neuro-frontières La neurologie et les autres spécialités : une approche transversale Neuro-Frontières Neurobiologie des états de stress post-traumatiques L. Chneiwess* dépressif. De nombreuses publications ont insisté sur la fréquence des affections trouble psychiatrique pour lequel le début peut somatiques découvertes clairement être identifié. Il nous interroge sur La déf inition du terme dans les suites de traumales conséquences neurobiologiques d’un traumatisme grave “traumatisme” suscite tismes violents (hypertend'emblée certaines polésion artérielle, ulcère gaset pose clairement le problème de la prédisposition miques. Le mot est empruntrique, asthme, etc.). en psychiatrie. Car l’apparition soudaine d’un événement té au langage de la chirurgie Cette non-spécificité se de nature à menacer l’intégrité de l’individu ne prédit pas et signifie que les défenses retrouve sur le plan comporsystématiquement l’apparition d’un ESPT ; loin s’en faut. psychiques de l’individu temental, en particulier au sont débordées. Le traumaNous ne pouvons que constater la (relative) faible incidence niveau des évitements photisme est l’aboutissement du trouble dans les populations exposées. L’ESPT a, depuis biques, qu’il s’agisse de la d’un événement soudain scène initiale ou des lieux la ses origines, été considéré comme l’exagération d’un qui agresse ou menace l’inrappelant. Toute la panoplie processus normal d’intégration d’une expérience. Plusieurs tégrité physique et psydes troubles des conduites a données récentes suggèrent au contraire une pathogénie chique de sa victime. Bref, été observée : crises de inattendu, exceptionnel, originale. Nous allons voir que les recherches, menées larmes, conduites auto- ou violent : ces attributs perhétéro-agressives, fugues, en particulier par Rachel Yehuda et Alexander MacFarlane, mettent de distinguer claitroubles du contrôle des démontrent une certaine spécificité du trouble. rement le traumatisme d’un impulsions, alcoolisme, Malgré, ou grâce à ces interrogations, les traitements se sont délinquance. événement pénible de la vie (perte de son emploi, progressivement codifiés, et plusieurs types de prise en charge On peut ainsi distinguer les divorce ou même annonce peuvent aujourd’hui revendiquer le beau terme de guérison. réactions aiguës de stress, d’une maladie grave, par qui se produiront dans les exemple). heures et les jours suivant le traumatisme, des états de stress post-traumaSur le plan psychique, le traumatisé peut préAu cœur du syndrome psycho-traumatique tique proprement dits. Le DSM IV l’a bien se trouve le syndrome de répétition. Pour senter des pseudo-hallucinations. Les rumicompris, séparant nettement les deux états. Crocq (1), il s’agit du signe pathognomonations s’accompagnent souvent de réacLa clinique des ESPT s’observe des nique. Le patient y revit (ou croit revivre) le tions de colère ou d’élaborations de semaines ou des mois après l’agression : traumatisme initial sous différents angles : scénarios, par exemple, ce qui pourrait être l’état de choc qui suit l’événement ne constiphysique, avec son cortège de symptômes une réponse mieux adaptée. tue pas l’ESPT ! neurovégétatifs, psychique, avec l’irruption Le syndrome de répétition se décline souvent d’images et de scènes plus ou moins viosous forme de “souvenir forcé”, d’idées lentes, enfin comportemental, avec des réacobsédantes, d’un besoin de parler de l’évétions de sursaut, des tics ou des répétitions nement ou d’y revenir souvent. Certains de différents mouvements. patients expriment le besoin d’assister à des spectacles violents pour canaliser cette énerLongtemps considérés comme rares en raigie (le film Rambo offre un bon exemple son du caractère exceptionnel du traumatisd’ESPT). me, les ESPT apparaissent au fil des études comme l’une des entités anxieuses les plus Les symptômes physiques ne sont pas spécifréquentes. fiques : fatigue confinant à l’asthénie (y compris sexuelle), anxiété diffuse, réactions Les enquêtes se sont déroulées en population émotionnelles exagérées et, bien sûr, état * Psychiatre, Paris générale et au sein de groupes exposés. Petit rappel descriptif L ' ESPT (état de stress post-traumatique) est a priori le seul Épidémiologie Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 148 Critères DSM IV des états de stress post-traumatiques Traumatisme Le sujet a été exposé à un événement traumatique répondant aux deux caractéristiques suivantes : – efforts pour éviter