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PROCTOLOGIE
Traitement
des condylomes anaux
Agnès Senéjoux*
L
* Institut de proctologie LéopoldBellan, groupe hospitalier Paris
Saint-Joseph.
es condylomes ano-génitaux sont liés à l’infection par les virus des papillomes humains (HPV).
Plus de 120 génotypes viraux ont été identifiés.
Parmi ces génotypes, VPH 6 et VPH 11 sont à l’origine de 90 % des condylomes ano-génitaux et d’une
partie des dysplasies de bas grade. Les génotypes 16
et 18 sont oncogènes et à l’origine de 80 à 90 % (1)
des cancers de l’anus et de 70 % des cancers du col
utérin. L’infection à HPV est la maladie sexuellement
transmissible ayant l’incidence la plus élevée. Le plus
souvent asymptomatique elle survient précocement
au cours de la vie sexuelle : 60 % des femmes sont
ainsi contaminées par les HPV 5 ans après leurs
premiers rapports (2) et 10 % de la population sera
atteinte de condylomes au cours de sa vie sexuelle
(3). Un travail utilisant un modèle mathématique
a estimé que 80 % des femmes de plus de 50 ans
ayant une vie sexuelle active ont été infectées par
HPV (4). L’histoire naturelle de l’infection à HPV a été
mieux étudiée au niveau du tractus génital féminin
Figure 1. Condylomes anaux.
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qu’au niveau du canal anal : au bout de 18 mois, le
génome viral est indétectable chez 80 % des femmes
infectées (5). La clairance de HPV 16 est plus lente
que celle des autres génotypes (6). La persistance de
l’infection à un HPV oncogène est le facteur de risque
le plus important de progression vers des lésions
malignes. Vingt pour cent des hommes et 25 à 40 %
des femmes âgées de moins de 25 ans sont porteurs
sains du virus (7, 8). La prévalence des manifestations
cliniques liées à HPV est moindre, estimée à 1 % de la
population sexuellement active (9). Chez l’homme,
dans une étude brésilienne, l’incidence mensuelle de
l’infection génitale à HPV était de 38/1 000, la clairance des génotypes oncogènes était moins rapide
en cas de partenaires multiples et inversement liée
à l’âge du malade (10).
Le diagnostic des condylomes est en règle clinique
(figure 1). Le traitement des condylomes de l’anus
est parfois difficile et désespérant compte tenu de
la fréquence des récidives qui varie, selon les traitements et les séries, de 30 à 70 %. La découverte
de condylomes de la marge implique la réalisation
systématique d’une anuscopie : la méconnaissance
de lésions endocanalaires est source de récidive. Un
bilan sérologique recherchera une infection sexuellement transmissible associée. Il faut en particulier
déterminer le statut immunitaire concernant le VIH :
l’immunosuppression favorisant les récidives, les
réactivations virales et la survenue d’une dysplasie.
Chez les malades VIH+, le rôle bénéfique des thérapies antirétrovirales demeure néanmoins controversé. Chez les patients sous immunosuppresseurs
une diminution du traitement est parfois à envisager.
Chez les malades VIH+ ayant des condylomes, les
prélèvements histologiques sont systématiques dès
le diagnostic à la recherche d’une néoplasie intraépithéliale, le risque variant, selon les travaux, de
40 à 60 %. Ces prélèvements peuvent être orientés
par l’aspect des lésions, les zones suspectes étant
des zones blanchâtres, érythémateuses ou pigmentées, discrètement en relief, voire érosives (figure 2).
Cependant, aucun aspect clinique n’est vraiment
spécifique et le diagnostic peut n’être qu’histologique. L’application locale d’acide acétique à 3 %
PROCTOLOGIE
Il est en effet montré qu’en vaccinant les jeunes
filles contre les HPV 16 et 18, l’incidence des lésions
dysplasiques précancéreuses diminue dans la population vaccinée (11). Il existe actuellement 2 vaccins
commercialisés : un vaccin bivalent protégeant
contre les HPV oncogènes 16 et 18 et un vaccin
quadrivalent actif également sur HPV 6 et 11, les
2 génotypes les plus fréquemment à l’origine des
condylomes ano-génitaux. La recommandation
actuelle est de vacciner à l’âge de 14 ans, ou entre
15 et 26 ans pour les filles qui n’auraient pas eu de
rapports sexuels et au plus tard dans la première
année suivant les premiers rapports. En dépit de
ces recommandations la couverture vaccinale reste
insuffisante : en 2008, seules 37 % des jeunes filles
éligibles étaient vaccinées aux États-Unis.
