vie professionnelle Responsabilité médicale : information, retard diagnostique, erreurs médicales, quels risques ? D. Kamioner* S i le nombre d’affaires impliquant les médecins reste stable, en revanche, le montant des indemnisations et les condamnations de médecins libéraux devant les tribunaux civils ne cessent d’augmenter. Selon le Dr C. Sicot, secrétaire général du Sou Médical, la moitié des accidents médicaux sont évitables (1). Les obstétriciens sont devenus pratiquement inassurables et les généralistes sont de plus en plus visés. La cancérologie n’est plus épargnée, les procédures se font nombreuses devant les tribunaux “au civil ou au pénal” et la saisine de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents médicaux est en constante augmentation. Les griefs portent le plus souvent sur le manque d’information, le retard diagnostique et la faute médicale présumée. Selon C. Sicot, en 2006, le Sou Médical a couvert en responsabilité civile professionnelle 288 163 sociétaires. Ceux-ci ont adressé 3 589 déclarations, dont 3 443 concernaient des dommages corporels et 146 des dommages matériels. La sinistralité correspondante est de 1,25 déclaration pour 100 sociétaires. Pour les 117 697 médecins sociétaires du Sou Médical (toutes spécialités confondues et quel que soit le mode d’exercice, libéral ou salarié), le nombre de déclarations est de 2 130, dont 2 104 ont trait à des dommages corporels et 26 à des dommages matériels. La sinistralité (2 104/117 697) concernant les dommages corporels est de 1,78 pour 100 sociétaires médecins (toutes spécialités confondues et quel que soit le mode d’exercice, libéral ou salarié) [1,82 % en 2005]. La sinistralité concernant les seuls médecins libéraux est de 2,62 % (1 823/69 626) [2,63 % en 2005]. Si l’on s’en tient à la cancérologie, les déclarations ont porté notamment sur : un retard de diagnostic de 2 ans d’un cancer du sein, la prise en charge, la surveillance ou le traitement (contestés par 6 déclarations), notamment lors de décès, sans que le motif de la plainte soit clairement exprimé. Un malade atteint de synovialosarcome du genou reproche l’absence de traitement complémentaire (chimiothérapie et/ou radiothérapie) après une exérèse chirurgicale en zone saine qui a été suivie d’une récidive locale traitée par chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie et qui a évolué, passé une période de rémission, vers des métastases pulmonaires et une nouvelle récidive locale nécessitant une amputation. Les déclarations portent aussi sur des accidents thérapeutiques : par exemple, une curithérapie complémentaire pour cancer du col utérin traité par radio-chimiothérapie puis par colpohystérectomie élargie aurait entraîné une nécrose vésicale, avec plusieurs fistules, urinaire, digestive et vaginale, imposant de multiples réinterventions (les fistules étaient-elles préexistantes ?). En radiologie, on note 74 déclarations, dont 61 pour les seuls radiologues libéraux, soit une sinistralité de 3,6 % (61/1 693) [5,8 % en 2005]. Parmi elles, on relève 2 plaintes pénales, 7 plaintes ordinales, 21 assignations en référé, 29 réclamations et 11 saisines d’une CRCI. Onze déclarations portent sur une erreur d’interprétation radiographique, dont : ➤➤ un retard de diagnostic (de quelques jours) d’un lymphome hodgkinien (élargissement du médiastin méconnu sur la radiographie thoracique) ; ➤➤ huit plaintes pour retard de diagnostic d’un cancer du sein (mammographie interprétée comme normale 3 mois à 3 ans et, en moyenne, 14 mois avant la détection). Deux de ces cancers ont été découverts au stade métastatique, et l’un d’entre eux a été rapidement suivi d’un décès. Deux des mises en cause visent un radiologue participant à une campagne de dépistage. Dans plusieurs de ces dossiers, la responsabilité du retard paraît partagée entre les médecins radiologue, gynécologue ou généraliste. Enfin, au nombre des erreurs d’interprétation radiographique figure la récidive d’un cancer vésical, pour le diagnostic de laquelle le retard reproché était d’un mois. * Oncologue médical, expert près la Cour d’Appel de Versailles ; Hôpital Privé de l’Ouest Parisien, Trappes. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 107 vie professionnelle Tableau I. Nombre de réclamations : services de médecine et de chirurgie. Services de médecine Services de chirurgie Nombre de réclamations Spécialités Spécialités Nombre de réclamations Psychiatrie 35 Orthopédie 1 032 Cardiologie 53 Obstétrique 313 Pédiatrie et néonatalogie 39 Chirurgie viscérale 320 Hépato-gastroentérologie 64 Gynécologie 238 Cancérologie 49 Neurochirurgie 165 25 Chirurgie thoracique 106 Autres 633 Neurologie Autres 188 Total 453 8% 12 % 41 % 9% 14 % 5 % 11 % Total Psychiatrie Cardiologie Pédiatrie et néonatalogie Hépatogastroentérologie Cancérologie Neurologie Autres 2 807 “Les activités des services de médecine ont donné lieu à 453 réclamations au cours de l’exercice. Sont principalement concernées l’hépatogastroentérologie (14 % des réclamations), la cardiologie (12 %), la cancérologie (11 %), la pédiatrie et la néonatalogie (9 %), et la psychiatrie (8 %)” (2). Ces déclarations ne prennent en compte que les assurés par le Sou Médical, car les médecins salariés hospitaliers sont en principe représentés par leur institution, qui est assurée en général à la Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM). J.Y. Nouy (2), directeur général de la SHAM, précise : “Jusqu’à présent, la baisse de la fréquence des réclamations a compensé la hausse du coût des sinistres corporels, permettant ainsi une stabilité tarifaire. Toutefois, la hausse de la fréquence des réclamations et la forte inflation de la jurisprudence des juridictions administratives, si elles se confirment, risquent de conduire à un relèvement tarifaire pour les hôpitaux publics. Le Panorama 2006 met en perspective deux tendances concernant la sinistralité en responsabilité civile médicale ; après trois années de maîtrise, la fréquence des réclamations repart à la hausse sur le premier semestre 2007, le coût des sinistres corporels graves progresse très fortement, principalement du fait de l’inflation de la jurisprudence des juridictions administratives” (tableau I et figure). Analyse des griefs Information et consentement du patient (3) 23 % 37 % 4% 6% 8% 11 % 11 % Orthopédie Obstétrique Chirurgie viscérale Gynécologie Neurochirurgie Chirurgie thoracique Autres “Les services de chirurgie ont été mis en cause au cours de l’année par 2 607 réclamations. L’orthopédie est toujours la première spécialité mise en cause avec 37 % des réclamations. Sont également régulièrement impliquées les spécialités d’obstétrique (11 %), de chirurgie viscérale (11 %), de chirurgie gynécologique (8 %) et de neurochirurgie (6 %)” (2). Figure. Répartition des réclamations : services de médecine et de chirurgie. Trois déclarations concernaient la scanographie, dont un retard de diagnostic de 4 ans d’une tumeur juxta-aortique (de 60 x 20 mm) de nature lymphomateuse. Dix déclarations portaient sur la prise en charge et la surveillance, notamment pour retard de diagnostic d’un cancer du sein ou des propos alarmistes concernant la nature d’un nodule hépatique (hyperplasie nodulaire focale après examen anatomo­pathologique). Les 293 radiothérapeutes sociétaires du Sou Médical ont adressé 6 déclarations, dont 2 pour les seuls radiothérapeutes libéraux, soit une sinistralité de 1,4 % (2/145) [3,9 % en 2005]. 108 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 ◆◆ Cas clinique n° 1 Une mammographie de dépistage individuel réalisée chez Mme X montre deux images étoilées avec microcalcifications : l’une à la jonction des quadrants internes, l’autre dans le quadrant supéro-externe de la glande. L’étude des mammographies antérieures ne met pas en évidence de lésion suspecte. Mme X ne montre pas la mammographie à son gynécologue (prescripteur), mais, et seulement 3 mois plus tard, à son médecin traitant, qui lui conseille une exploration chirurgicale en raison de lésions suspectes. Mme X choisit le Dr Y, qu’elle connaît depuis longtemps car il a opéré des membres de sa famille. Après avoir examiné la patiente en consultation et étudié les mammographies, le Dr Y propose d’effectuer une intervention chirurgicale avec, en raison de l’existence de deux nodules du sein droit, “un repérage préopératoire et un examen extemporané”. Le chirurgien, dans un premier temps, pratique deux quadrantectomies centrées sur des fils repères. L’examen histologique extemporané précise qu’il s’agit de deux carcinomes intracanalaires. Le Dr Y réalise alors une mammectomie avec curage ­axillaire. vie professionnelle L’histologie confirme un double foyer de carcinome mammaire droit SBR II, RH+ et N0. À l’issue de l’intervention, la patiente reçoit une chimiothérapie selon un protocole CMF en raison de la taille totale des lésions tumorales (1,2 cm + 0,7 cm) et du grade SBR intermédiaire. La patiente a reçu six cures et a ensuite été surveillée régulièrement. Il n’y a pas eu d’hormonothérapie en raison d’antécédents d’embolie pulmonaire et de phlébites. Le chirurgien n’a pas informé la patiente de l’éventualité