les pensées, sentiments ou conversations associés au traumatisme ; – efforts pour éviter les activités, lieux ou personnes pouvant rappeler le traumatisme ; – la personne a vécu ou assisté à un ou plusieurs événements impliquant, pour soi ou pour autrui, une menace, réelle ou évaluée comme telle, mettant en danger la vie ou l’intégrité physique ; – incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme ; – le sujet a alors ressenti un sentiment de peur intense, de désarroi ou d’horreur. – sentiment d’être détaché des autres ou de leur être étranger ; Reviviscence – émoussement ou incapacité à éprouver des affects ; – diminution marquée de l’intérêt ou de la participation à des activités importantes pour le sujet ; L’événement traumatique est revécu de manière persistante à travers au moins une des manifestations suivantes : Hyperactivité neurovégétative – souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, provoquant un sentiment de détresse (images, pensées, sensations, jeux répétitifs chez le jeune enfant) ; Persistance de symptômes d’hyperactivité neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence de deux au moins des manifestations suivantes : – rêves répétés concernant l’événement et provoquant un sentiment de détresse (chez l’enfant, cauchemars parfois sans contenu précis) ; – difficultés pour dormir ou s’endormir ; – impressions ou comportements soudains, dictés par le sentiment que l’événement va se reproduire (sentiments de revivre l’événement, illusions, hallucinations, épisodes de flashback, y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication) ; – hypervigilance ; – détresse intense lors de l’exposition à des événements pouvant symboliser ou évoquer des aspects de l’événement traumatique ; – réactivité physiologique lors de l’exposition interne ou externe à un élément pouvant symboliser ou évoquer un des aspects de l’événement traumatique. Évitements Évitement persistant des stimuli associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence de trois au moins des manifestations suivantes : – sentiment d’avenir bouché. – irritabilité ou accès de colère ; – difficultés de concentration ; – réaction de sursaut exagérée. Durée La durée du trouble (critères B, C et D) est d’au moins un mois. Handicap Les troubles provoquent une souffrance significative ou un handicap concernant les activités sociales, professionnelles ou de loisirs du sujet. Variantes Spécifier si le caractère des troubles est : – aigu (la durée des symptômes est de moins de 3 mois) ; – chronique (la durée des symptômes est de 3 mois ou plus) ; – à début retardé (l’installation des symptômes a lieu 6 mois au moins après le traumatisme). 149 En population générale, Breslau et al (2) retrouvent une prévalence de 9 %. Davidson et al (3) estiment de 8 à 15 % la proportion de la population générale souffrant de symptômes reliables à un ESPT. Les différentes études portant sur les populations exposées évaluent l’incidence des ESPT entre 3 et 58 % (DSM IV). Les populations exposées les mieux étudiées sont les unités de combat. Dans une étude désormais classique, Kulka et al. (4) ont retrouvé une prévalence de 15 % d’ESPT actuel et une prévalence sur la vie entière d’environ 30 % chez les vétérans du Vietnam. Peut-être en raison d’une exposition plus limitée, les scores d’ESPT retrouvés dans les unités combattantes durant la guerre du Golfe sont moins importants. Ainsi, Southwick et son équipe (1993) ont estimé à 9 % la prévalence des ESPT 6 mois après que les soldats furent rentrés dans leur foyer. Les traumatismes apparaissent également fréquents dans notre vie quotidienne. Breslau et al. (2) ont exploré les registres d’une HMO (Health Maintenance Organization : l’équivalent d’une unité de Sécurité sociale) de Détroit. Mille sept dossiers d’adultes jeunes ont été analysés. Trente-neuf pour cent d’entre eux ont été exposés à un traumatisme sévère, et les auteurs ont retrouvé chez 23,6 % les critères d’ESPT dans les suites de leur vie. Évolution du trouble C’est l’observation systématique des victimes qui a permis à Horowitz de formuler ses hypothèses psychopathogéniques, largement inspirées du modèle freudien. En accord avec ces hypothèses, nous devrions observer une succession d’oscillations d’évitements et de retours du traumatisme, dans l’objectif d’intégrer cette expérience dramatique. Dans cette perspective, l’ESPT n’est qu’une modalité évolutive de l’intégration de l’expérience. Ce modèle