10 ANS INTERVIEW Syndrome d’apnées du sommeil Dr Marc Sapène - Polyclinique Bordeaux-Cauderan Le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) – responsable d’une somnolence diurne et d’hypoxies intermittentes nocturnes – est aujourd’hui considéré comme un facteur de risque cardio-vasculaire à part entière et concerne 5 à 7 % de la population française. Ces dernières années, le dépistage de cette maladie auparavant considérée comme marginale a considérablement évolué grâce au développement des enregistrements polysomnographiques et à la forte implication des pneumologues libéraux et hospitaliers. Le traitement par pression positive continue (PPC), remarquablement efficace, a constitué une véritable révolution thérapeutique dans un domaine où la chirurgie donnait des résultats insuffisants. Le Rapport Sommeil 2006 comporte de nombreuses propositions concernant l’optimisation du dépistage, de la formation et de l’éducation thérapeutique des patients qui devraient encore améliorer la prise en charge du SAS dans les prochaines années. Ce qu’il faut retenir de ces 10 dernières années Un syndrome d’apnées du sommeil qui concerne 5 à 7 % de la population ➤➤ Depuis la première description de cette pathologie par Guilleminault puis, en 1982, les premiers traitements par pression positive (Sullivan), nous avons assisté à la montée en puissance du diagnostic d’une maladie auparavant considérée comme rare et marginale, mais qui concerne un nombre important de patients en France. Le rapport sur le thème du sommeil remis à Xavier Bertrand en décembre 2006 estime la prévalence à 5 à 7 % de la population générale, 8 patients sur 10 n’étant pas pris en charge (1). Environ 230 000 patients (sur 2 millions de sujets potentiellement atteints) sont actuellement sous traitement par PPC, ce retard à la prise en charge s’expliquant par le développement très progressif du SAS et par le fait que, au départ, le patient ne se plaint que de somnolence et d’une sensation de fatigue. Le SAS (dont la principale conséquence est la fragmentation du sommeil responsable d’une somnolence diurne et d’épisodes d’hypoxie intermittente nocturne) est une cause fréquente d’accidents de la circulation liés à la somnolence et est reconnu comme un facteur prédictif indépendant de mortalité cardio-vasculaire (deux études ont également montré une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral [AVC] chez 226 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 les porteurs de SAS). Le SAS est à l’heure actuelle considéré comme le troisième facteur de risque cardiovasculaire après le tabac et le diabète, mais devant l’hypertension artérielle et les dyslipidémies. ➤➤ La grande nouveauté de ces dix dernières années est aussi que les pneumologues ont appris à dépister et à prendre en charge cette pathologie et qu'ils sont devenus, en ce qui la concerne, les principaux interlocuteurs des médecins généralistes et des médias. On estime que 80 % de l’activité des centres spécialisés est représentée par les troubles respiratoires du sommeil. L’amélioration de la connaissance de la maladie en médecine générale a permis de développer le dépistage et la prise en charge thérapeutique, et ce d’autant plus que l’efficacité des traitements proposés (PPC) est en règle générale exceptionnelle, avec une observance à 6 ans de l’ordre de 70 % (1). On peut citer à ce sujet l’Observatoire Sommeil créé à Bordeaux en pneumologie libérale, puis étendu aux pneumologues hospitaliers, et qui est devenu l’Observatoire Sommeil de la Fédération française de pneumologie (OSFP). Il s’agit d’un outil de travail remarquable (8 000 patients suivis), de formation interactif pour les professionnels de santé impliqués, avec validation de leur évaluation des pratiques professionnelles (EPP) [2]. Un dépistage plus accessible et un traitement médical remarquablement efficace ➤➤ Des progrès ont également été réalisés en termes de technique du dispositif de dépistage : l’examen de référence est l’enregistrement polysomnographique, qui était au départ exclusivement réalisé en laboratoire hospitalier puis, avec le développement de l’informatique et la miniaturisation des appareils, il est devenu plus facilement réalisable en médecine de ville par les pneumologues. Les enregistrements polygraphiques de la ventilation peuvent suffire dans les formes évidentes de SAS, mais ils sont insuffisants pour les patients somnolents atteints d’autres pathologies du sommeil. ➤➤ Enfin, la thérapeutique a considérablement évolué ces dix dernières années : largement représentée par la chirurgie (résection de la luette, laser) dans les années 1985-1995, la véritable révolution de la période 19952005 est la mise en évidence de l’efficacité des traitements en PPC. Les résultats de nombreuses études scientifiques, ainsi que l’efficacité