D m é t h o d o l o g...

publicité
m é t h o d o l o g i e
Théorie et pratique
des essais thérapeutiques
en onco-hématologie
Épisode 4
Theory and practice of clinical trials - Episode 4
N. Mounier*
D
epuis les années 1990, les essais thérapeutiques en onco-hématologie ne sont
plus uniquement centrés sur le contrôle de
la maladie, mais ont progressivement intégré un
concept plus large de la santé incluant la qualité
de vie. Lors du troisième épisode de cette chronique (Correspondances en Onco-hématologie,
Vol. II, n° 3, p. 118-22), nous avons détaillé les
différentes méthodes permettant d’estimer une
courbe de survie. Nous abordons ici la façon de
pondérer la survie par la qualité de vie.
MESURE DE LA “QUANTITÉ DE BIEN-ÊTRE”
* Département d’onco-hématologie,
hôpital de l’Archet, Nice.
170
L’étude de la qualité de vie (QDV) fait l’objet
de multiples travaux de recherche clinique. En
cancérologie, les essais thérapeutiques visent
plus particulièrement à déterminer si le bénéfice
obtenu en termes de survie justifie un traitement
invalidant. Le problème présente deux aspects :
définition du critère de jugement et mise au point
des méthodes adaptées à son analyse.
Des questionnaires individuels permettent de
recueillir les données grâce à des items balayant
les différentes dimensions de la santé. Une combinaison de questions générales et spécifiques de la
pathologie étudiée est ainsi utilisée pour obtenir
une mesure indirecte de la QDV. Les autoquestionnaires sont préférés aux évaluations extérieures
car ils permettent d’estimer la définition propre,
donnée par le patient lui-même, de la QDV. Ils rendent ainsi compte du fait que deux patients ayant
le même état pathologique n’ont pas forcément
la même perception de leur état de santé et des
limites qu’impose leur maladie. Actuellement,
en cancérologie, cinq questionnaires traduits en
français sont disponibles, dont quatre autoques-
tionnaires (Quality of Life Questionnaire-Core 30
[QLQ-C30], Functional Living Index-Cancer [FLIC],
Functional Assessment of Cancer Therapy General
[FACT-G] et Mc Gill). Les méthodes plus modernes
centrées sur la mesure des capacités cognitives
et réactionnelles par tests assistés par ordinateur
fournissent une alternative intéressante mais non
encore validée.
PONDÉRATION DE LA SURVIE PAR LA QDV
Une méthode intuitive de combinaison des données de QDV et de survie consiste à pondérer
différemment les périodes de vie avec bonne
QDV et celles avec QDV dégradée. Cela revient à
réaliser un ajustement de la durée de vie par un
score de QDV en développant un nouveau critère
de jugement : le Q-TWiST (Time Without Symptom
and Toxicity). Cette méthode permet de pondérer la survie en tenant compte de la longueur de
temps vécu sans symptômes de rechute et sans
toxicité liée au traitement (figure).
Le principe consiste à décomposer la survie en
trois phases :
• une phase thérapeutique durant laquelle les
effets indésirables du traitement sont présents
(notée TOX) ;
• une phase libre de tout symptôme et de toute
toxicité (notée TWiST) ;
• une phase de rechute avec une maladie symptomatique (notée REL).
Des coefficients permettent de pondérer la durée
de vie par la QDV : les coefficients d’utilité μtox et
μrel représentent respectivement les estimations
de la QDV pour les phases TOX et REL. Ils peuvent
être fixés arbitrairement ou après agrégation des
données individuelles de QDV. Ils sont compris
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007
Théorie et pratique des essais thérapeutiques en onco-hématologie
à un état de parfaite santé ; il peut s’agir par exemple d’un état de rémission après un cancer.
4VSWJF
-
3&-
04
%'4
58J45
509
"OOnFT
Figure. Exemple de survie partitionnée pour la méthode Q-TWiST.
REL, TOX, TWiST sont calculés par les différences d’aires sous la courbe de survie globale
(OS), de survie sans maladie (DFS) et de durée de la période de toxicité.
La limite d’intégration (L) est fixée au suivi médian.
entre 0 et 1 : 1 représente une QDV égale à celle de
la phase TWiST et 0 une dégradation extrême.
Q-TWiST est alors défini par la fonction de qualité :
Q-TWiST = μtox. TOX + TWiST + μrel. REL.
Toutes les combinaisons de coefficients sont
possibles, avec deux cas particuliers :
• tous les coefficients sont à 1 : Q-TWiST est
l’estimation de la survie globale ;
• μrel = 0 et μtox = 1 : Q-TWiST est l’estimation de
la survie sans maladie (DFS).
Il s’agit essentiellement d’études rétrospectives
avec réanalyse, en termes de survie ajustée sur la
QDV, de données issues d’essais thérapeutiques
classiques. La méthode Q-TWiST standard est bien
adaptée aux études rétrospectives, car elle permet de traiter facilement les jeux de données pour
lesquels les coefficients n’ont pas été observés
mais sont issus d’avis d’experts.
