neuro-frontières Neuro- Frontières

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neuro-frontières
La neurologie
et les autres
spécialités :
une approche
transversale
Neuro-Frontières
Neurobiologie des états
de stress post-traumatiques
L. Chneiwess*
dépressif. De nombreuses
publications ont insisté sur
la fréquence des affections
trouble psychiatrique pour lequel le début peut
somatiques découvertes
clairement être identifié. Il nous interroge sur
La déf inition du terme
dans les suites de traumales conséquences neurobiologiques d’un traumatisme grave
“traumatisme” suscite
tismes violents (hypertend'emblée certaines polésion artérielle, ulcère gaset pose clairement le problème de la prédisposition
miques. Le mot est empruntrique, asthme, etc.).
en psychiatrie. Car l’apparition soudaine d’un événement
té au langage de la chirurgie
Cette non-spécificité se
de nature à menacer l’intégrité de l’individu ne prédit pas
et signifie que les défenses
retrouve sur le plan comporsystématiquement l’apparition d’un ESPT ; loin s’en faut.
psychiques de l’individu
temental, en particulier au
sont débordées. Le traumaNous ne pouvons que constater la (relative) faible incidence niveau des évitements photisme est l’aboutissement
du trouble dans les populations exposées. L’ESPT a, depuis
biques, qu’il s’agisse de la
d’un événement soudain
scène initiale ou des lieux la
ses
origines,
été
considéré
comme
l’exagération
d’un
qui agresse ou menace l’inrappelant. Toute la panoplie
processus normal d’intégration d’une expérience. Plusieurs
tégrité physique et psydes troubles des conduites a
données récentes suggèrent au contraire une pathogénie
chique de sa victime. Bref,
été observée : crises de
inattendu, exceptionnel,
originale. Nous allons voir que les recherches, menées
larmes, conduites auto- ou
violent : ces attributs perhétéro-agressives, fugues,
en particulier par Rachel Yehuda et Alexander MacFarlane,
mettent de distinguer claitroubles du contrôle des
démontrent une certaine spécificité du trouble.
rement le traumatisme d’un
impulsions, alcoolisme,
Malgré, ou grâce à ces interrogations, les traitements se sont délinquance.
événement pénible de la vie
(perte de son emploi, progressivement codifiés, et plusieurs types de prise en charge On peut ainsi distinguer les
divorce ou même annonce
peuvent aujourd’hui revendiquer le beau terme de guérison. réactions aiguës de stress,
d’une maladie grave, par
qui se produiront dans les
exemple).
heures et les jours suivant le
traumatisme, des états de stress post-traumaSur le plan psychique, le traumatisé peut préAu cœur du syndrome psycho-traumatique
tique proprement dits. Le DSM IV l’a bien
se trouve le syndrome de répétition. Pour
senter des pseudo-hallucinations. Les rumicompris, séparant nettement les deux états.
Crocq (1), il s’agit du signe pathognomonations s’accompagnent souvent de réacLa clinique des ESPT s’observe des
nique. Le patient y revit (ou croit revivre) le
tions de colère ou d’élaborations de
semaines ou des mois après l’agression :
traumatisme initial sous différents angles :
scénarios, par exemple, ce qui pourrait être
l’état de choc qui suit l’événement ne constiphysique, avec son cortège de symptômes
une réponse mieux adaptée.
tue pas l’ESPT !
neurovégétatifs, psychique, avec l’irruption
Le syndrome de répétition se décline souvent
d’images et de scènes plus ou moins viosous forme de “souvenir forcé”, d’idées
lentes, enfin comportemental, avec des réacobsédantes, d’un besoin de parler de l’évétions de sursaut, des tics ou des répétitions
nement ou d’y revenir souvent. Certains
de différents mouvements.
patients expriment le besoin d’assister à des
spectacles violents pour canaliser cette énerLongtemps considérés comme rares en raigie (le film Rambo offre un bon exemple
son du caractère exceptionnel du traumatisd’ESPT).
me, les ESPT apparaissent au fil des études
comme l’une des entités anxieuses les plus
Les symptômes physiques ne sont pas spécifréquentes.
fiques : fatigue confinant à l’asthénie (y
compris sexuelle), anxiété diffuse, réactions
Les enquêtes se sont déroulées en population
émotionnelles exagérées et, bien sûr, état
* Psychiatre, Paris
générale et au sein de groupes exposés.
