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t h é m a t i q u e
Coordinateur : S. Choquet
Les lymphomes cérébraux
primitifs chez le sujet
immunocompétent
Primary central nervous system lymphoma in immunocompetent patients
C. Soussain*, K. Hoang-Xuan**
RÉSUMÉ
♦ Les lymphomes primitifs cérébraux
(LCP) bénéficient actuellement d’un
intérêt croissant, dont témoigne
l’abondante littérature couvrant le champ
de la clinique et de la biologie, en raison
de l’augmentation de leur incidence
chez les patients immunocompétents
et de l’amélioration des résultats
thérapeutiques. Ils se différencient
des lymphomes malins non hodgkiniens
systémiques par leur évolution quasi
confinée au système oculo-cérébroméningé et par leur pronostic péjoratif en
partie lié à la mauvaise biodisponibilité
des chimiothérapies à travers la barrière
hémato-encéphalique.
Les traitements standard actuels
combinant une chimiothérapie
comportant du méthotrexate à haute
dose et une radiothérapie encéphalique
permettent d’obtenir des taux de réponse
de l’ordre de 90 %, entravés par un risque
de rechute d’environ 50 %, aboutissant à
une survie médiane entre 24 et 55 mois
(20 à 40 % de survivants au-delà de
5 ans). Ces traitements exposent les
patients à un risque – vraisemblablement
sous-estimé car encore trop mal étudié
– de toxicité neurologique retardée et
* Centre René-Huguenin,
hématologie clinique, Saint-Cloud.
** Fédération de neurologie Mazarin,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
66
L
es lymphomes primitifs cérébraux (LCP) sont
des lymphomes malins extranodaux localisés dans le cerveau, la moelle épinière, les
méninges ou l’œil, à l’exclusion de toute localisation systémique. L’incidence des LCP est estimée
aux États-Unis à 5/106 cas par an. Ils représentent
pouvant être fatale dans les cas les plus
sévères. Ainsi, dans la population âgée
(> 60 ans), particulièrement exposée, un
consensus se forme pour surseoir à la
radiothérapie ou la différer en cas de
réponse à une chimiothérapie première.
De nombreux progrès thérapeutiques
restent à faire, tant pour améliorer les
résultats thérapeutiques en diminuant
le risque de rechute que pour diminuer
la toxicité cérébrale des traitements.
La place des anticorps monoclonaux,
de la chimiothérapie intrathécale, de
la radiothérapie encéphalique et de
la chimiothérapie intensive n’est pas
totalement définie.
De nombreuses études biologiques,
limitées par la rareté des prélèvements
provenant généralement de biopsies
stéréotaxiques, sont en cours pour tenter
de mieux comprendre la physiopathogénie
des LCP, en particulier la question de
l’origine de la cellule lymphomateuse en
cause et celle de sa transformation.
Mots-clés : Lymphome – Système nerveux
central.
Keywords: Lymphoma – Central nervous
system.
en France environ 3 % des tumeurs primitives du
système nerveux central (SNC), selon un recensement prospectif du registre de l’Association des
neuro-oncologues d’expression française (Anocef)
[1], et environ 1 à 2 % des lymphomes malins non
hodgkiniens (LNH). L’incidence est estimée en
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
Les lymphomes cérébraux primitifs chez le sujet immunocompétent
Tableau I. Présentations cliniques au diagnostic.
Signes cliniques
Fréquences (%)
Déficits focaux
50
Troubles cognitifs et psychiatriques
25-50
Hypertension intracrânienne
20
Crise d’épilepsie
10
Atteinte oculaire (uvéite)
A
C1
10-20
B
C2
Figure. Présentations radiologiques.
A. IRM axiale. Séquences T1 avec gadolinium : masse temporale gauche rehaussée
par le gadolinium.
B. IRM axiale. Séquences T1 avec gadolinium : aspect de ventriculite.
C. IRM axiale. Séquence FLAIR (C1) et séquence T1 avec gadolinium (C2) : forme infiltrante
avec multiples lésions hyperintenses sur la séquence FLAIR, sans rehaussement sur la
séquence T1-gadolinium.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
France à 300 nouveaux cas par an. Elle diminue
dans la population des patients immunodéprimés,
mais continue d’augmenter dans la population
immunocompétente. Les LCP sont actuellement
individualisés au sein des LNH dans la nouvelle
classification de l’OMS (2).
