S Responsabilité médicale : information, retard diagnostique, erreurs médicales, quels risques ?

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vie professionnelle
Responsabilité médicale :
information, retard diagnostique,
erreurs médicales, quels risques ?
D. Kamioner*
S
i le nombre d’affaires impliquant les médecins reste stable, en revanche, le montant des
indemnisations et les condamnations de médecins libéraux devant les tribunaux civils ne cessent
d’augmenter. Selon le Dr C. Sicot, secrétaire général
du Sou Médical, la moitié des accidents médicaux
sont évitables (1). Les obstétriciens sont devenus
pratiquement inassurables et les généralistes sont
de plus en plus visés.
La cancérologie n’est plus épargnée, les procédures
se font nombreuses devant les tribunaux “au civil ou
au pénal” et la saisine de la commission régionale de
conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents
médicaux est en constante augmentation.
Les griefs portent le plus souvent sur le manque
d’information, le retard diagnostique et la faute
médicale présumée.
Selon C. Sicot, en 2006, le Sou Médical a couvert en
responsabilité civile professionnelle 288 163 sociétaires.
Ceux-ci ont adressé 3 589 déclarations, dont
3 443 concernaient des dommages corporels et
146 des dommages matériels. La sinistralité correspondante est de 1,25 déclaration pour 100 sociétaires.
Pour les 117 697 médecins sociétaires du Sou Médical
(toutes spécialités confondues et quel que soit le mode
d’exercice, libéral ou salarié), le nombre de déclarations
est de 2 130, dont 2 104 ont trait à des dommages
corporels et 26 à des dommages matériels. La sinistralité (2 104/117 697) concernant les dommages
corporels est de 1,78 pour 100 sociétaires médecins
(toutes spécialités confondues et quel que soit le mode
d’exercice, libéral ou salarié) [1,82 % en 2005].
La sinistralité concernant les seuls médecins libéraux
est de 2,62 % (1 823/69 626) [2,63 % en 2005].
Si l’on s’en tient à la cancérologie, les déclarations
ont porté notamment sur : un retard de diagnostic
de 2 ans d’un cancer du sein, la prise en charge, la
surveillance ou le traitement (contestés par 6 déclarations), notamment lors de décès, sans que le motif
de la plainte soit clairement exprimé.
Un malade atteint de synovialosarcome du genou
reproche l’absence de traitement complémentaire
(chimiothérapie et/ou radiothérapie) après une
exérèse chirurgicale en zone saine qui a été suivie
d’une récidive locale traitée par chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie et qui a évolué, passé une
période de rémission, vers des métastases pulmonaires et une nouvelle récidive locale nécessitant
une amputation.
Les déclarations portent aussi sur des accidents
thérapeutiques : par exemple, une curithérapie
complémentaire pour cancer du col utérin traité
par radio-chimiothérapie puis par colpohystérectomie élargie aurait entraîné une nécrose vésicale,
avec plusieurs fistules, urinaire, digestive et vaginale,
imposant de multiples réinterventions (les fistules
étaient-elles préexistantes ?).
En radiologie, on note 74 déclarations, dont 61 pour
les seuls radiologues libéraux, soit une sinistralité
de 3,6 % (61/1 693) [5,8 % en 2005]. Parmi elles, on
relève 2 plaintes pénales, 7 plaintes ordinales, 21 assignations en référé, 29 réclamations et 11 saisines
d’une CRCI. Onze déclarations portent sur une erreur
d’interprétation radiographique, dont :
➤➤ un retard de diagnostic (de quelques jours) d’un
lymphome hodgkinien (élargissement du médiastin
méconnu sur la radiographie thoracique) ;
➤➤ huit plaintes pour retard de diagnostic d’un
cancer du sein (mammographie interprétée comme
normale 3 mois à 3 ans et, en moyenne, 14 mois
avant la détection). Deux de ces cancers ont été
découverts au stade métastatique, et l’un d’entre
eux a été rapidement suivi d’un décès. Deux des
mises en cause visent un radiologue participant à
une campagne de dépistage. Dans plusieurs de ces
dossiers, la responsabilité du retard paraît partagée
entre les médecins radiologue, gynécologue ou généraliste. Enfin, au nombre des erreurs d’interprétation
radiographique figure la récidive d’un cancer vésical,
pour le diagnostic de laquelle le retard reproché
était d’un mois.
