la surveillance simple (155 patients) chez des patients contrôlés après 4 cycles de CT par gemcitabine + cisplatine. Contrairement à l’étude de C. Belani, elle atteint son objectif principal, l’amélioration de la SSP, que ce soit avec l’erlotinib ou avec la gemcitabine. Les données de SG ne sont pas matures. La caractéristique de cette étude est que la vaste majorité des patients reçoit un traitement de seconde ligne, le pémétrexed (défini à l’avance), y compris dans le groupe sans entretien. Par ailleurs, à l’inverse des études de T. Ciuleanu et al. (pémétrexed en entretien) [14] et SATURN (erlotinib en entretien), le bénéfice s’observe essentiellement chez les patients répondeurs. Au terme de ces 2 nouvelles études, on peut conclure que l’entretien n’est pas justifié chez les patients de PS 2. En revanche, l’entretien de continuation par gemcitabine est une option pour les patients en bon état général. Il reste à savoir quels sont les patients qui profitent le plus de l’entretien. Cela n’est pas clair avec la CT, puisque les résultats des études divergent. Le rapport coût/efficacité reste également à déterminer. Faute de disposer de facteurs prédictifs, on peut proposer un traitement après une discussion avec le patient après avoir pesé avec lui les bénéfices et les risques. Les échecs de l’année 2010 figitumumab) en première ligne de traitement de CBNPC métastatiques ou localement avancés (IIIb) avait montré des taux de réponse spectaculaires dans les carcinomes épidermoïdes (78 %) [15]. Ces résultats très prometteurs ont conduit à plusieurs études : l’une comparant paclitaxel-carboplatine avec et sans figitumumab chez 820 patients porteurs de cancers non adénocarcinomes, l’autre comparant, chez les patients réfractaires à la CT, l’erlotinib avec et sans figitumumab. Cette étude se fonde sur l’existence d’une forte expression de l’IGF-1R dans les carcinomes épidermoïdes et sur les résultats de la phase II antérieure. Initialement prévue pour inclure 820 patients, elle a été interrompue à 681 patients, une analyse intermédiaire ayant démontré la supériorité du groupe témoin. Les effets indésirables graves observés dans le groupe traité par figitumumab sont la déshydratation, les hyperglycémies, les accidents cardiaques et les infections. L’objectif principal d’amélioration de la survie ne peut être atteint dans ce contexte de toxicité excessive. Une analyse de biomarqueurs est en cours, avec notamment le taux d’IGF-1 libre. Dans cette analyse faite a posteriori, un taux d’IGF-1 libre supérieur à 1 ng/ml influencerait l’efficacité et le profil de toxicité du figitumumab et, de ce fait, pourrait entrer en compte dans le développement ultérieur de cette molécule. Deux voies de signalisation sont capables d’induire une mort cellulaire : celle dite “intrinsèque“ (dépendante de la p53), qui est impliquée lors d’un traitement par CT ou RT ; et celle dite “extrinsèque“ (dépendante de la voie des caspases), qui implique les récepteurs de “mort cellulaire” (TRAIL1, TRAIL2, DR4 ou DR5). Les premiers résultats cliniques des molécules ciblant l’IGF-1R (Insulin-like Growth Factor 1 Receptor), présentés il y a 2 ans, ont suscité beaucoup d’enthousiasme (15). L’IGF-1 est un facteur de croissance présentant 70 % d’homologie avec l’insuline, principalement sécrété par le foie en réponse à la sécrétion d’hormone de croissance (GH). C’est en formant un dimère avec un membre de la famille des IGF binding proteins qu’il se fixe sur un récepteur tyrosine kinase transmembranaire exprimé de façon ubiquitaire, en particulier par les cellules de CBNPC. La transduction du signal utilise les mêmes intermédiaires protéiques que la signalisation de l’EGFR, activant la voie des MAP kinases (RAF, ERK, etc.) et la voie de la PI3 kinase (PI3K, AKT, mTOR). Un essai randomisé de phase Ib-II associant à la CT un anticorps monoclonal humanisé anti-IGF-1R (le Un essai de phase II randomisé a comparé une CT par carboplatine-paclitaxel seule et associée au mapatumumab (agoniste de TRAIL1) à 2 niveaux de dose (10 mg/kg et 30 mg/kg), en première ligne de traitement, chez 109 patients atteints de CBNPC de stades IIIb-IV non sélectionnés (von Pawel J et al., abstr. LBA7501). Les études concernant la toxicité du médicament n’ont, pour l’instant, pas montré de toxicité excessive ou inhabituelle. Néanmoins, les résultats concernant les 2 principaux objectifs sont négatifs : les taux de réponses ont été respectivement de 30,6 % (sans mapatumumab), 13,5 % (avec 10 mg/kg de mapatumumab) et 36,1 % (avec 20 mg/kg) ; les taux de SSP étaient de 4,6 mois, 4,6 mois et 4,9 mois. Ces résultats étaient prévisibles en l’absence de données concernant l’expression tumorale de TRAIL, Abonnezvous en ligne ! 