Médecine
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Un enfant est pauvre quand il vit
parmi des personnes pauvres.
Selon le Conseil de l’Europe, les
personnes sont en situation de pauvreté
si leurs ressources financières et leur si-
tuation matérielle, culturelle et sociale
sont à ce point insuffisantes qu’elles les
empêchent d’avoir des conditions de vie
considérées comme acceptables dans le
pays où elles résident.
Bien que la pauvreté soit reconnue com-
me ayant de multiples dimensions, sa
prévalence est pratiquement toujours
définie par rapport à un facteur moné-
taire : l’index de pauvreté relative qui
prend en compte trois paramètres :
le revenu médian (RM) de la popula-
tion du pays considéré, soit 1483 en
France en 2007 (derniers chiffres offi-
ciels connus) [1] ;
le seuil de pauvreté : 60 % du RM,
soit 890 par mois pour une personne ;
la charge financière familiale calcu-
lée à partir de l’échelle d’équivalence de
l’OCDE, qui attribue des unités de
consommation (UC) à chaque membre
de la famille : 1 UC pour le premier
adulte, 0,5 UC pour les autres per-
sonnes âgées de plus de quatorze ans et
0,3 UC pour les enfants de moins de
quatorze ans. Sur cette base, on consi-
dère qu’un couple avec un enfant de
moins de quatorze ans est pauvre si ses
revenus mensuels sont inférieurs à
1602 . Le seuil est de 1869 pour un
couple avec deux enfants de moins de
quatorze ans et de 2225 pour un
couple avec deux enfants plus âgés.
En 2007, la France comptait 8240000
personnes pauvres (13,3 % de la popu-
lation), parmi lesquelles 2200000 en-
fants de moins de dix-huit ans (16,7 %
de la population infantile) et 200000 à
250000 enfants de zéro à trois ans. Il
existe une grande disparité des situa-
tions suivant les régions et les villes.
Dans les zones urbaines sensibles, 44 %
de la population infantile est en situa-
tion de précarité.
Cette estimation de la prévalence de la
pauvreté sur le seuil monétaire relatif est
très discutée, parce qu’elle méconnaît
deux données essentielles que sont la tra-
jectoire et la profondeur de la pauvreté.
En 2007, en France, 350000 à 400000
enfants vivaient dans une famille pauvre
depuis plus de trois ans. En 2004, envi-
ron un million d’enfants vivaient dans
des familles en situation de faible profon-
deur de pauvreté (entre 50 % et 60 % du
RM), entre 700000 et 800000 dans des
familles dites véritablement pauvres
(entre 40 % et 50 % du RM) et entre
300000 et 350000 dans des familles très
pauvres (< 40 % du RM) [2].
L’absence de prise en compte du carac-
tère multidimensionnel de la pauvreté
est la deuxième critique faite au seuil
monétaire. Avec l’index de précarité de
l’Inserm, calculé à partir de vingt-sept
indicateurs de ses différentes dimen-
sions, la prévalence de la pauvreté dans
la population générale française a été
estimée à 11,2 % en 2007, soit un
chiffre peu éloigné du précédent. Diffi-
cile à mettre en œuvre, cet index est as-
sez peu utilisé en pratique.
L’ALIMENTATION
DES ENFANTS PAUVRES
La situation alimentaire des enfants
pauvres en France est très peu docu-
mentée, contrairement à celle des
adultes pauvres, qui a fait l’objet de plu-
sieurs rapports importants et de qualité.
DE LA NAISSANCE À TROIS ANS
Les femmes pauvres allaiteraient peu et
moins longtemps. Chez l’enfant pauvre,
les laits infantiles seraient moins utilisés
et la diversification alimentaire plus
précoce et de moins bonne qualité. A
l’heure actuelle, aucune étude ne per-
met d’étayer ces assertions. On observe
en fait de grandes différences en fonc-
tion des origines ethniques et de la si-
tuation sociologique des familles. Les
données remontant du terrain montrent
que les parents en situation de précarité
font au mieux pour protéger leurs en-
Les données sur la précarité et son impact sur la santé de l’en-
fant sont rares. Cette méconnaissance de la situation des en-
fants pauvres concerne particulièrement l’alimentation et les
conséquences cliniques de l’insécurité alimentaire. Aucune en-
quête spécifique d’envergure sur ce thème n’a encore été me-
née en France, où la prévalence de la pauvreté infantile inter-
pelle pourtant par l’importance sociale du problème.
Alimentation et statut nutritionnel
de l’enfant précaire en France
D’après les communications de J. Ghisolfi, université Paul-Sabatier, Toulouse, et D. Turck, département de pédiatrie, hôpital Jeanne-de-Flandre
et faculté de médecine, université de Lille 2, au Congrès des Sociétés de pédiatrie, Paris, 16-19 juin 2010
Rédaction : C. Faber
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fants de l’insécurité alimentaire, sou-
vent avec succès jusqu’à l’âge de dix-
huit à vingt-quatre mois, voire au-delà.