* Oncologue médical, expert près la
Cour d’Appel de Versailles ; Hôpital
Privé de l’Ouest Parisien, Trappes.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 107
vie professionnelle
Tableau I. Nombre de réclamations : services de médecine et de chirurgie.
Services de médecine
Services de chirurgie
Nombre
de réclamations
Spécialités
Spécialités
Nombre
de réclamations
Psychiatrie
35
Orthopédie
1 032
Cardiologie
53
Obstétrique
313
Pédiatrie et néonatalogie
39
Chirurgie viscérale
320
Hépato-gastroentérologie
64
Gynécologie
238
Cancérologie
49
Neurochirurgie
165
25
Chirurgie thoracique
106
Autres
633
Neurologie
Autres
188
Total
453
8%
12 %
41 %
9%
14 %
5 % 11 %
Total
Psychiatrie
Cardiologie
Pédiatrie
et néonatalogie
Hépatogastroentérologie
Cancérologie
Neurologie
Autres
2 807
“Les activités des services de médecine ont
donné lieu à 453 réclamations au cours de
l’exercice.
Sont principalement concernées l’hépatogastroentérologie (14 % des réclamations),
la cardiologie (12 %), la cancérologie (11 %),
la pédiatrie et la néonatalogie (9 %), et la
psychiatrie (8 %)” (2).
Ces déclarations ne prennent en compte que les
assurés par le Sou Médical, car les médecins salariés
hospitaliers sont en principe représentés par leur
institution, qui est assurée en général à la Société
hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM).
J.Y. Nouy (2), directeur général de la SHAM, précise :
“Jusqu’à présent, la baisse de la fréquence des réclamations a compensé la hausse du coût des sinistres
corporels, permettant ainsi une stabilité tarifaire.
Toutefois, la hausse de la fréquence des réclamations et la forte inflation de la jurisprudence des
juridictions administratives, si elles se confirment,
risquent de conduire à un relèvement tarifaire pour
les hôpitaux publics. Le Panorama 2006 met en perspective deux tendances concernant la sinistralité en
responsabilité civile médicale ; après trois années
de maîtrise, la fréquence des réclamations repart à
la hausse sur le premier semestre 2007, le coût des
sinistres corporels graves progresse très fortement,
principalement du fait de l’inflation de la jurisprudence des juridictions administratives” (tableau I
et figure).
Analyse des griefs
Information
et consentement du patient (3)
23 %
37 %
4%
6%
8%
11 %
11 %
Orthopédie
Obstétrique
Chirurgie viscérale
Gynécologie
Neurochirurgie
Chirurgie thoracique
Autres
“Les services de chirurgie ont été mis en cause
au cours de l’année par 2 607 réclamations.
L’orthopédie est toujours la première spécialité mise en cause avec 37 % des réclamations.
Sont également régulièrement impliquées les
spécialités d’obstétrique (11 %), de chirurgie
viscérale (11 %), de chirurgie gynécologique
(8 %) et de neurochirurgie (6 %)” (2).
Figure. Répartition des réclamations : services de médecine et de chirurgie.
Trois déclarations concernaient la scanographie,
dont un retard de diagnostic de 4 ans d’une tumeur
juxta-aortique (de 60 x 20 mm) de nature lymphomateuse.
Dix déclarations portaient sur la prise en charge
et la surveillance, notamment pour retard de
diagnostic d’un cancer du sein ou des propos alarmistes concernant la nature d’un nodule hépatique (hyperplasie nodulaire focale après examen
anatomo­pathologique).
Les 293 radiothérapeutes sociétaires du Sou Médical
ont adressé 6 déclarations, dont 2 pour les seuls
radiothérapeutes libéraux, soit une sinistralité de
1,4 % (2/145) [3,9 % en 2005].
108 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009
◆◆ Cas clinique n° 1
Une mammographie de dépistage individuel réalisée
chez Mme X montre deux images étoilées avec
microcalcifications : l’une à la jonction des quadrants
internes, l’autre dans le quadrant supéro-externe
de la glande.
L’étude des mammographies antérieures ne met
pas en évidence de lésion suspecte.