Chez les garçons, une récente publication a montré
que le vaccin quadrivalent prévient aussi 90 % des
condylomes ano-génitaux (12).
Traitement curatif
Figure 2. Condylomes avec dysplasie de haut grade.
ou de lugol couplée à la colposcopie anale (ou
anuscopie haute résolution) permet de cibler les
prélèvements, mais cette méthode n’est que peu
diffusée en France. Certains proposent la réalisation
d’une cytologie anale par analogie au dépistage du
cancer du col utérin.
Chez les femmes, la réalisation d’un examen gynécologique avec frottis cervico-vaginal doit être systématique. Il a deux buts distincts : celui de rechercher
des lésions condylomateuses synchrones du tractus
génital d’une part, et celui d’analyser le degré de
dysplasie au niveau du col utérin, d’autre part. En
raison du nombre important de faux négatifs des
frottis cervico-vaginaux chez la patiente VIH+ et du
risque accru de dysplasie du col dans cette population, certains auteurs conseillent la pratique systématique d’une colposcopie.
Traitement préventif
L’incidence élevée des lésions dysplasiques et cancéreuses du col utérin a été initialement le principal
moteur des recherches sur la vaccination HPV.
Idéalement, le traitement des condylomes devrait
éradiquer l’infection virale, en supprimer les symptômes, en prévenir les conséquences à long terme
et enrayer la transmission du virus. Malheureusement, les traitements actuels n’ont pas d’action sur
la guérison de l’infection virale elle-même, leur seul
but étant la disparition des lésions macroscopiques.
Traitement physique
Le traitement habituel des condylomatoses exo- et
endocanalaires reste le plus souvent un traitement
physique. L’électrocoagulation au bistouri électrique est largement utilisée. Selon l’importance
des lésions, elle peut être réalisée en consultation
sous anesthésie locale ou nécessiter une anesthésie
générale ou locorégionale. L’efficacité de ce traitement était évaluée dans des séries anciennes entre
61 et 94 % (9) avec des taux de récidive variant
beaucoup dans la littérature (de 9 à 66 %) [13, 14].
Deux essais randomisés ont montré une meilleure
efficacité de ce type de traitement à court terme par
comparaison avec l’application locale d’azote liquide
ou avec la cryothérapie (15, 16). Ce dernier traitement, qui consiste à appliquer de l’azote liquide à
– 196° au niveau des lésions, ne nécessite pas d’anesthésie, mais il est difficilement utilisable en pratique
lorsqu’il existe de nombreuses lésions canalaires.
La vaporisation laser (CO2 ou YAG) n’est pas plus
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efficace que l’électrocoagulation (17-19) : les taux
de récidives varient entre 60 à 77 % (9). Il s’agit, en
revanche, d’une technique plus coûteuse. Elle peut
enfin imposer de travailler avec des systèmes d’aspiration équipés de filtres ou, au mieux, de travailler
sous hotte aspirante afin de limiter d’éventuelles
contaminations de l’opérateur par des particules
virales en suspension dans les fumées émises.
Quelle que soit la technique physique employée,
les douleurs anales peuvent être importantes en
postopératoire lorsque les lésions à traiter sont
extensives et endocanalaires.
Traitement chimique
L’imiquimod est un immunomodulateur utilisé en
application topique modulant l’activité des macrophages et des cellules dendritiques et augmentant la
production locale d’interféron et de cytokines proinflammatoires. La réponse clinique à l’imiquimod
Figure 3. Dermite caustique liée à l’application d’imiquimod.
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s’accompagne d’une diminution quantitative des
ADN de HPV et des ARN messagers codant pour
les protéines virales. En application locale trihebdomadaire de crème à 5 % pendant 16 semaines,
ce produit a une efficacité estimée à 50 % dans une
méta-analyse avec des récidives dans 20 % des cas
(20). La tolérance locale est médiocre chez 20 % des
malades avec l’apparition d’un érythème modéré à
sévère avec sensations de brûlures, voire d’érosions,
conduisant à espacer les applications (figure 3).