d’une mastectomie ; la décision d’en réaliser une a été prise en peropératoire, après avis téléphonique du cancérologue. Le chirurgien n’a pas voulu réveiller la patiente pour l’informer ni repousser l’intervention. En conclusion, même si l’indication de mastectomie était justifiée, on constate que la patiente n’avait pas été informée de son éventualité et de ses conséquences possibles. Aucun formulaire de consentement éclairé n’a été présenté à la patiente et sa signature n’a pas été recueillie. L’information a donc été incomplète. ◆◆ Droit à l’information et principe du consentement libre et éclairé (3) Le consentement aux soins, qui nécessite une information précise dispensée par les équipes soignantes et médicales, est une des exigences des personnes malades. De nombreux textes précisent déjà le droit à l’information et le principe du consentement libre et éclairé : ➤➤ la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière consacre le droit à l’information : “Les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l’intermédiaire du praticien qu’elles désignent, les informations médicales contenues dans leur dossier médical” ; ➤➤ le code de déontologie médicale précise : “Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension” (art. 35). “Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas” (art. 36) et, pour les mineurs ou majeurs protégés : “Un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement” (art. 42) ; ➤➤ le code civil stipule : “Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir” (art. 16-3 et 16-1) ; ➤➤ dans la charte du patient hospitalisé, titre IV, on lit : “Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement du patient, hors le cas où son état rend nécessaire cet acte auquel il n’est pas à même de consentir.” La loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (dite loi Huriet) précise : “Le droit de consentir aux actes de soins courants mais aussi à l’expérimentation thérapeutique est réglementé en matière de dons d’organes, de tissus, de cellules et de produits issus du corps humain par les lois de bioéthique du 29 juillet 1994. Tout patient informé par un praticien des risques encourus peut aussi refuser un acte de diagnostic ou un traitement, et à tout moment l’interrompre à ses risques et périls. En cas de refus de soins, le médecin doit respecter la volonté du patient après l’avoir informé des conséquences de ce refus, mais un équilibre doit être trouvé avec le devoir d’assistance lorsque la vie du malade est en jeu : ‘Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences’ (art. 36 du code de déontologie médicale).” Les articles L 1111-1 à 7 dans leur nouvelle rédaction prennent en compte cette responsabilité que souhaitent avoir les personnes malades à l’égard de leur propre santé : une relation plus équilibrée doit s’établir afin de permettre au malade d’exprimer sa volonté tout au long du processus de soin, compte tenu des informations que lui donnent les professionnels de santé et des choix qu’ils préconisent, et de respecter sa décision (encadré). La loi de 2002 précise ces dispositions et les complète, notamment en ce qui concerne l’accès des personnes à l’ensemble des informations relatives à leur santé ; elle reconnaît le droit de chacun à prendre les grandes décisions qui touchent à sa propre santé. En cas de litige, c’est désormais au professionnel ou à l’établissement de santé de prouver qu’il a bien communiqué l’information au malade. • “Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels ou des établissements de santé […]. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne […] et en obtenir communication […].” • “La consultation sur place des informations est gratuite. Lorsque le demandeur souhaite la délivrance de copies, quel qu’en soit le support, les frais laissés à sa charge ne peuvent excéder le coût de la reproduction et, le cas échéant, de l’envoi des documents.” • Délai de réponse du professionnel : “Au plus tôt après qu’un délai de réflexion de 48 heures aura été observé, au plus tard 8 jours, et 2 mois si les informations datent de plus de 5 ans ou lorsque la commission des hospitalisations psychiatriques a été saisie. Dans tous les cas, la présence d’une tierce personne peut être recommandée par le médecin, mais le patient peut refuser cette présence, et son refus n’a pas de conséquence sur l’obligation de lui communiquer son dossier médical.” Encadré. Articles L. 1111-7 et L. 1110-4 du code de la santé publique. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 109 vie professionnelle Retard diagnostique ◆◆ Cas clinique n° 2 M. X est décédé d’un cancer bronchique non à petites cellules, découvert en septembre 2006 à l’occasion d’une toux apparue en août 2006. Des clichés des poumons avaient été faits de manière quasi systématique chaque année depuis 1994. Sans autre indication que le tabagisme, les clichés de 2004 et de 2005 ont été interprétés comme normaux, et ce n’est que secondairement, en en connaissant la localisation sur l’image de 2006, que l’on peut observer une petite opacité apicale droite sur celle de septembre 2005. La mise en cause concerne l’interprétation des deux clichés thoraciques face et profil de 2004 et 2005. Certes, ces clichés ont été réalisés dans le contexte du tabagisme, mais M. X n’était pas suivi par un médecin traitant, il n’y avait aucune symptomatologie (ni toux, ni hémoptysie, ni altération de l’état général, etc.), aucun examen biologique n’avait été pratiqué, et l’interprétation de ces clichés a, comme toujours pour ce patient, été réalisée isolément, sans qu’il ait été possible de se référer aux clichés précédents. C’est pourquoi il n’était possible de faire le diagnostic ou de proposer des examens complémentaires ni en 2004 ni en 2005. Le décès ne paraît donc pas imputable à l’interprétation, en tant que telle, de ces clichés. Il n’y a pas eu d’accident médical ni d’infection iatrogène, ni, bien sûr, d’infection nosocomiale. ◆◆ Définition du retard diagnostique Il est établi, depuis une jurisprudence maintenant ancienne, que le médecin n’est tenu, à l’égard de son patient, qu’à une obligation de moyens, et non de résultat, mais qu’il doit prodiguer à son patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Sa responsabilité ne peut donc être engagée qu’en cas de faute prouvée. C’est d’ailleurs ce que la loi du 4 mars 2002 affirme de nouveau à l’article L 1142-1 du code de la santé publique. Il est reconnu qu’une erreur ou un retard de diagnostic ne constituent pas en eux-mêmes une faute de nature à engager la responsabilité du médecin dès lors qu’ils ne résultent pas d’une méconnaissance des données acquises de la science au moment où il agit, c’est-àdire dès lors que le médecin a mis en œuvre tous les moyens en sa possession pour parvenir au diagnostic conformément à l’article 33 du code de déontologie médicale. Il est dit que l’erreur de diagnostic non fautive est celle que tout professionnel diligent, dans les mêmes conditions, aurait commise. 110 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 A contrario, cela signifie-t-il qu’une erreur de diagnostic reconnue comme fautive – car le médecin aurait manqué à son obligation de moyens – relève ipso facto de la responsabilité de son auteur ? Importance du critère d’imputabilité Le simple fait de rapporter la preuve d’une faute ne suffit pas à engager la responsabilité d’un professionnel de santé. Encore faut-il que soit également démontrée l’existence d’un préjudice ou d’un dommage et celle d’un lien de causalité direct et certain entre ce dernier et la faute commise. Ces principes régissant le droit de la responsabilité en général s’appliquent également naturellement lorsque le médecin doit poser un diagnostic. En effet, dès lors que l’erreur ou le retard de diagnostic sont reconnus, c’est-à-dire, malheureusement, dès lors que le véritable diagnostic est identifié, la question se pose en ces termes : le retard de diagnostic a-t-il eu des conséquences sur l’évolution de la maladie ou sur son traitement ? Un dommage lui est-il directement imputable ? C’est à cette délicate question que devront répondre les experts médicaux et le juge. En effet, nous rappellerons que le retard ou l’erreur de diagnostic, même avérés, ne suffisent pas à eux seuls à engager la responsabilité du médecin. Le patient doit donc prouver que, si le diagnostic avait été posé plus tôt, les soins auraient pu être administrés plus tôt, et qu’ils auraient permis la guérison ou l’amélioration de l’état de santé, ou même que le traitement mis en œuvre aurait été différent, car moins lourd. À défaut, la responsabilité du praticien sera écartée. Expertises en droit commun ou judiciaire (4) Les expertises en droit commun (dites “judiciaires”) sont réalisées, autant pour les juridictions civiles que pénales, par des experts inscrits sur la liste établie par les cours d’appel et la Cour de cassation. Leur but est de donner aux magistrats un avis technique portant sur la nature et l’importance du préjudice patrimonial et extrapatrimonial consécutif aux faits motivant l’expertise. L’expert devra quantifier ces différents préjudices (incapacité