Mme X ne montre pas la mammographie à son gynécologue (prescripteur), mais, et seulement 3 mois
plus tard, à son médecin traitant, qui lui conseille une
exploration chirurgicale en raison de lésions suspectes.
Mme X choisit le Dr Y, qu’elle connaît depuis longtemps car il a opéré des membres de sa famille.
Après avoir examiné la patiente en consultation et
étudié les mammographies, le Dr Y propose d’effectuer une intervention chirurgicale avec, en raison de
l’existence de deux nodules du sein droit, “un repérage préopératoire et un examen extemporané”.
Le chirurgien, dans un premier temps, pratique deux
quadrantectomies centrées sur des fils repères.
L’examen histologique extemporané précise qu’il
s’agit de deux carcinomes intracanalaires. Le Dr Y
réalise alors une mammectomie avec curage
­axillaire.
vie professionnelle
L’histologie confirme un double foyer de carcinome
mammaire droit SBR II, RH+ et N0.
À l’issue de l’intervention, la patiente reçoit une
chimiothérapie selon un protocole CMF en raison de
la taille totale des lésions tumorales (1,2 cm + 0,7 cm)
et du grade SBR intermédiaire. La patiente a reçu six
cures et a ensuite été surveillée régulièrement. Il n’y
a pas eu d’hormonothérapie en raison d’antécédents
d’embolie pulmonaire et de phlébites.
Le chirurgien n’a pas informé la patiente de l’éventualité d’une mastectomie ; la décision d’en réaliser
une a été prise en peropératoire, après avis téléphonique du cancérologue.
Le chirurgien n’a pas voulu réveiller la patiente pour
l’informer ni repousser l’intervention.
En conclusion, même si l’indication de mastectomie était justifiée, on constate que la patiente
n’avait pas été informée de son éventualité et de
ses conséquences possibles. Aucun formulaire de
consentement éclairé n’a été présenté à la patiente
et sa signature n’a pas été recueillie. L’information
a donc été incomplète.
◆◆ Droit à l’information
et principe du consentement libre et éclairé (3)
Le consentement aux soins, qui nécessite une information précise dispensée par les équipes soignantes
et médicales, est une des exigences des personnes
malades. De nombreux textes précisent déjà le droit
à l’information et le principe du consentement libre
et éclairé :
➤➤ la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme
hospitalière consacre le droit à l’information : “Les
établissements de santé, publics ou privés, sont
tenus de communiquer aux personnes recevant
ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par
l’intermédiaire du praticien qu’elles désignent, les
informations médicales contenues dans leur dossier
médical” ;
➤➤ le code de déontologie médicale précise : “Le
médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne
ou qu’il conseille, une information loyale, claire et
appropriée sur son état, les investigations et les
soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie,
il tient compte de la personnalité du patient dans
ses explications et veille à leur compréhension”
(art. 35). “Le consentement de la personne examinée
ou soignée doit être recherché dans tous les cas”
(art. 36) et, pour les mineurs ou majeurs protégés :
“Un médecin appelé à donner des soins à un mineur
ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir
ses parents ou son représentant légal et d’obtenir
leur consentement” (art. 42) ;
➤➤ le code civil stipule : “Il ne peut être porté atteinte
à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité
thérapeutique pour la personne. Le consentement
de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors
le cas où son état rend nécessaire une intervention
thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de
consentir” (art. 16-3 et 16-1) ;
➤➤ dans la charte du patient hospitalisé, titre IV, on
lit : “Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans
le consentement du patient, hors le cas où son état
rend nécessaire cet acte auquel il n’est pas à même
de consentir.”
La loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative
à la protection des personnes qui se prêtent à
des recherches biomédicales (dite loi Huriet)
précise :
“Le droit de consentir aux actes de soins courants
mais aussi à l’expérimentation thérapeutique est
réglementé en matière de dons d’organes, de tissus,
de cellules et de produits issus du corps humain par
les lois de bioéthique du 29 juillet 1994.