DIAGNOSTIC ET BILAN D’EXTENSION
✔ Présentation clinique
Les LCP se manifestent le plus souvent par
des signes neurologiques focaux, mais des
troubles du comportement sont relativement
fréquents. Les crises d’épilepsie sont plus
rares que lors des autres tumeurs cérébrales
en raison de la moindre fréquence des localisations corticales (tableau I). Une atteinte
oculaire est présente au diagnostic dans 10
à 20 % des cas, parfois asymptomatique.
L’atteinte de la moelle épinière ou méningée
primitive isolée est beaucoup plus rare.
✔ Présentation radiologique (figure)
L’imagerie cérébrale par TDM ou IRM montre
typiquement des lésions uniques ou multiples
profondes périventriculaires, prenant le contraste
de manière homogène. Cependant, des présentations atypiques peuvent simuler des maladies
inflammatoires telles que la sarcoïdose ou la
sclérose en plaque, l’encéphalomyélite aiguë
démyélinisante (ADEM) ou d’autres tumeurs
cérébrales (méningiomes, gliomes malins, métastases cérébrales). Le diagnostic radiologique
est particulièrement difficile en cas de lésions
infiltrantes non rehaussées par le produit de
contraste qui existent dans 10 % des cas. Dans les
présentations atypiques, la spectroscopie-IRM
et les séquences de perfusion peuvent apporter des arguments en faveur d’une localisation
cérébrale d’un LNH.
✔ Diagnostic pathologique
L’examen anatomopathologique reste indispensable, le plus souvent sur un prélèvement tumoral
obtenu par biopsie stéréotaxique. La biopsie
cérébrale peut être évitée lorsque des cellules
lymphomateuses sont retrouvées dans le liquide
céphalorachidien(LCR) [10 à 30 % des cas] ou dans
un prélèvement de vitré. Les examens nécessaires au diagnostic et au bilan d’extension sont
résumés dans le tableau II, p. 68.
La quasi-totalité des LCP sont des LNH diffus
à grandes cellules B, avec un angiotropisme
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Tableau II. Bilan diagnostique et d’extension.
Bilan SNC
IRM cérébrale sans et avec injection (± séquence de perfusion/spectro-IRM)
Ponction lombaire
(cytologie, immunomarquage, recherche de clonalité par PCR)
Examen ophtalmologique avec examen à la lampe à fente
Vitrectomie en cas d’uvéite
(cytologie, dosage IL-10, immunomarquage, recherche de clonalité par PCR)
Biopsie stéréotaxique
Bilan systémique
Sérologie VIH
LDH
TDM thoraco-abdomino-pelvien
Échographie testiculaire chez l’homme
± PET scan (pour détecter des atteintes systémiques occultes
Biopsie ostéomédullaire
caractéristique. Exceptionnellement sont retrouvés
des LCP à cellules T, voire des LNH de bas grade
à cellules B. Dans le LCR et le vitré, le diagnostic
cytologique peut être difficile en raison de la paucité cellulaire. L’immunomarquage et la recherche de clonalité peuvent aider au diagnostic. Le
dosage de l’IL-10 est intéressant dans le vitré, et
son taux élevé bien corrélé à l’origine lymphomateuse de l’uvéite.
L’infiltration tumorale n’est pas limitée aux lésions
prenant le contraste visibles en IRM : celles-ci
correspondent à une zone tumorale où la barrière
hématoméningée (BHE) est rompue, mais qui ne
reflète pas la dissémination largement étendue
à tout le parenchyme cérébral, bien démontrée
par des études autopsiques.
CARACTÉRISTIQUES BIOLOGIQUES
ET PATHOGÉNIE
Le virus d'Epstein-Barr (EBV) n’est impliqué que
dans les LCP des patients immunodéficients.
