I Paradigm shift ou changement d’objectifs ?

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Éditorial
Paradigm shift
ou changement d’objectifs ?
Pr Éric Thervet*
“Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste,
vanité des vanités, tout est vanité.”
Qoheleth
I
l y a quelques mois, les lecteurs de l’American
Journal of Transplantation ont pu lire un personal viewpoint de J.D. Schold et B. Kaplan, intitulé
“The elephant in the room: failings of current clinical
endpoints in kidney transplantation”. Dans un premier
temps, les auteurs rappelaient les propositions de
Prentice, qui sont aussi les plus couramment utilisées,
pour considérer qu’un critère intermédiaire capture
suffisamment les relations entre un traitement donné
et un véritable critère d’évaluation (endpoint). Ces propositions sont les suivantes :
✓✓ Le traitement doit agir sur le critère intermédiaire ;
✓✓ Le traitement doit agir sur le vrai critère d’évaluation ;
✓✓ L’association entre le critère intermédiaire et le véritable critère d’évaluation doit être constante vis-à-vis
du traitement ;
✓✓ Il existe une association entre le critère intermédiaire
et le véritable critère.
*Service de néphrologie,
hôpital européen
Georges-Pompidou, Inserm
UMR S 775, Paris.
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Les complications cardio-vasculaires survenant après
transplantation entrent dans le cadre de cette discussion, et ce au moins à trois niveaux.
Tout d’abord, les améliorations obtenues dans la prise
en charge des complications immunologiques survenant après transplantation permettent de se tourner
vers ce qui est le véritable enjeu, c’est-à-dire la survie
des patients, et non pas celle des greffons. Toute notre
façon de penser la transplantation est faussée à la base :
la transplantation n’est pas une maladie, mais un traitement. Or, pour la plupart d’entre nous, cette évidence
est obscurcie par le fait que nous allons manipuler les
traitements “de la greffe” : les immunosuppresseurs.
Bien sûr, l’objectif qui retient l’attention est la survie
du greffon ; c’est même à partir de ce constat que les
critères intermédiaires ont toujours été orientés vers
le devenir du greffon (incidence de rejet aigu, fonction rénale pour la transplantation rénale, histologie
du greffon, biomarqueurs sanguins ou urinaires, etc.).
Ce qui trouve même son paroxysme avec la notion de
“survie du greffon censurée pour le décès”. Cependant,
en prenant le temps de la réflexion, il apparaît clairement
que le critère est trompeur. Pour filer le paradoxe, c’est
davantage la “survie du patient censurée pour le greffon”
qui pourrait être intéressante. Des études commencent
d’ailleurs à s’attacher à la survie des patients transplantés
rénaux après le retour à une méthode de suppléance.
Dans ce cadre, la pathologie cardio-vasculaire survenant
chez le patient transplanté prend toute sa place. En effet,
la mortalité avec greffon fonctionnel est devenue la
première cause de “perte de greffon” après la première
année ; et, parmi les causes de mortalité, les atteintes
cardio-vasculaires (comprenant les troubles métaboliques) sont en première place ! Il est donc important
d’observer attentivement les critères “secondaires” des
études qui s’intéressent aux facteurs de risque cardiovasculaire (tels que troubles de la glycorégulation, pression artérielle…). Par exemple, les données récemment
publiées pour un nouvel immunosuppresseur, le bélatacept, retiennent surtout l’attention pour la fonction
rénale ; mais les données cardio-vasculaires et métaboliques sont tout aussi intéressantes. Il convient donc de
remettre en avant les études s’intéressant à ces critères
plutôt qu’aux critères liés au rejet et à la fonction, dont
nous venons de souligner les limites. Malheureusement,
ce faisant, nous tombons dans le deuxième dilemme
des propositions de Prentice, adaptées à notre problématique : quel critère utiliser ?
Là aussi, les complications cardio-vasculaires peuvent être
une bonne source de réflexion. De nombreuses études
menées au sein de la population générale éclairent sur
l’importance non seulement des critères intermédiaires,
mais aussi sur l’efficacité de leur correction lors d’études
interventionnelles. Ces travaux portent sur la pression
artérielle (même si les valeurs cibles continuent à faire
débat), sur l’équilibre glycémique (là aussi, la valeur cible
optimale pour l’hémoglobine reste discutée), ou encore
sur le bilan lipidique. Dans le domaine de la transplantation d’organe, nous n’en sommes pas encore là !