Tout patient informé par un praticien des risques
encourus peut aussi refuser un acte de diagnostic
ou un traitement, et à tout moment l’interrompre
à ses risques et périls. En cas de refus de soins, le
médecin doit respecter la volonté du patient après
l’avoir informé des conséquences de ce refus, mais
un équilibre doit être trouvé avec le devoir d’assistance lorsque la vie du malade est en jeu : ‘Lorsque
le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les
investigations ou le traitement proposés, le médecin
doit respecter ce refus après avoir informé le malade
de ses conséquences’ (art. 36 du code de déontologie
médicale).”
Les articles L 1111-1 à 7 dans leur nouvelle rédaction prennent en compte cette responsabilité que
souhaitent avoir les personnes malades à l’égard de
leur propre santé : une relation plus équilibrée doit
s’établir afin de permettre au malade d’exprimer sa
volonté tout au long du processus de soin, compte
tenu des informations que lui donnent les professionnels de santé et des choix qu’ils préconisent, et
de respecter sa décision (encadré).
La loi de 2002 précise ces dispositions et les
complète, notamment en ce qui concerne l’accès des
personnes à l’ensemble des informations relatives à
leur santé ; elle reconnaît le droit de chacun à prendre
les grandes décisions qui touchent à sa propre santé.
En cas de litige, c’est désormais au professionnel ou
à l’établissement de santé de prouver qu’il a bien
communiqué l’information au malade.
• “Toute personne a accès à
l’ensemble des informations
concernant sa santé détenues par des professionnels
ou des établissements de
santé […]. Elle peut accéder
à ces informations directement ou par l’intermédiaire
d’un médecin qu’elle désigne
[…] et en obtenir communication […].”
• “La consultation sur
place des informations est
gratuite. Lorsque le demandeur souhaite la délivrance
de copies, quel qu’en soit le
support, les frais laissés à sa
charge ne peuvent excéder le
coût de la reproduction et, le
cas échéant, de l’envoi des
documents.”
• Délai de réponse du professionnel : “Au plus tôt après
qu’un délai de réflexion de
48 heures aura été observé,
au plus tard 8 jours, et 2 mois
si les informations datent de
plus de 5 ans ou lorsque la
commission des hospitalisations psychiatriques a été
saisie.
Dans tous les cas, la présence
d’une tierce personne peut
être recommandée par le
médecin, mais le patient
peut refuser cette présence,
et son refus n’a pas de conséquence sur l’obligation de lui
communiquer son dossier
médical.”
Encadré. Articles
L. 1111-7 et L. 1110-4
du code de la santé
publique.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 109
vie professionnelle
Retard diagnostique
◆◆ Cas clinique n° 2
M. X est décédé d’un cancer bronchique non à petites
cellules, découvert en septembre 2006 à l’occasion
d’une toux apparue en août 2006. Des clichés des
poumons avaient été faits de manière quasi systématique chaque année depuis 1994. Sans autre
indication que le tabagisme, les clichés de 2004
et de 2005 ont été interprétés comme normaux,
et ce n’est que secondairement, en en connaissant
la localisation sur l’image de 2006, que l’on peut
observer une petite opacité apicale droite sur celle
de septembre 2005.
La mise en cause concerne l’interprétation des deux
clichés thoraciques face et profil de 2004 et 2005.
Certes, ces clichés ont été réalisés dans le contexte
du tabagisme, mais M. X n’était pas suivi par un
médecin traitant, il n’y avait aucune symptomatologie (ni toux, ni hémoptysie, ni altération de l’état
général, etc.), aucun examen biologique n’avait été
pratiqué, et l’interprétation de ces clichés a, comme
toujours pour ce patient, été réalisée isolément,
sans qu’il ait été possible de se référer aux clichés
précédents. C’est pourquoi il n’était possible de faire
le diagnostic ou de proposer des examens complémentaires ni en 2004 ni en 2005. Le décès ne paraît
donc pas imputable à l’interprétation, en tant que
telle, de ces clichés.
Il n’y a pas eu d’accident médical ni d’infection iatrogène, ni, bien sûr, d’infection nosocomiale.
◆◆ Définition du retard diagnostique
Il est établi, depuis une jurisprudence maintenant
ancienne, que le médecin n’est tenu, à l’égard de
son patient, qu’à une obligation de moyens, et non
de résultat, mais qu’il doit prodiguer à son patient
des soins consciencieux, attentifs et conformes aux
données acquises de la science.