Les LCP, majoritairement des lymphomes diffus à
grandes cellules B, se distinguent de leurs équivalents anatomopathologiques systémiques par leur
tropisme cérébral et leur pronostic péjoratif. Le
SNC, considéré comme un organe immunoprivilégié
car dépourvu de cellules dendritiques et d’un
système lymphatique conventionnel, est toutefois
le siège d’un trafic de lymphocytes B et T entre le
SNC et la circulation systémique (3). Cependant,
l’origine de la cellule lymphomateuse et le lieu de
la transformation maligne du lymphocyte B (dans
le SNC, ou en dehors du SNC ?) restent inconnus.
Pour tenter d’expliquer le confinement des LCP
au SNC, quelques études suggèrent un rôle des
chémokines et de leurs récepteurs exprimés par
les cellules tumorales, l’endothélium vasculaire
cérébral et les cellules du micro-environnement
cérébral (4).
Le mauvais pronostic des LCP s’explique en
partie par la mauvaise biodisponibilité des
chimiothérapies dans le SNC, et peut-être par
des caractéristiques biologiques de la cellule
lymphomateuse elle-même. La petite taille des
prélèvements tumoraux et leur “contamination”
par du tissu cérébral sain compliquent les études biologiques des LCP. Les études d’expression génomiques divergent dans leur définition
de la “signature des LCP”, mais s’accordent
pour montrer que les LCP expriment des caractéristiques à la fois des centres germinatifs
(CG) et des cellules B activées, se traduisant par
un phénotype de type CD19+, CD20+, CD10–, bcl6+,
CD138–, IgM/D+ et MUM+ (5). La cellule tumorale
semble dériver d’une cellule B postcentre germinatif (4). Une étude du profil d’expression des miRNA
(6) a montré une augmentation significative de
l’expression du MiR-17-5p dans les LCP par rapport
aux LNH nodaux et testiculaires, indépendamment
du caractère CG ou non CG, suggérant une spécificité de la cellule lymphomateuse des LCP.
Les délétions du 6q, plus souvent observées dans
les LCP que dans les lymphomes systémiques,
pourraient impliquer le gène suppresseur de
tumeur PTPRK dans leur pathogénie (7). La perte
du chromosome 6q serait associée à un pronostic
défavorable (7). Une étude d’hybridation génomique comparative (8) a montré une association
entre les LCP, une perte du 6p21.32-p25.3 et un
gain du 12q15, impliqués respectivement dans
la réponse immunitaire antitumorale (pertes
de l’HLA-DQ, HLA-DR) et les voies d’apoptose
(MDM2 et YEATS4, gènes candidats associés à
p53). L’activation de proto-oncogènes secondaires aux mutations hypersomatiques plus fréquentes dans les LCP et l’activation du système
NF-κb sont potentiellement impliquées dans
la physiopathologie des LCP (4). Les cellules
du micro-environnement, et en particulier les
astrocytes, pourraient aussi jouer un rôle dans
la survie des cellules malignes par expression de
BAFF (B-cell activating factor of the TNF family)
[4]. Les données biologiques restent toutefois
très fragmentaires.
>>>
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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
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PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
La chirurgie n’a qu’un rôle diagnostique dans cette
pathologie très infiltrante, chimio- et radiosensible. Les problèmes thérapeutiques des LCP sont
multiples. Outre les caractéristiques biologiques
propres à la tumeur (voir ci-dessus), qui semblent
conférer un pronostic péjoratif aux LCP au sein
des LNH à grandes cellules B, la biodisponibilité
des chimiothérapies dans le SNC est entravée par
la BHE caractérisée par des jonctions intercellulaires serrées, une forte expression de la Pgp
et de nombreux mécanismes d’efflux cellulaires
(9). Enfin, la toxicité sur le SNC induite par les
traitements est un facteur limitant essentiel à
considérer dans les choix thérapeutiques en raison de sa gravité potentielle, en particulier chez
les personnes âgées (> 60 ans), qui représentent
la moitié de la population de patients.
Nous faisons ici une synthèse de la prise en charge
thérapeutique actuelle des lymphomes cérébraux
primitifs (pour revue générale détaillée [10]).
✔ Facteurs pronostiques
L’âge et l’indice de performance status (PS) sont les
facteurs pronostiques les plus souvent identifiés,
bien que le PS soit parfois difficile à coter en raison
des troubles neurologiques liés à la tumeur. D’autres
facteurs ont été proposés, tels que les LDH, la protéinorachie et l’atteinte des structures cérébrales
profondes, mais nécessitent d’être confirmés.