Petit rappel
descriptif
L
' ESPT (état de stress post-traumatique) est a priori le seul
Épidémiologie
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000
148
Critères DSM IV des états
de stress post-traumatiques
Traumatisme
Le sujet a été exposé à un événement traumatique répondant aux deux caractéristiques suivantes :
– efforts pour éviter les pensées, sentiments ou
conversations associés au traumatisme ;
– efforts pour éviter les activités, lieux ou personnes pouvant rappeler le traumatisme ;
– la personne a vécu ou assisté à un ou plusieurs événements impliquant, pour soi ou pour
autrui, une menace, réelle ou évaluée comme
telle, mettant en danger la vie ou l’intégrité physique ;
– incapacité de se rappeler un aspect important
du traumatisme ;
– le sujet a alors ressenti un sentiment de peur
intense, de désarroi ou d’horreur.
– sentiment d’être détaché des autres ou de leur
être étranger ;
Reviviscence
– émoussement ou incapacité à éprouver des
affects ;
– diminution marquée de l’intérêt ou de la participation à des activités importantes pour le
sujet ;
L’événement traumatique est revécu de manière
persistante à travers au moins une des manifestations suivantes :
Hyperactivité neurovégétative
– souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, provoquant un sentiment de détresse
(images, pensées, sensations, jeux répétitifs
chez le jeune enfant) ;
Persistance de symptômes d’hyperactivité neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence de deux
au moins des manifestations suivantes :
– rêves répétés concernant l’événement et provoquant un sentiment de détresse (chez l’enfant,
cauchemars parfois sans contenu précis) ;
– difficultés pour dormir ou s’endormir ;
– impressions ou comportements soudains, dictés par le sentiment que l’événement va se
reproduire (sentiments de revivre l’événement,
illusions, hallucinations, épisodes de flashback, y compris ceux qui surviennent au réveil
ou au cours d’une intoxication) ;
– hypervigilance ;
– détresse intense lors de l’exposition à des événements pouvant symboliser ou évoquer des
aspects de l’événement traumatique ;
– réactivité physiologique lors de l’exposition
interne ou externe à un élément pouvant symboliser ou évoquer un des aspects de l’événement traumatique.
Évitements
Évitement persistant des stimuli associés au
traumatisme et émoussement de la réactivité
générale (ne préexistant pas au traumatisme),
comme en témoigne la présence de trois au
moins des manifestations suivantes :
– sentiment d’avenir bouché.
– irritabilité ou accès de colère ;
– difficultés de concentration ;
– réaction de sursaut exagérée.
Durée
La durée du trouble (critères B, C et D) est d’au
moins un mois.
Handicap
Les troubles provoquent une souffrance significative ou un handicap concernant les activités
sociales, professionnelles ou de loisirs du sujet.
Variantes
Spécifier si le caractère des troubles est :
– aigu (la durée des symptômes est de moins de
3 mois) ;
– chronique (la durée des symptômes est de
3 mois ou plus) ;
– à début retardé (l’installation des symptômes
a lieu 6 mois au moins après le traumatisme).
149
En population générale, Breslau et al (2)
retrouvent une prévalence de 9 %. Davidson
et al (3) estiment de 8 à 15 % la proportion
de la population générale souffrant de symptômes reliables à un ESPT.
Les différentes études portant sur les populations exposées évaluent l’incidence des
ESPT entre 3 et 58 % (DSM IV). Les populations exposées les mieux étudiées sont les
unités de combat.
Dans une étude désormais classique, Kulka
et al. (4) ont retrouvé une prévalence de
15 % d’ESPT actuel et une prévalence sur la
vie entière d’environ 30 % chez les vétérans
du Vietnam. Peut-être en raison d’une exposition plus limitée, les scores d’ESPT retrouvés dans les unités combattantes durant la
guerre du Golfe sont moins importants.
Ainsi, Southwick et son équipe (1993) ont
estimé à 9 % la prévalence des ESPT 6 mois
après que les soldats furent rentrés dans leur
foyer.
Les traumatismes apparaissent également
fréquents dans notre vie quotidienne.
Breslau et al. (2) ont exploré les registres
d’une HMO (Health Maintenance
Organization : l’équivalent d’une unité de
Sécurité sociale) de Détroit. Mille sept dossiers d’adultes jeunes ont été analysés.
Trente-neuf pour cent d’entre eux ont été
exposés à un traumatisme sévère, et les
auteurs ont retrouvé chez 23,6 % les critères
d’ESPT dans les suites de leur vie.