EXTENSION DE LA MÉTHODE Q-TWiST
Par extension, la méthode Q-TWiST renvoie à
toute méthode d’analyse de survie ajustée par
la QDV fondée sur la partition du temps de survie
en plusieurs états de santé distincts. Lorsque
des données de QDV sont recueillies au cours du
temps, l’état TWiST ne correspond pas réellement
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007
✔ Approche par interview
La notion d’utilité employée en économie de la
santé est parfois mal comprise, car elle correspond pour les économistes à un concept précis
et non à un terme général.
Une fois définis les différents états de santé plus
ou moins détériorés du fait d’une pathologie, le
problème qui se pose est d’obtenir une classification de ces états selon un ordre de préférence
subjectif. Les économistes ont établi un modèle
permettant de rendre compte des préférences
des agents entre différents biens, en définissant
une fonction d’utilité (U) qui exprime de façon
numérique l’ordre des préférences entre les biens
A et B de la façon suivante : “A est préféré à B”
est équivalent à “L’utilité de A est supérieure à
l’utilité de B.”
Différentes hypothèses complémentaires doivent
être posées pour rendre compte des conditions de
rationalité d’une telle formalisation. Ce sont sur
ces critères que les problèmes méthodologiques
se manifestent particulièrement. Par ailleurs, différentes méthodes empiriques d’interrogations
ont été conçues afin d’estimer en pratique ces
valeurs d’utilité.
Par exemple, il est demandé au sujet de choisir
entre deux situations :
A. Vivre en parfaite santé pendant une durée
donnée (par exemple pendant 5 ans) ;
B. Vivre dans un état de santé dégradé pendant
un temps variable (t).
L’interrogation du sujet a pour objectif de déterminer la valeur de la durée t pour laquelle le sujet
sera indifférent entre les situations A et B. La
valeur de t sera à nouveau une estimation de
l’utilité associée à l’état de santé B sur une échelle
allant de 0 (décès) à 1 (parfaite santé) ; par exemple : t = 8 utilité = 5/8 = 0,625.
✔ Approches fondées sur les questionnaires
Une solution adaptée à la médecine est d’estimer
les coefficients en utilisant des outils qui mesurent l’importance des domaines de QDV affectés
par la maladie et son traitement.
L’approche idiographique cherche à capturer
les différences intra-individuelles en termes de
pondération de chacun des domaines de QDV. Le
patient doit déterminer combien les difficultés
rencontrées, dans chaque domaine, limitent sa vie
de tous les jours en répondant à trois questions :
combien de fois pense-t-il à ce domaine de QDV,
171
m é t h o d o l o g i e
combien de fois ce domaine l’empêche-t-il de réaliser les activités qu’il apprécie, combien de fois ce
domaine limite-t-il les activités de tous les jours ?
Les valeurs de réponse vont de 1 (tout le temps)
à 4 (jamais). Puis les trois items sont combinés
(moyenne arithmétique) afin de déterminer le
score idiographique pour chaque domaine.
L’approche utilisant une échelle de Likert estime
également l’importance de chaque domaine de
QDV pour le patient. Les réponses vont de 0 (pas
important du tout) à 100 (extrêmement important).
L’approche idiographique montre une bonne
sensibilité au changement, bien que fortement
corrélée à la QDV. L’échelle de Likert a une bonne
validité de contenu mais montre une moins bonne
fiabilité que l’approche idiographique.
Dans les deux cas, les coefficients d’utilité sont
réduits afin de varier entre 0 et 1 et d’être utilisables pour l’analyse Q-TWiST. Le coefficient
individuel global est obtenu par la moyenne
arithmétique, soit par exemple 3 scores pour
3 domaines respectifs D1, D2 et D3, de coefficient
d’utilité μD1, μD2 et μD3 : μ-global = (μD1 x scoreD1 +
μD2 x scoreD2 + μD3 x scoreD3) / 3.
172
CONCLUSION
La méthode Q-TWiST permet l’analyse de données
de survie tout en faisant la distinction entre un
patient vivant sans traitement et un autre souffrant d’une maladie symptomatique ou des toxicités du traitement.
Le problème plus général est celui de la clarté
d’exposition des résultats. Plutôt que de combiner directement la survie et la QDV, il est parfois
plus clair de présenter les résultats thérapeutiques en termes de survie et de QDV pour les
survivants. L’avantage de la méthode Q-TWiST
reste de pouvoir réaliser facilement toutes ces
présentations, car l’ensemble des données est
disponible. On verra, dans les prochains chapitres,
que les analyses de survie avec modèles multiétats permettent une analyse complémentaire
et, surtout, de meilleures possibilités de tests
statistiques.
■
POUR
EN SAVOIR PLUS
• Mesbah M, Cole B, Mei-Ling TL (eds). Statistical methods
for quality of life studies design, measurements and analysis. Springer; 2002.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007
Téléchargement