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Ils n’étaient pas sélectionnés selon la présence d’une mutation de l’EGFR ni selon leurs caractéristiques cliniques (adénocarcinome, sexe, tabagisme). L’essai a été arrêté à la suite de la première analyse intermédiaire programmée, après 340 décès. Les caractéristiques des patients étaient les suivantes : 33 % de femmes, 21 % de non-fumeurs, 54 % d’adénocarcinomes. La médiane de survie était de 7,7 mois dans le groupe erlotinib en première ligne contre 10,9 mois dans le groupe CT première (HR : 1,4 ; IC95 : 1,13-1,73) ; la SSP de 3,3 mois versus 5,7 mois. En analyse de sous-groupes, la CT première était meilleure dans tous les sous-groupes : sexe, histologie, tabagisme. Ces résultats s’expliquent par un taux de progression tumorale plus important dans le groupe erlotinib et par le faible taux de CT de deuxième ligne par cisplatine (moins de 50 %) due à la dégradation de l’état général des patients. Cette étude démontre clairement que, en l’absence de mutation de l’EGFR ou quand celle-ci ne peut être établie (insuffisance de matériel ou problème technique), il est délétère pour le patient de commencer par des TKI, même s’il existe des arguments cliniques en faveur d’une mutation (sexe, tabagisme, adénocarcinome) et même si un traitement de deuxième ligne est prévu. L’utilisation d’un TKI de l’EGFR en première ligne de traitement chez les malades porteurs d’un CBNPC présentant une mutation activatrice de l’EGFR a montré, à l’occasion de 3 essais de phase III, sa supériorité sur différents doublets de CT à base de platine, en termes de SSP et de qualité de vie (16-18). 50 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 Cette nouvelle stratégie explique le soutien apporté par l’INCa (Institut national du cancer) à la recherche des mutations activatrices de l’EGFR dans les plateformes moléculaires. Il y a plusieurs obstacles à la diffusion de ce progrès thérapeutique : ➤➤ le nombre important de malades à tester (environ 10 000 par an) ; ➤➤ la nécessité d’avoir du matériel tumoral en quantité et de qualité suffisantes ; ➤➤ l’obligation pour les laboratoires d’anatomie pathologique – déjà surchargés – de procéder à un déstockage des blocs, de réaliser une coupe en immunohistochimie (IHC) pour quantifier les cellules tumorales et d’envoyer les prélèvements vers une plate-forme ; ➤➤ le fait que 70 % des malades atteints d’un cancer du poumon sont pris en charge dans un établissement éloigné d’une plate-forme ; ➤➤ l’augmentation de la prescription de biomarqueurs à prévoir pour les différents types de cancer liée à l’apparition d’un grand nombre de biothérapies. Dans ce contexte, disposer de techniques d’IHC permettant de réaliser une quantification tumorale et de détecter une protéine mutée sur une même lame constituerait un moyen moins coûteux de sélection des malades. Deux équipes ont rapporté leurs résultats qui utilisent la même série d’anticorps (Cell Signaling Technology®) appliquée sur des prélèvements issus de malades chez lesquels le statut mutationnel de l’EGFR avait été déterminé au préalable par un séquençage ou une technique alternative. Dans l’étude de S. Simonetti et al. (abstr. 7570), portant sur 74 prélèvements, dont 24 mutés sur l’exon 19 et 27 sur l’exon 21, la sensibilité et la spécificité pour la détection des mutations sur les exons 19 et 21 étaient de 87 % et de 71 %, respectivement. Pour l’exon 21, la sensibilité passait à 100 % si l’on ne s’intéressait qu’à la mutation L858R, la plus fréquente. Pour l’exon 19, la sensibilité passait à 84 % pour la délétion de 15 paires de bases, témoignant de la très grande spécificité de ces anticorps. Dans l’étude de Y. Kato et al. (abstr. 