Cas clinique Un impubérisme bien partiel… A very partial impuberism Julia Morera, Juliette Hardouin, Yves Reznik* Observation * Service d’endocrinologie-diabétologie, CHU Côte-de-Nacre, Caen. Monsieur L., 20 ans, est vu en consultation le 3 février 2010, à sa demande, pour une surcharge pondérale d’apparition progressive depuis l’âge de 11 ans. Il n’a aucun antécédent personnel ni familial et ne prend aucun traitement. Il n’y a pas de surpoids chez ses parents, ni chez ses frères et sœurs. L’interrogatoire ne met pas en évidence d’erreurs alimentaires ni de conduites compulsives. À l’examen clinique, son poids est de 92 kg pour 1,82 m, ce qui correspond à un indice de masse corporelle de 27,7 kg/m2. On note une macroskélie. Monsieur L. chausse du 45, ses mains sont de taille normale. Son père mesure 1,80 m pour 75 kg et sa mère 1,75 m pour 60 kg. On note une surcharge androïde, avec une circonférence abdominale de 106 cm. La tension artérielle est normale, à 130/74 mmHg. Il n’y pas de signe cli- Figure 1. IRM hypophysaire : hypophyse de taille et de morphologie normales (séquence T2). 304 nique évocateur d’hypothyroïdie ni d’hypercorticisme. Le développement pubertaire est quasi normal, avec un volume testiculaire à 15 ml (normale : 18 à 25 cm), et des érections que le patient juge satisfaisantes, mais la verge est de petite taille (4 cm) et la pilosité est incomplète, au stade P3. Il n’y a pas d’anosmie ni de syndrome dysmorphique. Sur le plan biologique, la numération-formule sanguine, le ionogramme sanguin, la créatininémie, le bilan hépatique et le bilan lipidique sont normaux. Il n’y a pas d’anomalie du métabolisme glucidique. La ferritinémie est normale, à 51 ng/ml, ainsi que le coefficient de saturation, à 0,26. En discordance avec le statut pubertaire clinique, le taux de testostérone plasmatique totale est bas, à 0,87 ng/ml (normale : 3-10), et les gonadotrophines ne sont pas élevées : FSH à 1,38 mU/l et LH à 1,62 U/l. Trente minutes après 100 μg LHRH en i.v., LH 14,5 mU/l et FSH 3,01 mU/l. L’analyse de la pulsatilité de la LH montre une diminution de l’amplitude des pics (0,38 U/l chez notre patient versus 2,4 ± 0,3 U/l chez les témoins étudiés). Autres dosages : AMH 4,9 ng/ml (< 5,8), inhibine B 147 pg/ml (135-350), TSH 1,46 mU/l, T4 libre 9,5 pmol/l (8-21), T3 libre 5,5 pmol/l (3,8-6,6), prolactine 7,89 ng/ml et IGF1 434 ng/ml (175-495). GH sur 6 prélèvements < 0,3 mU/l. Cortisol à 8 heures : 219 ng/ml (100-250), 15 ng/ml à 0 heure, ACTH 38 ng/ml (10-40). Cortisol libre urinaire 70 μg/24 heures (< 100), cortisol après freinage minute (1 mg dexaméthasone) : 10 ng/ml. Le bilan hormonal conclut à un hypogonadisme hypogonadotrope partiel et isolé. Le spermogramme n’est pas disponible. L’IRM hypophysaire met en évidence une hypophyse bien visible et d’aspect normal. Il n’y a pas de déviation de la tige pituitaire (figure 1). Malgré le déficit androgénique profond, la radiographie du poignet gauche retrouve un âge osseux supérieur à 13 ans, avec une quasi-soudure des cartilages de conjugaison. Devant ce tableau d’hypogonadisme hypogonadotrope (HH) partiel sans étiologie tumorale ou infiltrative à l’IRM hypophysaire et sans anosmie ni syndrome dysmorphique, une mutation du gène du récepteur de la GnRH est recherchée. L’étude de ce gène met alors en Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 10 - décembre 2012 - Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 Un impubérisme bien partiel… évidence une hétérozygotie composite pour les mutations c.416G>A (R139H) et c.317A>G (Q106R) situées sur l’exon 1 du gène du récepteur de la GnRH. Une