Évolution du trouble
C’est l’observation systématique des victimes qui a permis à Horowitz de formuler
ses hypothèses psychopathogéniques, largement inspirées du modèle freudien. En
accord avec ces hypothèses, nous devrions
observer une succession d’oscillations d’évitements et de retours du traumatisme, dans
l’objectif d’intégrer cette expérience dramatique. Dans cette perspective, l’ESPT n’est
qu’une modalité évolutive de l’intégration de
l’expérience. Ce modèle implique nécessai-
ÉCHANGER
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rement une relation entre l’intensité du traumatisme et l’émergence d’un trouble (plus le
traumatisme est violent et plus forte est la
probabilité de voir apparaître un ESPT).
Plusieurs études confirment cette idée
(Horowitz, 1986, Yehuda, 1992 et 1998),
quand d’autres la contestent (Blank, 1993).
A priori, cette hypothèse semble soutenue
par le discours de nos patients dans lequel les
souvenirs intrusifs ont directement trait à
l’expérience traumatique. Et pourtant, plusieurs études prospectives récentes suggèrent
que nos patients se trompent ! Les symptômes présents au cours des ESPT constitués
ne sont pas ceux qu’ils présentaient au
décours de l’événement.
Une étude de Karlehage (1993) chez les
conducteurs de train exposés à des catastrophes ferroviaires retrouve la dissociation
si chère à Janet (5) : la reviviscence de l’accident et l’évitement des situations ou des
pensées apparaissent à des moments différents des manifestations neurovégétatives.
Lorsque aucun traitement n’est appliqué, le
risque de passage à la chronicité est grand.
Kulka et al. (4) ont évalué l’incidence des
ESPT dans une population représentative des
corps expéditionnaires américains au Laos,
au Vietnam et au Cambodge. Les résultats
montrent une prévalence sur la vie entière
des ESPT de 30,9 % chez les hommes et de
26,9 % chez les femmes. Des évaluations à
distance montrent, dans ce groupe, une persistance des troubles à 15 et 20 ans pour
49,2 % des hommes et 31,6 % des femmes.
Ces résultats confortent ceux de Kulznik
(1986), qui estimaient à 47 % la prévalence
des ESPT chez les prisonniers de guerre
américains, 40 ans après leur retour. Les
ESPT sont donc des troubles chroniques.
MacFarlane (1988) chez les pompiers et
Breslau chez les vétérans (2) ont précisé les
facteurs de risque de chronicité. On retrouve
avant tout une confrontation antérieure à des
expériences traumatisantes, des antécédents
de troubles psychiques et une tendance à
dénier ou à éviter le souvenir d’expériences
négatives.
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000
À l’inverse, Bleich (1986) estime que le support social et la considération dans l’opinion
sont des facteurs de très bon pronostic. Pour
Bremner (1991), une modification initiale du
volume hippocampique traduirait l’existence
de troubles neurologiques et serait associée à
un plus mauvais pronostic.
L’évolution des patients est avant tout marquée par la comorbidité. Bremner (1996)
insiste sur le risque d’alcoolisme et de toxicomanie chez les vétérans du Vietnam.
Hypothèses neurobiologiques
Les recherches ont porté sur les systèmes
classiquement impliqués dans les réactions
de stress : le système nerveux autonome et
l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.
Plusieurs années après le traumatisme, ces
études confirment une régulation neurobiologique originale dans les ESPT.
Le système nerveux autonome
Les travaux princeps de Cannon (6) ont
démontré le rôle central du système nerveux
autonome (SNA) dans les réactions aux
situations de danger. Ces réactions physiologiques ont pour objectif la mobilisation des
ressources de l’individu pour combattre ou
fuir (fight or flight). On observe donc une
accélération du rythme cardiaque, une augmentation de la pression artérielle destinées
à une meilleure perfusion des organes
vitaux. Les pupilles se dilatent pour augmenter l’acuité visuelle, les vaisseaux cutanés se
rétractent pour orienter le sang vers les
organes de défense, tout comme la formation
de shunts splanchniques ou rénaux. Le
muscle squelettique est alimenté par des
réserves désormais disponibles en sucre.
Les études psychophysiologiques ont confirmé un éveil plus important dans les ESPT,
mais les études biologiques le concernant
restent décevantes.
Dès 1918, Fraser et Wilson observent chez
les vétérans de la Première Guerre mondiale
une augmentation de l’anxiété, du pouls et
150
de la tension artérielle par rapport à un groupe
témoin en réponse à une perfusion intraveineuse d’adrénaline. Pour Grinker et Spiegel
(7), les cathécolamines jouent un rôle essentiel dans les névroses de guerre et partagent
même un temps la position de Crille, pour
qui un traitement possible dans les cas
graves pourrait constituer en une dénervation bilatérale des glandes surrénales.
