La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 2 - mars-avril 2009 | 53
Résumé
Malgré l’impact des thérapies combinées antirétrovirales sur la mortalité due à l’infection par le VIH, les patho-
logies malignes restent une cause importante de décès de nos jours. Tandis que l’avènement des combinaisons
antirétrovirales a permis une réduction de l’incidence de la maladie de Kaposi et des lymphomes non hodgkiniens,
les patients infectés par le VIH présentent un risque accru pour certains cancers non associés au stade sida, caracté-
risés par des aspects cliniques communs, généralement à comportement plus agressif et diagnostiqués à un stade
plus avancé, ce qui explique un pronostic moins favorable. Il y a actuellement un manque de recommandations en
termes de traitement spécifique pour ces nouveaux types de cancer. Par ailleurs, il existe des interactions entre
les agents antirétroviraux et les agents cytotoxiques via le cytochrome P450. Plusieurs traitements antinéopla-
siques étant également métabolisés par ce cytochrome, la coadministration de ces derniers en même temps que
le traitement antirétroviral pourrait aboutir soit à l’accumulation des molécules, ce qui augmenterait la toxicité,
soit à la baisse d’efficacité de l’un des traitements, voire des deux.
Mots-clés
Pathologies malignes
associées à l’infection
VIH
Pathologies malignes
non associées à
l’infection VIH
Antirétroviraux
Chimiothérapie
Highlights
Despite the impact of combi-
nation antiretroviral therapy
(cART) on human immuno-
deficiency virus (HIV)-related
mortality, malignancies remain
an important cause of death.
While the advent of cART has
resulted in reductions in the
incidence of Kaposi’s sarcoma
and non-Hodgkin’s lymphoma,
HIV-infected patients are at
increased risk of non-AIDS-
defining malignancies, char-
acterized by some common
clinical features, generally with
a more aggressive behaviour
and a more advanced disease
at diagnosis, which explain the
poorer outcomes. Specific ther-
apeutic recommendations are
lacking. Antiretroviral agents
have a propensity for causing
drug interactions as a result of
their ability to either inhibit or
induce the cytochrome P450
(CYP) enzyme system. Since
many antineoplastic drugs are
also metabolized by the CYP
system, co-administration with
cART could result in either drug
accumulation with increased
toxicity, or decreased efficacy of
one or both classes of drugs.
Keywords
AIDS-defining malignancies
Non-AIDS-defining
malignancies
Antiretroviral therapy
Chemotherapy
gérer les interactions significatives entre les diffé-
rents traitements, dues à leur capacité à inhiber ou
induire le cytochrome P450 ? Plusieurs molécules
antinéoplasiques sont en effet métabolisées par le
même CYP que les antirétroviraux et peuvent ainsi
induire une accumulation de chacun des produits, et
donc une possible toxicité, ou, à l’inverse, une baisse
d’efficacité pour les deux classes de thérapeutiques.
En vue d’optimiser la prise en charge des patients
et d’améliorer le pronostic, la prise en charge des
patients infectés par le VIH et atteints d’un cancer
concomitant doit donc être multidisciplinaire et
impliquer une expertise du VIH, de l’oncologie et
de la pharmacologie.
Épidémiologie
L’infection à VIH est associée à un risque accru de
développer maladie de Kaposi, LNH (particulière-
ment lymphomes cérébraux primitifs) et cancers
du col utérin. Ces trois cancers définissent le stade
sida (1). La question de la relation entre l’infection à
VIH, l’immunodépression qui en résulte et les autres
types de cancer a été étudiée dans plusieurs études
de cohorte avant 1996 et jusqu’à l’avènement des
thérapies antirétrovirales combinées (3-11). Dans
cette revue, nous nous sommes concentrés sur les
études explorant le risque de cancers définissant ou
non le stade sida chez des patients infectés par le
VIH, au stade sida ou non, par rapport à la population
générale, à partir de la période des thérapies anti-
rétrovirales combinées. Dans ces études, les ratios
d’incidence standardisées ont été estimés. Cette
méthode compare le nombre de cas observés surve-
nant dans la population étudiée (patients infectés
par le VIH, patients au stade SIDA) avec le nombre
attendu d’événements survenant dans la popula-
tion générale. Il s’agit d’une méthode indirecte de
standardisation plutôt que d’une estimation du
risque relatif, mais le résultat est souvent extrapolé
comme équivalent au risque relatif dans la popu-
lation concernée (10). Pour les cancers définissant
le stade sida, comme la maladie de Kaposi, puisque
l’infection à VIH est un facteur de risque très impor-
tant, il faut garder à l’esprit que les ratios d’incidence
standardisés sous-estiment le risque relatif réel des
patients VIH/ sida par rapport à celui des patients non
exposés au virus (10). Quand on compare les résul-
tats des diverses études, il faut tenir compte du fait
qu’il existe des différences entre les patients, liées
à des risques différents entre les groupes (patients
homosexuels, utilisateurs de drogues intraveineuses,
patients hétérosexuels et autres) et à un degré d’im-
munodépression plus important chez les patients au
stade sida que chez les patients uniquement infectés
par le VIH.
Quatre grandes études comparatives sont recensées
à ce jour. G.M. Clifford et al. (11) ont fait le lien
entre les données de l’étude de cohorte des patients
suisses VIH et celles des registres cantonaux suisses
des cancers ; ils rapportent des ratios d’incidence
standardisés chez les patients sous thérapies combi-
nées antirétrovirales ou non.
E.A. Engels et al. (12) ont fait le lien entre les cas
de sida et de cancer enregistrés dans 11 régions des
États-Unis et ont rapporté des ratios d’incidence
standardisés de 1990 à 1995 et de 1996 à 2002.
M. Herida et al. (2) ont estimé des ratios d’inci-
dence standardisés pour les cancers ne définissant
pas le stade sida parmi les patients VIH des bases
de données des hôpitaux français, de 1992 à 1995
et de 1996 à 1999, en utilisant les taux d’incidence
spécifique dans la population générale française,
établis par un ensemble de 12 registres français
de cancer, estimant l’incidence des cancers à une
échelle nationale, par tranche d’âge de 5 ans. Dans
une quatrième étude, réalisée par N.A. Hessol et
al. (13), le risque de cancers ne définissant pas le
stade sida chez les patients au stade sida dans la
population générale a été étudié sur la période de
1990 à 2000, à San Francisco, mais, malheureu-
sement, les auteurs n’ont pas fourni d’estimation
distincte en fonction de l’utilisation ou non d’anti-
rétroviraux combinés, ni en fonction de la date
d’apparition des cancers par rapport à la date de
traitement, au contraire des trois autres études. Quoi
qu’il en soit, leurs résultats étaient similaires à ceux
de E.A. Engels et al. (12).
Ces études dégagent les mêmes tendances évolu-
tives. Parmi les cancers définissant le stade sida,
les incidences du lymphome non hodgkinien et de
la maladie de Kaposi ont significativement baissé
depuis l’utilisation des combinaisons d’antirétro-