1054), portant sur 70 prélèvements, dont 11 mutés sur l’exon 19, 12 sur l’exon 21, 1 sur l’exon 18 et 18 sur l’exon 20, la sensibilité, la spécificité et l’exactitude pour la détection des mutations sur les exons 19 et 21 étaient de 78,3 %, 95,7 % et 98,0 %. Bien entendu, la sensibilité du test chutait à 43,9 % si l’on considérait l’ensemble des mutations, incluant celles de l’exon 20, qui n’ont que peu ou pas d’intérêt en première ligne de traitement. DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Une stratégie progressive de proximité permettrait – à partir de données épidémiologiques (sexe, tabagisme, origine ethnique), cliniques (stade d’extension, comorbidités, PS), anatomopathologiques (type et sous-type histologique OMS) – de classer les malades afin de rechercher par IHC les biomarqueurs orientant vers des standards ou des interdits thérapeutiques. Par exemple, une IHC positive pour l’EGFR muté orienterait d’emblée vers une première ligne par TKI. À l’inverse, l’absence de ces anomalies conduirait à la réalisation par la plate-forme régionale d’une analyse moléculaire plus exhaustive incluant des mutations plus rares, mais donnant accès à des thérapeutiques ciblées en deuxième ligne ou dans le cadre d’essais thérapeutiques. Finalement, certains malades pourraient bénéficier d’une analyse pangénomique au sein de centres de référence d’oncologie d’organes ayant la charge de traiter les cancers orphelins. Nous disposons de l’erlotinib depuis 2005 et du géfitinib depuis 2010. Le maniement de ces médicaments est dorénavant passé dans la pratique courante : on connaît bien les facteurs prédictifs d’efficacité cliniques et épidémiologiques et on peut rechercher en pratique quotidienne des mutations de l’EGFR dans le tissu tumoral. Cependant, la question de la dose idéale d’erlotinib pour un patient donné reste posée : faut-il ou non augmenter la posologie chez les patients fumeurs dont la clairance de l’erlotinib est importante ? Le problème des interactions se pose également, notamment avec certains médicaments du quotidien tels que les imidazolés, qui diminuent la clairance de l’erlotinib, ou, à l’inverse, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) si souvent prescrits (parfois pour des raisons peu claires), qui diminuent l’absorption des TKI. Dans ce contexte de pratique courante, la diminution de la posologie, et parfois même l’arrêt temporaire du traitement, est une recommandation pour gérer les effets toxiques cutanés les plus sévères ainsi que ceux qui résistent ou s’aggravent malgré un traitement dermatologique adapté. Dans ces cas précis, le clinicien ne doit pas oublier que cette diminution de la posologie peut entraîner une perte d’efficacité. Deux études présentées en posters, réalisées chez des patients traités pour des tumeurs présentant une mutation de l’EGFR, rassureront la majorité d’entre nous (Inoue A et al., abstr. 7571 ; Yeo W et al., abstr. 7572). En effet, elles confirment la très grande sensibilité des tumeurs présentant une mutation de l’EGFR. L’une propose une posologie très réduite de 25 mg/j de géfitinib sans, semble-t-il, perte d’efficacité. On ne peut cependant recommander une dose aussi faible, même si elle semble ne pas affecter l’efficacité : un tel dosage pourrait exposer le patient à un risque plus grand d’interaction médicamenteuse, modifiant encore à la baisse les taux sériques efficaces du médicament. Enfin, dans certains organes, dont le cerveau, la biodisponibilité plus faible expose à un risque de sous-traitement. En revanche, une diminution raisonnable de la posologie en cas de toxicité semble justifiée et ne pas être préjudiciable pour l’action thérapeutique. À l’inverse, D.M. Jackman a rapporté quelques cas de lésions secondaires cérébrales ou méningées qui ont pu être traitées efficacement par l’augmentation des doses de géfitinib (de 750 à 1 250 mg), entraînant une augmentation de la concentration de la molécule dans le liquide céphalo-rachidien. Résistance aux TKI de l’EGFR, autres anomalies moléculaires et