Concepts de prophylaxie et de traitement des effets secondaires de

Pratique quotidienne · formation complémentaire
Introduction
La radiothérapie fait partie des méthodes oncologiques bien
établies pour le traitement des tumeurs malignes de la sphère
cervico-faciale; selon les cas, elle est utilisée seule ou en combi-
naison avec des mesures chirurgicales et/ou une chimiothéra-
pie. Outre les effets thérapeutiques sur les cellules néoplasiques
– souhaités –, on observe toutefois dans bien des cas des réper-
cussions non désirées, spécifiquement sur les différents tissus
de la cavité buccale. Ces effets délétères perdurent à vie et re-
Concepts
de prophylaxie et
de traitement des
effets secondaires
de la radiothé-
rapie de la région
cervico-faciale
Michael Bornstein1, Daniel Buser1et Andreas Filippi2
1Clinique de chirurgie buccale et de stomatologie,
Cliniques de Médecine dentaire de l’Université de Berne
2Clinique de chirurgie buccale, de radiologie
et de stomatologie, Centre de médecine dentaire
de l’Université de Bâle
Mots clés: radiothérapie, carie radiogène ou actinique,
fluoration, ostéoradionécrose
Adresse pour la correspondance:
DrMichael Bornstein
Klinik für Oralchirurgie und Stomatologie
Freiburgstr. 7
CH-3010 Berne
Traduction française de Thomas Vauthier
(Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 963)
Les patients souffrant de tu-
meurs malignes de la sphère
cervico-faciale qui sont trai-
tées par radiothérapie doi-
vent être considérés comme
étant des patients à risque.
Dans la mesure du possible,
ces patients devraient pou-
voir bénéficier d’une prise en
charge par une équipe pluri-
disciplinaire, avant, durant et
après la radiothérapie. Avant
toute radiothérapie de la
sphère cervico-faciale, il con-
vient au préalable de procé-
der à un examen bucco-den-
taire approfondi, compre-
nant le diagnostic clinique et
radiologique, afin de plani-
fier de manière judicieuse les
étapes de traitement. Dans
tous les cas, les mesures thé-
rapeutiques et prophylac-
tiques doivent être adaptées
à la situation individuelle du
patient concerné. Ce faisant,
la classification des patients
en fonction de la dose glo-
bale appliquée (< 40 Gy,
40–50 Gy, > 50 Gy), telle
qu’elle est pratiquée auprès
de la Clinique de chirurgie
buccale et de stomatologie
de l’Université de Berne,
convient particulièrement
bien. Durant la phase de ra-
diothérapie active, les pa-
tients doivent être contrôlés
au moins une fois par semai-
ne, notamment pour pouvoir
bénéficier de soins destinés
à atténuer les symptômes ou
complications résultant de la
mucosite. Après la radiothé-
rapie, le traitement de la
xérostomie et la prévention
d’interventions chirurgicales
bucco-dentaires sont au pre-
mier plan. Pour tous ces pa-
tients, il est dès lors impératif
de mettre en œuvre un trai-
tement dentaire conséquent
et des contrôles de suivi ré-
guliers, tant avant qu’après
la radiothérapie.
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présentent pour le patient un fardeau supplémentaire tant au
niveau physique que psychique, qui vient s’ajouter à la maladie
de fond. Pour le médecin-dentiste traitant, il est de la plus hau-
te importance d’avoir de bonnes connaissances concernant les
effets secondaires de la radiothérapie, afin qu’il soit en mesure
de faire bénéficier le patient d’une prévention optimale du
risque de lésions supplémentaires de la sphère bucco-dentaire.
Les conséquences aiguës se manifestent dès les premières se-
maines après le début de la radiothérapie: il s’agit de la mucosi-
te actinique, la xérostomie, les infections buccales, telles que la
candidose, ainsi que les troubles du sens gustatif. En tant que
conséquences ou de complications tardives cliniquement signi-
ficatives, il convient de relever les caries postradiothérapie, le
trismus et surtout l’ostéoradionécrose (BORNSTEIN et coll. 2001).