Actuellement commercialisé en France sous forme
de crème, ce produit n’a pas d’AMM pour les lésions
muqueuses mais certains ont testé des suppositoires
contenant ce produit, voire la crème elle-même, pour
diminuer les récidives des condylomes après excision chirurgicale : de bons résultats et une tolérance
correcte ont ainsi été obtenus. L’application d’imiquimod après traitement physique initial pourrait
réduire les récidives (21).
La podophylline est un agent cytotoxique extrait,
détruisant les cellules au contact après application. La podophyllotoxine en est la forme purifiée.
Comparativement à l’excision aux ciseaux, ce traitement était moins efficace dans 2 essais randomisés (22, 23). Les effets indésirables locaux pouvant
être sévères (ulcérations douloureuses), ce produit
est inutilisable au niveau du canal anal. Une étude
récente a néanmoins montré que l’efficacité et la
tolérance de ce traitement étaient comparables à
celles de l’imiquimod (24).
L’acide trichloracétique en solution (60 à 90 %) est
un agent caustique proposé pour le traitement des
condylomes ano-génitaux. Une efficacité variant de
70 à 81 % après 6 applications et un taux de récidive
de 36 % sont rapportés dans la littérature (9).
L’interféron (α ou β) a été proposé pour traiter les
condylomes soit par voie générale soit par injection
intralésionnelle. La première voie d’administration
pose le problème de la tolérance générale, avec la
survenue d’un syndrome pseudo-grippal, alors que
la voie locale peut entraîner des douleurs au point
d’injection. Ce type de traitement est en fait très
peu utilisé.
Le cidofovir est un agent antiviral inhibant les polymérases de l’ADN viral. Bien qu’il soit non spécifique du HPV, un essai randomisé contre placebo
suggère son efficacité en application topique (49 %
de réponses dans le groupe traité versus 0 % pour
le groupe placebo) [25].
La vaccination thérapeutique contre les virus HPV ne
fait pour l’instant que l’objet de recherches cliniques,
et notamment dans le champ du traitement des
lésions dysplasiques viro-induites.
PROCTOLOGIE
Surveillance
Globalement, le taux de récidive quelle que soit
la technique utilisée, est important et varie de
30 à 70 %. Il est influencé par le statut immunitaire du malade. Une surveillance clinique
(examen proctologique) est donc nécessaire : le
rythme idéal des consultations n’est cependant
pas défini dans la littérature. Il paraît licite de
proposer des examens proctologiques initialement répétés mensuellement, puis avec une
fréquence adaptée à l’importance des récidives
pendant environ 1 an. Le but de ces contrôles est
de dépister une récidive des condylomes à un
stade précoce, accessible à un traitement sous
anesthésie locale en consultation. Le ou les partenaires sexuels doivent être dépistés et traités. Le
patient doit être averti qu’il est potentiellement
contagieux même en l’absence de lésion visible
tant que plusieurs contrôles négatifs n’ont pas
été réalisés. Il faut également l’informer que le
préservatif ne protège qu’à 70 % de cette infection,
le virus étant très résistant dans la nature et la
contamination pouvant être indirecte.
Le dépistage des lésions dysplasiques dans la population à risque est également un des objectifs du suivi
des malades. Ses modalités ne sont pas définies : il
est parfois proposé un examen proctologique et/ou
un frottis anal annuel pour certains, complété par
un examen au colposcope (anuscopie haute résolution). Ce dépistage doit être poursuivi même si
les condylomes sont éradiqués sur le plan clinique.
Conclusion
En attendant une éventuelle modification de l’épidémiologie de l’infection à HPV secondaire à l’introduction de la vaccination (dont les modalités
d’application sont d’ailleurs susceptibles d’évoluer :
vaccination des garçons ?), le traitement des condylomes utilise encore souvent des méthodes physiques,
aidées cependant par l’application d’imiquimod, qui
permet de limiter les récidives en plus de son action
immunomodulatrice. La surveillance des patients
est importante, en particulier chez le malade infecté
par le VIH, compte tenu du risque de survenue d’une
dysplasie, voire d’un cancer anal.
■
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