Depuis 1980, la plupart des études ont
retrouvé une réactivité plus forte chez les
patients souffrant d’ESPT, mais avec, finalement, très peu de différences à l’état de base
(8). Les plus récentes investigations ont donc
porté sur les capacités d’habituation à des
stimuli nociceptifs. La grande majorité des
études concordent pour retrouver, chez les
patients ESPT, un temps bien plus long pour
voir s’éteindre les réponses à des stimuli
centraux (comme un son grave ou certaines
images visuelles sans relation avec le traumatisme). MacFarlane démontra, en 1993
(9), une incapacité chez les ESPT à discriminer différents stimuli.
Une base psychophysiologique est ainsi
posée : les patients ESPT présenteraient un
SNA incapable de métaboliser ses réactions
par habituation, mal préparé pour trouver des
stratégies adaptatives en raison d’une capacité d’évaluation réduite des ressources disponibles.
Malheureusement, jusqu’à présent, les
études proprement biologiques n’ont guère
fait progresser le débat. Les excrétions urinaires d’adrénaline et de noradrénaline et de
leurs métabolites sont comparables chez les
ESPT et les témoins. Il en est de même des
taux plasmatiques. Les récepteurs adrénergiques α-2 semblent altérés dans le sens
d’une down-regulation et devraient faire
l’objet de multiples investigations.
L’axe hypothalamo-hypohysosurrénalien (HHS)
Dans sa formulation du syndrome général
d’adaptation, Selye (1956) postulait que la
réponse de l’organisme à toute agression se
traduisait par une stimulation de l’axe HHS
et par une augmentation de la cortisolémie.
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Plusieurs auteurs, dont Mason (1976), ont
par la suite confirmé une relation linéaire
entre intensité de l’émotion ressentie au
cours de l’agression et augmentation de la
cortisolémie.
Les résultats issus des études concernant les
ESPT montrent de toute évidence une régulation différente. Le nom de Rachel Yehuda
est désormais attaché à la description d’une
physiologie originale dans les ESPT.
Ainsi, Mason (1986) et Yehuda (1993)
démontrent une excrétion urinaire de cortisol
plus basse chez les ESPT que chez les
témoins, ou même dans d’autres états pathologiques : panique, dépression ou psychoses.
Le traumatisme ne semble pas à l’origine de
cet état, puisque les survivants de l’holocauste ne présentant pas d’ESPT restent dans
la fourchette des témoins. Rachel Yehuda a
pu démontrer que les cortisolémies plus
basses des ESPT sont en relation avec un
trouble du rythme circadien de sécrétion
(Yehuda, 1998). La même équipe a mis en
évidence une augmentation du nombre de
récepteurs aux glucocorticoïdes, tant chez
les ESPT (vétérans du Vietnam) que chez les
vétérans présentant un ESPT. Le traumatisme créerait donc une situation biologique qui
ne se transformerait en trouble que chez certains.
La pratique intensive des tests de suppression à la dexaméthasone confirme une
hyperréceptivité de l’axe HHS (tableau I).
Pour Rachel Yehuda, l’une des clés du mystère réside dans la sensibilité des récepteurs
aux glucocorticoïdes. Dans les ESPT, le
nombre de ces récepteurs est augmenté, tout
comme leur sensibilité. Cette hypothèse est
largement vérifiée par la pratique de tests de
suppression à la dexaméthasone (DST).
Rappelons que la dexaméthasone est un analogue puissant du cortisol. L’administration
de 1 mg de dexaméthasone à 0h00 entraîne
donc normalement un feed-back négatif sur
l’hypophyse et un effondrement des concentrations de cortisolémie le lendemain matin à
8h00. Dans les troubles dépressifs, d’innombrables études ont montré un échappement à
Tableau I. Régulateur du cortisol chez les volontaires sains et chez les patients souffrant d’ESPT.
Exposition chronique à un stress
chez le volontaire sain
Patients présentant un ESPT
Augmentation de la cortisolémie
et de la cortisolurie
Diminution de la cortisolémie
et de la cortisolurie
Réduction de la sensibilité
des récepteurs aux glucocorticoïdes
Augmentation de la sensibilité
des récepteurs aux glucocorticoïdes
Érosion du feed-back négatif
Augmentation du feed-back négatif
cette suppression. Dans les ESPT, c’est l’inverse qui se produit : il suffit d’administrer
0,5 mg pour obtenir une hypersuppression.
