Q u e s t i o n - r é p o n s e Statines et muscle : un “couple” à problèmes ■ Questions au Dr P. Laforêt* Q u e s t i o n Quels sont les grands cadres clinico-biologiques des complications musculaires que l’on peut observer sous statines, et quelle est leur fréquence relative ? sur l’envoi de questionnaires montrait l’existence de deux pics d’incidence des myalgies sous traitement : au cours du premier mois (25 % des patients) et après un an (25 % des patients). Les rhabdomyolyses peuvent survenir aussi bien dans les jours suivant l’introduction du traitement que deux ans plus tard. R é p o n s e Q u e s t i o n Les complications les plus fréquentes sont les myalgies et les élévations des taux de créatine phosphokinase (CPK), qui peuvent être vues isolément ou en association. La fréquence des myalgies est difficile à évaluer ; elle varie de 5 à 25% selon les études. Les rhabdomyolyses, qui ont été très largement médiatisées, sont heureusement beaucoup plus rares, et l’incidence des rhabdomyolyses mortelles reste extrêmement faible : moins d’un cas par million de prescriptions (exception faite de la cérivastatine, qui a dû être retirée du marché en 2001 en raison de la survenue d’un nombre anormalement élevé de complications graves, avec 52 cas de rhabdomyolyse mortelle). Y a-t-il des statines connues pour entraîner plus de complications musculaires ? R é p o n s e En dehors du cas particulier de la cérivastatine qui a dû être retirée du marché en raison de la survenue d’un nombre anormalement élevé de rhabdomyolyses mortelles, il ne semble pas y avoir de différence d’incidence des complications musculaires avec les statines commercialisées (pravastatine, simvastatine, fluvastatine, atorvastatine). Q u e s t i o n Q u e s t i o n Ces complications musculaires surviennent-elles rapidement après l’introduction des statines ou après plusieurs mois ou années d’exposition ? Une maladie musculaire déjà connue, même non évolutive, favorise-t-elle ces complications ? Cela représente-il une contre-indication à l’introduction du traitement ? (Faudrait-il faire un dosage de CPK avant toute mise sous traitement ?) R é p o n s e * Praticien hospitalier, centre de référence en pathologie neuromusculaire de l’Est parisien, pavillon Babinski, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Le délai de survenue des complications par rapport à l’instauration du traitement peut être très variable. En ce qui concerne l’apparition des douleurs musculaires, une étude récente fondée Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 R é p o n s e Une maladie musculaire déjà connue ne constitue pas en soi une contre-indication à l’instauration d’un traitement. Néanmoins, 29 Q u e s t i o n - r é p o n s e compte tenu des limites actuelles des connaissances de la physiopathologie de la toxicité musculaire des statines, l’indication d’une mise sous traitement hypolipémiant doit être mûrement réfléchie. La toxicité des statines étant peut-être en partie la conséquence d’un blocage de la synthèse du coenzyme Q10, une surveillance particulière devrait être instaurée en cas de myopathie métabolique et notamment de maladie mitochondriale ou d’anomalie de la bêta-oxydation des acides gras. Bien que cela ne figure pas dans les recommandations de l’Afssaps, un dosage du taux de CPK avant de commencer un traitement est absolument nécessaire afin de permettre de dépister une éventuelle pathologie musculaire préexistante et d’aider à mieux interpréter une élévation des CPK survenant au cours du traitement. Q u e s t i o n Y a-t-il des associations de traitements ou des maladies qui favorisent ces complications musculaires ? R é p o n s e La plupart des statines, à l’exception de la pravastatine, sont métabolisées par l’intermédiaire de l’isoforme 3A4 du cytochrome P450, et la prescription concomitante de médicaments inhibiteurs du cytochrome P34A est susceptible de majorer la toxicité musculaire : il s’agit en particulier de la ciclosporine, de l’érythromycine, des drogues antifongiques azolées, des macrolides, du vérapamil et des antiprotéases. Un risque accru de toxicité musculaire existe également lors de la coprescription de fibrates dont le métabolisme est plus complexe, et particulièrement avec le gemfibrozil, qui interagit avec les statines en inhibant leur glucuronidation. Les autres facteurs susceptibles de majorer la toxicité musculaire des statines sont : l’âge avancé, l’hypothyroïdie, le diabète, l’insuffisance rénale ou hépatique, les périodes périopératoires et la consommation de jus de pamplemousse. 