Dans chaque cas individuel, la prévention et – le cas échéant –
le traitement de ces effets secondaires dus aux rayons ionisants,
survenant à brève échéance ou au long cours, représentent un
défi important pour les médecins ou les médecins-dentistes
traitants. Afin de garantir une prise en charge optimale du pa-
tient, il serait souhaitable d’avoir à disposition une équipe pluri-
disciplinaire. Dans le cas idéal, une telle équipe se composerait
d’un spécialiste en radio-oncologie, d’un spécialiste en chirurgie
maxillo-faciale et/ou d’un médecin ORL, ainsi que d’un méde-
cin-dentiste. La collaboration du médecin-dentiste au cours de
la radiothérapie de la sphère cervico-faciale est une condition
sine qua non, car ce n’est que de la sorte qu’il est possible de pré-
venir des effets secondaires graves (SONIS & KUNZ 1988, LIZI
1992) (fig. 1). Une bonne coopération interdisciplinaire sera en
outre gage d’une meilleure compréhension des différents pro-
blèmes relevant des spécialités médicales impliqués (ALLARD et
coll. 1993). Il est très important d’inclure dès que possible le mé-
decin-dentiste dans la prise en charge du patient devant subir
une radiothérapie, afin que les étapes médico-dentaires indis-
pensables retardent le moins possible, ou dans le cas idéal pas
du tout, le début de la radiothérapie.
Le degré de sévérité des effets secondaires de la radiothérapie
dépend de nombreux facteurs. En font partie le type de rayons
utilisés, l’importance des doses individuelles, le type de tissus
sains exposés dans le champ d’irradiation et en particulier la do-
se totale appliquée. La dose d’irradiation mise en œuvre dans le
traitement des tumeurs malignes de la sphère cervico-faciale
varie selon le cas individuel; elle est déterminée en fonction de
la localisation, de la dissémination et du type de la tumeur, de
même que de la stratégie thérapeutique visée, à savoir s’il est
prévu d’utiliser la radiothérapie en tant que seule mesure de
traitement ou si elle est utilisée en tant que mesure adjuvante à
une intervention chirurgicale ou en association avec une chi-
miothérapie. Afin que l’ensemble des options thérapeutiques et
prophylactiques soit rendu transparent avant le début même de
la radiothérapie, il convient de recourir à la classification suivan-
te des patients en fonction de la dose globale d’irradiation, telle
qu’elle est habituellement utilisée dans le cadre de la Clinique
de chirurgie buccale et de stomatologie de l’Université de Berne:
patients avec une dose totale inférieure à 40 Gray (dose faible)
patients avec une dose totale entre 40 et 50 Gray (dose
moyenne
patients avec une dose totale supérieure à 50 Gray (dose éle-
vée).
Le présent travail propose un aperçu des différentes mesures
médico-dentaires destinées à la prophylaxie et au traitement
des effets secondaires dus aux rayons ionisants.Il passe en revue
plusieurs scénarios, dans lesquels le médecin-dentiste est con-
fronté à la situation clinique du patient soit avant, soit durant ou
(longtemps) après la radiothérapie. En suivant la classification
évoquée précédemment, des recommandations spécifiques en
fonction de la dose totale reçue, un certain nombre de recom-
mandations seront formulées.
Prise en charge du patient avant
la radiothérapie
Dans le cas le plus favorable, le médecin-dentiste sera inclus à
part entière dans le diagnostic et le traitement dès le stade pré-
cédant la radiothérapie. Ce faisant, la démarche la plus impor-
tante est l’examen clinique et radiologique approfondi de la ca-
vité buccale, tout en prêtant une attention particulière aux
structures situées dans la région qui sera ultérieurement expo-
sée aux rayons ionisants. Afin de permettre la planification plus
exacte, le territoire à irradier devrait être marqué de manière
précise par le radio-oncologue sur un schéma prévu à cet effet,
de même que devrait être spécifiée la dose totale qui y sera ap-
pliquée.