implique nécessai- ÉCHANGER neuro-frontières Neuro-Frontières neuro-frontières Neuro-Frontières rement une relation entre l’intensité du traumatisme et l’émergence d’un trouble (plus le traumatisme est violent et plus forte est la probabilité de voir apparaître un ESPT). Plusieurs études confirment cette idée (Horowitz, 1986, Yehuda, 1992 et 1998), quand d’autres la contestent (Blank, 1993). A priori, cette hypothèse semble soutenue par le discours de nos patients dans lequel les souvenirs intrusifs ont directement trait à l’expérience traumatique. Et pourtant, plusieurs études prospectives récentes suggèrent que nos patients se trompent ! Les symptômes présents au cours des ESPT constitués ne sont pas ceux qu’ils présentaient au décours de l’événement. Une étude de Karlehage (1993) chez les conducteurs de train exposés à des catastrophes ferroviaires retrouve la dissociation si chère à Janet (5) : la reviviscence de l’accident et l’évitement des situations ou des pensées apparaissent à des moments différents des manifestations neurovégétatives. Lorsque aucun traitement n’est appliqué, le risque de passage à la chronicité est grand. Kulka et al. (4) ont évalué l’incidence des ESPT dans une population représentative des corps expéditionnaires américains au Laos, au Vietnam et au Cambodge. Les résultats montrent une prévalence sur la vie entière des ESPT de 30,9 % chez les hommes et de 26,9 % chez les femmes. Des évaluations à distance montrent, dans ce groupe, une persistance des troubles à 15 et 20 ans pour 49,2 % des hommes et 31,6 % des femmes. Ces résultats confortent ceux de Kulznik (1986), qui estimaient à 47 % la prévalence des ESPT chez les prisonniers de guerre américains, 40 ans après leur retour. Les ESPT sont donc des troubles chroniques. MacFarlane (1988) chez les pompiers et Breslau chez les vétérans (2) ont précisé les facteurs de risque de chronicité. On retrouve avant tout une confrontation antérieure à des expériences traumatisantes, des antécédents de troubles psychiques et une tendance à dénier ou à éviter le souvenir d’expériences négatives. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 À l’inverse, Bleich (1986) estime que le support social et la considération dans l’opinion sont des facteurs de très bon pronostic. Pour Bremner (1991), une modification initiale du volume hippocampique traduirait l’existence de troubles neurologiques et serait associée à un plus mauvais pronostic. L’évolution des patients est avant tout marquée par la comorbidité. Bremner (1996) insiste sur le risque d’alcoolisme et de toxicomanie chez les vétérans du Vietnam. Hypothèses neurobiologiques Les recherches ont porté sur les systèmes classiquement impliqués dans les réactions de stress : le système nerveux autonome et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Plusieurs années après le traumatisme, ces études confirment une régulation neurobiologique originale dans les ESPT. Le système nerveux autonome Les travaux princeps de Cannon (6) ont démontré le rôle central du système nerveux autonome (SNA) dans les réactions aux situations de danger. Ces réactions physiologiques ont pour objectif la mobilisation des ressources de l’individu pour combattre ou fuir (fight or flight). On observe donc une accélération du rythme cardiaque, une augmentation de la pression artérielle destinées à une meilleure perfusion des organes vitaux. Les pupilles se dilatent pour augmenter l’acuité visuelle, les vaisseaux cutanés se rétractent pour orienter le sang vers les organes de défense, tout comme la formation de shunts splanchniques ou rénaux. Le muscle squelettique est alimenté par des réserves désormais disponibles en sucre. Les études psychophysiologiques ont confirmé un éveil plus important dans les ESPT, mais les études biologiques le concernant restent décevantes. Dès 1918, Fraser et Wilson observent chez les vétérans de la Première Guerre mondiale une augmentation de l’anxiété, du pouls et 150 de la tension artérielle par rapport à un groupe témoin en réponse à une perfusion intraveineuse d’adrénaline. Pour Grinker et Spiegel (7), les cathécolamines jouent un rôle essentiel dans les névroses de guerre et partagent même un temps la position de Crille, pour qui un traitement possible dans les cas graves pourrait constituer en une dénervation bilatérale des glandes surrénales. Depuis 1980, la plupart des études ont retrouvé une réactivité plus forte chez les patients souffrant d’ESPT, mais