Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. V - n° 2 - avril-mai-juin 2007
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Statines et muscle :
un “couple” à problèmes1
Questions au Dr P. Laforêt*
Question
Quels sont les grands cadres
clinico-biologiques des complications
musculaires que l’on peut observer
sous statines, et quelle est leur
fréquence relative ?
Réponse
Les complications les plus fréquentes sont les
myalgies et les élévations des taux de créatine
phosphokinase (CPK), qui peuvent être vues isolé-
ment ou en association. La fréquence des myalgies
est difficile à évaluer ; elle varie de 5 à 25 % selon
les études. Les rhabdomyolyses, qui ont été très
largement médiatisées, sont heureusement beau-
coup plus rares, et l’incidence des rhabdomyolyses
mortelles reste extrêmement faible : moins d’un
cas par million de prescriptions (exception faite
de la cérivastatine, qui a être retirée du marc
en 2001 en raison de la survenue d’un nombre
anormalement élevé de complications graves,
avec 52 cas de rhabdomyolyse mortelle).
Question
Ces complications musculaires
surviennent-elles rapidement
après l’introduction des statines
ou après plusieurs mois ou années
d’exposition ?
Réponse
Le délai de survenue des complications par rapport
à linstauration du traitement peut être très variable.
En ce qui concerne l’apparition des douleurs muscu-
laires, une étude récente fondée sur l’envoi de
questionnaires montrait l’existence de deux pics
d’incidence des myalgies sous traitement : au cours
du premier mois (25 % des patients) et après un an
(25 % des patients). Les rhabdomyolyses peuvent
survenir aussi bien dans les jours suivant l’introduc-
tion du traitement que deux ans plus tard.
Question
Y a-t-il des statines connues
pour entraîner plus de complications
musculaires ?
Réponse
En dehors du cas particulier de la cérivastatine qui
a dû être retirée du marc en raison de la survenue
d’un nombre anormalement élevé de rhabdomyo-
lyses mortelles, il ne semble pas y avoir de diffé-
rence d’incidence des complications musculaires
avec les statines commercialisées (pravastatine,
simvastatine, fluvastatine, atorvastatine).
Question
Une maladie musculaire déjà
connue, même non évolutive,
favorise-t-elle ces complications ?
Cela représente-il une contre-indication
à l’introduction du traitement ?
(Faudrait-il faire un dosage de CPK
avant toute mise sous traitement ?)
Réponse
Une maladie musculaire connue ne constitue
pas en soi une contre-indication à l’instauration
d’un traitement. Néanmoins, compte tenu des
limites actuelles des connaissances de la physio-
pathologie de la toxicité musculaire des statines,
l’indication d’une mise sous traitement hypolipé-
miant doit être mûrement réfléchie. La toxicité des
statines étant peut-être en partie la conséquence
d’un blocage de la synthèse du coenzyme Q10,
une surveillance particulière devrait être instaurée
en cas de myopathie métabolique et notamment
de maladie mitochondriale ou d’anomalie de la
bêta-oxydation des acides gras.
Bien que cela ne figure pas dans les recomman-
dations de l’Afssaps, un dosage du taux de CPK
avant de commencer un traitement est absolu-
ment nécessaire afin de permettre de dépister une
1. © Correspondances en Nerf et Muscle
2006;1(1):29-31.
* Praticien hospitalier, centre de référence en
pathologie neuromusculaire de l’Est parisien,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
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éventuelle pathologie musculaire préexistante et
d’aider à mieux interpréter une élévation des CPK
survenant au cours du traitement.
Question
Y a-t-il des associations
de traitements ou des maladies
qui favorisent ces complications
musculaires ?
Réponse
La plupart des statines, à l’exception de la pravas-
tatine, sont métabolisées par l’intermédiaire de
l’isoforme 3A4 du cytochrome P450, et la pres-
cription concomitante de médicaments inhibiteurs
du cytochrome P34A est susceptible de majorer
la toxicité musculaire : il s’agit en particulier de
la ciclosporine, de l’érythromycine, des drogues
antifongiques azolées, des macrolides, du véra-
pamil et des antiprotéases. Un risque accru de
toxicité musculaire existe également lors de la
coprescription de fibrates dont le métabolisme est
plus complexe, et particulièrement avec le gemfi-
brozil, qui interagit avec les statines en inhibant
leur glucuronidation.
Les autres facteurs susceptibles de majorer la
toxicité musculaire des statines sont : l’âge avancé,
l’hypothyroïdie, le diabète, l’insuffisance rénale
ou hépatique, les périodes péri-opératoires et la
consommation de jus de pamplemousse.
Question
N’importe quelle complication,
même une simple élévation de CPK
à 500 UI asymptomatique sur le plan
clinique, doit-elle conduire à l’arrêt
des statines ? Est-ce également
une contre-indication
à la réintroduction ultérieure
d’un de ces traitements ?
Réponse
L’arrêt des statines n’est pas nécessaire lorsque
les myalgies restent supportables ou si le taux
de CPK est inférieur à 5N. En revanche, si les
douleurs deviennent invalidantes ou si le taux
de CPK s’élève à plus de 1 000 UI/l au repos, l’art
des traitements est inévitable. La réintroduction
d’un traitement hypolipémiant reste possible
après normalisation des anomalies cliniques ou
biologiques. Lorsque les effets indésirables restent
limités à des myalgies ou à une élévation du taux
de CPK inférieure à 5N, il est possible de choisir
entre une autre statine et une autre classe d’hypo-
lipémiants ; mais au cours d’une rhabdomyolyse,
la réintroduction d’une statine doit être proscrite.