L’observation clinique initiale comprend l’examen minutieux,
tant intraoral qu’extraoral; ce faisant, il s’agit d’évaluer avec soin
l’état des muqueuses et de la gencive, des dents et des obtura-
tions existantes, ainsi que des couronnes et ponts, voire, le cas
échéant, des prothèses amovibles. L’examen comprendra égale-
ment des tests de vitalité (par méthode thermique ou électrique)
de toutes les dents naturelles présentes. Côté parodontal, les
profondeurs au sondage des poches ainsi que d’éventuelles at-
teintes des furcations des molaires devront être précisées, en
particulier sur les dents situées dans le champ d’irradiation.
L’ouverture buccale maximale doit également être notée dans
le dossier du patient, ce d’autant plus lorsque la musculature de
mastication ou l’articulation temporo-mandibulaire risque
d’être exposée à l’irradiation. Il est important de connaître l’ou-
verture buccale avant le traitement pour pouvoir déceler le plus
tôt possible la survenue d’un trismus durant ou après la radio-
thérapie – et, le cas échéant, traiter une complication de maniè-
re adéquate (fig. 2).
L’examen radiologique devrait comprendre pour tous les pa-
tients un cliché OPG qui, sera complété, selon la situation par-
ticulière, par des clichés apicaux isolés. Seul un examen radiolo-
gique correct permet de déceler avant la radiothérapie les
facteurs de risque, tels que les pathologies apicales, les kystes,
les dents incluses ou encore des restes radiculaires.
La planification des étapes du traitement dentaire se fonde sur
les constatations résultant de l’examen initial. Toutes les me-
sures prévues doivent être communiquées par écrit au radio-
oncologue, en spécifiant l’enchaînement des différentes étapes
dans le temps. En tout état de cause, l’objectif du traitement
dentaire sera en fin de compte un compromis. Il s’agira d’une
part de tenter de conserver le nombre le plus élevé possible de
dents naturelles, afin de conserver le confort et de ne pas porter
atteinte outre mesure à la qualité de vie du patient durant et
après le traitement de la tumeur. D’un autre côté, il faudra évi-
ter, dans la mesure du possible, toute intervention chirurgicale
médico-dentaire, parodontologique ou endodontique durant la
phase active ou dans les années suivant la radiothérapie, en cas
de doses d’irradiation dépassant 50 Gy. Afin de trancher plus fa-
cilement dans le dilemme qui se pose, à savoir soit opter pour
un traitement conservateur, soit pour un assainissement dentai-
re radical, nécessitant éventuellement des avulsions multiples,
le médecin-dentiste traitant devrait se poser d’emblée une
question fondamentale avant de se lancer dans le traitement:
peut-on raisonnablement s’attendre de la part d’un patient qu’il
Concepts de prophylaxie et de traitement des effets secondaires de la radiothérapie de la région cervico-faciale
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modifie fondamentalement ses habitudes en matière d’hygiène
bucco-dentaire, acquises depuis de nombreuses années, lorsque
celui-ci vient d’apprendre le diagnostic d’une tumeur maligne
et qu’il devra subir d’ici quelques jours une radiothérapie? Il faut
également tenir compte du fait que bon nombre des patients
concernés sont des fumeurs invétérés et/ou des alcooliques avec
une hygiène bucco-dentaire en général négligée. Dans le cadre
de la planification thérapeutique des soins médico-dentaires, et
en cas de pronostic douteux des dents situées dans le champ
d’irradiation, et/ou de risque de motivation insuffisante du pa-
tient, il faudrait par conséquent en principe donner la préfé-
rence à une intervention chirurgicale plutôt large, en d’autres
termes opter pour un «évidement» aussi radical que possible
(WAGNER et coll. 1986, FILIPPI & GEIGER 1992). Un autre facteur
non négligeable dans la prise de décision à ce propos est la do-
se totale d’irradiation prévue (tab. I) qui aura dans tous les cas
une influence essentielle sur la planification thérapeutique mé-
dico-dentaire.
