Cours02 GENETIQUE DES MALADIES CHRONIQUES DE L’INTESTIN Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont des maladies multifactorielles. Cela signifie qu’elles résultent de la combinatoire de plusieurs facteurs de risque dont certains sont génétiques et d’autres environnementaux. En d’autres termes, la maladie ne survient qu’après exposition à un (des) facteur(s) de risque environnemental (aux) sur un terrain génétiquement prédisposé. Ce terrain génétique n’est lui même pas simple à définir et consiste en une association plus ou moins complexe de plusieurs variants génétiques à risque. La figure 1 expose le schéma d’une maladie multifactorielle. La maladie (ou phénotype) est représentée par un ovale. Elle apparait lorsque le patient est exposé à une combinatoire de facteurs de risque génétiques et environnementaux. Cette combinatoire est variable d’un sujet à l’autre et module plus ou moins l’expression de la maladie. Il est donc illusoire de rechercher un seul gène de susceptibilité pour les MICI et la définition pertinente d’un risque (conseil génétique) n’est pas possible sans la reconnaissance des nombreux facteurs étiologiques nécessaires à l’expression de la maladie. gène environnement Figure 1. Modèle de maladie génétique complexe applicable aux MICI. La maladie est symbolisée par un ovale. La variabilité de l’expression clinique (couleur) est en partie dépendante des facteurs étiologiques. Ceux-ci sont variables d’un malade à l’autre et combinent des facteurs génétiques et environnementaux. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 1 Cours02 La complexité des causes sous-jacentes aux MICI est inconnue et on ne sait pas aujourd’hui combien il existe de gènes de susceptibilité ni de facteurs de risque environnementaux. Les récents développements en génétique suggèrent toutefois que les gènes de susceptibilité aux MICI se comptent par dizaines ou peut être même par centaines. On ne sait pas non plus comment doivent interagir ces facteurs génétiques entre eux. Le modèle « multifactoriel » reflète donc en grande partie notre incompréhension des causes de la maladie. I AGREGATIONS FAMILIALES DE MICI Lorsque l’on parle de génétique, l’idée de familles de malades vient immédiatement à l’esprit. Dès 1934, Crohn faisait effectivement mention d’une forme familiale de la maladie. Dans les années 1950, des études cas-témoins ont ensuite démontré que les agrégations familiales de MICI sont beaucoup plus fréquentes que ne le veut le hasard. L'ensemble des données disponibles indique clairement que l'existence d'antécédents familiaux de MICI est le principal facteur de risque de MICI. Cette prédisposition familiale semble plus importante pour la MC que pour la RCH. Elle est, au moins en partie, commune aux deux maladies. I-1 Fréquence Pour la plupart des auteurs, 8 à 10% des sujets atteints de MC ont un ou plusieurs parents, tous liens de parenté confondus, atteints de MC. De larges fluctuations (allant de moins de 4% à plus de 20%) ont été publiées et peuvent être en partie expliquées par des différences méthodologiques. Il semble toutefois que la proportion de formes familiales soit plus élevée si le cas index est un enfant. Pour la RCH, les agrégations familiales sont moins fréquentes et dans la plupart des études, environ 6% des sujets atteints de RCH ont un ou plusieurs parents atteints de RCH. Dans une famille, si la concordance pour la maladie est la règle, les familles mixtes comportant à la fois une RCH et une MC ne sont pas rares, ce qui suggère des facteurs de risque partagés (génétiques et/ou de l’environnement familial) entre les deux maladies. I-2 Risque pour les apparentés Il est possible en faisant une compilation de la littérature d’établir un risque empirique moyen pour les apparentés de malades. Il s’agit d’un risque grossier qui ne tient pas compte de la structure des populations étudiées en termes d’âge et de sexe. Ce risque est cependant indicatif et donne un ordre de grandeur pour informer les patients. Il est indiqué sur les figures 2 et 3. Pour la MC, le risque pour Auteur : Jean-Pierre HUGOT 2 Cours02 les apparentés au premier degré (père, mère, frère ou sœur, enfant) d’un malade est de l’ordre de 1 à 3%. Le risque décroît très vite pour les apparentés au deuxième degré (oncle, neveu) puisqu’il est de l’ordre de 10 fois moindre. Il est probablement de l’ordre de grandeur de celui de la population générale pour les apparentés plus lointains. Pour la RCH, le risque est de l’ordre de 1% pour les apparentés au premier degré et décroît lui aussi très vite si on s’éloigne du sujet index sur l’arbre généalogique. 1,4 0,13 2 ,7 1 Figure 2. Risque de développer une MICI pour les apparentés de malade atteint de maladie de Crohn (en rouge). Le risque empirique moyen issu des données de la littérature est indiqué pour chaque degré d’apparentement (en %). Auteur : Jean-Pierre HUGOT 3 Cours02 1,2 0,17 1,2 1,1 Figure 3. Risque de développer une MICI pour les apparentés de malade atteint de maladie de rectocolite hémorragique (en vert). Le risque empirique moyen issu des données de la littérature est indiqué pour chaque degré d’apparentement (en %). Le risque relatif pour les apparentés peut être calculé en faisant le rapport entre la prévalence chez les apparentés et celle observée dans la population générale. Le risque relatif de MC pour un parent au premier degré d'un sujet atteint de MC, est alors estimé entre 10 à 40 et le risque relatif de RCH pour un parent au premier degré d'un sujet atteint de RCH entre 15 à 20. Ces valeurs sont du même ordre de grandeur que celles observées pour le diabète insulinodépendant ou la maladie coeliaque, où une prédisposition génétique forte est bien établie. Un point essentiel dans l’abord avec le malade est souvent la discussion du risque pour la descendance. Les chiffres mentionnés plus haut donnent un ordre de grandeur utile. Ils sont cependant à prendre avec prudence car des valeurs assez disparates ont été publiées et car les risques ont été en général calculés sur des cohortes anciennes. Or le risque de MC a varié dans le siècle, reflétant probablement le rôle de facteurs environnementaux (voir le cours d’Antoine Cortot). Il est donc possible que le risque pour les générations à venir soit différent du risque actuel. Il paraît toutefois raisonnable d’avancer le risque empirique de 1 ou quelques pourcents. Il faut donc rassurer les malades en leur disant que dans la très grande majorité des cas l’enfant à naître ne sera jamais malade. L’abstention de grossesse et a fortiori l’interruption thérapeutique de grossesse ne sont donc aucunement justifiées pour ce motif. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 4 Cours02 Dans le cas très rare de couples où les deux conjoints sont atteints de MICI, l’analyse de la descendance montre que leurs enfants sont très souvent atteints. Le risque est de l'ordre de 30% à 50% après 20 ans. Il s'agit le plus souvent d'une MC quelque soit la maladie des parents. L'observation de MC dans la descendance de couples où les deux conjoints sont atteints de RCH confirme que la prédisposition familiale aux 2 types de MICI n'est pas indépendante. I-3. Caractéristiques cliniques des formes familiales : Elles ont surtout été étudiées pour la MC où les formes familiales sont plus fréquentes. Toutes les formes cliniques de la MC sont représentées dans les formes familiales. Il n'existe donc pas de forme clinique spécifique même si il a été rapporté en moyenne un âge de début jeune et une atteinte du grêle statistiquement plus fréquente dans les formes familiales. Deux apparentés atteints de MICI ont tendance à avoir des présentations cliniques proches. Ceci est surtout vrai si on considère le phénotype MC versus RCH. Ainsi, la probabilité de développer une MC pour un apparenté de malade atteint de MC est supérieure à celle de développer une RCH et inversement. Il existe toutefois des familles mixtes comportant à la fois des MC et des RCH ce qui témoigne qu’il n’existe pas une corrélation parfaite entre apparentés pour le type de MICI. Pour la MC, une concordance entre apparentés malades pour la localisation a été rapportée mais reste elle aussi limitée. On ne peut donc prédire valablement le type de MC chez un apparenté de malade d’après le type observé chez le sujet index. I-4. Interprétation des agrégations familiales Comme pour les agrégations ethniques (voir le cours d’Antoine Cortot), les agrégations familiales peuvent traduire soit une prédisposition génétique soit l'existence d'un facteur environnemental de prédisposition partagé par les membres d'une même communauté. Ces deux interprétations ne sont d’ailleurs pas exclusives. Plusieurs arguments suggèrent qu’il existe une cause génétique dans ces agrégations familiales. Le principal argument repose sur l’étude de la concordance entre jumeaux pour la maladie. Pour une maladie purement génétique, il est attendu un taux de concordance entre vrais jumeaux (monozygotes i.e. génétiquement identiques) de 100%. Ce n’est pas le cas pour les MICI où ce taux de concordance entre jumeaux monozygotes est de 20 % à 62 % pour la MC et 6 % à 19 % pour la RCH, selon les études. La part environnementale dans l’étiologie de la maladie est donc importante, en particulier pour la RCH. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 5 Cours02 Pour les faux jumeaux (dizygotes i.e. génétiquement semi-identiques comme des frères et sœurs), le taux de concordance est de l’ordre de 0 % à 6% dans la MC et 0 % à 3% dans la RCH. Ces taux sont inférieurs aux taux observés chez les jumeaux monozygotes en particulier pour la MC. Puisque jumeaux monozygotes et dizygotes sont (au moins en approximation) également appariés pour le mode de vie, une telle différence de concordance entre types de jumeaux est en toute logique à rapporter à la différence génétique entre vrais et faux jumeaux. Cet argument est très fort pour établir l’existence d’une prédisposition génétique aux MICI, en particulier à la MC. Si ces études chez les jumeaux témoignent du caractère en partie génétique de la prédisposition aux MICI, les facteurs d’environnement peuvent aussi contribuer aux agrégations familiales. Selon le modèle multifactoriel décrit plus haut, il est même attendu que de tels facteurs de risque environnementaux existent et interagissent avec les facteurs de risque génétiques. L’existence d’une surincidence modeste de MICI chez les conjoints de malades plaide en faveur de cette hypothèse. Surtout, la répartition non aléatoire des malades au sein des fratries avec plusieurs germains atteints plaide fortement pour une part environnementale dans les agrégations familiales de MC. En effet, statistiquement, les frères et sœurs malades ne sont pas répartis au hasard dans la fratrie comme on pourrait s’y attendre en cas de maladie purement génétique. Au contraire, les malades sont souvent proches dans l’ordre de naissance comme on s’y attend en cas d’influence(s) environnementale(s). Les formes familiales de MICI sont donc la résultante d’un terrain génétique et d’un environnement partagé entre apparentés. I-5. Anomalies familiales infra-cliniques. Plusieurs anomalies infra-cliniques, touchant à la fois les sujets atteints et leurs apparentés sains, ont été observées, tant pour la MC que pour la RCH. Une augmentation de la perméabilité intestinale, a été décrite pour les sujets atteints de MC et leurs apparentés sains. Elle a de plus été récemment associée aux mutations de CARD15/NOD2. Des anticorps dirigés contre un déterminant cytoplasmique des polynucléaires neutrophiles (ANCA) sont associés aux MICI. De tels ANCA ont été retrouvés (de manière inconstante) chez 15% à 30% des apparentés sains de sujets atteints de RCH, mais pas chez des "sujets contacts" non apparentés. De la même façon, des anticorps (ASCA) dirigés contre une levure (Saccharomyces cerevisiae) sont présents dans le sérum des sujets atteints de MC. Ils sont aussi retrouvés chez 20% des apparentés de malades. Enfin, différents autoanticorps dirigés contre les entérocytes, des anomalies du mucus ou un défaut d'utilisation de la fraction C3 du complément ont aussi été décrits chez les apparentés sains de patients atteints de MICI. On ne sait toutefois pas quel est le lien entre ces anomalies infracliniques et la prédisposition aux MICI. En particulier, la question de savoir s’il s’agit d’anomalies précédant le développement d’une Auteur : Jean-Pierre HUGOT 6 Cours02 authentique MICI reste débattue. Le suivi des sujets actuellement asymptomatiques et possédant de tels traits infra cliniques devrait permettre de préciser si de telles anomalies ont un rôle primitif dans les MICI. II VERS L’IDENTIFICATION DES GENES DE SUSCEPTIBILITE AUX MICI La prédisposition génétique aux MICI fortement suspectée sur les arguments développés cidessus a été l’objet de nombreux travaux de recherche pour identifier les gènes en cause. Plusieurs approches ont été proposées. II-1 Syndromes génétiques associés aux MICI Les MICI ont été associées à plusieurs syndromes génétiquement définis. De telles associations confortent l'hypothèse d'une prédisposition génétique aux MICI et peuvent suggérer des gènes candidats. Une surincidence des deux types de MICI, et plus particulièrement de la MC, a été reconnue chez les malades présentant un syndrome de Turner. Cette association est encore plus fréquente quand le caryotype révèle l'existence d'un iso-chromosome Xq (perte du bras court avec duplication du bras long du chromosome X). Un cas de MC a aussi été rapporté chez une adolescente atteinte de dysgénésie gonadique (phénotype féminin avec un caryotype 46 XY). Ces