temporaire totale [ITT], incapacité permanente partielle [IPP], quantum doloris, préjudice esthétique ou autre) ; il aura aussi à apprécier la réalité des faits, ainsi que le lien de causalité les unissant aux préjudices éventuels. vie professionnelle Ces expertises judiciaires obéissent à une procédure stricte et spécifique qui justifie une formation spécialisée et qui pose des problèmes particuliers de responsabilité et d’application du secret professionnel. Il existe de nombreux points communs à l’expertise pénale et civile : les experts sont choisis sur les mêmes listes, le juge peut choisir un expert non inscrit ; il a également le choix entre désigner un ou plusieurs experts pour une mission donnée. La mission des experts est définie par le juge et précisée dans la décision qui ordonne l’expertise ; un délai est imparti pour remplir la mission, il en est de même pour le rapport. Contrairement à l’expertise civile, l’expertise pénale n’est pas contradictoire : la victime sera convoquée seule, le rapport adressé uniquement au juge ayant ordonné la mission. L’expert pourra demander l’avis d’un sapiteur (faire appel à l’avis d’un autre technicien sur une question échappant à sa spécialité), mais seulement après en avoir demandé l’autorisation au juge. Principes médico-juridiques (5) La réparation d’un même dommage corporel dû à un accident avec tiers responsable obéit, pour une victime affiliée à la Sécurité sociale, à deux types de réparation différents. En droit social Selon l’article 111.1. du code de la Sécurité sociale : “L’organisation de la Sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale. Elle garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de bien.” Les caisses de Sécurité sociale engagent immédiatement les dépenses nécessaires sans préjuger de la cause de l’affection ni de la responsabilité du fait accidentel. Toute victime d’un dommage corporel bénéficie auprès de son organisme de Sécurité sociale d’une indemnisation de ses dépenses de santé, et ce de manière quasi immédiate, dans le cadre de la législation sociale. Cette prise en charge, rapide et efficace, relativise les délais excessifs des règlements de préjudice dans le cadre d’une responsabilité litigieuse (liée à un contrat d’assurance ou à la responsabilité d’un tiers). Les dommages corporels liés à un accident seront réparés en fonction de leur survenance, soit au titre de la législation AS (assurances sociales), soit au titre de la législation AT (accidents du travail). Pour que les prestations puissent être payées, l’assuré doit remplir des conditions administratives fixées par la loi, que l’on appelle “conditions d’ouverture du droit aux prestations” et qui reposent sur un minimum d’heures de travail salarié, ou sur un montant minimal de cotisations. En droit commun Selon le code civil, la réparation en droit commun suppose : ➤➤ un fait générateur mettant en cause la responsabilité de l’auteur ; ➤➤ un préjudice actuel et certain ; ➤➤ un lien de causalité entre la faute et le dommage. La réparation doit être intégrale : “Le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de placer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu” (Cass. civ, 28.10.1954). Juridictions (tableau II) ◆◆ Le tribunal des affaires de Sécurité sociale Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) est une juridiction de première instance compétente en matière de Sécurité sociale. Il existe deux types de contentieux en matière de Sécurité sociale : le contentieux général et le contentieux technique. Seul le contentieux général relève de la compétence du TASS. Le contentieux technique relève de la compétence des tribunaux du contentieux et l’inca­pacité relève de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail. Le TASS a une compétence matérielle : il est la juridiction compétente pour juger du contentieux général d’ordre administratif qui oppose les usagers (particuliers, employeurs ou travailleurs indépendants) aux organismes de Sécurité sociale. Il est notamment compétent pour se prononcer sur les litiges relatifs : ➤➤ à l’affiliation à une caisse de Sécurité sociale ; ➤➤ au calcul et au recouvrement des cotisations et des prestations de sécurité sociale. Le TASS n’est pas compétent pour juger des décisions d’ordre médical, des plaintes relatives aux infractions au code de la Sécurité sociale, ou encore des conflits liés aux institutions de retraites complémentaires. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 111 vie professionnelle Tableau II. Juridictions et compétences (6). Juridictions Compétence Tribunal de grande instance (TGI) Juridictions civiles Juridictions judiciaires Juridictions pénales Juridictions de second et dernier degré • Litiges civils qui concernent des demandes supérieures à 10 000 euros Tribunal d’instance • Le tribunal d’instance juge les conflits entre particuliers dont le montant ne dépasse pas 10 000 euros et intervenant dans des domaines attribués à cette juridiction (actions personnelles et mobilières) • Il ne peut pas juger les affaires réservées par la loi à une autre juridiction, même si la somme en jeu est inférieure à 10 000 euros Tribunal des prud’hommes Compétence pour les litiges relatifs aux contrats de travail et aux contrats d’apprentissage Tribunal paritaire des baux ruraux Compétence pour les litiges relatifs aux baux ruraux Tribunal de commerce Compétence pour les litiges entre commerçants et relatifs aux actes de commerce Tribunal de police Contraventions : amendes Tribunal correctionnel Délits : emprisonnement de 2 mois à 20 ans, amendes variables Cour d’assises Crimes : emprisonnement de 5 ans à perpétuité Cour d’appel Appels civil, commercial, pénal et social Cour de cassation Cassation civile, sociale, pénale et commerciale Tribunal administratif Juridictions administratives • Litiges civils opposant des personnes privées (physiques ou morales) qui ne sont pas spécialement attribués par la loi à une autre juridiction civile Cour administrative d’appel • Recours pour excès de pouvoir : annulation d’un acte unilatéralement pris par une autorité administrative • Recours en pleine juridiction : contentieux de la responsabilité administrative, des élections locales, des contributions directes (impôts, TVA) Appels administratifs • Compétence exclusive spécifique Conseil d’État • Cassation administrative Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux Cas clinique n° 3 Mme X, 56 ans, est traitée pour un myélome multiple de mauvais pronostic. La prise en charge thérapeutique de l’hémopathie a comporté une chimiothérapie d’induction puis une intensification thérapeutique avec une autogreffe suivie d’une mini-allogreffe de moelle osseuse. La chimiothérapie initiale s’est compliquée d’une extravasation de cytotoxique, à l’origine d’une nécrose de la peau et des tissus mous. Le quatrième mois, la patiente a développé une infection grave associant des abcès pulmonaires et cérébraux, conduisant au décès, à la suite duquel l’époux de Mme X a saisi la CRCI. Il s’est agi d’une infection communautaire, non nosocomiale, favorisée par l’immunodépression (opportuniste), non manifestement évitable. 112 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 L’administration d’une chimiothérapie de type VAD sur veine périphérique à une patiente qui avait manifestement un capital veineux réduit n’est pas conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science. Cette modalité d’administration est la cause directe et certaine de l’extravasation de cytotoxique, qui a elle-même engendré un retard de 4 mois dans la réalisation de la troisième cure de chimiothérapie. L’impossibilité de mettre en place un cathéter central, due, selon le mari de la patiente, au fait que le chirurgien en charge de ces actes était en vacances, peut être qualifiée de “défaut d’organisation de service”, puisque la continuité des soins doit être assurée dès lors que le service accepte de prendre en charge des patients d’hématologie lourde. La nécrose de la peau et des tissus mous, affection iatrogène, était évitable. Le retard d’administration de la troisième cure de chimiothérapie a-t-il influencé l’évolution de la maladie ? Manifestement, l’évolution du myélome avait repris à la faveur de l’interruption temporaire de la chimio- vie professionnelle thérapie, puisque le pic de gammaglobulines était remonté. Cependant, ce retard n’a entraîné aucune modification du programme thérapeutique prévu : la patiente a été mise en rémission, et l’était toujours quand est survenue l’infection opportuniste. Ce retard thérapeutique n’a donc eu aucune conséquence sur l’évolution de la maladie. La prise en charge de la patiente n’a toutefois pas été parfaitement conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science : la nécrose cutanée iatrogène liée à l’extravasation de la chimiothérapie, qui aurait pu être évitée par la pose d’un cathéter central, a majoré les souffrances endurées par la patiente de 1/7 et a généré un préjudice esthétique de 1,5/7. Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) [7] Les CRCI sont au centre d’un dispositif issu de la loi du 4 mars 2002. Il en existe à ce jour 25 en France métropolitaine et outre-mer. Elles sont composées de membres d’origines diverses : représentants des usagers (associations de victimes), praticiens hospitaliers et libéraux, établissements publics et privés, organismes payeurs tels que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et les compagnies d’assurance, personnes qualifiées appartenant au monde du droit et de la médecine. Elles sont présidées par un magistrat de l’ordre judiciaire ou administratif. Il s’agit de commissions de règlement amiable, administratives, de nature non juridictionnelle. Leur saisine ne supprime en rien les recours devant les tribunaux (administratif ou judiciaire, civil ou pénal), qui peuvent être concomitants. Elle suspend la prescription des actions devant les juridictions. L’objectif de ces commissions est de faciliter l’indem­ nisation des victimes d’accident médical, d’affection iatrogène ou d’infection nosocomiale, que les acteurs de santé mis en cause appartiennent au secteur public ou au secteur privé. Les CRCI ne sont compétentes que pour les dommages dont le fait générateur s’est produit postérieurement au 4 septembre 2001 et qui présentent un certain degré de gravité apprécié en termes d’IPP (> 24 %) ou d’ITT (> 6 mois, consécutifs ou non, mais dans une période de 12 mois), ou, à titre exceptionnel, au regard d’éventuels troubles particulièrement graves touchant les conditions d’existence ou d’une inaptitude définitive à l’exercice de la profession exercée au moment du dommage. Lorsque le dommage ne remplit pas ces critères de gravité, la commission peut proposer une conciliation. Si le président de la commission pense que le seuil est atteint, il diligente une expertise au fond, gratuite pour les demandeurs et réalisée de façon contradictoire. Le principe est celui d’une coexpertise et d’un rapport conjoint. Les commissions rendent des avis par lesquels elles disent si les conditions d’une indemnisation sont remplies, qui en aura la charge et quels seront les préjudices à indemniser. Les conditions de l’indemnisation sont l’existence d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale, l’imputabilité directe du dommage à un acte de prévention, de diagnostic ou de soin, un dommage ayant pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé ou de son évolution prévisible. L’indemnisation sera assurée : ➤➤ par l’assureur de l’acteur de santé mis en cause si sa responsabilité est engagée en raison de son comportement fautif ; ➤➤ par l’ONIAM, émanation de la solidarité nationale, en cas d’accident médical non fautif (“aléa thérapeutique”) ; ➤➤ dans le cas particulier des infections nosocomiales : en cas de présomption de responsabilité des établissements ; en cas d’infections nosocomiales graves (IPP > 25 % ou décès) survenues postérieurement au 31 décembre 2002 : indemnisation par l’ONIAM. Lorsque la responsabilité est partagée dans la survenue du dommage, l’indemnisation est elle aussi partagée. Ce système est récent, mais son fonctionnement apporte d’ores et déjà de grandes satisfactions, non seulement dans l’“aiguillage” des indemnisations, mais aussi dans l’apaisement des conflits entre soignés et soignants, tant il est vrai que ces conflits se nourrissent souvent d’un réel manque de communication entre les uns et les autres. ◆◆ Conclusion Certes, le nombre des plaintes et des condamnations qui en découlent est faible, eu égard au nombre d’actes médicaux réalisés. Il convient cependant de rester vigilants dans notre pratique quotidienne, car la société devient de plus en plus procédurière, et, même si souvent les plaintes sont injustifiées ou la responsabilité médicale non fautive, il est toujours traumatisant de devoir se justifier devant un tribunal ou une CRCI. ■ Références bibliographiques 1. Sicot C. Responsabilité civile professionnelle, Rapport du conseil médical du Sou Médical Groupe MACSF, sur l’exercice 2006. 2. Nouy JY. Le panorama 2007 du risque médical des établissements de santé. Disponible à l’adresse suivante : http://www.sham.fr/ spip.php?article838. 3. La documentation française. Les droits des malades et les lois de 2002. Disponible à l’adresse suivante : http://www.ladocumentation française.fk/dossiers/droitsmalades/index.shtml. 4. Le guide de l’expertise médicale et du médecin expert. Disponible à l’adresse suivante : http:// medecinexpert.chez.com 5. Revue médicale de l’Assurance maladie 1999;1. 6. Me Nathalie Beslay. 7. AVRAMF. Présentation des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI). La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 113