Lorsque le plan de traitement prévoit des extractions ou des
avulsions chirurgicales de certaines dents ne pouvant être pré-
servées, il convient de respecter les techniques opératoires les
moins agressives possibles pour les tissus. Afin de ne pas retar-
der la guérison des plaies, et pour éviter de laisser des arrêtes
osseuses vives – ou pour prévenir dans la mesure du possible le
risque d’une infection postopératoire –, il convient, après toute
intervention chirurgicale précédant la radiothérapie, de lisser
avec soin tous les pourtours osseux et de fermer, voire au moins
d’adapter autant que possible, les berges des plaies au moyen de
points de suture. Plus particulièrement dans le maxillaire infé-
rieur, il faudrait – dans tous les cas dans lesquels ce n’est pas im-
pératif – renoncer à l’ouverture d’un volet, du fait que ce geste
risque d’avoir des répercussions délétères sur la vascularisation
de l’os alvéolaire.Afin de prévenir dans la mesure du possible le
risque d’infection de la plaie, qui aurait comme conséquence le
retardement du début de la radiothérapie, il y a lieu d’instaurer
une antibiothérapie au moins dans la période préopératoire et,
le cas échéant, dans la période postopératoire également, en
fonction des facteurs de risque individuels susceptibles d’en-
traver la cicatrisation et la guérison de la plaie durant la phase
postopératoire (type de tumeur maligne, tabagisme, hygiène
bucco-dentaire insuffisante). Afin de réduire autant que pos-
sible le risque d’une ostéoradionécrose, il faut respecter un dé-
lai suffisant pour la cicatrisation avant le début de la radiothé-
rapie. Un délai de deux à trois semaines est considéré idéal; ce
laps de temps devrait être respecté dans tous les cas dans les-
quels c’est possible (MARX & JOHNSON 1987). Force est toute-
fois de reconnaître que selon l’agressivité de la tumeur, il reste
en réalité souvent beaucoup nettement moins de temps.
Avant le début de la radiothérapie, il faudrait tenter, chez tous
les patients possédant encore un certain nombre de dents natu-
relles, d’améliorer l’hygiène bucco-dentaire et de favoriser la
motivation, au moyen d’instructions – réitérées sans cesse – de
soins d’hygiène adéquats. Ce faisant, il s’agit d’enseigner au pa-
tient une technique de brossage appropriée, en association avec
l’utilisation d’un dentifrice au fluor, ainsi que le nettoyage des
espaces interdentaires à l’aide de fil dentaire ou de brossettes.
En outre, il convient bien entendu de procéder avant le début de
la radiothérapie à un nettoyage/polissage professionnel supra-
et sous-gingival. Les patients édentés apprendront à nettoyer
leurs prothèses matin et soir au moyen d’une brosse à prothèses
spéciale et du savon exempt de détergents alcalins. Alors que la
motivation et l’instruction, ainsi que le contrôle des mesures
d’hygiène représentent une conditio sine qua non avant toute ra-
diothérapie, ces mesures ne suffisent pas à elles seules pour la
prévention de la carie postactinique (JANSMA et coll. 1989). Pour
compléter les mesures préventives, il faut instaurer des applica-
tions d’une gelée de fluorure de sodium à pH neutre au moyen
d’une gouttière de fluoration fabriquée par thermoformage
(fig. 3, 4, 5). Après l’examen initial et l’établissement du plan de
traitement, il faut dès lors prendre des empreintes en alginate
des deux maxillaires destinées à la réalisation des gouttières.Les
gouttières de fluoration devraient dépasser de quelque trois mil-
limètres le rebord gingival et bien recouvrir les dents afin de ga-
rantir une application complète et homogène du gel fluoré. Il
Tab. I Concept de la planification des traitements dentaires avant la radiothérapie
Patients avec une dose totale Patients avec une dose totale entre Patients avec une dose totale
inférieure à 40 Gray (dose faible) 40 et 50 Gray (dose moyenne) supérieure à 50 Gray (dose élevée)
–Avant la radiothérapie, extraire uniquement Les dents à pronostic incertain et Toutes les dents susceptibles de
les dents ne pouvant être maintenues toutes les dents ne pouvant être présenter des problèmes dans les
(en principe, même après radiothérapie, des maintenues doivent être extraites années après la radiothérapie doivent
traitements dentaires, tels que traitements –L’indication aux avulsions est être extraites
radiculaires ou extractions, peuvent être réalisés) nettement plus stricte, en compa- L’indication aux avulsions est très
raison avec les radiothérapies stricte, en particulier dans le maxillaire
d’une dose totale inférieure inférieur
à 40 Gy Sont à extraire notamment:
Les dents présentant des pathologies
apicales
Les dents dévitalisées
Les dents atteintes de caries profon-
des avec atteinte de la pulpe
Les dents avec des profondeurs de
sondage supérieures à 5 mm et/ou
atteinte de furcation
Les restes radiculaires
Les dents enclavées ou incluses qui ne
sont pas entièrement impactées dans
l’os
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Pratique quotidienne · formation complémentaire
faut instruire les patients à porter les gouttières une fois par jour
pendant environ cinq minutes, dans le cas idéal immédiatement
avant le coucher.