avec, finalement, très peu de différences à l’état de base (8). Les plus récentes investigations ont donc porté sur les capacités d’habituation à des stimuli nociceptifs. La grande majorité des études concordent pour retrouver, chez les patients ESPT, un temps bien plus long pour voir s’éteindre les réponses à des stimuli centraux (comme un son grave ou certaines images visuelles sans relation avec le traumatisme). MacFarlane démontra, en 1993 (9), une incapacité chez les ESPT à discriminer différents stimuli. Une base psychophysiologique est ainsi posée : les patients ESPT présenteraient un SNA incapable de métaboliser ses réactions par habituation, mal préparé pour trouver des stratégies adaptatives en raison d’une capacité d’évaluation réduite des ressources disponibles. Malheureusement, jusqu’à présent, les études proprement biologiques n’ont guère fait progresser le débat. Les excrétions urinaires d’adrénaline et de noradrénaline et de leurs métabolites sont comparables chez les ESPT et les témoins. Il en est de même des taux plasmatiques. Les récepteurs adrénergiques α-2 semblent altérés dans le sens d’une down-regulation et devraient faire l’objet de multiples investigations. L’axe hypothalamo-hypohysosurrénalien (HHS) Dans sa formulation du syndrome général d’adaptation, Selye (1956) postulait que la réponse de l’organisme à toute agression se traduisait par une stimulation de l’axe HHS et par une augmentation de la cortisolémie. neuro-frontières Neuro-Frontières Plusieurs auteurs, dont Mason (1976), ont par la suite confirmé une relation linéaire entre intensité de l’émotion ressentie au cours de l’agression et augmentation de la cortisolémie. Les résultats issus des études concernant les ESPT montrent de toute évidence une régulation différente. Le nom de Rachel Yehuda est désormais attaché à la description d’une physiologie originale dans les ESPT. Ainsi, Mason (1986) et Yehuda (1993) démontrent une excrétion urinaire de cortisol plus basse chez les ESPT que chez les témoins, ou même dans d’autres états pathologiques : panique, dépression ou psychoses. Le traumatisme ne semble pas à l’origine de cet état, puisque les survivants de l’holocauste ne présentant pas d’ESPT restent dans la fourchette des témoins. Rachel Yehuda a pu démontrer que les cortisolémies plus basses des ESPT sont en relation avec un trouble du rythme circadien de sécrétion (Yehuda, 1998). La même équipe a mis en évidence une augmentation du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes, tant chez les ESPT (vétérans du Vietnam) que chez les vétérans présentant un ESPT. Le traumatisme créerait donc une situation biologique qui ne se transformerait en trouble que chez certains. La pratique intensive des tests de suppression à la dexaméthasone confirme une hyperréceptivité de l’axe HHS (tableau I). Pour Rachel Yehuda, l’une des clés du mystère réside dans la sensibilité des récepteurs aux glucocorticoïdes. Dans les ESPT, le nombre de ces récepteurs est augmenté, tout comme leur sensibilité. Cette hypothèse est largement vérifiée par la pratique de tests de suppression à la dexaméthasone (DST). Rappelons que la dexaméthasone est un analogue puissant du cortisol. L’administration de 1 mg de dexaméthasone à 0h00 entraîne donc normalement un feed-back négatif sur l’hypophyse et un effondrement des concentrations de cortisolémie le lendemain matin à 8h00. Dans les troubles dépressifs, d’innombrables études ont montré un échappement à Tableau I. Régulateur du cortisol chez les volontaires sains et chez les patients souffrant d’ESPT. Exposition chronique à un stress chez le volontaire sain Patients présentant un ESPT Augmentation de la cortisolémie et de la cortisolurie Diminution de la cortisolémie et de la cortisolurie Réduction de la sensibilité des récepteurs aux glucocorticoïdes Augmentation de la sensibilité des récepteurs aux glucocorticoïdes Érosion du feed-back négatif Augmentation du feed-back négatif cette suppression. Dans les ESPT, c’est l’inverse qui se produit : il suffit d’administrer 0,5 mg pour obtenir une hypersuppression. L’équipe du Mount Sinaï, dans le Bronx, a pu vérifier ces observations au cours d’une étude concernant les victimes de prise d’otage. Plusieurs dizaines de victimes ont été explorées dans les 72 heures suivant leur traumatisme et furent suivies durant au moins un an. Les conclusions montrent que l’hypersuppression immédiate prédit, avec une sensibilité proche de 100 %, l’apparition