anomalies n’ont toutefois pas permis à l’heure actuelle d’identifier un gène lié à l’X. La maladie d'Hermansky-Pudlak est une maladie de transmission autosomique récessive, associant albinisme, anomalie des fonctions plaquettaires et dépôts pigmentaires dans différents tissus. Une colite granulomateuse, proche de la MC à l'examen anatomopathologique est fréquemment observée chez les malades. Surtout, l'atteinte colique quand elle existe, coségrège avec le phénotype de la maladie dans les familles, faisant de celle-ci une composante du syndrome génétique à part entière. Le gène de la maladie est identifié et code pour une molécule transmembranaire des organelles intracytoplasmique. A notre connaissance, il n’a pas été étudié dans les MICI. Une colite inflammatoire est fréquemment associé au déficit en XIAP, un gène impliqué dans la réponse immunitaire. Les MICI ont aussi été décrites associées à des syndromes génétiquement définis sous forme de cas rapportés. Pour des maladies fréquentes telles que la mucoviscidose ou la drépanocytose, de telles cas rapportés peuvent n'être que fortuits et doivent être confirmés. Une étude d'incidence des MICI dans une population de sujets atteints de mucoviscidose a ainsi pu confirmer la réalité statistique Auteur : Jean-Pierre HUGOT 7 Cours02 de l’association. Le gène CFTR prédisposant à la mucoviscidose n’a cependant pas été étudié dans les MICI à notre connaissance. Pour des maladies génétiques rares, l'existence d'associations morbides est d'emblée plus évocatrice. De telles associations ont été décrites chez les patients ou leurs apparentés pour de nombreux syndromes comportant une composante dysimmunitaire: angioedème héréditaire (déficit en inhibiteur de la fraction C1 du complément), maladie périodique, déficit en C2, déficit en pièce sécrétoire des IgA, syndrome de Chediak-Higashi, glycogénose de type Ib et sarcoïdose. D'autres maladies, ne correspondant pas à des syndromes génétiques clairement définis mais pour lesquelles une prédisposition génétique est habituellement admise, ont été associées aux MICI. Ainsi, l'eczéma, la rhinite allergique et l'urticaire, le psoriasis, la spondylarthrite ankylosante et la cholangite sclérosante sont plus fréquents chez les patients atteints de MICI ou leurs apparentés que dans la population générale. A l'inverse, les MICI (et plus particulièrement la RCH) sont plus fréquentes chez les malades atteints de sclérose en plaques, de maladie coeliaque, de cholangite sclérosante ou de spondylarthrite ankylosante ainsi que chez leurs apparentés. Au total, les MICI ont été décrites comme associées à de nombreuses maladies pour lesquelles une composante génétique est suspectée ou admise. Ces maladies ont, pour la plupart une composante dysimmunitaire et très souvent une association avec des antigènes HLA y est reconnue où débattue. Les récentes données génétiques montrent que beaucoup de ces maladies immunes ont en commun une dérégulation de la voie TH17 (Cf infra). II-2 Modèles animaux Un nombre sans cesse croissant de manipulations génétiques réalisées chez l'animal (rat ou souris) aboutissent à une maladie inflammatoire de l'intestin plus ou moins proche de la MC ou de la RCH. Chez les rongeurs de laboratoire, des manipulations de molécules extrêmement différentes, intervenant soit dans l'immunité, soit dans des fonctions épithéliales, peuvent entraîner des MICI. Les lésions intestinales (le plus souvent coliques) sont souvent isolées ou prédominantes bien que les gènes manipulés soient extrêmement ubiquitaires et situés à des endroits clés de la réaction immunitaire (Récepteur du lymphocyte T, molécules HLA de classe II, etc.). Parfois même, les modèles apparaissent contradictoires. Ainsi, la souris invalidée pour l'interleukine 2 est un modèle type d'augmentation de la réaction Th2 alors que la souris déficiente en IL10 est un modèle d'augmentation de la réaction Th1. Tous ces faits témoignent probablement de la complexité et de la fragilité des mécanismes assurant le maintien de l'équilibre de la réaction immunitaire dans les muqueuses. Si les maladies animales sont parfois proches de celles observées chez l'homme, elles ne sont toutefois pas complètement superposables. Un des modèles animaux les plus proches de la MC est Auteur : Jean-Pierre HUGOT 8 Cours02 peut être celui où il existe une délétion de séquences dans le promoteur du gène du TNFa. Un autre modèle est la souris SAMP/Yit FC qui développe une iléite granulomateuse spontanée lorsqu’elle est élevée dans une animalerie conventionnelle. Le rôle de PPARγ dans ce modèle a été proposé mais sa relevance pour l’homme reste à confirmer. La plupart des autres modèles apparaissent plus lointains. Pour la RCH, il a été récemment décrit un modèle de mutation du gène MUC2 codant pour une mucine exprimée dans le colon. Cette anomalie génétique entraine des lésions histologiques superposables à la RCH. Il existe dans ce modèle une anomalie de résolution du stress du reticulum endoplasmique qui est retrouvé aussi chez les malades, faisant de cette anomalie cellulaire de la cellule à mucus une des voies de recherche actuelles les plus prometteuses. On notera cependant que dans la plupart des modèles, la MICI expérimentale n'apparaît qu'en présence de germes dans la lumière intestinale, soulignant l'importance des facteurs endoluminaux bactériens dans la physiopathologie de la maladie. Le terrain génétique de la souris subissant l’expérience parait lui aussi important, témoignant de l’effet de gènes modulateurs. Cette sensibilité à la souche et à l’environnement est telle que dans certains cas, la colite expérimentale n’apparaît que dans certains laboratoires. Ceci est en parfait accord avec un modèle génétique multifactoriel. Il faut enfin noter que plusieurs des modèles animaux s'accompagnent d'une surincidence d'adénomes. II-3 Gènes candidats Schématiquement, deux grandes stratégies peuvent être distinguées lorsque l’on veut identifier les gènes responsables de maladies : l'approche des gènes candidats et l'approche de criblage au hasard. Un gène candidat est un gène supposé impliqué dans une maladie pour des raisons physiopathologiques. L’approche par gènes candidats s’appuie donc sur les connaissances scientifiques et médicales à une époque donnée. En fonction de cette connaissance, on suspecte des gènes précis qui sont considérés comme de bons candidats. Si les mécanismes étiopathogèniques sont bien connus, le travail se trouve alors limité, rendant la démarche rapide, facile et fiable. Notre manque de compréhension des mécanismes physiopathologiques inauguraux pour les MICI rend la démarche cependant plus aléatoire (voir le cours de P Desreumaux). Il n’est en effet pas possible de sélectionner un très petit nombre de gènes candidats pour les MICI de manière