Etant donné que pour bien des patients l’alimentation devient
extrêmement douloureuse durant et après la radiothérapie – en
raison de la diminution du flux salivaire (hyposialie) temporaire,
voire à vie, ainsi que de la mucosite qui peut être très marquée
dans certains cas – de bons conseils diététiques et alimentaires
revêtent une importance centrale. Pour ce qui est le régime pres-
crit, il convient de veiller à ce que les points suivants soient res-
pectés: éviter autant que possible les hydrates de carbone à bas
poids moléculaire, ne pas consommer de boissons risquant de
provoquer des érosions des tissus durs, notamment en raison de
la perte de l’effet de réminéralisation par la salive (RATEITSCHAK
et coll. 1988) et inciter les patients à absorber des quantités ac-
crues de liquides. Du fait que l’alcool et la fumée de tabac sont
des facteurs d’irritation supplémentaires de la muqueuse, il fau-
drait dans la mesure du possible renoncer à la consommation
durant et après la radiothérapie; force est toutefois d’admettre
que chez de nombreux patients une telle abstinence n’est pas
réalisable. Après la radiothérapie, la muqueuse buccale devient
en outre très vulnérable aux agressions mécaniques. Par consé-
quent, il faut veiller à éliminer, le cas échéant, les irrégularités et
les arrêtes vives en rapport avec des obturations, des ponts, des
couronnes ou des prothèses amovibles et ce, avant début de
la radiothérapie. En effet, il n’est pas rare d’observer l’apparition
d’ostéoradionécroses de l’os alvéolaire qui sont provoquées
par des zones de décubitus sous des prothèses adjointes (fig. 8)
(EGGERT et coll. 1985, FILIPPI 1993). Lorsque des dents ont été
extraites avant la radiothérapie, il ne faut en aucun cas mettre en
bouche des prothèses provisoires chez les patients ayant subi
des doses de plus de 40 Gy. La décision quant au moment pro-
pice pour l’intégration d’une prothèse dépend entre autres de
l’étendue du champ d’irradiation; elle devra en tout état de cau-
se être discutée en fonction de la situation particulière du pa-
tient individuel. Dans ce contexte, des délais d’attente entre
trois et douze mois après la fin de la radiothérapie ont été évo-
qués, par différents auteurs, (WANGERIN et coll. 1986, FILIPPI
1993).
Prise en charge du patient au cours
de la radiothérapie
Durant la phase active de la radiothérapie, les efforts doivent
être ciblés sur le maintien d’une hygiène bucco-dentaire opti-
male et le soulagement des symptômes qui résultent de la mu-
cosite. Par conséquent, les patients doivent être contrôlés et in-
formés une fois par semaine par le médecin-dentiste. Ce n’est
que par un suivi régulier que des mesures thérapeutiques com-
plémentaires peuvent être instaurées immédiatement, selon les
besoins de la situation.
Lorsque les soins d’hygiène bucco-dentaire deviennent trop
douloureux, voire même impossibles, en raison de la mucosite,
il faut procéder à un nettoyage professionnel méticuleux à l’oc-
casion de chaque visite hebdomadaire au cabinet dentaire,le cas
échéant en ayant recours à une anesthésie de surface. En tant
que mesure complémentaire, il convient de prescrire à ces pa-
tients des bains de bouche par un produit à base de chlorhexidi-
ne à 0,1 ou 0,2%, à utiliser une à trois fois par jour pour la durée
de la radiothérapie (KATZ 1982). Ce protocole permet d’obtenir
une réduction raisonnable des dépôts de plaque.