30 Q u e s t i o n N’importe quelle complication, même une simple élévation de CPK à 500 UI asymptomatique sur le plan clinique, doit-elle conduire à l’arrêt des statines ? Est-ce également une contre-indication à la réintroduction ultérieure d’un de ces traitements ? R é p o n s e L’arrêt des statines n’est pas nécessaire lorsque les myalgies restent supportables ou si le taux de CPK est inférieur à 5N. En revanche, si les douleurs deviennent invalidantes ou si le taux de CPK s’élève à plus de 1 000 UI/l au repos, l’arrêt des traitements est inévitable. La réintroduction d’un traitement hypolipémiant reste possible après normalisation des anomalies cliniques ou biologiques. Lorsque les effets indésirables restent limités à des myalgies ou à une élévation du taux de CPK inférieure à 5N, il est possible de choisir entre une autre statine et une autre classe d’hypolipémiants ; mais au décours d’une rhabdomyolyse, la réintroduction d’une statine doit être proscrite. L’intervention d’un endocrinologue spécialiste en métabolisme lipidique est à ce stade hautement souhaitable afin d’apprécier au mieux l’indication du traitement hypolipémiant en fonction des effets indésirables antérieurs et des facteurs de risque cardio-vasculaires du patient. Q u e s t i o n La survenue d’une complication ou une mauvaise tolérance sous statines impliquent-t-elles un plus grand risque sous un autre hypocholestérolémiant comme les fibrates ? R é p o n s e Il est probable que certains patients aient une susceptibilité particulière à la toxicité musculaire des statines, quelle qu’en soit la classe. En effet, dans une étude rétrospective publiée à partir d’une large population de patients suivis dans le service du Pr Turpin (GHPS), les myalgies réapparaissaient chez 63 % des patients après changement de traitement hypolipémiant. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 Q u e s t i o n Q u e s t i o n Combien de temps en moyenne après l’arrêt des statines peut-on encore observer des myalgies ou une élévation des CPK ? Que sait-on actuellement des mécanismes de toxicité des statines sur le muscle ? R é p o n s e R é p o n s e Les taux de CPK se normalisent et les myalgies régressent normalement dans les semaines suivant l’arrêt du traitement. Il n’est donc pas normal que des anomalies cliniques ou biologiques persistent plus de trois mois après l’interruption d’un traitement hypolipémiant ; si tel est le cas, un bilan doit être entrepris, à la recherche d’une étiologie autre que toxique. Q u e s t i o n La découverte d’une élévation isolée des CPK probablement préexistante à la mise sous statines est une situation assez fréquente. Quelles explorations doit-on mener ? À partir de quel taux de CPK ? R é p o n s e La découverte d’une élévation isolée des CPK plus de trois mois après l’arrêt d’un traitement hypolipémiant doit conduire à rechercher une affection musculaire sous-jacente, qui le plus souvent était préexistante. On éliminera tout d’abord les causes les plus fréquentes d’élévation isolée et modérée (< 3N) du taux de CPK : sujet sportif (on demandera un contrôle du taux de CPK après une semaine d’interruption de toute activité sportive), sujets africains et antillais, cas d’hypothyroïdie (qui serait susceptible de rendre compte également de l’hypercholestérolémie). Lorsque les taux de CPK avoisinent 1 000 UI/l, il faut envisager un bilan comportant notamment une échocardiographie et un scanner musculaire, susceptibles de mettre en évidence des anomalies renvoyant vers une dystrophie musculaire. La réalisation d’une biopsie musculaire est, dans ce dernier cas, le plus souvent justifiée, mais celle-ci doit alors être effectuée dans un service spécialisé afin de permettre la réalisation d’études histo-enzymologiques et immunocytochimiques sur des fragments de muscles congelés. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 ✔ Le mécanisme le plus souvent invoqué reste la toxicité mitochondriale en raison de l’inhibition de la formation de mévalonate, précurseur de l’ubiquinone (coenzyme Q10), cofacteur de la chaîne respiratoire mitochondriale. Cependant, très peu de travaux ont comporté une analyse enzymatique de la chaîne respiratoire mitochondriale, dont le dysfonctionnement n’est pas clairement démontré. ✔ Il a récemment été mis en évidence une fréquence anormalement élevée de sujets porteurs d’une mutation à l’état hétérozygote au sein des gènes de la myophosphorylase ou de la carnitinepalmitoyltransférase (CPT) II, parmi des patients ayant présenté des complications musculaires. Ces données suggèrent que l’apparition des complications musculaires chez certains patients pourrait être déclenchée par la présence d’un déficit enzymatique partiel sur l’une des différentes voies du métabolisme musculaire. ✔ La réduction du taux de cholestérol est susceptible d’entraîner une perturbation de la fluidité de la membrane musculaire par le biais d’une diminution du pool de cholestérol libre, pouvant expliquer la survenue de modifications des propriétés électriques ou de phénomènes de nécrose. Des perturbations de la synthèse des glycoprotéines sont également susceptibles d’intervenir dans la fragilisation membranaire. ✔ Un phénomène d’apoptose a également pu être mis en évidence sur des myotubes humains cultivés en présence de cérivastatine. Ce processus d’apoptose pourrait être secondaire à l’inhibition de la synthèse de protéines régulatrices isoprénylées intervenant dans la maintenance et la croissance cellulaire. ✔De rares observations de polymyosites paraissant déclenchées par la prise d’hypocholestérolémiants et régressant après l’arrêt des traitements ont également été rapportées. Il est difficile de savoir s’il s’agit là de coïncidences ou de réelles associations. Le processus inflammatoire pourrait être provoqué par l’exacerbation des phénomènes de nécrose musculaire physiologique induite par l’exercice, qui entraînerait secondairement une réponse immune inadaptée chez certains sujets prédisposés. ■ 31