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L’évolution française du contrôle de la conformité des lois à la Constitution apporte la preuve
que l’état démocratique d’un pays, si avancé soit-il, est toujours perfectible. C’est ainsi
qu’en 2008, a été votée en France une révision constitutionnelle dont l’un des objectifs était
de donner plus de droits aux citoyens. Parmi ces droits figurait en bonne place, le droit de
permettre aux parties à un procès de contester devant le Conseil Constitutionnel la loi
applicable à leur litige. Autrement dit, le droit de poser au Conseil Constitutionnel une «
question prioritaire de constitutionnalité » (QPC).
Entre la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958 et aujourd’hui le contrôle de
constitutionnalité de la loi s’est affirmé dans un premier temps, approfondi ensuite. Cette
Constitution de 1958 a instauré pour la première fois un tel contrôle et l’a confié à un
organisme indépendant, le Conseil Constitutionnel. Cette instauration relativement tardive a
été aussi timide : contrôle limité à la loi promulguée mais non encore entrée en vigueur,
saisine limitée au Président de la République, au premier ministre aux présidents de l’une et
l’autre des assemblées parlementaires.
Le rôle essentiel du Conseil, celui pour lequel il avait été principalement créé, se limitait à
veiller à ce que la loi n’aille pas au-delà du domaine que lui impartit l’article 34 de la
Constitution, qu’elle n’empiète pas sur le domaine de droit commun du règlement.
Dix ans après sa création, cependant, le Conseil Constitutionnel s’est émancipé de ce rôle
étriqué voulu par le constituant de 1958. Par une décision du 16 juillet 1971, il a décidé
d’inclure dans ses normes de référence le Préambule de la Constitution lequel renvoie à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au Préambule de la Constitution
de 1946 qui énonce les droits économiques et sociaux. C’est donc à une très large panoplie
de droits que le Conseil constitutionnel confronte la loi qui lui est déférée.
A cela s’ajoute l’extension de sa saisine à 60 députés ou 60 sénateurs par la révision
constitutionnelle du 29 octobre 1974, ce qui mécaniquement a multiplié par plus de dix le
nombre annuel de lois qui lui sont déférées.
C’est dans le début des années quatre vingt dix qu’un élargissement plus significatif de
l’accès au contrôle de constitutionnalité a été sérieusement envisagé en France. Un projet
de loi constitutionnelle instituant un contrôle de constitutionnalité des lois par voie
d’exception, largement inspiré par Robert Badinter, alors président du Conseil
constitutionnel, avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale au mois de mars
1990. Il permettait aux justiciables d’invoquer devant une juridiction l’inconstitutionnalité de la
loi applicable à leur litige. Ce projet très contesté par le Sénat, n’a pu faire l’objet d’un
accord entre les deux assemblées et après deux lectures devant chacune d’entre elles il a
été abandonné.
Quelques années plus tard, en 1993, un Comité consultatif pour la révision de la
Constitution, mis en place par le président de la République et présidé par le Doyen Georges
Vedel, ancien membre du Conseil constitutionnel, proposait à nouveau de permettre aux
justiciables de saisir le Conseil par la voie de l’exception. Un projet de loi déposé en ce sens
au Sénat le 11 mars 1993 n’a pas été repris après l’alternance politique qui a suivi.
Les deux projets, celui de 1990 et celui de 1993, avaient en commun d’instituer un filtre
obligatoire des questions de constitutionnalité, exercé par le Conseil d’État et la cour de
cassation : la révision du 23 juillet 2008 en est très directement inspirée.
Je vous propose tout d’abord de rappeler les principales caractéristiques de la procédure de
question prioritaire de constitutionnalité et de vous en présenter un premier bilan puis
d’examiner l’influence de cette réforme sur le fonctionnement du Conseil Constitutionnel.