Sa responsabilité ne peut donc être engagée qu’en
cas de faute prouvée. C’est d’ailleurs ce que la loi du
4 mars 2002 affirme de nouveau à l’article L 1142-1
du code de la santé publique.
Il est reconnu qu’une erreur ou un retard de diagnostic
ne constituent pas en eux-mêmes une faute de nature
à engager la responsabilité du médecin dès lors qu’ils
ne résultent pas d’une méconnaissance des données
acquises de la science au moment où il agit, c’est-àdire dès lors que le médecin a mis en œuvre tous les
moyens en sa possession pour parvenir au diagnostic
conformément à l’article 33 du code de déontologie
médicale. Il est dit que l’erreur de diagnostic non
fautive est celle que tout professionnel diligent, dans
les mêmes conditions, aurait commise.
110 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009
A contrario, cela signifie-t-il qu’une erreur de
diagnostic reconnue comme fautive – car le médecin
aurait manqué à son obligation de moyens – relève
ipso facto de la responsabilité de son auteur ?
Importance
du critère d’imputabilité
Le simple fait de rapporter la preuve d’une faute ne
suffit pas à engager la responsabilité d’un professionnel de santé. Encore faut-il que soit également
démontrée l’existence d’un préjudice ou d’un
dommage et celle d’un lien de causalité direct et
certain entre ce dernier et la faute commise.
Ces principes régissant le droit de la responsabilité
en général s’appliquent également naturellement
lorsque le médecin doit poser un diagnostic.
En effet, dès lors que l’erreur ou le retard de
diagnostic sont reconnus, c’est-à-dire, malheureusement, dès lors que le véritable diagnostic est identifié, la question se pose en ces termes : le retard de
diagnostic a-t-il eu des conséquences sur l’évolution
de la maladie ou sur son traitement ? Un dommage
lui est-il directement imputable ?
C’est à cette délicate question que devront répondre
les experts médicaux et le juge. En effet, nous rappellerons que le retard ou l’erreur de diagnostic, même
avérés, ne suffisent pas à eux seuls à engager la
responsabilité du médecin.
Le patient doit donc prouver que, si le diagnostic
avait été posé plus tôt, les soins auraient pu être
administrés plus tôt, et qu’ils auraient permis la
guérison ou l’amélioration de l’état de santé, ou
même que le traitement mis en œuvre aurait été
différent, car moins lourd. À défaut, la responsabilité
du praticien sera écartée.
Expertises en droit commun
ou judiciaire (4)
Les expertises en droit commun (dites “judiciaires”)
sont réalisées, autant pour les juridictions civiles que
pénales, par des experts inscrits sur la liste établie
par les cours d’appel et la Cour de cassation.
Leur but est de donner aux magistrats un avis technique portant sur la nature et l’importance du préjudice patrimonial et extrapatrimonial consécutif aux
faits motivant l’expertise. L’expert devra quantifier
ces différents préjudices (incapacité temporaire totale
[ITT], incapacité permanente partielle [IPP], quantum
doloris, préjudice esthétique ou autre) ; il aura aussi
à apprécier la réalité des faits, ainsi que le lien de
causalité les unissant aux préjudices éventuels.
vie professionnelle
Ces expertises judiciaires obéissent à une procédure stricte et spécifique qui justifie une formation
spécialisée et qui pose des problèmes particuliers
de responsabilité et d’application du secret professionnel.
Il existe de nombreux points communs à l’expertise pénale et civile : les experts sont choisis sur les
mêmes listes, le juge peut choisir un expert non
inscrit ; il a également le choix entre désigner un
ou plusieurs experts pour une mission donnée. La
mission des experts est définie par le juge et précisée
dans la décision qui ordonne l’expertise ; un délai est
imparti pour remplir la mission, il en est de même
pour le rapport.
Contrairement à l’expertise civile, l’expertise pénale
n’est pas contradictoire : la victime sera convoquée
seule, le rapport adressé uniquement au juge ayant
ordonné la mission. L’expert pourra demander l’avis
d’un sapiteur (faire appel à l’avis d’un autre technicien sur une question échappant à sa spécialité),
mais seulement après en avoir demandé l’autorisation au juge.