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
Éditorial
Dans les articles de notre dossier thématique, D. Ducloux
montre que diverses études rétrospectives ont retrouvé
la place de facteurs de risque “classiques” pour la survenue d’un événement cardio-vasculaire. En revanche, le
gain à la correction de ces facteurs n’a pas été clairement
démontré, à l’exception de l’utilisation des statines en
transplantation cardiaque et rénale. Même la pression
artérielle n’a pas fait l’objet d’études interventionnelles
bien conduites, ni en termes de cibles, et encore moins
concernant la place relative de l’utilisation de l’une ou
l’autre classe thérapeutique. Ce point est développé
dans l’article de G. Mourad.
Apparaissent également des études de faisabilité de
nouvelles techniques, telles que l’automesure tensionnelle. Une des raisons invoquées pour expliquer
l’absence d’études bien conduites est la faiblesse des
effectifs de patients dans ce type de pathologies.
Pourtant, les dernières données chiffrent à 32 000
le nombre de patients vivant avec un greffon rénal
fonctionnel en France. D’ailleurs, ces travaux sont possibles, comme le montre l’étude CAPRIT, pilotée par G.
Choukroun et qui s’intéresse au rôle de la correction
complète de l’anémie. En revanche, il est vrai que cette
approche pourrait concurrencer les études portant
sur de nouvelles molécules immunosuppressives (ou
sur de nouvelles modalités d’utilisation). Cependant,
compte tenu des résultats obtenus avec les molécules
existantes, la question se pose de l’utilité d’une nouvelle
étude sur l’immunosuppression, tandis que des études
bien menées concernant l’efficacité thérapeutique de la
prise en charge optimale au plan cardio-vasculaire et/
ou métabolique seraient plus profitables. On pourrait
aussi objecter que cela nécessite de valider dans un
premier temps les critères intermédiaires d’efficacité au
sein de la population spécifique des patients transplantés. Même si l’argument est juste, une des retombées
d’une telle étude de large envergure pourrait être une
validation du critère.
Le troisième élément est la place que pourrait tenir une
meilleure connaissance physiopathologique et/ou thérapeutique des complications cardio-vasculaires dans le
cadre de la santé de la population générale. Il est de
coutume de dire que la transplantation représente un
exemple de modèle d’athérosclérose accélérée. Si cela
est vrai, il faut agir vite pour mieux prendre en charge les
patients et profiter de l’expérience dans cette population
pour définir de nouveaux biomarqueurs qui pourraient,
par exemple, être utiles dans la population générale. De
plus en plus, la maladie athéromateuse est considérée
comme une maladie inflammatoire à part entière de
la paroi vasculaire, avec même une réflexion sur une
prise en charge comportant des traitements dirigés
contre cette réponse. La transplantation ouvre peut-être
déjà quelques pistes, puisque nos patients sont des cas
exemplaires de la place de l’immunomodulation pour
la prise en charge des complications cardio-vasculaires.
En conclusion, nous sommes actuellement en pleine
modification des modèles en transplantation d’organes.
C’est le cas des complications immunologiques avec
l’essor de la part humorale, qui a été minorée pendant
de nombreuses années. C’est aussi, je crois, le cas de la
vision des résultats des patients transplantés. Ils se résument de moins en moins à la fonction de leur greffon,
même si cette problématique reste bien sûr importante.
De plus en plus, les patients sont compris comme le
produit d’une pathologie – l’insuffisance chronique
d’organe – et d’un traitement – la transplantation et
les thérapeutiques immunosuppressives nécessaires
au maintien de l’organe. C’est aussi le cas, par exemple,
pour la prévention de la récidive de maladies sur le
greffon, dont la place ne cesse de croître. Ce sont donc
tous ces aspects que nous devons appréhender, en
redéfinissant nos objectifs, en démontrant par exemple
le rôle des critères intermédiaires dans les complications
cardio-vasculaires. C’est en partie le but de ce dossier
thématique que de faire le point sur ces éléments. ◾
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Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
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