fiable. Naturellement, des associations ont d'abord été recherchées avec des gènes polymorphes codant pour des produits impliqués dans la régulation immunitaire à commencer par les gènes du système HLA. Malgré de nombreuses études, les résultats restent conflictuels et leur synthèse difficile. Des différences importantes portant sur les populations de référence et les méthodologies employées (en Auteur : Jean-Pierre HUGOT 9 Cours02 particulier en rapport avec l'avancement des connaissances du système HLA et les méthodes statistiques appliquées) expliquent pour une large part les différences observées. Pour la MC, la majorité des études, portant parfois sur un assez grand nombre de sujets, sont négatives. Plusieurs études ont conclu à l'existence d'associations avec un antigène HLA. Cependant, cet antigène est souvent différent d'une étude à l'autre. Pour les molécules de classe 1, seuls les antigènes B44 (antigène majoritaire du groupe B12) et Cw5 ont été démontrés associés à la MC dans plusieurs études. Pour les molécules de classe 2, les allèles HLADRB1*01, HLADRB1*07 et HLADQB1*05 ont été rapportés associés à la MC au moins deux fois. Pour la RCH, là aussi, une étude sur deux ne met en évidence aucune association. Seul l'antigène HLA DR2 a été associé à la RCH, surtout au Japon, dans plusieurs études indépendantes. Il a été rapporté à plusieurs reprises une association entre l’allèle HLA DRB1*0103 et des formes plus sévères de la RCH. Pour la MC, l'allèle HLA-DRB1*0701 a été associé avec l’atteinte iléale, l’haplotype A1-B8-DR3 avec l’atteinte colique, les allèles MICA*010, HLA-DRB*0103 et Cw*0802 avec des localisations périnéales et l’allèle HLA-DRB1*0103 avec les formes fistulisantes. Les groupes HLA ont aussi été associés avec les localisations extra-digestives de la maladie. En particulier les arthrites aiguës périphériques associées aux poussées inflammatoires, touchant moins de 5 articulations et durant moins de 5 semaines ont pu être associées au HLA- DRB1*0103 par opposition avec les polyarthrites évoluant sur plusieurs mois indépendamment des poussées de MICI et qui serait associé au groupe HLA-B44. Pour l’ensemble de ces associations une confirmation et une évaluation de leur utilité en pratique clinique reste cependant à définir. D’autres associations ont été rapportées entre les RCH étendues et sévères et un allèle de l’antagoniste du récepteur de l’interleukine 1, un allèle d’IKBL, l’haplotype a2b1c2d4e1 situé dans le promoteur du TNF-α. Diverses associations ont aussi été rapportées entre ce même promoteur et la MC. Des polymorphismes du gène MDR1 (impliqué dans la résistance aux drogues) ou du gène TLR4 (impliqué dans la réponse immunitaire innée) ont été associés à la MC. Enfin, les gènes de l’interleukine 6 et de l’antagoniste du récepteur de l’interleukine 1 ont été associées à l’ostéoporose des MICI. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 10 Cours02 Table 1 : gènes candidats fonctionnels étudiés dans les MICI. Gènes rapports au moins une fois Genes n’ayant pas été rapports associés associés aux MICI aux MICI • HLA Class II • IL2 • TNFa • IL4 • IL1/IL1ra • IL10 • ICAM-1 • Interferon g • Vitamine D Receptor • Mucins • CCR5 • hMLH1 • CYP2D6 • TCR • MDR1 • Motilin • TNFR1/TNFR2 • TAP1/TAP2 • NOD1 • Complement • TLR4 • TLR2 • NFKB1 • PTPN22 • PPARg • FOXP3 • Stromelysin 1 • CD14 • IL10R • IL18 • MYO9B • IRF5 • NLRP3 • XBP1 • IL10R Récemment, des mutations du récepteur de l’interleukine 10 ont été identifiées chez plusieurs nourrissons porteurs de colites inflammatoires associées à des lésions anopérinéales et des infections récurrentes. Ces formes très particulières de MICI peuvent être considérées comme des sous entités monogéniques de MICI. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 11 Cours02 II-4 Clonage positionnel Compte tenu des difficultés de l’approche de gène candidat, une stratégie alternative, le clonage positionnel, a été développé par certains groupes de chercheurs. Par cette approche, aucune hypothèse n’est nécessaire et il est possible d’identifier un gène quelconque, même inconnu au début de l’étude. Cette stratégie est essentiellement basée sur des études statistiques réalisées dans des familles de MICI. Elles aboutissent par raffinements successifs à la localisation chromosomique puis à l’identification des gènes de susceptibilité et de leurs mutations. L’inconvénient principal de cette méthode est le manque de puissance dans le cadre des maladies génétiques complexes impliquant un recrutement international de plusieurs centaines de familles et un travail laborieux nécessitant plusieurs années. Aujourd’hui une douzaine d’études de criblage du génome ont permis de localiser avec une forte probabilité neuf gènes de prédisposition aux MICI sur les chromosomes 1, 3, 5, 6p, 12, 14, 16p, 16q et 19 (figure 4A). A Chr1 to X to X B Chr1 Figure 4. Gènes de susceptibilité aux MICI localisés (en rouge) ou identifiés (en noir) par une approche de criblage du génome classique (clonage positionnel) (A) ou par un un criblage du génome par association (B). Les barres représentent le génome humain avec une alternance de couleur pour les chromosomes pairs et impairs. La taille de chaque chromosome est proportionnelle à sa longueur. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 12 Cours02 Avec l’approche de clonage positionnel, il a été possible d’identifier deux gènes proposés comme importants dans la susceptibilité génétique aux MICI et en particulier à la MC. Sur le chromosome 5, une localisation a été établie par un groupe canadien et confirmée par de nombreux autres chercheurs. Le gène de susceptibilité est au milieu d’un cluster de gènes codant pour des cytokines mais la nature exacte du gène en cause reste encore un sujet de débat. Les gènes SLC22A4 et SLC22A5 codant pour les protéines OCTN1 et 2 (pour organic cathionic transportor 1 et 2), bien que ne semblant pas être impliqués dans l’immunité, ont été proposés comme les gènes de susceptibilité en cause. Des variants génétiques codant pour des mutations altérant la fonction ou l’expression du gène ont en effet été associés avec la MC. Les protéines OCTN1 et 2 sont impliquées dans le transport de la carnitine et de xénobiotiques. On comprend mal leur rôle dans la physiopathologie de la maladie. Le gène CARD15 (Caspase Recruiment Domain 15) ou NOD2 (Nucleotide Oligomerisation Domain 2) ou NLRC2, sur le chromosome 16, est associé à la MC. Ce gène n’a pas de rôle dans la RCH. Son rôle dans la MC a été validé par de nombreux auteurs. NOD2 code pour une molécule intracellulaire activable par des composants de la paroi bactérienne : les muropeptides dérivés du petidoglycane. Il participe donc à la reconnaissance et à la réponse de l’hôte vis à vis de bactéries (Cf infra). II-5 Criblages du génome par association