Principes médico-juridiques (5)
La réparation d’un même dommage corporel dû à
un accident avec tiers responsable obéit, pour une
victime affiliée à la Sécurité sociale, à deux types
de réparation différents.
En droit social
Selon l’article 111.1. du code de la Sécurité sociale :
“L’organisation de la Sécurité sociale est fondée sur
le principe de la solidarité nationale. Elle garantit
les travailleurs et leur famille contre les risques de
toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer
leur capacité de bien.”
Les caisses de Sécurité sociale engagent immédiatement les dépenses nécessaires sans préjuger de
la cause de l’affection ni de la responsabilité du fait
accidentel.
Toute victime d’un dommage corporel bénéficie
auprès de son organisme de Sécurité sociale d’une
indemnisation de ses dépenses de santé, et ce de
manière quasi immédiate, dans le cadre de la législation sociale.
Cette prise en charge, rapide et efficace, relativise les
délais excessifs des règlements de préjudice dans le
cadre d’une responsabilité litigieuse (liée à un contrat
d’assurance ou à la responsabilité d’un tiers).
Les dommages corporels liés à un accident seront
réparés en fonction de leur survenance, soit au titre
de la législation AS (assurances sociales), soit au titre
de la législation AT (accidents du travail).
Pour que les prestations puissent être payées, l’assuré doit remplir des conditions administratives
fixées par la loi, que l’on appelle “conditions d’ouverture du droit aux prestations” et qui reposent sur
un minimum d’heures de travail salarié, ou sur un
montant minimal de cotisations.
En droit commun
Selon le code civil, la réparation en droit commun
suppose :
➤➤ un fait générateur mettant en cause la responsabilité de l’auteur ;
➤➤ un préjudice actuel et certain ;
➤➤ un lien de causalité entre la faute et le dommage.
La réparation doit être intégrale : “Le propre de la
responsabilité est de rétablir aussi exactement que
possible l’équilibre détruit par le dommage et de
placer la victime, aux dépens du responsable, dans
la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu” (Cass. civ, 28.10.1954).
Juridictions (tableau II)
◆◆ Le tribunal des affaires de Sécurité sociale
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS)
est une juridiction de première instance compétente
en matière de Sécurité sociale.
Il existe deux types de contentieux en matière de
Sécurité sociale : le contentieux général et le contentieux technique.
Seul le contentieux général relève de la compétence du TASS. Le contentieux technique relève
de la compétence des tribunaux du contentieux et
l’inca­pacité relève de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents
du travail.
Le TASS a une compétence matérielle : il est la
juridiction compétente pour juger du contentieux
général d’ordre administratif qui oppose les usagers
(particuliers, employeurs ou travailleurs indépendants) aux organismes de Sécurité sociale. Il est
notamment compétent pour se prononcer sur les
litiges relatifs :
➤➤ à l’affiliation à une caisse de Sécurité sociale ;
➤➤ au calcul et au recouvrement des cotisations et
des prestations de sécurité sociale.
Le TASS n’est pas compétent pour juger des décisions
d’ordre médical, des plaintes relatives aux infractions
au code de la Sécurité sociale, ou encore des conflits
liés aux institutions de retraites complémentaires.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 111
vie professionnelle
Tableau II. Juridictions et compétences (6).
Juridictions
Compétence
Tribunal
de grande instance (TGI)
Juridictions civiles
Juridictions
judiciaires
Juridictions pénales
Juridictions de second
et dernier degré
• Litiges civils qui concernent des demandes supérieures à 10 000 euros
Tribunal d’instance
• Le tribunal d’instance juge les conflits entre particuliers
dont le montant ne dépasse pas 10 000 euros et intervenant dans des domaines
attribués à cette juridiction (actions personnelles et mobilières)
• Il ne peut pas juger les affaires réservées par la loi à une autre juridiction,
même si la somme en jeu est inférieure à 10 000 euros
Tribunal des prud’hommes
Compétence pour les litiges relatifs aux contrats de travail et aux contrats d’apprentissage
Tribunal paritaire
des baux ruraux
Compétence pour les litiges relatifs aux baux ruraux
Tribunal de commerce
Compétence pour les litiges entre commerçants et relatifs aux actes de commerce
Tribunal de police
Contraventions : amendes
Tribunal correctionnel
Délits : emprisonnement de 2 mois à 20 ans, amendes variables
Cour d’assises
Crimes : emprisonnement de 5 ans à perpétuité
Cour d’appel
Appels civil, commercial, pénal et social
Cour de cassation
Cassation civile, sociale, pénale et commerciale
Tribunal administratif
Juridictions
administratives
• Litiges civils opposant des personnes privées (physiques ou morales) qui ne sont pas
spécialement attribués par la loi à une autre juridiction civile
Cour administrative d’appel
• Recours pour excès de pouvoir : annulation d’un acte unilatéralement pris
par une autorité administrative
• Recours en pleine juridiction : contentieux de la responsabilité administrative,
des élections locales, des contributions directes (impôts, TVA)
Appels administratifs
• Compétence exclusive spécifique
Conseil d’État
• Cassation administrative
Commissions régionales
de conciliation
et d’indemnisation
des accidents médicaux
Cas clinique n° 3
Mme X, 56 ans, est traitée pour un myélome multiple
de mauvais pronostic.
