Contes merveilleux et publicité

publicité
Contes merveilleux et
publicité
Définition du conte merveilleux
• Des éléments surnaturels
ou féeriques, des
opérations magiques, des
événements miraculeux
propres à enchanter
l’auditeur (ou le lecteur)
qui ne les remet pas en
doute. Selon un pacte
conclu grâce à la formule
inaugurale : il était une
fois…. La pub aime aussi
nous faire croire à un
monde merveilleux.
La plupart des récits
appartenant à ce genre
littéraire ont circulé de
bouche à oreille, avant
d'être l'objet au XVIIe
siècle de collectages,
retranscriptions à l'écrit
(par Perrault
notamment) et de se
retrouver relativement
fixés dans leur forme et
contenu. Des traces
d’oralité sont
conservées.
Un conte est un récit
• Il obéit donc au schéma narratif :
Un héros ou une héroïne, subissant un malheur ou un
méfait, doit traverser un certain nombre d’épreuves
(séparation, humiliation, tentation, peur) et de
péripéties, qui souvent mettent radicalement en cause
son statut ou son existence, pour arriver à une nouvelle
situation stable, très souvent le mariage ou
l’établissement d’une nouvelle vie.
La pub est aussi un récit bref. Et en cas de problème,
elle nous apporte justement la solution à travers le
produit vanté !
Le schéma actantiel
Schéma actantiel du Petit Chaperon rouge
Un conte est un apologue
• Il plait et séduit par sa brièveté, et sa simplicité, par
l’intervention du merveilleux, le rôle joué par les animaux.
Le conte divertit.
• Il est le vecteur d’un message, d’une morale. Il a une valeur
didactique.
Le conte instruit.
Un conte plait pour instruire.
(Et une publicité plait pour vendre !)
Un conte a une valeur symbolique
• Souvent destinés aux enfants, les récits les aident
à dépasser certaines peurs, à construire leur
personnalité, à grandir. Il permet le passage de
l’enfance à l’âge adulte. Les morales, plus
complexes, semblent plutôt s’adresser aux
adultes. Deux niveaux de lecture ?
• Un conte parle de la quête de l’amour, du
pouvoir, des privilèges. Il correspond souvent à la
découverte de la sexualité…
Les ingrédients invariables du conte :
les invariants
Un univers merveilleux où les animaux parlent et
où les fées et les dragons existent.
Un univers hors de l’espace et du temps : un
passé imprécis, des lieux fictifs mais familiers.
Le foyer : lieu de départ, la forêt : lieu d’initiation, le château : l’apothéose du héros
Une affaire de famille bien souvent.
Des personnages stéréotypés avec un nom qui
rappelle une caractéristique.
Des objets magiques (ça d’ailleurs la pub aime
beaucoup !)
Un premier avantage pour la publicité
Un effet de complicité très efficace : Les
contes appartiennent à notre patrimoine
commun. Ils font partie d’un socle
commun culturel qui n’est pas réservé à
une élite. Ils sont particulièrement bien
connus de tous. On peut parler de
culture populaire. Donc une publicité n’a
pas besoin d’être trop explicative.
L’identification est immédiate,
la référence est très vite comprise. Elle est
explicite.
Un deuxième avantage
Variations, adaptations et interprétations font
partie intégrante de l’univers des contes. A
l'origine, la tradition orale admet de nombreuses
variantes par conte selon le conteur, son public,
l’époque, les particularismes régionaux…
La publicité peut donc se permettre des
modifications sans choquer personne. Le conte
s’adapte bien aux réécritures (sans droits
d’auteur….)
Le prince a trouvé celle qui possède le
bon bocal pour son bouchon….
Une princesse cherche celui à qui
appartient le jean perdu à minuit…
Donc pub manie l’art de la parodie.
La parodie est une imitation, soit du fond,
soit de la forme dans une intention
moqueuse ou comique. La pub utilise des
clichés, des lieux communs des contes, des
invariants, les détourne, et les modifie
pour notre plus grand plaisir.
Etymologie du mot parodie :
π α ρ α ́ àà côté de
ω ̓ δ η ́ àchant ,
La parodie est souvent burlesque
On parle de burlesque pour l'emploi
de termes comiques, familiers voire
vulgaires pour évoquer des choses
nobles et sérieuses. Il s’agit d’une
dégradation. C’est le cas lorsque l’un
des personnages de conte est
ridiculisé dans la publicité :
Cendrillon a l’âge de porter des
couches… et les siennes fuient.
La Belle-au-bois-dormant a mauvaise
haleine…
La parodie de conte est source
d’humour or :
• Aujourd’hui la publicité use de multiples
techniques pour séduire le consommateur, et
susciter chez lui l’envie d’acheter.