Il n’est pas rare que la sévérité de la mucosite actinique rende
inévitable une interruption de la radiothérapie. En effet, la réac-
tion de la muqueuse est de loin le motif le plus fréquent (jusqu’à
86%) de pauses forcées de la thérapie (HERRMANN et coll. 1994).
Les soins du médecin-dentiste doivent avoir comme but d’atté-
nuer la mucosite afin d’éviter des interruptions de la radiothéra-
pie qui auraient comme fâcheuse conséquence de mettre en pé-
ril le résultat thérapeutique escompté de la radiothérapie.
De bons résultats peuvent être atteints par l’utilisation de pro-
duits pour bains de bouche à base de camomille (par exemple
Kamillosan®), dont le patient se servira plusieurs fois par jour.
En plus de leur efficacité anti-inflammatoire, ces produits ont
également des effets antimicrobiens et spasmolytiques (CARL &
EMRICH 1991). Il convient d’éviter par principe les solutions pour
bains de bouche contenant de l’alcool, du fait que de telles pré-
parations entraînent un assèchement supplémentaire de la
bouche, et aggravent ainsi la xérostomie actinique. La mucosite
induite par la radiothérapie peut aussi provoquer des troubles
graves de la déglutition; il est toutefois possible d’atténuer ce
genre de complication en ayant recours à des solutions ou des
sprays d’anesthésiques locaux à une concentration de 2%, à ap-
pliquer avant et après les repas.
Pour ce qui est le degré de sévérité de la mucosite, la flore mi-
crobienne buccale joue un rôle déterminant. En raison des lé-
sions directes de l’épithélium par les rayons ionisants, l’intégri-
té de la barrière muqueuse est perturbée, ouvrant ainsi la voie à
des infections plus fréquentes. Pour le traitement de l’infection
par Candida albicans, observée relativement souvent, la pres-
cription d’amphotéricine B sous forme de comprimés à sucer ou
sous forme de suspension en cas de xérostomie marquée (par
exemple Ampho-Moronal®), a fait ses preuves. En tant qu’alter-
native, des traitements limités dans le temps par une suspen-
sion ou un gel à base de nystatine peuvent être envisagés. Dans
les formes graves de xérostomie après radiothérapie, les patients
se plaignent de sensations de soif et de brûlures dans la cavité
buccale, ainsi que de difficultés lors de la prise des repas, à la dé-
glutition ou à l’élocution. Il convient de différencier deux
groupes de patients: ceux chez lesquels une stimulation de la
sécrétion salivaire est encore possible et les autres, chez lesquels
la stimulation salivaire n’a aucun ou très peu d’effets (VISSINK et
coll. 1987). La présence d’un parenchyme encore fonctionnel
des glandes salivaires est la condition fondamentale à toute ten-
tative de stimulation du flux salivaire par des produits sialo-
gogues. Les stimuli peuvent être soit gustatifs, soit mécaniques
(massage ou mastication) ou encore pharmacologiques (par
exemple des parasympathomimétiques directs ou indirects). Le
recours à ces produits pharmaceutiques est toutefois limité en
raison de leurs effets secondaires indésirables (CARL 1995).
Pour le traitement symptomatique de la xérostomie actinique,
les produits de remplacement artificiels de la salive peuvent en-
trer en considération. Ces préparations forment une couche si-
milaire au mucus, couche qui est destinée à humecter la mu-
queuse le mieux et le plus longtemps possible, afin que celle-ci
ne se dessèche pas. En outre, la couche mucineuse offre une
certaine protection contre des irritations mécaniques et amé-
liore, du moins en partie, l’adhésion des prothèses adjointes. La
plupart des produits de remplacement artificiel de la salive
contiennent de la carboxyméthylcellulose ou des mucines, ainsi
que du sorbitol ou du xylitol et des sels de calcium ou de phos-
phate à des concentrations variables. Pour l’utilisation chez les
patients dentés, certaines préparations contiennent également
des fluorures. Dans le cas idéal, les succédanés de la salive de-
vraient avoir un pH neutre. Ainsi, en raison de son pH acide
et de l’absence d’adjonction de fluor, le Glandosane®,par
exemple, ne devrait être utilisé que chez les patients édentés
Concepts de prophylaxie et de traitement des effets secondaires de la radiothérapie de la région cervico-faciale
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 8/2000 975
(NICHOLLS & ILANKOVAN 1998). Après application du produit de
remplacement artificiel de la salive sous forme de spray, on ob-
tient une humectation d’une durée de 30 minutes en moyenne.