✔ Traitements de première ligne
Traitement standard combiné
Le traitement de référence actuel est un traitement associant une chimiothérapie à base de
méthotrexate (MTX) à haute dose (≥ 3 g/m2) suivie
d’une radiothérapie cérébrale (10). La médiane de
survie avec ce type de traitement se situe entre 2
et 4 ans, avec une survie à 5 ans comprise entre
20 et 40 %. La radiothérapie seule ne permet
d’obtenir qu’une médiane de survie courte de
10 à 12 mois et une survie à 5 ans inférieure à
50 %. L’adjonction d’une chimiothérapie classique
de type CHOP n’a pas amélioré ces résultats.
Questions thérapeutiques
Aucune étude de phase III n’ayant pu être conduite
à ce jour pour cette pathologie rare, de nombreuses
questions restent sans réponse.
• Les rares phases II évaluant le MTX i.v. à haute
dose (3-5 g/m2) en monothérapie donnent des
résultats plutôt décevants plaidant en faveur
70
d’une polychimiothérapie. De nombreuses études
de phases II publiées, utilisant des combinaisons
différentes de chimiothérapies associées au MTX
i.v. à haute dose, rapportent des résultats relativement similaires, mais difficiles à comparer en
l’absence d’essais contrôlés. Ainsi existe-t-il de
nombreux protocoles basés sur l’expérience de
centres ou de groupes experts en France (Anocef,
Gela, Goelams) et à travers le monde (MSKCC de
New York, MGH de Boston, etc.).
• La place de la chimiothérapie intrathécale
prophylactique demeure très controversée. Une
étude allemande a montré de façon intrigante une
diminution du taux de réponses et une augmentation des rechutes parenchymateuses lorsque
la prophylaxie neuroméningée a été supprimée
du protocole (11). D’autres études rétrospectives
n’ont pas montré d’impact sur la survie globale
de la chimiothérapie intrathécale quand elle était
associée à une chimiothérapie i.v. à base de MTX
à haute dose (12).
• Les modalités et la place de la radiothérapie
cérébrale (délivrée après la chimiothérapie à base
de MTX pour des raisons de tolérance) restent discutées. Les doses sont habituellement comprises
entre 20 et 55 Gy sur l’encéphale in toto avec ou
sans surdosage sur le lit tumoral. Le protocole
le plus souvent utilisé en pratique est une RT de
l’encéphale in toto à 40 Gy sans surdosage. La
diminution de la dose ou la suppression de la
radiothérapie cérébrale dans le but de diminuer
la neurotoxicité restent un sujet très controversé
car elles semblent exposer à une plus grande
incidence de rechute, avec un impact variable,
selon les études, sur la survie globale (10).
Traitement du sujet âgé (> 60 ans)
Contrairement au sujet jeune, la suppression de
la RT systématique dans le traitement de première
ligne des LCP du sujet âgé fait aujourd’hui l’objet
d’un large consensus en raison de la gravité et
de la fréquence de la toxicité neurologique des
traitements combinés dans cette population.
De nombreuses études rapportent une efficacité similaire à celle du traitement combiné en
termes de survie, avec une nette réduction de la
neurotoxicité (10). La chimiothérapie optimale, qui
doit comporter au moins du MTX à haute dose,
reste toutefois à définir.
Alternatives thérapeutiques
Chimiothérapies conventionnelles seules
Une étude allemande a rapporté des résultats
encourageants avec un protocole de chimio-
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
Les lymphomes cérébraux primitifs chez le sujet immunocompétent
thérapie seule (13) par voie systémique. Une étude
de l’Anocef dédiée aux sujets jeunes (< 60 ans)
suggère une diminution de l’intervalle libre de
progression par rapport à ce qui est rapporté avec
les traitements combinés, mais avec une survie
globale comparable, ce qui suggère une efficacité
des traitements de rattrapage, et en particulier de
la chimiothérapie intensive, fréquemment utilisée
lors de la rechute (14).