associations de traitements ciblés Découvertes en 2004, les mutations de l’EGFR sont maintenant au cœur du processus de décision thérapeutique à la fois en première ligne et au-delà. Les mécanismes de résistance aux traitements commencent à être élucidés, et la définition de la résistance acquise aux TKI de l’EGFR a été codifiée pour simplifier le processus décisionnel. Ainsi la résistance acquise se définit-elle par les caractéristiques cliniques et biologiques suivantes : ➤ patient ayant déjà été traité par un TKI de l’EGFR ; ➤ présence d’une mutation prédictive de sensibilité aux TKI de l’EGFR ou réponse complète ou partielle, ou stabilisation durable (au moins 6 mois) ; ➤ progression systémique de la maladie pendant un traitement par TKI de l’EGFR poursuivi au moins 30 jours ; ➤ pas d’intervention thérapeutique systémique entre l’arrêt des TKI et l’instauration d’un traitement adapté à la résistance. Parmi les mécanismes connus de résistance, on note la mutation T790 de l’EGFR, l’amplification de c-MET, les amplifications de PI3K/AKT. Cependant, une grande partie des mécanismes de résistance reste à identifier. La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 53 DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Cancers bronchiques Tableau II. Propositions thérapeutiques dans les tumeurs présentant des mutations de l’EGFR, avec ou sans mécanisme de résistance. Caractéristiques clinico-biologiques Proposition thérapeutique Mutation de l’EGFR Première ligne thérapeutique Actuellement : • géfitinib première ligne • erlotinib en entretien Évolutions possibles dans l’avenir Inhibiteur irréversible pan-HER : • BIBW 2992 • PF-299804 (TKI de l’EGFR et inhibiteur de MET/HGF) Mutation de l’EGFR Résistance acquise TKI de l’EGFR et chimiothérapie Évolutions possibles dans l’avenir TKI de l’EGFR et mAb anti-EGFR (TKI de l’EGFR et inhibiteur de MET/HGF) Inhibiteur irréversible pan-HER : • BIBW 2992 • PF-299804 Sur le plan pratique, il est donc fondamental d’identifier le profil moléculaire des patients. Sur le plan thérapeutique, les options actuelles et à venir sont proposées dans le tableau II. L’équipe de V. Miller (Oxnard GR et al., abstr. 7520) a rapporté les résultats d’une étude prospective dont l’objectif était d’analyser les mécanismes moléculaires de résistance acquise des malades mutés pour l’EGFR et ayant progressé sous un TKI de l’EGFR. Les tumeurs de 93 patients ont été biopsiées à nouveau au moment de la progression et analysées à la recherche d’une mutation T790M et d’une amplification de c-MET. Le traitement par TKI de l’EGFR a été poursuivi dans 87 % des cas, en association avec un nouveau traitement (le plus souvent une association carboplatine-paclitaxel). La SG depuis la mise sous TKI de l’EGFR était de 33 mois, et la SSP depuis la rechute sous TKI de 19 mois. Une mutation T790M a été retrouvée dans 62 % des cas ; dans les 39 prélèvements analysables pour c-MET, seulement 4 étaient FISH positifs. Selon l’analyse univariée de la SG, le fait d’avoir été fumeur, un bon PS, une maladie intra-thoracique exclusive et une mutation T790M étaient associés à une survie prolongée. L’analyse multivariée ne retrouvait que la mutation T790M comme facteur de bon pronostic (survie médiane : 39 contre 26 mois). Les malades présentant une mutation T790M se caractérisaient par une période avant rechute sous TKI beaucoup plus longue (31 mois contre 19 mois ; p = 0,005) et une rechute portant plus volontiers sur le site initial qu’à distance (14 % versus 43 % ; p = 0,003). 54 | La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 Lors du diagnostic initial, la présence d’une mutation T790M est le plus souvent associée à une mutation activatrice de type L858R et constitue un élément de mauvais pronostic pour la SSP sous TKI de l’EGFR (Rosell R et al., abstr. 