Les patients chez lesquels il faut craindre la survenue d’un tris-
mus en tant que conséquence tardive de la radiothérapie, il fau-
drait instaurer des exercices quotidiens d’ouverture buccale
pendant toute la durée de la radiothérapie. Ce n’est que par ces
exercices que la mobilité des articulations temporo-mandibu-
laires et l’ouverture buccale maximale peuvent être maintenues.
Lorsque le médecin-dentiste se voit confronté à un patient se
plaignant de problèmes dentaires au cours de la radiothérapie
active ou qui n’aurait pas été assaini au plan dentaire avant cel-
le-ci, et que la dose d’irradiation est supérieure à 40 Gy, il n’a en
aucun cas (!) le droit d’extraire des dents dans le cadre ambula-
toire du cabinet. De même, en cas de problèmes parodontaux ou
endodontiques, il ne faut jamais intervenir avant de connaître très
précisément l’étendue du champ d’irradiation et la dose théra-
peutique mise en œuvre chez le patient concerné. Les dents qui
ne se trouvent pas dans le champ d’irradiation peuvent être trai-
tées pour ainsi dire sans risque. Par contre, à ce stade, les avul-
sions dentaires dans la région irradiée ne devraient être effec-
tuées, par principe, que dans le cadre d’une clinique spécialisée.
Une couverture antibiotique à hautes doses, en particulier dans
les cas d’extractions dans la mandibule, ainsi que le recouvrement
par plastie épipériostale sont dès lors les conditions préalables
minimales de la prévention du risque d’ostéoradionécrose.
Prise en charge du patient après
la radiothérapie
Après une radiothérapie de la région cervico-faciale, le traite-
ment de la xérostomie et des symptômes qui en résultent, de
même que la prévention des extractions dentaires par la pro-
phylaxie contre les caries postactiniques et des maladies paro-
dontales sont au premier plan. Afin de maintenir la santé des
muqueuses buccales, du parodonte et des dents, on ne saurait
jamais trop insister sur l’importance capitale des contrôles de
recall à intervalles réguliers. Durant la première année après la
radiothérapie, les intervalles entre les séances de contrôle doi-
vent être relativement rapprochés, à savoir en général toutes les
six à huit semaines. Par la suite, des visites tous les trois à six
mois suffisent. Dans le cadre de ces rendez-vous de prise en
charge continue, les patients doivent chaque fois être remotivés
pour qu’ils respectent les consignes en matière de soins d’hy-
giène personnels. L’hygiène bucco-dentaire et la bonne utilisa-
tion des fluorures prescrits doivent être contrôlées et, le cas
échéant, être adaptées (JANSMA et coll. 1992). Les séances de re-
call jouent également un rôle non négligeable pour le dépistage
le plus précoce possible d’éventuelles récidives de la tumeur.
En général, la xérostomie après la radiothérapie perdure pen-
dant plusieurs mois, voire des années; dans certains cas, elle
risque de persister à vie. Les deux facteurs déterminants pour
la durée de la xérostomie sont, d’une part, la proportion des
glandes salivaires exposée dans le champ d’irradiation et,
d’autre part, la dose totale d’irradiation utilisée lors de la radio-
thérapie. Plusieurs études ont démontré que l’on ne peut guère
s’attendre à une amélioration du flux salivaire dans les cas dans
lesquels l’une des grandes glandes salivaires a été exposée un
champ d’irradiation et que la dose totale appliquée a dépassé les
40 Gy (DREIZEN et coll. 1977, LIU et coll. 1990). Une fois que la
xérostomie s’est installée, le traitement se fonde essentiellement
sur l’utilisation de produits de remplacement artificiel de la sali-
ve ou de sialogogues mécaniques ou chimiques.