Ces enfants bénéficient d’apports nutri-
tionnels globalement satisfaisants [3].
L’incertitude règne aussi quant à la si-
tuation nutritionnelle réelle des enfants
en situation de pauvreté. En 2009, des
organisations caritatives et humani-
taires ont affirmé que des enfants
pauvres souffraient de faim et de mal-
nutrition sévère en France. Mais si des
cas de malnutrition protéino-calorique
liés à la situation de précarité existent,
ils sont vraisemblablement peu nom-
breux, ce qui témoigne probablement
de la qualité des actions des organismes
sociaux et humanitaires. Quoi qu’il en
soit, la faim et la malnutrition chez l’en-
fant sont moins un problème monétaire
que social et éducationnel. Un seul fait
est prouvé : la carence vraie en fer est
plus fréquente chez l’enfant pauvre [4,
5]. Pour corriger d’éventuelles insuffi-
sances nutritionnelles chez les nourris-
sons et les enfants en bas âge, il suffirait
de leur donner des préparations de sui-
te et des laits de croissance.
DE TROIS ANS À DIX-HUIT ANS
Jusqu’à ces dernières années, on consi-
dérait que les enfants pauvres de cette
tranche d’âge n’avaient pas accès à une
alimentation équilibrée, qu’ils ne man-
geaient pas suffisamment de fruits et de
légumes frais, de poisson et de viande,
et trop de graisses, de protéines, de
sucres et de sodium. Avec comme con -
séquence des carences en fer, en fibres,
en magnésium, en zinc, en vitamines…
Des assertions là encore mises à mal par
trois enquêtes familiales importantes :
Insee 2000-2001 (10288 familles), Se-
codip 2000 (5129 familles) et CCAF-
Credoc 2004 (1042 familles).
Ces études donnent une autre vue de
l’alimentation des enfants de plus de
trois ans vivant au sein de familles pré-
caires. Certes, les familles défavorisées
(< 60 % du RM) achètent moins de pro-
duits céréaliers, de viande, de poisson,
d’œufs, de lait et de produits laitiers,
mais l’alimentation de leurs enfants n’en
est pas moins bien équilibrée pour au-
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tant, au contraire. D’après ces enquêtes
en effet, de façon surprenante, la qualité
nutritionnelle de l’alimentation des fa-
milles défavorisées est meilleure que
celle des populations favorisées.
Ces données sont confirmées notam-
ment par l’enquête Inca (Enquête indi-
viduelle et nationale sur les consomma-
tions alimentaires), qui montre que les
enfants de familles pauvres ont les ap-
ports nutritionnels qui se rapprochent
le plus des recommandations du PNNS
et une alimentation de meilleure quali-
té nutritionnelle que les enfants des mé-
nages favorisés.
Plus que le niveau de revenu, c’est donc
le niveau éducationnel qui conditionne
la qualité de l’alimentation des enfants.
Cependant, les études actuelles concer-
nent uniquement des enfants nés dans
des familles à faible revenu recevant
des aides de la Caisse d’allocations fa-
miliales. Elles ne sont donc pas repré-
sentatives de la situation des enfants en
situation de grande précarité, qui reste
largement méconnue.
CONSÉQUENCES
CLINIQUES
DE L’INSÉCURITÉ
ALIMENTAIRE
La sécurité alimentaire est un concept
développé dans les années 70 répon-
dant à une définition simple : l’accès à
tout moment, pour chaque individu, à
une nourriture quantitativement et qua-
litativement suffisante pour une vie sai-
ne et active. Alors que la disponibilité
alimentaire est plutôt une caractéris-
tique des pays dits en développement,
dans les pays industrialisés, les enfants
sont concernés surtout par les difficul-
tés de pouvoir d’achat.
Dans le Baromètre santé nutrition 2008
de l’Inpes, 2,5 % des Français âgés de
vingt-cinq à soixante-quinze ans décla-
rent ne pas avoir assez à manger sou-
vent ou parfois, et 39,7 % disent avoir
assez à manger, mais pas toujours les
aliments qu’ils souhaiteraient [6]. Aux
Etats-Unis, selon le Wall Street Journal
(février 2009), les achats alimentaires
des ménages ont chuté de 3,7 % entre le
troisième et le quatrième trimestre
2008. Ces chiffres témoignent de la dif-
ficile situation économique actuelle,
dont on peut imaginer qu’elle a des
conséquences sur les populations les
plus fragiles.
UN RETENTISSEMENT
SUR LA CROISSANCE ?
Une étude menée sur une cohorte d’en-
fants québécois suivis de la naissance
jusqu’à l’âge de trois ans et demi n’a pas
trouvé de relation significative entre la
pauvreté et le retard de croissance statu-
ral [7]. Une autre analyse des données de
la même cohorte donne des résultats en
faveur d’une influence de la durée de la
pauvreté sur la croissance des enfants :
la probabilité de retard de croissance à
l’âge de quatre ans est plus élevée chez
les enfants vivant dans des familles
ayant connu deux épisodes de pauvreté
(OR : 3,43) que chez ceux élevés dans
des familles qui n’en ont jamais eu [8].