supplémentation androgénique est instaurée, et une analyse génétique est proposée aux parents de Monsieur L. : la mère du patient s’avère être porteuse hétérozygote de la mutation c.416G>A (R139H) située sur l’exon 1 du gène du récepteur de la GnRH, et le père porteur hétérozygote de la mutation c.317A>G (Q106R) située sur le même exon. Discussion Ce tableau de déficit gonadotrope partiel induit par une mutation du gène du récepteur de la GnRH illustre la grande variabilité phénotypique de cette pathologie. Ce patient présente un tableau inhabituel d’HH partiel avec maturation osseuse quasi adulte et volume testiculaire normal malgré un déficit gonadotrope profond. L’HH congénital (HHC) est une cause rare d’hypogonadisme (1/10 000). La majorité des HH isolés s’intègre dans une pathologie génétique liée à l’X, le syndrome de Kallmann, qui associe un hypogonadisme et une anosmie. Plusieurs gènes Tyr108Cys/Thr104Ile* Arg139His/Arg139His Arg139Cys/Arg139Cys Arg262Glm/Tyr284Cys Gln106Arg/L314X Ala129Asp/Arg262Gln Splice site mutation, skipping exon 2 impliqués ont été identifiés comme étant responsables : les gènes KAL-1, KAL-2, de la prokinéticine et FGFR-1. En l’absence d’anosmie, la recherche d’une mutation du gène du récepteur de la GnRH est à effectuer en première intention, puis, en deuxième intention, celle d’une mutation de GPR54 (régulateur de la sécrétion de GnRH) ou du gène de la GnRH. Le gène du récepteur à la GnRH est un récepteur couplé aux protéines G, composé de 3 exons localisés sur le chromosome 4. Jusqu’à 22 mutations ont été décrites, la plus fréquente étant la mutation Q106R, située sur la première boucle extracellulaire. Cette mutation, transmise sur le mode autosomique récessif, concerne 5 % des HHC sans anosmie. Cette prévalence s’élève à 40 % en cas de forme familiale. Le diagnostic d’HH isolé est classiquement évoqué devant un impubérisme à l’âge de 18 ans, une hypotestostéronémie et des concentrations faibles de gonadotrophine. Néanmoins, la présentation phénotypique est très variable, et tous les stades pubertaires peuvent être retrouvés à l’âge adulte. Une relation génotypephénotype a ainsi pu être établie (figure 2) [1], même si certaines études ont publié des cas familiaux d’HH isolé chez des patients porteurs de la même mutation Gln106Arg+Ser217Arg/Arg262Gln** Asn10Lys+Gln11Lys/Pro320Leu Gln106Arg/Arg262Gln Gln206Arg/Leu266Arg Gln106Arg/Gln106Arg Gln106Arg/Arg262Gln Gln106Arg/Leu265Arg Asn10Lys/Gln106Arg Aménorrhée primaire et développement mammaire partiel Aménorrhée primaire Absence de développement mammaire Réponse partielle à l’administration de GnRH pulsatile Développement mammaire de partiel à complet, oligoménorrhée, grossesse spontanée ou induite par administration de GnRH Sévère Cryptorchidie et/ou micropénis Asn10Lys/Gln106Arg Glu90Lys/Glu90Lys Arg262Gln/Ala129Asp Ser168Arg/Ser168Arg Ala171Thr/Gln106Arg Arg139His/Arg139His Moyenne HHC totale : sans micropénis ou cryptorchidie Thr32Ile/Cys200Tyr Gln106Arg+Ser217Arg/Arg262Gln** Leu266Arg/Leu266Arg Ala129Asp/Arg262Gln TV > 6 ml eunuque fertile Puberté retardée Oligospermie Gln106Arg/Arg262Gln Gln106Arg/Gln106Arg Tyr108Cys/Thr104Ile* Arg262Gln/Arg262Gln Figure 2. Corrélations génotype-phénotype des mutations du gène du récepteur de la GnRH (d’après [1]). * et ** : membres de la même famille. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 10 - décembre 2012 - Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013 305 Cas clinique mais présentant des déficits gonadotropes de profondeurs variables (2). Le degré d’inhibition du signal de transduction du récepteur de la GnRH induite par la mutation influence le caractère partiel ou complet de l’hypogonadisme. La mutation Q106R est une mutation perte de fonction responsable d’une diminution de la liaison de la GnRH à son récepteur et de la transduction du signal (3), souvent présente à l’état hétérozygote et associée à d’autres mutations. Les cas décrits dans la littérature d’hétérozygotie composite avec Q106R ont une présentation phénotypique très variable allant d’un tableau d’HH complet à un tableau d’hypogonadisme partiel (simple retard pubertaire, oligospermie isolée, voire syndrome de l’eunuque fertile) [1, 4, 5] (figure 2), en rapport avec le second allèle muté. Un cas d’homozygotie pour cette mutation a été décrit, et le tableau était celui d’un syndrome de l’eunuque fertile (1). La mutation Q106R est donc une mutation perte de fonction partielle pouvant expliquer une faible activité du récepteur. La mutation R139H entraîne une interruption de la transduction du signal et de la liaison du récepteur à la protéine G (3). À notre connaissance, la mutation R139H n’a été décrite qu’à l’état homozygote, et la présentation phénotypique univoque est celle d’un HH complet (1). À l’état homozygote, cette mutation est responsable d’une perte complète de fonction du récepteur. L’hétérozygotie Q106R/R139H du patient peut ainsi expliquer la diminution d’activité du récepteur et le tableau d’hypogonadisme partiel. Le volume testiculaire normal traduit probablement une sécrétion suffisante de FSH pour le développement des tubes séminifères, réalisant ainsi le tableau de l’eunuque fertile. Le déficit androgénique profond contraste avec le développement subnormal du statut pubertaire clinique et la maturation osseuse. Il pourrait s’agir d’une interruption prématurée de l’activité gonadotrope après démarrage pubertaire. Les mutations du récepteur de la GnRH dans les cas d’HH sévère et complet sont responsables d’une résistance hypophysaire à l’administration pulsatile de la GnRH, elle-même responsable d’une perte de la pulsatilité de LH (2). Dans les HH partiels, la sécrétion de LH reste pulsatile, mais avec une diminution de l’amplitude des pulses (2, 4). En conclusion, la présentation clinique des patients atteints d’HH isolé peut être très variable. Il faut, dans ce contexte clinique, rechercher une anomalie génétique, et ce même en cas de phénotype partiel et de découverte post-pubertaire de l’HH. ■ Références 1. Brioude F, Bouligand J, Trabado S et al. Non-syndromic congenital hypogonadotropic hypogonadism: clinical presentation and genotype-phenotype relationships. Eur J Endocrinol 2010;162:835-51. 2. De Roux N , Young J, Brailly-Tabard S, Misrahi M, Milgrom E, Schaison G. The same molecular defects of the gonadotropin- releasing hormone receptor determine a variable degree of hypogonadism in affected kindred. J Clin Endocrinol Metab 1999;84:567-72. 4. De Roux N, Young J, Misrahi M et al. A family with hypogona- 3. Karges B, Karges W, de Roux N. Clinical and molecular 5. Chevrier L, Guimiot F, de Roux N. GnRH receptor mutations genetics of the human GnRH receptor. Hum Reprod Update 2003;9:523-30. dotropic hypogonadism and mutations in the gonadotropinreleasing hormone receptor. N Engl J Med 1997;337:1597-602. in isolated gonadotropic deficiency. Mol Cell Endocrinol 2011;346:21-8. Les articles publiés dans “Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © octobre 1997 - Edimark SAS Imprimé en France – Axiom Graphic SAS - 95830 Cormeilles-en-Vexin – Dépôt légal : à parution 306 Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 10 - décembre 2012 - Vol. XVII - n° 1 - janvier 2013