Parmi les conséquences de l’hyposalivation, il faut également
relever la survenue d’un pH acide dans la cavité buccale et la
modification de la flore microbienne favorisant la prolifération
des bactéries cariogènes, telles que Streptococcus mutans ou Lac-
tobacillus (BROWN et coll. 1975). Afin d’éviter que la carie post-
actinique ne se développe dans la période après la radiothéra-
pie, les patients doivent s’efforcer de maintenir un degré le plus
élevé possible d’hygiène bucco-dentaire. En outre, il faut tou-
jours et encore informer les patients à propos de l’alimentation
convenant le mieux à leur situation; en effet, la réduction de la
fréquence de l’absorption d’hydrates de carbone à faible poids
moléculaire peut contribuer dans une large mesure à éviter
l’activité cariogène. Dans le cadre des contrôles de suivi, il faut
également surveiller le bon usage du gel fluoré appliqué au
moyen de la gouttière. Dans bien des cas, les patients doivent
continuer ces applications à vie. En cas de découverte d’une ca-
rie active lors d’une visite de recall, la fréquence et la durée de
la fluoration peuvent être accrues temporairement. La gouttiè-
re de fluoration sera dès lors mise en place deux à trois fois par
jour pour un laps de temps de 10 à 15 minutes (ENGELMEIER &
KING 1983).
Toute carie fraîchement diagnostiquée devrait dans la mesure
du possible être traitée au stade initial, afin de prévenir une lé-
sion pulpaire. En dépit de toutes les mesures de prévention, il
n’est pas exclu que des extractions dentaires s’avèrent inévi-
tables chez certains patients, que ce soit pour des raisons cario-
logiques, endodontiques ou parodontales. Lors des extractions
de dents situées dans l’ancien champ d’irradiation, il faut veiller
– à l’instar de ce qui a été évoqué précédemment pour les in-
terventions chirurgicales bucco-dentaires avant la radiothéra-
pie – à soigneusement lisser les berges osseuses vives et à viser
une guérison primaire de la plaie. Afin de réduire encore da-
vantage le risque d’ostéoradionécrose, il faudrait instaurer,
avant l’intervention, une antibiothérapie à titre prophylactique,
tout en prolongeant la couverture antibiotique pour une durée
jusqu’à deux semaines (ROTHWELL 1987). Une pénicilline à lar-
ge spectre d’action ou, en cas de suspicion d’allergie à la péni-
cilline, une céphalosporine, conviennent bien pour ce type
d’antibiothérapie. Après des radiothérapies ayant utilisé des
doses d’irradiation supérieures à 40 Gy, toutes les avulsions
dentaires devraient être réalisées dans une clinique spécialisée,
même lorsque la radiothérapie avait eu lieu plusieurs années
auparavant. En effet, la lésion de l’os alvéolaire, en particulier
dans le maxillaire inférieur, persiste dans bien des cas à vie.
Les patients chez lesquels la musculature masticatrice et/ou
une, voire les deux articulations temporo-mandibulaires avaient
été exposées dans le champ d’irradiation, sont susceptibles de
développer un trismus – même après un laps de temps relative-
ment long après la fin de la radiothérapie (JANSMA et coll. 1992).
Par conséquent, il est important de mesurer l’ouverture buccale
maximale lors de chaque visite de recall et de comparer la valeur
actuelle avec celle enregistrée avant le début de la radiothérapie.
Ce faisant, les patients doivent être instruits à s’astreindre à des
exercices d’ouverture buccale, exercices qui seront à continuer
pendant une période allant jusqu’à une année après la fin de la
radiothérapie, le cas échéant avec le soutien d’une physiothéra-
pie adjuvante.
Prévention et traitement de l’ostéoradionécrose
La survenue d’une ostéoradionécrose est favorisée par deux
groupes de facteurs de risque et de facteurs favorisants, à savoir,
d’une part, les paramètres de la radiothérapie et, d’autre part,les
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Concepts de prophylaxie et de traitement des effets secondaires de

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