7514). À l’inverse, la sélection d’une mutation T790M au moment de la progression sous TKI de l’EGFR est associée à un échappement local, progressif et de meilleur pronostic, probablement parce que la maladie reste en partie contrôlée par le TKI. Par ailleurs, l’adjonction d’une CT au TKI de l’EGFR paraît possible et semble permettre un nouveau contrôle de la maladie. Néanmoins, dans cette situation, l’inclusion dans un essai thérapeutique évaluant l’efficacité des nouveaux TKI irréversibles de l’EGFR, théoriquement actifs sur les mutants T790M (BIBW2992, PF299804), pourrait être également proposée. Le gène ALK (Anaplastic Lymphoma receptor tyrosine Kinase), situé sur le chromosome 2 (2p23.1), est un oncogène identifié dans certains lymphomes anaplasiques. Son réarrangement (inversion au sein du bras court du chromosome 2 ou translocation avec échange de matériel d’un autre chromosome) conduit à une activation permanente de l’activité tyrosine kinase et donc des voies PI3K/AKT, MEK/ ERK et PLC (19). La présence d’un réarrangement d’ALK avec EML4 (Echinoderm Microtubuleassociated protein-Like 4), également situé sur le chromosome 2, a été retrouvée chez environ 5 % des adénocarcinomes pulmonaires primitifs. Il s’agit plus souvent de malades non ou ex-fumeurs, ayant progressé sous CT et TKI de l’EGFR, avec la particularité d’être alors plus souvent des hommes jeunes, sans prédominance asiatique. La présence d’une mucosécrétion ou d’un aspect des cellules en “bague à chaton” a été également signalée (20). EML4-ALK semble exclusive des mutations de l’EGFR et de KRAS. Sur le plan thérapeutique, la résistance aux TKI de l’EGFR est systématique. Dans les modèles précliniques (lignées cellulaires ou xénogreffes), l’utilisation d’un inhibiteur spécifique de la tyrosine d’ALK (TKI-ALK), le crizotinib (PF-02341066), a permis d’obtenir des résultats spectaculaires (21) qui ont conduit à la mise en place d’un essai de phase I-II dont les résultats ont été présentés en session plénière. Le crizotinib est un TKI ciblant ALK (et c-MET), administré par voie orale, avec une ­excellente biodisponibilité et une demi-vie de 50 heures environ. Sa cinétique n’est pas modifiée par l’alimentation, et il n’interfère que modestement avec le CYP3A4. La dose retenue après escalade thérapeutique chez 37 malades a DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Un essai de phase III (PROFILE III) et un essai de phase II (PROFILE II) ont débuté, et des centres investigateurs devraient ouvrir en France, dès ce mois-ci. Les malades devront être inclus sur les résultats d’une FISH positive réalisée dans un laboratoire centralisé. La phase III comparera, chez 318 malades, en deuxième ligne, le crizotinib et le pémétrexed ou le docétaxel après progression en première ligne sous une CT à base de platine. La phase II sera proposée à 250 malades, soit après échec de la CT dans PROFILE III, soit chez les malades ayant reçu plusieurs lignes de traitements antérieures. L’amplification de c-MET est associée à un mauvais pronostic des CBNPC ainsi qu’à une résistance in vitro aux TKI de l’EGFR. La résistance entraînée par c-MET est médiée par l’activation de la voie PI3K/ AKT par l’HER3. Le ciblage de c-MET représente donc la possibilité de moduler la sensibilité des tumeurs à l’erlotinib. L’ARQ 197-209 est un inhibiteur sélectif de c-MET, administré par voie orale. Son efficacité et son profil de tolérance sont acceptables en phase I. Son association in vitro et in vivo avec l’erlotinib montre un profil d’efficacité supérieur à celui de chacune des 2 molécules utilisées séparément. Une étude randomisée de 167 patients a comparé erlotinib (150 mg/j) et ARQ (360 mg/j) × 2/j à l’erlotinib associé à un placebo, avec possibilité de crossover en cas de progression. Les critères d’inclusion étaient les suivants : CBNPC de stade IV, PS de 0-2, au moins 1 ligne de CT, mais pas de traitement par TKI de 60 Variation maximale de la taille tumorale (%) été de 250 mg × 2/j. Ensuite, 82 malades ont été sélectionnés par une méthode de FISH et inclus dans la phase II. Il s’agissait de 43 hommes et de 39 femmes, âgés en moyenne de 51 ans, dont 56 % étaient Caucasiens et tous, sauf 3, porteurs d’un adénocarcinome métastatique (96 %). Plus de 50 % des malades avaient reçu au moins 2 lignes de traitement. Les effets secondaires les plus fréquents étaient des troubles digestifs (environ 50 %) et des troubles visuels (environ 40 %). Il y a eu 12 % d’effets indésirables de grade 