L’intervention d’un endocrinologue spécialiste en
métabolisme lipidique est à ce stade hautement
souhaitable afin d’apprécier au mieux l’indication
du traitement hypolipémiant en fonction des effets
indésirables antérieurs et des facteurs de risque
cardio-vasculaires du patient.
Question
La survenue d’une complication
ou une mauvaise tolérance
sous statines impliquent-t-elles
un plus grand risque sous un autre
hypocholestérolémiant comme
les brates ?
Réponse
Il est probable que certains patients aient une
susceptibilité particulière à la toxicité muscu-
laire des statines, quelle qu’en soit la classe.
En effet, dans une étude rétrospective publiée à
partir d’une large population de patients suivis
dans le service du Pr Turpin (GHPS), les myalgies
réapparaissaient chez 63 % des patients après
changement de traitement hypolipémiant.
Question
Combien de temps en moyenne
après l’arrêt des statines peut-on
encore observer des myalgies
ou une élévation des CPK ?
Réponse
Les taux de CPK se normalisent et les myalgies
gressent normalement dans les semaines suivant
l’arrêt du traitement. Il n’est donc pas normal que
des anomalies cliniques ou biologiques persistent
plus de trois mois après l’interruption d’un trai-
tement hypolipémiant ; si tel est le cas, un bilan
doit être entrepris, à la recherche d’une étiologie
autre que toxique.
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Question
La découverte d’une élévation
isolée des CPK probablement
préexistante à la mise sous statines
est une situation assez fréquente.
Quelles explorations doit-on mener ?
À partir de quel taux de CPK ?
Réponse
La couverte d’une élévation isolée des CPK
plus de trois mois après l’arrêt d’un traitement
hypolipémiant doit conduire à rechercher une
affection musculaire sous-jacente, qui le plus
souvent était préexistante. On éliminera tout
d’abord les causes les plus fréquentes d’éléva-
tion isolée et modérée (< 3N) du taux de CPK :
sujet sportif (on demandera un contrôle du taux
de CPK après une semaine d’interruption de toute
activité sportive), sujets africains et antillais, cas
d’hypothyroïdie (qui serait susceptible de rendre
compte également de l’hypercholestérolémie).
Lorsque les taux de CPK avoisinent 1 000 UI/l, il
faut envisager un bilan comportant notamment
une échocardiographie et un scanner musculaire,
susceptibles de mettre en évidence des anoma-
lies renvoyant vers une dystrophie musculaire. La
réalisation d’une biopsie musculaire est, dans ce
dernier cas, le plus souvent justifiée, mais celle-ci
doit alors être effecte dans un service spécialisé
afin de permettre la réalisation d’études histo-
enzymologiques et immunocytochimiques sur
des fragments de muscles congelés.
Question
Que sait-on actuellement
des mécanismes de toxicité
des statines sur le muscle ?
Réponse
Le mécanisme le plus souvent invoqreste la
toxici mitochondriale en raison de l’inhibition de
la formation de mévalonate, précurseur de l’ubi-
quinone (coenzyme Q10), cofacteur de la chaîne
respiratoire mitochondriale. Cependant, très peu de
travaux ont comporté une analyse enzymatique de
la chaîne respiratoire mitochondriale, dont le dys-
fonctionnement n’est pas clairement démontré.
Il a récemment été mis en évidence une fré-
quence anormalement élevée de sujets porteurs
d’une mutation à l’état hétérozygote au sein des
gènes de la myophosphorylase ou de la carnitine-
palmitoyltransférase (CPT) II, parmi des patients
ayant présenté des complications musculaires. Ces
données suggèrent que l’apparition des complica-
tions musculaires chez certains patients pourrait
être déclenchée par la présence d’un déficit enzy-
matique partiel sur l’une des différentes voies du
métabolisme musculaire.
La réduction du taux de cholestérol est sus-
ceptible d’entraîner une perturbation de la
fluidité de la membrane musculaire par le biais
d’une diminution du pool de cholestérol libre,
pouvant expliquer la survenue de modifications
des propriétés électriques ou de phénomènes
de nécrose. Des perturbations de la synthèse
des glycoprotéines sont également susceptibles
d’intervenir dans la fragilisation membranaire.
Un phénomène d’apoptose a également pu
être mis en évidence sur des myotubes humains
cultivés en présence de cérivastatine. Ce proces-
sus d’apoptose pourrait être secondaire à l’inhi-
bition de la synthèse de protéines régulatrices
isoprénylées intervenant dans la maintenance
et la croissance cellulaire.
De rares observations de polymyosites parais-
sant clenchées par la prise d’hypocholestérolé-
miants et régressant après l’arrêt des traitements
ont également été rapportées. Il est difficile de
savoir s’il s’agit là de coïncidences ou de réelles
associations. Le processus inflammatoire pourrait
être provoq par l’exacerbation des phénomènes
de nécrose musculaire physiologique induite par
l’exercice, qui entraînerait secondairement une
réponse immune inadaptée chez certains sujets
pré disposés.
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