Si les méthodes de clonage positionnel traditionnel ont apporté les premiers gènes de susceptibilité aux MICI, il faut bien dire que la plupart des gènes localisés n’ont pas pu être identifiés (figure 4A). Cet échec est lié aux limitations connues de la technique, en particulier pour la découverte de gènes où le risque associé est faible et où l’allèle de susceptibilité est fréquent dans la population générale. Très récemment, les progrès dans l’annotation du génome humain et les progrès technologiques dans le génotypage de marqueurs de polymorphisme ont permis de développer des méthodes alternatives au clonage positionnel traditionnel. Selon ces méthodes, des centaines ou des milliers de cas et de témoins ethniquement appariés sont étudiés pour des centaines de milliers de polymorphismes choisis sur l’ensemble du génome. Les gènes au voisinage des polymorphismes associés à la maladie sont alors testés en tant que gènes de susceptibilité. Cette approche s’est développée depuis 2005 et surtout en 2008 aboutissant à la reconnaissance d’un très grand nombre de gènes de susceptibilité à de nombreuses maladies Auteur : Jean-Pierre HUGOT 13 Cours02 multifactorielles (pour plus d’informations : http://www.genome.gov/26525384). Elle a révolutionné notre connaissance sur ces maladies. Pour les MICI, une dizaine de génomes scan par association ont été publiés pour la MC et pour la RCH. Ces criblages du génome ont découvert une douzaine de gènes de susceptibilité aux MICI. Plus récemment, deux méta-analyses de ces génome-scan a permis de réunir les données sur plus de 10000 cas et témoins, identifiant au total 30 (figure 4B) puis 70 gènes supplémentaires pour la MC (figure 5) et plus de 40 gènes pour la RCH. Compte tenu du fait qu’une vingtaine de gènes sont communs aux deux maladies, on compte environ une centaine de gènes de susceptibilité aux MICI. Figure 5. Diagramme de Manhattan résumant la dernière méta-analyse de genome scan en association pour la MC (Franke et al. Nature Genet 2010). Chaque point représente un marqueur génétique selon sa position sur les chromosomes. En abscisse est représenté la valeur de P du test statistique d’association en échelle inversement logarithmique. Les valeurs P<10-8 sont habituellement considérées comme significatives dans ce type d’approche. Le bilan de ces découvertes récentes est encore difficile à faire. Beaucoup de régions génétiques d’intérêt ne correspondent à aucun gène connu, posant donc la question de leur fonctionnalité. Certains gènes ont des fonctions mal documentées et il est difficile de connaître leur rôle. Parmi les gènes connus, plusieurs participent à la différenciation cellulaire TH-17 qui se confirme donc comme une voie de signalisation essentielle pour les MICI (MC et RCH) (table 2). Une surprise a été la découverte de gènes de l’autophagie pour la MC. Cette fonction cellulaire sert à dégrader les organites intracellulaires altérés mais contribue aussi à la dégradation des bactéries intracellulaires telles que Salmonelles et Mycobactéries. Pour la RCH, la plupart des gènes sont communs avec la MC. Certains sont plus spécifiques comme IL1R2 ou DAP. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 14 Cours02 Les allèles (i.e. les formes moléculaires du gène) associés aux MICI sont souvent les allèles les plus fréquents dans la population générale, suggérant que c’est la forme normale de la molécule qui est un facteur de risque de la maladie. Cela est particulièrement vrai pour le récepteur à l’IL23. En fait, l’allèle associé à la MC est présent chez 97% des malades contre 93% des témoins sains. Cela suggère qu’une fonction normale de l’IL23 est nécessaire pour que la maladie s’exprime. Ainsi, l’IL23 devient une cible thérapeutique importante pour la recherche. Table 2. Genes des MICI identifies par les criblages du genome. Chr Gene Variant causal FAR OR* RC Fonction du gène H Gènes des MICI identifies par une approche de criblage du génome et répliqués 16q1 NOD2 2 1p31 IL23R R702W,G908R,100 0.01 4 Non Immunité innée 7fs 8 connu : A381T 0.93 2.5 Oui Differentiation TH-17 0.53 1.2 Non Autophagie 3 8 0.67 1.2 ? Inflammation 7 2 0.09 1.3 Non Autophagie Non Inflammation Non Autoimmunité Oui Factor de 3 2q37 9q32 5q33 ATG16L1 TNFSF15 IRGM? Connu : A197T nc nc : Flanking region 3 5p13 18p1 PTGER4 ? PTPN2 nc : Gene desert 0.12 1.3 region 5 2 nc: Flanking region 0.15 1.3 2 5 0.38 1.2 7 5 1 10q2 ZNF365 ? nc 1 5q31 SLC22A4/5 nc : several SNPs 0.42 1.2 ? are putative 5 5 transcription Non es candidates 6p21 10q2 MHC ? NKX2-3 Auteur : Jean-Pierre HUGOT Carnitine/Xenobiotiqu transporteur nc : large region 0.18 1.1 DRB1*0103 8 9 nc : Upstream the 0.47 1.2 Oui Immunité Oui Factor de 15 Cours02 4 3p21 20q1 MST1 ? TNFRSF6B gene 8 0 R689C ? 0.27 1.2 1 0 0.69 1.2 nc 3 21q2 transcription Oui Differentiation TH-17 ? Apoptose T-cell ? Protéine chaperonne 6 PSMG1 nc 0.73 2 1.2 7 Gènes des MICI découverts par la méta-analyse des génome scans. 12q1 LRRK2, 2 MUC19 1p13 PTPN22 nc nc 0.01 1.5 7 4 0.90 1.3 ? Autophagie ? Mucus Oui Autoimmunité ? Immunité innée Oui Differentiation TH-17 ? Associé au diabète 1 1q23 5q33 6p22 ITLN1 IL12B CDKAL1 nc nc nc 0.68 1.1 2 4 0.70 1.1 8 1 0.78 1.2 1 6q27 CCR6 nc 0.46 1.2 NID ? Differentiation TH-17 ? Differentiation TH-17 ? ? ? Associé à l’asthme Oui Differentiation TH-17 ? Immunité adaptative 1 9p24 11q1 JAK2 C11orf30 nc nc 3 17q2 ORMDL3 nc 1 17q2 STAT3 nc 1 21q2 ICOSLG 2 1q24 1q32 ? ? Auteur : Jean-Pierre HUGOT nc 0.34 1.1 8 2 0.38 1.1 6 6 0.47 1.1 3 2 0.56 1.1 5 8 0.38 1.1 9 3 0.24 1.1 3 9 0.70 1.1 Non Oui 16 Cours02 8 6q21 ? 0.29 1.1 ? 7 7p12 ? 0.68 1.2 ? 0 8q24 ? 0.62 1.0 ? 8 10p1 ? 1 13q1 ? 4 19p1 ? 3 21q2 ? 1 0.34 1.1 5 6 0.22 1.2 1 5 0.21 1.0 7 2 0.56 1.1 5 8 0.38 1.0 Oui ? ? ? GWAS for Ulcerative Colitis 1q21 ECM1 nc Oui Membrane basale 8 *Les Odds Ratio (OR) sont calculés pour la MC sauf ECM1. FAR: Fréquence de l’allèle à risque. nc: non connu. En dehors de NOD2 et IL23R, les risques associés aux allèles à risque sont en général très faible, de l’ordre de 1.2. Il n’y a donc aucun gène à effet majeur et le risque semble dépendre d’une multitude de facteurs isolés. Par ailleurs, les premières analyses ne suggèrent pas d’interaction particulière entre les gènes. Ainsi, le risque de la maladie semble dépendre plus du nombre d’allèles à risque que de la combinatoire de ceux-ci. Finalement, il y a peu de données suggérant que certains gènes soient plus particulièrement associés à certaines formes cliniques de la maladie. II-6 Orientations futures de la recherche en génétique Les criblages du génome ont fourni une centaine de gènes de susceptibilité aux MICI. Chaque gène n’est toutefois porteur que d’un risque minime. Cumulés, l’ensemble des gènes identifiés n’explique qu’environ 25% de la prédisposition génétique attendue aux MICI. Nous avons donc à la fois une grande quantité d’informations nouvelles et un manque d’explication globale. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 17 Cours02 Les gènes récemment identifiés ont pour avantage d’avoir mis en évidence des voies biologiques que l’on peut considérer comme clés dans les MICI. C’est le cas de la voie Th17 de l’activation lymphocytaire ou de l’immunité innée et de l’autophagie. Il faut toutefois maintenant aller de l’anomalie génétique à la construction du phénotype ce qui sera probablement difficile et long. Le défaut d’explication du risque génétique malgré le grand nombre de gènes identifiés pose un problème non résolu. Il est probable que l’on ne connaisse pas tous les gènes à risque. Il est toutefois très peu probable que des variants génétiques communs ayant un effet fort n’aient pas encore été découverts. Chercher de nouveaux variants avec un effet minime ne résoudra probablement pas la question. Il faut aussi noter que les variants connus aujourd’hui ne sont pas tous les variants porteurs de l’effet biologique mais plutôt des marqueurs anonymes de « voisinage ». Les premières études cherchant à mieux définir ces variants biologiques ont été décevants, ne permettant pas de retrouver des « mutations » au sens classique du terme (i.e. des variations génétiques modulant fortement la protéine codée et sa fonction et associés à un risque élevé de maladie. Puisque les variants génétiques explorés ne sont pas pleinement explicatifs, il est suggéré que des d’autres variations du génome soient en cause. Une étude récente de variants de copie de nombre s’est révélée décevante avec très peu de gènes retrouvés (HLA et IRGM). Les nouvelles modalités de séquençage du génome humain font actuellement rechercher des mutations rares à effet fort, non explorées par les criblages du génome. III L’exemple de NOD2 NOD2 est le gène le plus fortement associé à la MC. Il a été le plus étudié jusqu’à présent. Il constitue donc un bon exemple pour comprendre l’apport de la génétique à la compréhension des MICI. III-1 Spectre mutationnel dans la MC Plus de 30 mutations de NOD2 ayant potentiellement un effet biologique ont été répertoriées (figure 6). Elles se répartissent sur la plus grande partie du gène. La plupart d’entre elles sont rares et ne concernent qu’un petit nombre de malades (mutations privées). A l’inverse, trois mutations apparaissent fréquentes. Il s’agit des variants R702W, G908R et 1007fs qui représentent ensemble plus de 80% des chromosomes mutés. L’existence de trois mutations prédominantes rend relativement facile une analyse du gène et la plupart des études ne portent en fait que sur ces trois variants. A notre connaissance le promoteur du gène n’a pas été étudié de manière exhaustive. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 18 Cours02 Nombre de chromosomes mutés Card15 Variations non conservatives de la protéine A140T W157R T189M R235C L248R P268S N289S D291N R311W R373C N414S S431L E441K 558del LG A612T R684W R702W R703C R713C E778K V793M E843K N853S M863V A885T G908R A918D G924D G978E 1007fs1008X Figure 6. Variations non conservatives de la protéine Card15/Nod2. Les mutations identifiées dans la MC et codant pour des variants non conservatifs de la protéine sont indiqués à droite du schéma représentant la protéine. Le nombre de chromosomes porteurs de chaque mutation (sur une collection de 906 chromosomes analysés) est indiqué à gauche. Les trois variants les plus fréquents sont indiqués en rouge. Les trois mutations principales indiquées plus haut (R702W, G908R et 1007fs) sont associées à la MC mais pas à la RCH. Elles sont présentent chez environ 15% des sujets sains. Ainsi, être porteur d’une mutation ne signifie pas être malade. Ce résultat était attendu dans le cadre d’une maladie génétique complexe telle que la MC puisque d’autres mutations sur d’autres gènes et l’exposition à des facteurs d’environnement sont aussi certainement nécessaires pour que la maladie apparaisse. Dans la MC, ces mutations sont présentes chez près de 30% des malades, donc deux fois plus souvent que chez les sujets sains. Ainsi, là encore et comme attendu pour une maladie génétique complexe, une mutation du gène CARD15/NOD2 n’est pas non plus une condition nécessaire pour l’expression de la maladie. Si on considère en plus des mutations fréquentes, les mutations rares observées chacune dans quelques familles, on trouve alors que 3% à 50% des MC sont porteurs d’une anomalie (rare ou fréquente) contre 20% des contrôles sains (figure 7). Dans la RCH, les fréquences des mutations sont identiques à celles observées chez les contrôles sains. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 19 Cours02 Figure 7. Pourcentage de sujets porteurs de mutations du gène CARD15/NOD2. Toutes les mutations non conservatives (rares ou fréquentes) sont prises en compte. Les sujets sont classés selon qu’il sont porteurs de mutation sur aucun, un seul ou leur deux chromosomes. L’analyse des mutations chez les malades indique que les sujets atteints de MC ont souvent une mutation sur les deux gènes portés par leurs deux chromosomes. On parle d’effet dose. Ainsi, 17% des malades sont porteurs de 2 mutations contre 0,3 % des sujets contrôles. On peut alors estimer le risque d’être malade est d’environ 20 à 40 fois plus élevé que la population générale pour les sujets doublement mutés alors que le même risque est de l’ordre de 2 à 3 pour les sujets porteurs d’une seule mutation. Pour les autres gènes de susceptibilité aux MICI, il n’a pas été rapporté d’effet dose. Par ailleurs, le risque porté par chaque variant génétique est très faible. III-2. Importance du génotype en pratique clinique Ce calcul du risque est important mais il est difficile de l’utiliser dans le cadre d’un conseil génétique s’adressant au malade ou à sa descendance. La première raison est, rappelons le, que le risque dépend non seulement de CARD15/NOD2 mais aussi de nombreux autres facteurs génétiques et environnementaux actuellement inconnus. Ainsi, le génotype le plus à risque augmente la probabilité de MC d’un facteur 20 à 40 par rapport à la population générale ce qui correspond à un risque empirique de l’ordre de 4 % si on estime que la prévalence de la maladie de Crohn est grossièrement de 1/1000 dans la population française. Ce risque est trop faible pour être utile seul en pratique clinique. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 20 Cours02 La deuxième raison est qu’il n’est réaliste de donner un risque, et donc de dépister un malade potentiel, que si une méthode préventive efficace peut être appliquée pour réduire celui-ci. Or, à ce jour, à l’exception des mesures anti-tabac (qui peuvent être proposées universellement, quelque soit le statut CARD15/NOD2 ), aucune action préventive efficace ne peut être proposée à un éventuel sujet dépisté porteur de mutations sur le gène CARD15/NOD2. La valeur diagnostique du génotypage de CARD15/NOD2 ne permet donc pas aujourd’hui de remettre en question les outils diagnostiques classiques que sont la clinique, l’endoscopie, l’histologie, la biologie et la radiologie. Il n’est donc pas utile en pratique courante de génotyper les sujets à risque de MC pour le gène CARD15. Les nouveaux gènes identifiés ont fait reposer la question de la prédiction du risque. Chaque gène individuellement ne fait pas mieux que NOD2. Pris ensembles, les dizaines de gènes de susceptibilité permettent d’améliorer la prédiction mais celle-ci reste médiocre et non utilisable en pratique courante. Les études de corrélation génotype/phénotype ont permis de montrer que les sujets porteurs de mutations de NOD2, en particulier les sujets doublement mutés, avaient certaines caractéristiques. L’âge de début de la maladie apparaît plus précoce. Cette différence, de 3 à 4 ans en moyenne, n’a cependant que peu d’impact sur la prise en charge clinique (figure 8). mutations 0-9 10-19 20-29 30-39 >40 Figure 8. Fréquence des mutations de CARD15/NOD2 en fonction de l’âge. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 21 Cours02 L’atteinte colique pure est exceptionnelle chez les porteurs de deux mutations (fig 9). Ceci rapproche les colites RCH-like de la MC sur le plan non seulement clinique mais aussi génétique et donne peu d’espoir de pouvoir classer les colites inclassées sur la base d’un test génétique basé sur CARD15/NOD2. Les sujets porteurs de mutations ont enfin été rapportés comme ayant plus souvent des complications évolutives avec des sténoses et/ou des fistules. Cette information, certes importante, est cependant difficile à utiliser en pratique courante en l’absence de traitement préventif de ces complications. Une surveillance attentive des patients est donc certainement préférable à un typage de CARD15/NOD2. A noter que les mutations de NOD2 ont été associées aux pouchites après colectomies pour RCH. 100% 80% colon seul 60% iléon seul 40% iléon+colon 20% 0% 0 mutation 1 mutation 2 mutations Figure 9. Localisation de la MC en fonction du nombre de mutations portées par le patient. Enfin, il est légitime de se demander si le génotypage de CARD15/NOD2 peut être utile à la décision thérapeutique. Deux groupes ont étudié la réponse et la toxicité des anti-TNF (Infliximab) selon le génotype de CARD15 des patients. Les deux études concluent négativement. D’autres études similaires, portant sur la réponse à d’autres traitements de la MC pourraient être utiles dans l’avenir. Les données sont encore éparses pour les autres gènes de susceptibilité aux MICI. Les premières données ne suggèrent toutefois pas que la génétique permette une prédiction de qualité suffisante pour être utile en pratique clinique. Le génotypage n’est donc pas recommandé aujourd’hui dans le cadre du suivi de la maladie. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 22 Cours02 III-3. Role fonctionnel de CARD15/NOD2 La protéine codée par le gène CARD15 est exprimée surtout dans les cellules de la lignée monovcyte/macrophage. Elle est présente dans le cytoplasme de la cellule et active la voie de signalisation NF-kB tout comme le récepteur du TNF ou les Toll Like récepteurs (TLR) présents à la surface de la cellule. L’activation de NF-kB résulte alors en une activation transcriptionnelle de gènes pro-inflammatoires tels que le TNFα par exemple. Le lien entre Card15/Nod2 et l’apoptose, bien que fortement suspecté, reste très mal connu. Plus récemment, Nod2 a été impliqué dans la voie de l'IL1b en participant à l'inflammasome. Il a aussi été montré avoir un role dans l’autophagie, dans l’activation de l’interleukine 10, de la synthèse des défensines, etc. Nod2 semble donc avoir plusieurs fonctions et la fonction clé associée au développement de la MC reste très débattue malgré une littérature abondante depuis 10 ans. Ce problème de compréhension de l’effet biologique des gènes de susceptibilité aux MICI est encore plus aigu pour la plupart des gènes récemment découverts. Plusieurs groupes ont montré que Card15/Nod2 pouvait être activé par le peptidoglycane, un composant de la paroi bactérienne. Le motif minimal du peptidoglycane capable d’activer Nod2 est le muramyl-dipeptide (MDP), un composé chimique connu depuis fort longtemps pour ses propriétés adjuvantes de la réponse immune vaccinale. En présence de MDP, Card15/Nod2 active la voie proinflammatoire de NF-kB. Pour certaines mutations, cette réponse est abolie. Il est donc postulé par de nombreux groupes que les mutations de Nod2 entraînent une perte de fonction responsable de la maladie. Cependant cette perte de fonction apparait paradoxale puisque la MC est une maladie inflammatoire. Ce dilemme n’est pas encore résolu complètement et plusieurs hypothèses physiopathologiques restent débattues. Comme attendu pour un gène impliqué dans l’immunité innée, CARD15/NOD2 est principalement exprimé dans les leucocytes et en particulier dans la lignée monocyte-macrophage. Ceci est en accord avec la présence de granulomes dans la MC puisque c’est à partir de la lignée monocytaire que se différencient les cellules épithélioïdes et gigantocellulaires de ces granulomes. L’expression de NOD2 dans l’épithélium intestinal est limitée. Certains auteurs ont rapporté que son expression épithéliale était surtout le fait des cellules de Paneth présentent dans les cryptes de l’iléon. Les cellules de Paneth sont connues pour sécréter des produits antibactériens tels que le lysozyme ou les défensines et d’assurer ainsi la stérilité des cryptes. Pour ces auteurs, la MC résulterait alors d’un déficit de cette fonction aboutissant au passage de bactéries dans la muqueuse et à une inflammation réactionnelle. Le role de NOD2 dans les plaques de Peyer a aussi été établi, suggérant un role clé de cette molécule dans la régulation de la fonction immune et de la perméabilité intestinale. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 23 Cours02 Même si les mécanismes exacts qui provoquent les lésions sont mal connus, la découverte de CARD15/NOD2 a eu pour conséquence de recentrer la physiopathologie de la MC sur l’immunité innée. Cette immunité est une première ligne de la défense de l’organisme contre les agents pathogènes et médiée par les cellules phagocytaires. Elle est non spécifique, dirigée contre des molécules communes à plusieurs agents infectieux, telles que le PGN bactérien. Elle ne fait donc pas intervenir la même complexité moléculaire que l’immunité acquise qui passe par les immunoglobulines ou le récepteur T du lymphocyte. Enfin, elle intervient dans un délai très court après le début de l’infection, ne reposant pas sur le principe de l’activation de la mémoire immunitaire. De la même façon, les découvertes génétiques récentes orientent la recherche sur l’autophagie dans la MC et sur la différentiation lymphocytaire TH-17 (table 2). III-4 Rôle de CARD15/NOD2 dans d’autres maladies Des mutations du gène NOD2 ont été observées non seulement dans la MC, mais aussi dans un syndrome rare de transmission mendélienne dominante, le syndrome de Blau. Cette maladie est caractérisée par une inflammation granulomateuse pouvant toucher l’œil, la peau et les articulations. Les mutations observées dans le syndome de Blau touchent le domaine NOD liant les nucléotides (Cf infra) (figure 10). Ces mutations entraînent une activation spontanée anormale de la protéine (mutations gain de fonction). Ces différences expliquent probablement les différences dans la topographie de l’inflammation et le mode de transmission de ces deux maladies granulomateuses. Le syndrome de Blau apparaît donc comme un modèle « en miroir » pour la MC. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 24 Cours02 1 BS III (R334Q) BS II (R334Q) BS I (L469F) 2 1 M 2 1 2 M M 3 4 3 5 3 6 4 M M 5 7 M uvéite Atteinte cutanée BS IV (R334W) 8 9 10 camptodactylie 1 2 M M arthrite Criblage du gène 5 3 M M 7 8 4 6 M 9 10 11 Figure 10. Mutations du gène CARD15/NOD2 associées au syndrome de Blau. Les arbres généalogiques (BSI à IV) de familles atteintes du syndrome de Blau sont indiqués avec les phénotypes et la mutation observée dans chaque famille (en rouge). M : porteur de la mutation. Le gène NOD2 a été étudié dans d’autres maladies granulomateuses comme la sarcoidose ou le syndrome de Wegener ou dans des maladies inflammatoires comme les spondylarthropathies, la polyarthrite rhumatoïde ou l’uvéite. Aucune association significative n’a été définitivement identifiée (sauf dans la sarcoidose à début précoce qui s’apparente au syndrome de Blau). Par contre NOD2 a été rapporté comme facteur de risque de la réaction du greffon contre l’hôte (GVH). Les patients ayant bénéficié d’une greffe de moelle osseuse pour une hémopathie maligne développent parfois des complications sévères, en particulier des infections opportunistes et une GVH. Les patients greffés porteurs de mutations ou ayant reçu un greffon muté sont plus souvent sujets à ces complications. Ainsi, NOD2 rapproche de façon inattendue la GVH, le syndrome de Blau et la MC. Il est intéressant de noter que les nouveaux gènes identifiés ces dernières années rapprochent eux aussi les MICI d’autres maladies pour lesquelles l’association clinique avec les MICI était connue ou non (figure 11). La voie TH-17 est impliquée non seulement dans la MC et la RCH mais aussi dans le psoriasis et les spondfylarthropathies. IRF5 est associé aux MICI, au lupus et à la polyarthrite rhumatoïde. PTPN2 est associé aux MICI et au diébète de type 1 tandis que PTPN22 est Auteur : Jean-Pierre HUGOT 25 Cours02 associé à la MC, au diabète de type 1, à la sclérose en plaques et aux thyroïdites. Dans ce cas, on notera que l’allèle à risque pour la MC est l’allèle protecteur pour le diabète. MC et diabète de type 2 semblent associés à CDKAL1 mais avec des allèles à risque différents. L’allèle de ORMDL3 est associé à la MC et à l’asthme. MYO9B, IL12, IL18 semblent jouer un role dans la MC mais aussi dans la maladie coeliaque. NLRP3 est associé à la MC et à l'urticaire au froid et au Muckle-Xells syndrome. Il semble donc se former un réseau de gènes de susceptibilité impliqués dans une série de maladies variées. Lèpre TNFSF1 GVH Blau Nod2 DID Myo9b, IL12, Crohn Coeliaque PTPN2/2 IRF Lupus ORMDL Th17 RCH Asthme PR SPA Figure 11. Gène sde susceptibilité (en noir) communs à plusieurs maladies (en rouge) et formant un réseau de maladies. PR : polyarthrite rhumatoïde; SPA : spondyloarthropathies ; DID : Diabète insulinodépendant. GVH : réaction de greffon contre l’hôte. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 26 Cours02 Synthèse Les maladies inflammatoires de l’intestin (MICI) sont des maladies multifactorielles. Des facteurs de risque à la fois génétiques et environnementaux interviennent dans leur déterminisme. Les agrégations familiales de MICI sont fréquentes. Le risque de récurrence chez les apparentés a été diversement apprécié. Il est de l’ordre de un à quelques pourcents. Les gènes que l’on peut considérer comme candidats pour les MICI sont très nombreux. Plusieurs d’entre eux ont été étudiés par des études cas-témoins et des associations ont été rapportées avec les MICI pour HLA, TNFα, TLR4, OCTN1 et 2, DLG5, MDR1, XBP1, NLRP3. Le gène NOD2 a été le premier découvert. C’est le gène le plus fortement associé à la MC. Il n’a pas de rôle dans la RCH. Un variant du gène est présent chez 30% à 50% des malades et 20% des sujets sains. Le gène n’est donc ni nécessaire ni suffisant pour que la maladie s’exprime. Les patients mutés ont un âge de début plus précoce, une atteinte RCH-like plus rare, une évolution plus fréquente vers des sténoses ou des fistules. Ces associations ne justifient cependant pas le génotypage de CARD15/NOD2 en pratique clinique courante. Une centaine de nouveaux gènes ont été découverts ces derniers mois pour les MICI. Ces gènes orientent sur de nouvelles fonctions biologiques comme l’activation lymphocytaire de type TH-17 ou l’autophagie. La grande majorité de ces gènes ont un effet individuel modeste. L’étude de leur impact en pratique clinique est modeste. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 27 Cours02 POUR EN SAVOIR PLUS 1. Plusieurs revues sur la génétique des MICI sont disponibles dans le numéro de World J Gastroenterol 2006 ; 12 (23). 2. Elson CO. Genes, microbes, and T cells--new therapeutic targets in Crohn's disease. N Engl J Med 2002;346:614-6. 3. Watanabe T, Kitani A, Murray PJ, Strober W. NOD2 is a negative regulator of Toll-like receptor 2-mediated T helper type 1 responses. Nat Immunol. 2004; 5 : 800-8. 4. Khor B et al. Genetics and pathogenesis of Inflammatory Bowel Diseases. Nature 2011; 474: 307-17. 5. Gaya DR et al. New genes in inflammatory bowel disease: lessons for complex diseases? Lancet 2006; 367: 1271-84. 6. Inohara N, Nunez G. NODs: intracellular proteins involved in inflammation and apoptosis. Nat Rev Immunol. 2003; 3(5):371-82. 7. Barrett JC, Hansoul S, Nicolae DL, et al. Genome-wide association defines more than 30 distinct susceptibility loci for Crohn's disease. Nat Genet. 2008 Jun 29. [Epub ahead of print] 8. Cho JH, Weaver CT. The genetics of inflammatory bowel disease. Gastroenterology 2007;133:1327-39. 9. Mathew CG. New links to the pathogenesis of Crohn disease provided by genome-wide association scans. Nat Rev Genet 2007. 10. Welcome trust Case Control Consortium. Genome-wide association study of 14,000 cases of seven common diseases and 3,000 shared controls. Nature 2007; 447: 661-78. Auteur : Jean-Pierre HUGOT 28