• Les marques souhaitent aujourd’hui se
différencier. Elles veulent favoriser la création
d’émotions chez le consommateur. Le rire est
l’une des techniques les plus efficaces et rend
le produit sympathique.
Déjà au XIXe siècle… on donnait des noms de personnages de
contes aux produits. Mais on peut s’interroger parfois sur le lien
entre le produit et le personnage….
Les camemberts Petit Chaperon
rouge, Cendrillon ou Petit Poucet
prennent simplement le nom de
personnages célèbres qui ne
mangent ni camembert, ni
fromage dans les contes.
Quelle pertinence alors ?
L’objet vanté dans la publicité peut se trouver
dans le conte, quand le Petit Chaperon rouge
sert à présenter galette et pot de beurre. Le
chocolat, très souvent associé au Chaperon,
permet de jouer avec la gourmandise ou la
voracité du loup et modifie l’issue du conte
puisque le loup mange le chocolat et non la
petite fille.
L'objet est parfois en rapport avec
l’histoire : un savon intitulé
"L’apothéose de Cendrillon", le Chat
botté et l’ogre du Petit Poucet
présentant du cirage pour astiquer
leurs bottes utilisent les
particularités des personnages ou de
l’histoire.
Cendrillon utilise un produit
d’entretien très efficace, bien sûr !
Le XIXe siècle connait
aussi l’essor de
l’édition publicitaire
Les magasins ou
les fabricants
éditaient les
contes sans
modification et les
offraient à leurs
clients.
• Les chocolatiers Nestlé et Meunier ont aussi
publié des séries consacrées aux contes. Le
principe publicitaire était habile puisque, pour
avoir une série complète, il fallait effectuer de
nouveaux achats en vue de compléter l’album
vendu en accompagnement. Le conte n’était
toutefois pas modifié et servait seulement
d’incitation à l’achat.
La publicité est rapidement devenue trahison
et adaptation :
• Elle fige un moment sans s’intéresser à tout le
récit.
• Elle donne un visage au personnage qui n’est
plus alors un archétype.
• Elle procède à des inversions et de fortes
modifications.
Blanche-Neige a trouvé un remède
contre les pommes empoisonnées :
Au grand désespoir de la sorcière et du prince qui se
retrouvent sans plus rien à faire….
Ou bien Blanche-Neige ne veut pas manger de pomme
car elle a monté sa boîte et produit ses propres
pommes….
Blanche-Neige préfère une voiture
Renault au prince…
Même Cendrillon préfère le chocolat
au prince…
Les contes aiment les formules répétitives, qui
soutiennent la mémoire du conteur et qui donnent
aux mots une force incantatoire magique.
La pub conserve avec plus ou mois de fidélité et
d’invention ces phrases rituelles, le texte de
référence étant alors celui des Contes de ma
mère l’Oye de Perrault. Elle aime les formules
efficaces, répétitives, celles que l’on retient
bien, les slogans.
Ainsi l’ogre de la crème Danette s’exclame : "Ça
sent la crème fraîche", dans une petite histoire
qui commence par "Il était une fois".
Appauvrissement ou renouvellement ?
Le seul but de la publicité est de
faire acheter, elle soumet le conte à
cette intention. N’a-t-elle pas réduit
— et morcelé — à quelques contes
et à quelques personnages de façon
simplificatrice un univers foisonnant
et symbolique ? Les cas de création
ou recréation sont rares.
Ainsi Le Petit chaperon rouge est
particulièrement utilisé et souvent
appauvri car :
ce conte est très connu ;
il est associé au désir et à la tentation ;
l’opposition du rouge et du noir est
particulièrement visuelle ;
le loup est très présent dans notre
imaginaire collectif.
http://www.dailymotion.com/video/xufmz_publicite-chanel-n-5-90-s_music
La publicité la plus
célèbre et la plus réussie
revisitant le conte du Petit
Chaperon rouge reste sans
aucun doute celle pour
Chanel réalisée par Luc
Besson en 1998.
• Elle fut réalisée dans les studios de Cinecittà à
Rome durant quatre jours pendant lesquels 70
personnes ont œuvré. Les décors, réalisés par
Patrice Garcia d'après les dessins de Manara,
s'étendaient sur 80 mètres de long et 10 mètres
de haut.
• Le Chaperon rouge est incarné par l'actrice et
mannequin Estella Warren, habillée par Karl
Lagerfeld. Elle incarne une image du Petit
Chaperon rouge se rapprochant de celle imaginée
par Tex Avery notamment dans le fameux Red
Hot Riding Hood et Little Rural Riding Hood.
Manara est l’auteur du story-board.
Synopsis
• scène 1 : Sur une passerelle flottante entre deux murailles
d'acier s'éloigne vers une porte blindée une belle femme
blonde habillée d'une petite robe rouge.