de l’ESPT ! Il a pour l’heure été possible de regrouper les victimes en trois groupes : ceux qui ne développeront jamais d’EPST, ceux qui présenteront un ESPT mais qui s’en remettront, enfin ceux qui ne récupéreront pas spontanément de leur ESPT (cortisolémies basses et hypersuppression au DST). Ces données ont été confirmées par MacFarlane dans une étude portant sur 40 accidentés de la route : ceux qui ont présenté par la suite un ESPT avaient à l’origine les concentrations de cortisol les plus basses, à l’inverse des futurs déprimés qui présentaient les taux les plus élevés. Toute l’interrogation porte maintenant sur le mode d’apparition de cette régulation originale. Les descendants des survivants de l’holocauste apportent des données intrigantes. L’exploration biologique de ces descendants montre une cortisolémie basale et une hypersuppression au DST, comparée aux témoins lorsque l’ascendant présente ou a présenté un ESPT et des résultats dans la zone des témoins si l’ascendant survivant de l’holo- 151 causte ne présente pas ou n’a jamais présenté d’ESPT. À l’heure actuelle, il est impossible de trancher entre l’hypothèse d’une génétique particulière prédisposant à l’ESPT et une modification transmissible de l’expression génomique à la suite d’un stress intense et prolongé. Un peu d’imagerie cérébrale Le nom de Bruce McEwen fait référence lorsque l’on aborde l’impact cérébral des traumatismes. Ses travaux ont ainsi démontré que des stress sociaux prolongés (la surpopulation, par exemple) pouvaient entraîner une atrophie de certains neurones hippocampiques chez le rat (atrophie dendritique des cellules pyramidales hippocampiques CA3). Chez l’homme, l’imagerie cérébrale a confirmé la présence d’anomalies structurales chez les patients souffrant d’ESPT, en particulier une atrophie de l’hippocampe gauche (10). Poussant un peu plus loin le sadisme habituel des investigateurs, Rauch et son équipe (11) ont soumis de braves traumatisés à une stimulation de leur mémoire traumatique, les rendant du coup très anxieux. On observe ainsi une augmentation du flux sanguin cérébral dans les cortex droits orbitaire, insulaire, temporo-limbique et occipital et une diminution dans la région de l’aire de Broca gauche. En gros, les aires limbique et para-limbique droites sont impliquées lors du déclenchement des intrusions et des angoisses (12). En ce qui concerne le déclenchement des intrusions, nous retrouvons une fois de plus en première ligne l’amygdale. Les travaux de Ledoux (13) ont neuro-frontières Neuro-Frontières déjà bien démontré son rôle dans le conditionnement des phobies. Risquons des hypothèses étiopathogéniques Dans la perspective purement biologique de cet article, nous n’aborderons que la question “neuronale”, laissant de côté l’esprit ou l’âme. Que peut-on déduire des recherches en biologie des ESPT ? En dehors de l’hypothèse génétique, comment expliquer les particularités des ESPT concernant leur hypersensibilité aux corticoïdes ? Les récepteurs aux corticoïdes sont présents partout dans le cerveau. Nous les retrouvons avec une fréquence accrue dans les structures fortement impliquées dans la mémoire émotionnelle : l’hippocampe, l’amygdale, le cortex frontal et l’hypothalamus. Plusieurs travaux ont démontré des effets délétères sur la mémoire à long et court terme des lésions amygdaliennes (14). Il semble probable que l’amygdale possède une influence modulatrice sur l’hippocampe. Cette équipe postule qu’un stress traumatique est de nature à La dysrégulation noradrénergique alimente l’idée d’une nécessaire réduction de l’activité du locus coeruleus pour traiter avec efficacité les ESPT. Les IMAOs, les antidépresseurs tricycliques, les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine, la clonidine, les benzodiazépines et les bêtabloqueurs répondent à cette nécessité. L’évitement conditionné, les troubles du sommeil, les troubles du contrôle des impulsions sont des dimensions en relation avec l’activité sérotoninergique. Les essais ont en effet montré une efficacité de la fluoxétine, de la paroxétine et de la sertraline. Plusieurs auteurs ont établi un parallèle entre l’embrasement observé dans l’épilepsie et les symptômes intrusifs des ESPT (Van der Kolk, 1987). Si bien que la théorie du kindling a été testée. Le kindling est un effet observé dans la clinique de l’épilepsie : après répétition de stimulations de faible intensité, on observe un seuil de déclenchement plus bas des crises