La prise en charge thérapeutique de l’hémopathie a
comporté une chimiothérapie d’induction puis une
intensification thérapeutique avec une autogreffe
suivie d’une mini-allogreffe de moelle osseuse.
La chimiothérapie initiale s’est compliquée d’une
extravasation de cytotoxique, à l’origine d’une
nécrose de la peau et des tissus mous.
Le quatrième mois, la patiente a développé une
infection grave associant des abcès pulmonaires et
cérébraux, conduisant au décès, à la suite duquel
l’époux de Mme X a saisi la CRCI.
Il s’est agi d’une infection communautaire, non
nosocomiale, favorisée par l’immunodépression
(opportuniste), non manifestement évitable.
112 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009
L’administration d’une chimiothérapie de type VAD
sur veine périphérique à une patiente qui avait
manifestement un capital veineux réduit n’est pas
conforme aux règles de l’art et aux données acquises
de la science. Cette modalité d’administration est
la cause directe et certaine de l’extravasation de
cytotoxique, qui a elle-même engendré un retard
de 4 mois dans la réalisation de la troisième cure
de chimiothérapie.
L’impossibilité de mettre en place un cathéter
central, due, selon le mari de la patiente, au fait
que le chirurgien en charge de ces actes était en
vacances, peut être qualifiée de “défaut d’organisation de service”, puisque la continuité des soins
doit être assurée dès lors que le service accepte
de prendre en charge des patients d’hématologie
lourde.
La nécrose de la peau et des tissus mous, affection
iatrogène, était évitable.
Le retard d’administration de la troisième cure de
chimiothérapie a-t-il influencé l’évolution de la
maladie ?
Manifestement, l’évolution du myélome avait repris
à la faveur de l’interruption temporaire de la chimio-
vie professionnelle
thérapie, puisque le pic de gammaglobulines était
remonté. Cependant, ce retard n’a entraîné aucune
modification du programme thérapeutique prévu : la
patiente a été mise en rémission, et l’était toujours
quand est survenue l’infection opportuniste. Ce
retard thérapeutique n’a donc eu aucune conséquence sur l’évolution de la maladie.
La prise en charge de la patiente n’a toutefois pas
été parfaitement conforme aux règles de l’art et aux
données acquises de la science : la nécrose cutanée
iatrogène liée à l’extravasation de la chimiothérapie,
qui aurait pu être évitée par la pose d’un cathéter
central, a majoré les souffrances endurées par la
patiente de 1/7 et a généré un préjudice esthétique
de 1,5/7.
Commissions régionales de conciliation
et d’indemnisation
des accidents médicaux (CRCI) [7]
Les CRCI sont au centre d’un dispositif issu de la loi
du 4 mars 2002. Il en existe à ce jour 25 en France
métropolitaine et outre-mer.
Elles sont composées de membres d’origines diverses :
représentants des usagers (associations de victimes),
praticiens hospitaliers et libéraux, établissements
publics et privés, organismes payeurs tels que l’Office
national d’indemnisation des accidents médicaux
(ONIAM) et les compagnies d’assurance, personnes
qualifiées appartenant au monde du droit et de la
médecine. Elles sont présidées par un magistrat de
l’ordre judiciaire ou administratif.