constatée par les médecins eux-mêmes en pratique médicale courante, ont été suivis par des Recommandations officielles (ANAES, HAS, SPLF) visant à une harmonisation de la prise en charge et à une meilleure indication des actes chirurgicaux. Fait suffisamment rare pour être signalé s’agissant d’une nouvelle maladie, la réglementation de la Sécurité sociale s’est assez rapidement adaptée, avec une prise en charge obtenue pour les patients avec un index d’apnée inférieur à 30, mais ayant une fragmentation du sommeil (index de micro-éveils respiratoires). Ce que l’on peut attendre des 10 années à venir Développer les compétences, améliorer le dépistage et l’offre de soins ➤➤ Toutes les actions visant à optimiser la collaboration entre généralistes et spécialistes doivent être encouragées. Aujourd’hui, il faut certainement aller vers les cardiologues et les diabétologues, car le SAS est un facteur de risque cardiovasculaire à part entière, qui doit être systématiquement recherché chez les hypertendus ou en cas de pathologie cardiovasculaire ou métabolique (syndrome métabolique). L’amélioration du dépistage auprès des généralistes suppose la mise en œuvre de questionnaires bien validés, comme par exemple l’EPWORTH, équivalent du test de Fagerström pour le tabac, qui est très discriminant et permet d’aboutir à un index de somnolence. La pathologie du sommeil nécessitant des explorations par une personne ayant une formation spécifique, les formations actuelles (ateliers d’Arcachon ou autres) seront validantes dans des conditions qui sont à définir. On peut également imaginer un réseau français de pneumo-somnologues, avec un annuaire qui pourrait se structurer autour de l’OSFP. Tout cela devrait fort logiquement se structurer dans les prochaines années, de même que certains liens qui restent à préciser avec des pathologies ophtalmiques comme le glaucome ou l’association déclin cognitif (maladies d’Alzheimer débutantes) et troubles du sommeil. Des actions de dépistage pourraient être menées auprès des chirurgiens-dentistes, particulièrement bien placés pour apprécier l’utilité d’une orthèse mandibulaire. Cette dernière peut en effet représenter une alternative à la PPC (5 à 6 000 orthèses actuellement pour environ 230 000 patients traités par PPC). ➤➤ Sur le plan thérapeutique, on attend beaucoup des ventilations autopilotées, qui s’adaptent au patient afin de délivrer un niveau de pression suffisant variant en fonction des périodes de la nuit, ce qui a déjà permis de réaliser des titrations à domicile. Les appareillages devraient être de mieux en mieux adaptés à l’avenir et faire appel aux compétences des pneumologues dans le domaine de la ventilation, qu’il s’agisse de la ventilation de type PPC dans l’apnée classique ou de la ventilation de type VNI dans l’insuffisance respiratoire, voire des ventilations spécifiques émergentes dans l’insuffisance cardiaque avec apnées centrales… La collaboration avec les prestataires de service, qui constitue actuellement un modèle de prise en charge, avec un bon maillage du territoire pourrait évoluer vers une véritable prestation de soins – et non plus une simple prestation technique – avec de nouveaux modes de collaboration soignants-prestataires. La prise en charge éducative est appelée à beaucoup se développer dans les années à venir. Le réseau informel centré sur le patient et composé du prestataire, du pneumo-somnologue et du généraliste doit être très impliqué. On peut à ce titre imaginer un véritable rôle de "chef d’orchestre" pour le pneumologue, avec une collaboration étroite avec le cardiologue pour tout ce qui concerne les facteurs associés de risque cardiovasculaire. Il ne faut pas oublier que les SAS sont responsables de 30 % des accidents mortels de la voie publique, mais également que ces patients sont menacés par la fibrillation auriculaire nocturne, les infarctus du myocarde et les AVC. ➤➤ Enfin, une clarification de l’aspect médico-légal (commissions du permis de conduire, en particulier pour le permis poids-lourd) devrait se dégager dans les prochaines années, qui tiendra compte du risque d’effets pervers d’une attitude par trop sanctionnante dans le milieu professionnel. On attend beaucoup de la mise en application du Rapport Sommeil, qui comporte nombre de propositions intéressantes, comme l’organisation de la transversalité et de la complémentarité des compétences grâce à des réseaux régionaux ou inter-régionaux de ressources. ■ La Lettre du Pneumologue • Références bibliographiques 1. Giordanella JP. Rapport sur le thème du sommeil. Ministère de la Santé et des Solidarités. Décembre 2006 [http://www. sante.gouv.fr/htm/actu/giordanella_sommeil/rapport.pdf] 2. Observatoire Sommeil de la Fédération française de pneumologie : http://www.osfp.fr Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 227