• scène 2 : La main de la jeune femme rentre le code
magique 5 sur le boitier de la porte blindée.
• scène 3 : (Vu depuis l'autre côté de la porte blindée) : la
porte blindée se soulève de bas en haut en découvrant les
charmes du chaperon rouge.
• scène 4 : Le Chaperon rouge s'avance de face le long d'un
long couloir dallé d'or qui mène au mur de parfum.
• scène 5 : Le Chaperon rouge pénètre dans la forteresse et
saisit un flacon.
• scène 6 : Le Chaperon rouge utilise le parfum et respire
voluptueusement le nectar.
• scène 7 : Grisée, elle s'empare du flacon de parfum, le
glisse dans son panier, enfile sa cape à capuche de satin
rouge et continue d'avancer de face le long du couloir tout
en portant son panier.
• scène 8 : De dos, devant la grande porte s'ouvrant sur la
nuit parisienne, le chaperon rouge admire la tour Eiffel
illuminée avant de partir embaumer et conquérir Paris.
• scène 9 : Le loup noir gardien des effluves sacrés surgit à
pas sûrs et feutrés, menaçant.
• scène 10 : Un doigt devant ses lèvres, la belle Chaperon
rouge domine l'animal d'un simple « chut ! » et mettant sa
capuche, elle s'en va.
• scène 11 : Resté seul au cœur du 5, le loup envouté par le
Chaperon rouge et son parfum, lance un hurlement plaintif
vers le ciel.
Séduction,
sensualité, luxe,
hyper féminité,
humour, tout le
vocabulaire du N°5
est magnifié dans
un film de 45
secondes, tendu
comme un longmétrage, avec
intrigue, suspens,
et même happyend en clin d’œil.
-
Dans cette campagne, Chanel reprend
certains codes du conte original :
- La jeune fille habillée d'un chaperon
rouge représente bien la petite fille
aux frontières de la puberté. Sa
démarche est gracieuse, d'un pas peu
rassuré elle entre dans la salle forte
remplie de parfums.
- Elle s'avance vers le fond de celle-ci
et prend un flacon dans ses mains,
comme un élixir précieux.
- C'est au moment où elle se parfume
que le loup apparait et que le Petit
Chaperon Rouge passe de l'enfant à la
femme.
- A la place d'emporter une galette
dans son petit panier d'osier, elle
prend avec elle un flacon de Chanel
N°5.
-Lorsqu'elle quitte la chambre, le loup
arrive vers elle mais à la différence du
conte originel, elle ne finit pas dans
son lit mais avec assurance, elle lui fait
un simple geste du doigt et le loup se
soumet et s'assoit pour la laisser
partir.
La jeune femme s'en va sous la
neige, en direction de la Tour
Eiffel tandis que le loup hurle à la
lune.
L'idée principale de cette publicité
Chanel est que le Petit Chaperon
rouge, au lieu d'être soumise et
apeurée à la vue du grand
méchant loup, est devenue une
femme dominatrice.
La couleur rouge, au lieu de
symboliser uniquement les
menstruations symbolise
également la passion et le pouvoir
de la jeune femme.
Le loup, qui avait l'air confiant et
sûr de lui à son arrivée, est battu
par le pouvoir dominateur que le
parfum a donné au Petit
Chaperon.
Son départ vers la ville
de Paris, son flacon de
Chanel N°5 dans le
panier, montre qu'elle
est non seulement
devenue femme
dominatrice et
d'assurance mais aussi
qu'elle est une femme
de pouvoir et de
prestance, Paris ville
de plaisir et de bon
goût.
Le Petit Chaperon
Rouge est assurée
qu'avec son Chanel
N°5 elle ne sera pas
ennuyée par
n'importe quel
prédateur sexuel mais
qu'elle détient
désormais le pouvoir
de choisir ses
prétendants.
D’ailleurs quelle était la
morale du Petit
Chaperon rouge, selon
Perrault ?
MORALITÉ
« On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux. »
Conte merveilleux et pub :
une rencontre logique ?
Une représentation manipulatrice du réel ?
« Il existe une féérie publicitaire dont personne
n’est dupe sur le moment mais qui, à la
longue, engendre malgré tout cette funeste
conséquence : l’évacuation du réel. »
Jean-Claude Guillebaud, 2004
Ou bien selon Blaise Cendrars en 1957
« La publicité est la fleur de la vie contemporaine;
elle est une affirmation d’optimisme et de gaieté ;
elle distrait l’œil ou l’esprit. […]
Oui, vraiment, la publicité est la plus belle
expression de notre époque, la plus grande
nouveauté du jour, un Art. […]
Ce qui caractérise l’ensemble de la publicité
mondiale est son lyrisme.
Et ici la publicité touche à la poésie. »
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