Il s’agit de commissions de règlement amiable,
administratives, de nature non juridictionnelle. Leur
saisine ne supprime en rien les recours devant les
tribunaux (administratif ou judiciaire, civil ou pénal),
qui peuvent être concomitants. Elle suspend la prescription des actions devant les juridictions.
L’objectif de ces commissions est de faciliter l’indem­
nisation des victimes d’accident médical, d’affection
iatrogène ou d’infection nosocomiale, que les acteurs
de santé mis en cause appartiennent au secteur
public ou au secteur privé.
Les CRCI ne sont compétentes que pour les
dommages dont le fait générateur s’est produit
postérieurement au 4 septembre 2001 et qui présentent un certain degré de gravité apprécié en termes
d’IPP (> 24 %) ou d’ITT (> 6 mois, consécutifs ou
non, mais dans une période de 12 mois), ou, à titre
exceptionnel, au regard d’éventuels troubles particulièrement graves touchant les conditions d’existence ou d’une inaptitude définitive à l’exercice de
la profession exercée au moment du dommage.
Lorsque le dommage ne remplit pas ces critères de
gravité, la commission peut proposer une conciliation. Si le président de la commission pense que le
seuil est atteint, il diligente une expertise au fond,
gratuite pour les demandeurs et réalisée de façon
contradictoire. Le principe est celui d’une coexpertise
et d’un rapport conjoint.
Les commissions rendent des avis par lesquels elles
disent si les conditions d’une indemnisation sont
remplies, qui en aura la charge et quels seront les
préjudices à indemniser.
Les conditions de l’indemnisation sont l’existence
d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou
d’une infection nosocomiale, l’imputabilité directe
du dommage à un acte de prévention, de diagnostic
ou de soin, un dommage ayant pour le patient des
conséquences anormales au regard de son état de
santé ou de son évolution prévisible.
L’indemnisation sera assurée :
➤➤ par l’assureur de l’acteur de santé mis en cause
si sa responsabilité est engagée en raison de son
comportement fautif ;
➤➤ par l’ONIAM, émanation de la solidarité nationale, en cas d’accident médical non fautif (“aléa
thérapeutique”) ;
➤➤ dans le cas particulier des infections nosocomiales : en cas de présomption de responsabilité des
établissements ; en cas d’infections nosocomiales
graves (IPP > 25 % ou décès) survenues postérieurement au 31 décembre 2002 : indemnisation par
l’ONIAM. Lorsque la responsabilité est partagée
dans la survenue du dommage, l’indemnisation est
elle aussi partagée.
Ce système est récent, mais son fonctionnement
apporte d’ores et déjà de grandes satisfactions,
non seulement dans l’“aiguillage” des indemnisations, mais aussi dans l’apaisement des conflits
entre soignés et soignants, tant il est vrai que ces
conflits se nourrissent souvent d’un réel manque de
communication entre les uns et les autres.
◆◆ Conclusion
Certes, le nombre des plaintes et des condamnations qui en découlent est faible, eu égard au nombre
d’actes médicaux réalisés. Il convient cependant de
rester vigilants dans notre pratique quotidienne, car
la société devient de plus en plus procédurière, et,
même si souvent les plaintes sont injustifiées ou la
responsabilité médicale non fautive, il est toujours
traumatisant de devoir se justifier devant un tribunal
ou une CRCI.
■
Références
bibliographiques
1. Sicot C. Responsabilité civile
professionnelle, Rapport du
conseil médical du Sou Médical Groupe MACSF, sur l’exercice
2006.
2. Nouy JY. Le panorama 2007 du
risque médical des établissements
de santé. Disponible à l’adresse
suivante : http://www.sham.fr/
spip.php?article838.
3. La documentation française. Les droits des malades
et les lois de 2002. Disponible à l’adresse suivante :
http://www.ladocumentation
française.fk/dossiers/droitsmalades/index.shtml.
4. Le guide de l’expertise médicale et du médecin expert. Disponible à l’adresse suivante : http://
medecinexpert.chez.com
5. Revue médicale de l’Assurance
maladie 1999;1.
6. Me Nathalie Beslay.
7. AVRAMF. Présentation des
commissions régionales de
conciliation et d’indemnisation
(CRCI).
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 113
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