3 (essentiellement une élévation des transaminases), et un seul malade a eu une élévation des transaminases de grade 4. Le taux de réponse objectif est de 57 %, avec 87 % de malades contrôlés à 8 semaines (figure 2). La SSP a été estimée à 6 mois à 72 %, pour une durée médiane de traitement de 5,7 mois (1 à 15 mois) ; 68 % des malades ont interrompu le traitement du fait d’une progression. Progression Stabilité 40 Réponse partielle confirmée 20 Réponse complète confirmée 0 – 20 – 30 – 40 – 60 – 80 – 100 Figure 2. Efficacité du crizotinib sur une population présentant l’anomalie moléculaire EML4-ALK. n Épidermoïde Non épidermoïde MET FISH > 4 MET FISH > 5 EGFR mutant EGFR sauvage KRAS mutant KRAS sauvage 26/24 58/59 19/18 8/11 6/11 51/48 10/5 49/45 ARQ 197/erlotinib Placebo/erlotinib SSP médiane (IC95) [semaines] 13,7 (8,0-18,1) 18,9 (15,0-21,1) 15,4 (8,1-24,4) 24,1 (16,3-NA) 24,1 (8,0-32,1) 13,7 (8,1-18,1) 9,7 (7,9-NA) 15,4 (8,1-18,1) HR brut 8,4 (7,9-21,0) 9,7 (8-16,0) 15,3 (7,1-16,3) 15,6 (7,9-31,4) 21,0 (8,1-36,0) 8,1 (7,9-9,9) 4,3 (1,1-8,0) 9,9 (8,0-16,0) 1,05 0,71 0,71 0,45 1,23 0,70 0,18 1,01 0 0,5 1 1,5 NA : non atteinte. ARQ 197/erlotinib meilleur 2 5 Placebo/erlotinib meilleur Figure 3. Effet de 2 modalités thérapeutiques dans différents sous-groupes clinicobiologiques. l’EGFR et suffisamment de tissu conservé pour des études (recherche de mutation). L’objectif principal était la SSP. Les patients, d’un âge médian de 63 ans, étaient majoritairement de sexe masculin (60 %) ; 90 % avaient un PS de 0-1, 54 % un adénocarcinome. En revanche, il y avait plus de mutations EGFR dans le bras placebo (7 % versus 13 %) et plus de mutations KRAS dans le groupe ARQ 197-209 (12 % versus 6 %). La SSP en intention de traiter est allongée, mais non significativement : 16,1 semaines contre 9,7 semaines (HR : 0,81 ; IC95 : 0,57-1,15 ; p = 0,23). Cependant, l’analyse de Cox, ajustée aux facteurs pronostiques, montre un HR de 0,68 (IC95 : 0,47-0,98 ; p < 0,05). L’amélioration de la SSP semble meilleure pour La Lettre du Cancérologue • Suppl. 4 au vol. XIX - n° 6 - juillet 2010 | 55 DOSSIER THÉMATIQUE 46e congrès américain en oncologie clinique Cancers bronchiques l’histologie non épidermoïde, l’EGFR sauvage et les mutations KRAS. Les toxicités étaient globalement équivalentes dans les 2 groupes de patients. Les réponses objectives étaient à 10 % dans le groupe ARQ 197-209 contre 7 % dans le groupe erlotinib seul. L’ARQ 197-209, dans cette étude de phase II randomisée, est bien toléré et augmente la SSP, particulièrement dans le sous-groupe de patients à tumeur non épidermoïde, avec mutation de KRAS et sans mutation de l’EGFR. Ce bénéfice peut paraître faible, mais l’efficacité de cette molécule en association, en cas de mutation de KRAS, mérite des études ultérieures. Conclusion En 2010, on retiendra la forte participation des équipes françaises, témoignant d’une structuration d’équipes dynamiques facilitée par l’aide concrète apportée par le Plan cancer. Les messages de cette année sont : ➤➤ de ne pas sous-traiter les patients âgés et de leur proposer un doublet de chimiothérapie comme dans l’étude d’E. Quoix (IFCT-0501) ; ➤➤ la validation du concept d’entretien par une nouvelle étude positive (IFCT-GFPC 0502) ; ➤➤ enfin, et surtout, l’existence d’une nouvelle anomalie moléculaire, qui peut être traitée par voie orale par un TKI spécifique. Cette anomalie EML4ALK ainsi que les mutations de l’EGFR concernent 20 à 25 % de nos patients, qui bénéficieront d’un traitement approprié par voie orale. Ces découvertes enthousiasmantes soulignent la nécessité d’améliorer nos techniques diagnostiques en recourant à la biopsie le plus fréquemment possible et, dans le même temps, de mettre au point des techniques alternatives moins invasives, plus adaptées à une simplification en clinique courante. ■ Références bibliographiques 1. Depierre A, Milleron B, Moro-Sibilot D et al. Preoperative chemotherapy followed by surgery compared with primary surgery in resectable stage I (except T1N0), II, and IIIa nonsmall-cell lung cancer. J Clin Oncol 2002;20(1):247-53. 2. 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