comitiales. L’efficacité de la carbamazépine dans les ESPT soutient en partie cette hypothèse. surstimuler l’amygdale et l’hippocampe par des corticoïdes. Les patients présentant déjà une hypersensibilité seraient donc de bons candidats à la pathologie Approches thérapeutiques Comme pour la plupart des troubles anxieux, les patients souffrant d’ESPT peuvent retirer bénéfice d’une double approche, pharmacothérapique et psychothérapique. Seule la pharmacothérapie sera abordée. Les essais concernant les traitements biologiques des ESPT découlent des différentes hypothèses mécanicistes. Un point toujours discuté est la médication des patients présentant un état aigu de stress, afin de prévenir l’apparition des ESPT. Dans une étude non publiée, Shalev a montré que l’administration d’alprazolam à des soldats israéliens exposés à un traumatisme récent, dans le cadre d’une étude contrôlée, entraînait des effets délétères. À 6 mois, le groupe alprazolam présentait un plus grand nombre de signes d’ESPT. Tableau II. Impact des différents psychotropes sur les principaux symptomes de l’ESPT. Symptômes-cibles Inhibiteurs du recaptage de la sérotonine IMAO Tricycliques Réduction du syndrome de répétition ++ ++ +/0 + ++ + Réduction de la tendance à tout interpréter comme une récurrence du traumatisme ++ + + 0 ++ + Réduction de l’état d’hyperéveil + + + ++ + 0 Réduction des évitements Benzodiazépines Bétabloqueurs Anticomitiaux + ++ + + ? + dépression + numbing : 0 dépression + numbing : 0 + 0 – + Réduction des éléments dissociatifs 0 0 0 0 + Réduction de l’agressivité (auto- et hétéro-) + + + + ++ Amélioration de l’état dépressif et de l’émoussement affectif (numbing) Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 4, septembre 2000 152 neuro-frontières Neuro-Frontières Comme on l’a vu, les ESPT réunissent un ensemble de troubles parfois composites où se retrouvent des signes spécifiques (le syndrome de répétition) et des éléments sémiologiques non spécifiques. Le lecteur trouvera dans le tableau II une lecture critique des différents impacts biologiques. En guise de conclusion Les techniques de prise en charge des victimes d’ESPT se sont codifiées et ont pu montrer une incontestable efficacité. Il est aussi indéniable que ces progrès connaîtront une limite, tant que les mécanismes les plus intimes des ESPT ne seront pas connus. Ici comme ailleurs, les stratégies consensuelles (psychothérapies composites, associées ou non à des traitements médicamenteux) ne peuvent apporter d’horizons réellement nouveaux. Les progrès les plus immédiats sont à attendre du côté de la prévention primaire. D’ores et déjà, de nombreuses banques, certaines compagnies de transports et plusieurs services d’urgence médicale ont inscrit à leur calendrier de formation des stages destinés aux salariés exposés. À l’heure de la maîtrise des dépenses de santé, leur large diffusion devrait permettre de substantielles économies. Références 1. Crocq L. Panorama des séquelles des traumatismes psychiques. Psychologie Médicale 1992 ; 24, 5 : 427-32. 2. Breslau N, Davis GC. Post-traumatic stress diorder in an urban population of young adults : risk factors of chronicity. Am J Psychiatry 1992 ; 149 : 671-5. 12. De Beaurepaire R. Co-morbidité dépres- 3. Davidson 13. Ledoux J. The brain.Touchstone Ed, 1996. JRT, Hughes DL, Blazer DG. Post-traumatic stress disorder in the community : an epidemiological study. Psychol Med 1991 ; 21 :1-9. 4. Kulka RA, Schlenger WE, Fairbank JA et al. Trauma and the vietnamwar generation : report of finding from the national vietnam veterans readjustment study. 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Doseresponse changes in plasma cortisol and lymphocytes glucocorticoid receptors following dexamethasone administration in combat veterans with and without postraumatic stress disorder. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : 583-93. généraux de la sclérose latérale amyotrophique (Paris) sur la sclérose latérale amyotrophiqqe (ARS) organise les états généraux de la SLA le 23 octobre prochain à l’Assemblée Nationale. Ce colloque traitera de l’aspect médico-économique de la maladie ainsi que sa prise en charge économique et sociale. La communauté médicale et paramédicale, les institutionnels de la santé et les familles de malades sont invités à participer à ce colloque en faisant leur demande d’invitation : par tél. : 01 58 05 10 70, par fax : 01 58 05 10 71, par e-mail : [email protected] 153