É D I T O R I A L Consensus sur le reflux gastro-œsophagien (RGO) de l’adulte : un pari difficile qui doit être gagné ● M.A. Bigard* L a conférence de consensus “RGO de l’adulte : diagnostic et traitement” aura lieu à Paris les 21 et 22 janvier 1999 à l’initiative de la Société Nationale Française de Gastroentérologie. L’enjeu de cette conférence est important, du fait de la prévalence élevée de la symptomatologie typique ou atypique du reflux dans la population et des coûts colossaux engendrés par les explorations essentiellement endoscopiques et les traitements médicaux ou chirurgicaux. Le RGO est actuellement le motif le plus fréquent de réalisation d’une endoscopie haute, dont une partie importante est maintenant réalisée sous anesthésie. Les ventes annuelles des médicaments anti-reflux ont suivi une courbe ascendante très forte depuis dix ans, notamment en raison de l’apparition des inhibiteurs de la pompe à protons et du cisapride. Le chiffre d’affaires global de ce marché est voisin de deux milliards de francs par an. La chirurgie, reléguée à l’arrière-plan après la mise sur le marché des inhibiteurs de la pompe à protons, reprend des parts de marché depuis l’avènement de la cœlioscopie, même si elle ne dispense pas, dans un cas sur deux, d’un traitement anti-reflux dans les années suivant le geste. On explore et on soigne pour beaucoup plus cher qu’il y a dix ans, mais les progrès pour les patients ont-ils été en rapport avec l’explosion des coûts ? C’est une des questions auxquelles devra en fait répondre le jury de la conférence, même si elle ne figure pas de façon explicite au programme. Les patients souffrant de RGO, lorsqu’ils consultent, s’adressent dans 95 % des cas à un médecin généraliste, et il a paru important de connaître les attentes des généralistes dans ce domaine. Nous avons donc réalisé des tables rondes de généralistes afin de mettre au point un questionnaire permettant de vérifier par téléphone, auprès d’un grand nombre de médecins, la réalité des questions et des manques ressentis par les médecins praticiens. On pourrra trouver les résultats de cette enquête en pages 303-304. Il apparaît nettement que deux points principaux préoccupent les médecins praticiens : la place de l’endoscopie d’une part, les stratégies thérapeutiques d’autre part. * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 6 - décembre 1998 • La demande d’une gastroscopie se fait encore trop souvent à partir de critères décisionnels flous et intriqués avec d’autres préoccupations comme celles de ne pas mécontenter le patient, de craindre la perte éventuelle d’un client qui sera pris en charge par le spécialiste ou d’être en infraction avec les autorisations de mise sur le marché (AMM) des différents médicaments. On peut espérer une réponse claire sur ce point de la part du jury, fondée sur des arguments scientifiques. Il existe manifestement à ce niveau un conflit d’intérêt entre généralistes et gastroentérologues, mais la faible représentation des médecins généralistes ne doit pas être un obstacle à des conclusions réalistes sur ce sujet. • La stratégie thérapeutique à court et à long terme est l’autre point d’intérêt des généralistes, soumis à de fortes pressions de la part de la visite médicale des différents laboratoires impliqués. Si la littérature abonde dans ce domaine, il faut souligner que toutes les études importantes ont été effectuées et payées par les firmes pharmaceutiques, que les études négatives n’ont la plupart du temps pas été publiées, et qu’un certain biais dans les résultats livrés au jury est donc inévitable. On ne peut pas reprocher ce fait à l’industrie, mais on peut regretter que le corps médical ne dispose pas de structures capables d’initier des études indépendantes permettant d’évaluer différentes stratégies, médicales ou chirurgicales, sur de grands effectifs, en appliquant les règles de bonne pratique en vigueur dans l’industrie. Le spectre de gravité très large des malades et la variabilité évolutive rendent cependant la tâche difficile. Dans le domaine de la prise en charge d’une maladie qui peut s’étendre sur plusieurs décennies, il n’est pas aisé d’être simplificateur et d’indiquer des stratégies précises. Par ailleurs, bien que, méthodologiquement, le jury d’une conférence de consensus n’ait pas à prendre en compte les contraintes réglementaires, type AMM ou RMO (références médicales opposables), il est probablement difficile de négliger totalement les AMM accordées depuis des années. L’intérêt de certains médicaments nécessite pourtant qu’ils soient réévalués à la lueur des nouvelles données, concernant, par exemple, le rapport bénéfice/risque ou le rapport coût/bénéfice. Une lourde tâche incombe donc au jury du consensus et à son président. Leurs conclusions sont attendues avec intérêt et impatience. La saison des vœux approchant, qu’il me soit permis de leur souhaiter courage et réussite. ■ 251