L’équipe du Mount Sinaï, dans le Bronx, a pu
vérifier ces observations au cours d’une
étude concernant les victimes de prise d’otage. Plusieurs dizaines de victimes ont été
explorées dans les 72 heures suivant leur
traumatisme et furent suivies durant au
moins un an. Les conclusions montrent que
l’hypersuppression immédiate prédit, avec
une sensibilité proche de 100 %, l’apparition
de l’ESPT ! Il a pour l’heure été possible de
regrouper les victimes en trois groupes :
ceux qui ne développeront jamais d’EPST,
ceux qui présenteront un ESPT mais qui s’en
remettront, enfin ceux qui ne récupéreront
pas spontanément de leur ESPT (cortisolémies basses et hypersuppression au DST).
Ces données ont été confirmées par
MacFarlane dans une étude portant sur 40
accidentés de la route : ceux qui ont présenté
par la suite un ESPT avaient à l’origine les
concentrations de cortisol les plus basses, à
l’inverse des futurs déprimés qui présentaient les taux les plus élevés.
Toute l’interrogation porte maintenant sur le
mode d’apparition de cette régulation originale. Les descendants des survivants de l’holocauste apportent des données intrigantes.
L’exploration biologique de ces descendants
montre une cortisolémie basale et une hypersuppression au DST, comparée aux témoins
lorsque l’ascendant présente ou a présenté
un ESPT et des résultats dans la zone des
témoins si l’ascendant survivant de l’holo-
151
causte ne présente pas ou n’a jamais présenté
d’ESPT. À l’heure actuelle, il est impossible
de trancher entre l’hypothèse d’une génétique particulière prédisposant à l’ESPT et
une modification transmissible de l’expression génomique à la suite d’un stress intense
et prolongé.
Un peu d’imagerie cérébrale
Le nom de Bruce McEwen fait référence
lorsque l’on aborde l’impact cérébral des
traumatismes. Ses travaux ont ainsi démontré que des stress sociaux prolongés (la surpopulation, par exemple) pouvaient entraîner
une atrophie de certains neurones hippocampiques chez le rat (atrophie dendritique des
cellules pyramidales hippocampiques CA3).
Chez l’homme, l’imagerie cérébrale a
confirmé la présence d’anomalies structurales chez les patients souffrant d’ESPT, en
particulier une atrophie de l’hippocampe
gauche (10). Poussant un peu plus loin le
sadisme habituel des investigateurs, Rauch et
son équipe (11) ont soumis de braves traumatisés à une stimulation de leur mémoire
traumatique, les rendant du coup très
anxieux. On observe ainsi une augmentation
du flux sanguin cérébral dans les cortex
droits orbitaire, insulaire, temporo-limbique
et occipital et une diminution dans la région
de l’aire de Broca gauche. En gros, les aires
limbique et para-limbique droites sont impliquées lors du déclenchement des intrusions
et des angoisses (12). En ce qui concerne le
déclenchement des intrusions, nous retrouvons une fois de plus en première ligne
l’amygdale. Les travaux de Ledoux (13) ont
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déjà bien démontré son rôle dans le conditionnement des phobies.
Risquons des hypothèses
étiopathogéniques
Dans la perspective purement biologique de
cet article, nous n’aborderons que la question “neuronale”, laissant de côté l’esprit ou
l’âme. Que peut-on déduire des recherches
en biologie des ESPT ?
En dehors de l’hypothèse génétique, comment expliquer les particularités des ESPT
concernant leur hypersensibilité aux corticoïdes ?
Les récepteurs aux corticoïdes sont présents
partout dans le cerveau. Nous les retrouvons
avec une fréquence accrue dans les structures fortement impliquées dans la mémoire
émotionnelle : l’hippocampe, l’amygdale, le
cortex frontal et l’hypothalamus. Plusieurs
travaux ont démontré des effets délétères sur
la mémoire à long et court terme des lésions
amygdaliennes (14). Il semble probable que
l’amygdale possède une influence modulatrice sur l’hippocampe. Cette équipe postule
qu’un stress traumatique est de nature à
La dysrégulation noradrénergique alimente
l’idée d’une nécessaire réduction de l’activité
du locus coeruleus pour traiter avec efficacité les ESPT. Les IMAOs, les antidépresseurs tricycliques, les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine, la clonidine, les
benzodiazépines et les bêtabloqueurs
répondent à cette nécessité.
