a nécessité d’une approche globale de la prise en
charge des malades atteintes de cancer du sein s’est
imposée progressivement même si elle est inscrite par
essence au cœur même de la relation soigné-soignant depuis
Hippocrate. Cependant, affirmer que la patiente ne se résume pas
à la maladie, qu’elle n’est ni un cancer ni encore moins, un
sein cancéreux est une évidence pour beaucoup d’entre nous et
pourtant, combien de patientes ressentent encore cette impres-
sion (1) ?
Lors des premiers États généraux des malades atteints de cancer
organisés par la Ligue nationale contre le cancer (2) en novembre
1998, les malades ont clamé : “Donnez-nous des médecins plus
humains !”. Une telle revendication, exprimée publiquement
et avec force, était symptomatique d’un manque de chaleur,
d’empathie, voire d’humanité, ressenti par les malades. Cette
affirmation a bouleversé plus d’un soignant quand elle ne les a
pas blessés profondément, croyant entendre dans ce cri une
atteinte portée à leur pratique quotidienne qu’ils croyaient atten-
tive, chaleureuse et humaine. C’est dire la somme de malentendus
et de souffrances que ces malades exprimaient et que ces soi-
gnants ressentaient.
Dès 1996, les décrets portant réforme de la Sécurité sociale
avaient posé en préambule le principe du “patient au centre du
dispositif de soins”. Dans le domaine de la cancérologie, en raison
de l’exercice pluridisciplinaire, cette proposition paraissait assez
claire aux yeux de tous. Il a fallu, cependant, attendre les travaux
du Cercle en décembre 1999 et la parution en février 2000 du
Plan cancer de Dominique Gillot et de Bernard Kouchner pour
voir apparaître dans les textes officiels de la République la notion
de prise en charge globale des malades atteints de cancers.
ESSAI DE DÉFINITION DE LA PRISE EN CHARGE GLOBALE
Prise en charge médico-technique
La prise en charge de cette maladie protéiforme qu’est le cancer
du sein est tout d’abord médico-technique et il faut le rappeler
avec force : la première chose dont a besoin une malade du
cancer c’est d’une bonne, d’une excellente équipe cancérolo-
gique pluridisciplinaire. Il n’en manque pas en France, tant dans
le secteur public CHU, CHG, que dans les Centres de lutte
contre le cancer ou dans le secteur privé.
Les résultats thérapeutiques français, exprimés en termes de
survie sans récidive comme de survie globale, sont parmi les
meilleurs en Europe, quand ils ne sont pas les meilleurs. Les
résultats publiés par Berrino dans le cadre de l’étude EURO-
CARE sont démonstratifs (3).
Il est vrai que le perpétuel et cruel manque de temps des soi-
gnants, dû à l’impéritie des différents gouvernements concernant
la démographie médicale en France, n’arrange pas les choses et
que la situation va empirer dans les mois et les années à venir. Il
y a chaque année plus de malades atteints de cancers et de moins
en moins de soignants pour les prendre en charge. La complexi-
fication des procédures, la multiplication des réunions médicales
et administratives, l’augmentation des attentes exprimées par les
malades et leurs proches, la nécessité de poursuivre la formation
médicale continue et, cerise sur le gâteau, les 35 heures et les
JRTT réduisent de façon inacceptable le temps consacré aux
soins et rendent kafkaïenne la gestion de leur organisation. Dès
lors comment envisager d’élargir la prise en charge à la globalité
de l’être malade ?
La prise en charge médico-technique des malades est un préa-
lable nécessaire et indispensable, elle n’est plus suffisante à
l’heure actuelle. Aujourd’hui, les patientes réclament de plus en
plus fréquemment et avec insistance une prise en charge élargie
au domaine psycho-social et une aide adaptée dans leur vie quo-
tidienne.
Prise en charge psycho-sociale
Elle a pour objectif d’aider les patientes à faire face aux diffé-
rentes difficultés engendrées au jour le jour par le contexte
pathologique, par exemple :
– difficultés financières ;
– gardes d’enfants ;
– arrêt ou reprise du travail ;
– problèmes avec les assureurs, les caisses de protection sociale ;
– anxiété, dépression, fatigue ;
– difficultés relationnelles dans leur couple, avec leurs enfants,
leurs parents.
LES DIFFÉRENTS DOMAINES DE LA PSYCHO-ONCOLOGIE
Clinique et thérapeutique
La psycho-oncologie peut se définir comme l’étude des interac-
tions entre le psychisme des patients et les profondes mutations
existentielles que leur imposent le diagnostic du cancer, les thé-
rapeutiques, la guérison ou les étapes qui précèdent la mort. La
DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
La prise en charge globale des malades atteints de cancer
du sein : rôle et place de la psycho-oncologie
D. Serin*, I. Piollet-Calmette*
* Institut Sainte-Catherine, Avignon.
L
maladie s’inscrit donc toujours dans l’histoire du patient. II ne
faut jamais omettre sa connotation sociale et ses effets sur
l’entourage. La reconnaissance de la souffrance psychique des
patients est essentielle. Elle peut donner lieu à une possible prise
en charge thérapeutique, médicamenteuse ou non, individuelle
ou en groupes. L’aide psychologique peut aussi se faire de façon
indirecte pour le patient, au travers de la formation, de la sensi-
bilisation, de l’écoute et du soutien prodigués aux soignants.