Les auteurs de ces deux études
concluent que les facteurs nutritionnels
ne sont probablement pas les seuls en
cause. D’autres facteurs doivent être pris
en compte, comme les conditions de vie
insalubres, éventuellement les maladies
infectieuses plus fréquentes et le stress
associé aux conditions psychosociales
(le « nanisme psychosocial » est bien
connu des pédiatres).
Une équipe américaine a constaté l’exis-
tence d’une différence significative en
termes d’hypotrophie pondérale entre
les enfants pauvres de moins de trois
ans selon qu’ils vivent dans des familles
bénéficiant ou non d’une aide alimen-
taire [9]. Mais elle précise que, du fait de
sa méthodologie, cette étude ne permet
pas d’établir un lien de cause à effet
entre les bénéfices des programmes
d’assistance, le statut nutritionnel et la
santé des enfants.
D’après les enquêtes Inca 1 et 2, la pré-
valence du surpoids et de l’obésité in-
fantiles est restée stable depuis 1998, y
compris chez les enfants des familles à
faible revenu. En revanche, il existe un
décalage important entre les familles
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les plus et les moins favorisées. Une as-
sociation significative entre le statut
socio économique et le surpoids et
l’obésité a été observée dans la premiè-
re de ces enquêtes ainsi dans des
études réalisées par la Drees chez des
enfants scolarisés en CM2, dans le
Centre de bilans de santé de l’enfant de
Paris et dans l’enquête Obépi [5, 10-12].
Ces résultats doivent être interprétés
avec une extrême prudence, en évitant
de faire un amalgame entre faible reve-
nu familial et prévalence de l’obésité
infantile. Il faut néanmoins souligner
qu’en France le budget alimentaire des
personnes pauvres et des bénéficiaires
de l’aide alimentaire est insuffisant
pour respecter les recommandations
nutritionnelles [13].
CARIES DENTAIRES
ET CARENCES EN FER
L’expérience du centre parisien de bilans
de santé de l’enfant montre que la préva-
lence des caries dentaires et des carences
en fer à l’âge de quatre ans est plus éle-
vée chez les enfants précaires que chez
les enfants à risque de précarité et les
non précaires [5]. L’étude de la Drees sou-
ligne aussi l’existence d’inégalités en
termes de santé buccodentaire (caries et
accès aux appareils dentaires) entre les
enfants d’ouvriers et de cadres [11].
L’ÉTAT DE SANTÉ GLOBAL
Les enfants américains de familles
pauvres souffrent davantage de troubles
digestifs, de douleurs épigastriques, de
céphalées et de rhume [4]. Au Québec,
on retrouve une augmentation de la fré-
quence de l’asthme et un indice global
de santé moins bon chez les enfants en
situation de pauvreté chronique [6]. En
revanche, il n’y a pas de risque accru lié
à la pauvreté intermittente. La pauvreté
de l’enfant semble avoir des consé-
quences délétères sur la santé à l’âge
adulte en termes d’IMC uniquement si
elle survient pendant la grossesse et la
première année de vie [14].
DÉVELOPPEMENT COGNITIF
ET PSYCHOSOCIAL
Aux Etats-Unis, les enfants de six-onze
ans en insécurité alimentaire ont de
moins bons résultats scolaires en arith-
métique que les autres élèves, redou-
blent plus fréquemment, voient plus
souvent un psychologue et ont plus sou-
vent des difficultés relationnelles avec
d’autres enfants [15]. Ces deux dernières
observations sont également faites chez
les adolescents de douze-seize ans, qui
en outre sont plus souvent exclus de
l’école. La littérature ne comporte pas
d’autres publications sur le comporte-
ment social de ces enfants.
CONCLUSION
A l’instar de ce qui a été fait pour l’adul-
te, des enquêtes nationales, voire euro-
péennes, sur le thème de la précarité et
de la santé de l’enfant doivent être réa-
lisées. Une bonne connaissance de la si-
tuation alimentaire et nutritionnelle des
enfants pauvres est indispensable pour
adapter les programmes d’intervention.
En attendant de disposer de données
spécifiques, on ne peut qu’adhérer aux
propos de l’économiste française Esther
Duflo (Massachusetts Institute of Tech-
nology, Boston) : « Plutôt que de réflé-
chir de manière abstraite à la réduction
de la pauvreté, plutôt que de dévelop-
per sans cesse des programmes d’aides
diverses, sans liens, commençons donc
par évaluer concrètement la situation
de ces personnes pauvres et l’efficacité
des programmes mis en œuvre ».
Références
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[15] ALAIMO K., OLSON C.M., FRONGILLO E.A. : « Food insuffi-
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