L’évitement conditionné, les troubles du
sommeil, les troubles du contrôle des
impulsions sont des dimensions en relation avec l’activité sérotoninergique. Les
essais ont en effet montré une efficacité
de la fluoxétine, de la paroxétine et de la
sertraline.
Plusieurs auteurs ont établi un parallèle
entre l’embrasement observé dans l’épilepsie et les symptômes intrusifs des ESPT
(Van der Kolk, 1987). Si bien que la théorie
du kindling a été testée. Le kindling est un
effet observé dans la clinique de l’épilepsie : après répétition de stimulations de
faible intensité, on observe un seuil de
déclenchement plus bas des crises comitiales. L’efficacité de la carbamazépine dans
les ESPT soutient en partie cette hypothèse.
surstimuler l’amygdale et l’hippocampe par
des corticoïdes. Les patients présentant déjà
une hypersensibilité seraient donc de bons
candidats à la pathologie
Approches thérapeutiques
Comme pour la plupart des troubles anxieux,
les patients souffrant d’ESPT peuvent retirer
bénéfice d’une double approche, pharmacothérapique et psychothérapique. Seule la pharmacothérapie sera abordée.
Les essais concernant les traitements biologiques des ESPT découlent des différentes
hypothèses mécanicistes.
Un point toujours discuté est la médication des
patients présentant un état aigu de stress, afin
de prévenir l’apparition des ESPT. Dans une
étude non publiée, Shalev a montré que l’administration d’alprazolam à des soldats israéliens exposés à un traumatisme récent, dans le
cadre d’une étude contrôlée, entraînait des
effets délétères. À 6 mois, le groupe alprazolam présentait un plus grand nombre de signes
d’ESPT.
Tableau II. Impact des différents psychotropes sur les principaux symptomes de l’ESPT.
Symptômes-cibles
Inhibiteurs du recaptage
de la sérotonine
IMAO
Tricycliques
Réduction du syndrome
de répétition
++
++
+/0
+
++
+
Réduction de la tendance
à tout interpréter comme
une récurrence du traumatisme
++
+
+
0
++
+
Réduction de l’état d’hyperéveil
+
+
+
++
+
0
Réduction des évitements
Benzodiazépines Bétabloqueurs
Anticomitiaux
+
++
+
+
?
+
dépression +
numbing : 0
dépression +
numbing : 0
+
0
–
+
Réduction des éléments
dissociatifs
0
0
0
0
+
Réduction de l’agressivité
(auto- et hétéro-)
+
+
+
+
++
Amélioration de l’état
dépressif et de l’émoussement
affectif (numbing)
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000
152
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Comme on l’a vu, les ESPT réunissent un
ensemble de troubles parfois composites où
se retrouvent des signes spécifiques (le syndrome de répétition) et des éléments sémiologiques non spécifiques. Le lecteur trouvera dans le tableau II une lecture critique des
différents impacts biologiques.
En guise de conclusion
Les techniques de prise en charge des victimes d’ESPT se sont codifiées et ont pu
montrer une incontestable efficacité. Il est
aussi indéniable que ces progrès connaîtront
une limite, tant que les mécanismes les plus
intimes des ESPT ne seront pas connus. Ici
comme ailleurs, les stratégies consensuelles
(psychothérapies composites, associées ou
non à des traitements médicamenteux) ne
peuvent apporter d’horizons réellement nouveaux.
Les progrès les plus immédiats sont à attendre
du côté de la prévention primaire. D’ores et
déjà, de nombreuses banques, certaines compagnies de transports et plusieurs services
d’urgence médicale ont inscrit à leur calendrier de formation des stages destinés aux
salariés exposés. À l’heure de la maîtrise des
dépenses de santé, leur large diffusion devrait
permettre de substantielles économies.
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veterans with and without postraumatic stress
disorder. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 :
583-93.
généraux de la sclérose latérale amyotrophique (Paris)
sur la sclérose latérale amyotrophiqqe (ARS) organise
les états généraux de la SLA le 23 octobre prochain à l’Assemblée Nationale. Ce colloque
traitera de l’aspect médico-économique de la maladie ainsi que sa prise en charge économique
et sociale.
La communauté médicale et paramédicale, les institutionnels de la santé et les familles
de malades sont invités à participer à ce colloque en faisant leur demande d’invitation : par
tél. : 01 58 05 10 70, par fax : 01 58 05 10 71, par e-mail : [email protected]
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