Recherche
Les sujets de recherche sont multiples :
– dépistage, évaluation et analyse des troubles psychiques ou
psycho-pathologiques spécifiques à l’oncologie ;
– description de la véritable pathologie de crise déclenchée par
le traumatisme de la maladie ;
– qualité de vie des patients ;
– problèmes éthiques liés aux décisions thérapeutiques ;
– intégration de la dimension psychologique aux actions de pré-
vention et de dépistage.
Formation et enseignement
Former à la psycho-oncologie, c’est enseigner le retentissement
psychologique des cancers et de leurs traitements sur l’individu
malade et les proches. C’est aussi sensibiliser l’ensemble des
soignants à l’aspect relationnel des soins.
LES CHAMPS DE LA PSYCHO-ONCOLOGIE
II importe de bien distinguer les activités diagnostiques et
thérapeutiques des professionnels “psy” (psychiatres, psycho-
logues, psychanalystes) de celles des cancérologues, ainsi que le
corpus de connaissances qu’ils élaborent avec tous les interve-
nants en cancérologie, dans ce que l’on peut appeler les champs
de la psycho-oncologie et qui sont au nombre de deux :
un champ restreint : c’est bien celui des professionnels “psy”
spécialistes, eux-mêmes formés à ce travail cancérologique spé-
cifique avec les patients, les familles et leurs soignants. Ils ont
en charge, nous l’avons vu, la thérapeutique (aide psychologique
et médicaments psychotropes), la constitution d’un corpus de
connaissances, l’enseignement, la recherche (en collaboration
avec les oncologues), les soins ;
un champ élargi : c’est le champ technique et relationnel
propre aux soignants, intervenant dans et hors du milieu hospi-
talier, plus ou moins compétents en psycho-oncologie.
Cette compétence devrait s’exercer dans :
– tous les actes de soins, où la qualité relationnelle et l’écoute du
patient doivent être respectées ;
– les temps d’information, à donner prioritairement aux patients ;
– les actions de prévention et de dépistage et leurs implications
psychosociales ;
– les interventions psychosociales en coordination avec les asso-
ciations de bénévoles ;
– les soins palliatifs qui prennent en charge un encore trop petit
nombre de patients ;
– et le suivi en phase de guérison, qui pose des problèmes de
réadaptation et de réinsertion psychologiques, sociales et pro-
fessionnelles, sur le plan médical et personnel.
COMMENT AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE
PSYCHO-ONCOLOGIQUE EN FRANCE ?
Depuis de nombreuses années, la Société française de psycho-
oncologie s’est engagée, avec la Fédération nationale des centres
de lutte contre le cancer et certains CHU, à former les onco-
logues à la psychologie en situation oncologique. Un guide des
bonnes pratiques en psycho-oncologie a été publié dès 1995 par
la FNCLCC dans le Bulletin du cancer. Les travaux du Cercle,
les études Parcours de femmes (4), Ensemble parlons autrement
des cancers et la prise de parole des malades lors des États géné-
raux de 1998 et 2000 ont réaffirmé :
– l’importance que revêt la prise en charge psycho-oncologique
des malades, de leurs proches et des soignants (5) ;
– et la nécessaire amélioration des capacités relationnelles des
soignants au quotidien.
Cette prise en charge relève :
– des soignants oncologues : infirmièr(e)s, technicien(nes) de
radiothérapie, médecins, pour lesquels il est nécessaire d’envisager:
une formation relationnelle ;
une méthodologie de recueil des attentes et des besoins du
patient, une évaluation de son état émotionnel ;
des notions élémentaires de psychologie en situation oncologique.
– des psychiatres et des psychologues avec :
des notions élémentaires d’oncologie clinique et pratique pour
tous ;
une formation des psychologues à la psychopathologie en
situation oncologique, qui leur permettra d’offrir au patient une
aide active à l’adaptation psychologique en situation de maladie
cancéreuse ;
une reconnaissance officielle de la formation des psychologues
cliniciens à l’oncologie afin de leur accorder un statut dans la
fonction publique ou le statut de profession libérale pour pouvoir
rembourser les actes de psycho-oncologie hors des institutions
et dans le cadre d’un exercice s’intégrant dans un réseau onco-
logique.
Une telle ouverture pour les psychologues cliniciens devrait attirer
vers ces professions salariées ou libérales un nombre important
de psychologues actuellement en manque cruel de débouché
professionnel et, ainsi, de pallier le déficit non moins cruel en
psychiatres.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Chardot C. Désarroi et détresse des cancéreux. Informations et recours à
donner. Nice, 2000.
2. Compagnon C et al. Les malades prennent la parole. Ligue Nationale contre
le cancer. Paris : Ramsay, 1999.
3. Berrino FSM, Verdecchio A, Capocaccia R et al. Survival of cancer patients in
Europe : the EUROCARE study. In : Lyon : IARC Scientific Publications, 1995.
4. Serin DPH, Schraub S, Chevalier H. Parcours de Femmes. Enquête d’opi-
nion réalisée auprès des femmes traitées pour cancers gynécologiques et mam-
maires et auprès des équipes soignantes qui les ont prises en charge. Bull Cancer
1998 ; 85 (6) : 578-85.
5. Krakowski I et al. Organisation coordonnée de la prise en charge des symp-
tômes et du soutien à toutes les phases de la maladie cancéreuse : vers la mise
en place de structures pluridisciplinaires de soins oncologiques de support. Bull
Cancer 2001 ; 88 (3): 3221-8.
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