D’autres équipes pratiquent des chimiothérapies intra-artérielles avec ouverture de la BHE par
injection intra-artérielle de mannitol et obtiennent
des résultats qui semblent comparables à ceux
des traitements combinés. Cette technique nécessite néanmoins des équipes spécialisées.
Rituximab
Par analogie avec les LNH systémiques à cellules B,
le rituximab est en cours d’essai dans les LNH
encéphaliques. La taille (145 kD) de cet anticorps
monoclonal est un obstacle théorique à son passage à travers la BHE, peut-être contourné par sa
longue demi-vie. L’injection intraveineuse de rituximab s’est montrée efficace dans un modèle de LNH
encéphalique murin (15). Une étude américaine
de phase II associant du rituximab à une chimiothérapie comportant du MTX à haute dose rapporte des résultats thérapeutiques à court terme
encourageants, mais l’adjonction de rituximab,
utilisé à la dose de 500 mg/m2, semble augmenter
l’incidence et la profondeur des neutropénies (16).
Les injections intrathécales de rituximab (10-40 mg)
sont faisables et bien tolérées en cas d’atteinte
méningée, avec un taux de réponse objective
encourageant sur de très petites séries (17).
Chimiothérapie intensive avec support
hématopoïétique
Plusieurs études ont évalué la chimiothérapie
intensive (CI) avec support hématopoïétique dans
les LCP en première ligne, en utilisant soit une CI
de type BEAM (BCNU, étoposide, cytarabine, melphalan), soit du thiotépa associé à du busulfan
ou à du BCNU. Il semble que les CI comportant
du thiotépa soient supérieures au BEAM (10, 18).
Cependant, le rôle propre de la CI reste difficile à
évaluer car, dans la quasi-totalité de ces études
de phase II, la CI était suivie d’une irradiation
encéphalique.
✔ Traitement de deuxième ligne
Environ un tiers des patients restent réfractaires au
traitement de première ligne, et environ la moitié
des patients en rémission complète ont un risque
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
de rechute. Des résultats encourageants en situation d’échec primaire ou de rechute ont été obtenus
avec une chimiothérapie intensive avec support
hématopoïétique (19), avec une survie sans progression et une survie globale respectivement
de 41 et 58 mois après la CI. Les chimiothérapies
conventionnelles avec témozolomide, topotécan,
carboplatine intra-artériel, cytarabine à haute dose
et ifosfamide (10) sont potentiellement actives
dans les LCP en rechute, avec un taux de réponse
objective allant de 26 à 37 %, et une survie sans
progression à un an comprise entre 13 et 22 %.
Chez les patients non antérieurement irradiés,
la radiothérapie de l’encéphale au moment de la
rechute permet d’obtenir un taux de réponse de
70 %, mais avec une médiane de survie entre 11
et 16 mois (10). L’efficacité de la radio-immunothérapie, avec un anti-CD20 couplé à l’indium-111
ou à l’yttrium-90, est très limitée.
Évolution
L’évolution des LCP est principalement locorégionale, avec des rechutes confinées dans le
parenchyme cérébral, les méninges et l’œil. Des
rechutes systémiques sont observées dans 7 à
10 % des séries.
Le problème de la toxicité neurologique
des traitements des LCP
La complication la plus redoutée du traitement
des LCP est la neurotoxicité centrale retardée. Elle
peut se manifester dès le troisième mois après
la fin des traitements. Elle se caractérise par des
troubles de l’attention, de la mémoire, une ataxie
et des troubles urinaires, et peut évoluer dans ses
formes graves vers une démence pouvant être
fatale. Cette démence se différencie des démences
de type Alzheimer par son atteinte de type souscortical, identifiée par une batterie de tests
neuropsychologiques adaptés et plus complets
que le MiniMental Status Examination (MMSE),
pratique mais très insuffisant, car sous-évaluant
les troubles sous-corticaux. Le risque de neurotoxicité retardée augmente significativement
avec l’âge des patients, atteignant, dans l’expérience du MSKCC après un suivi médian de
115 mois, 75 % des patients de plus de 60 ans
et 26 % des patients plus jeunes (20). En réalité,
ces chiffres ne représentent que les atteintes les
plus graves, sous-estimant, en l’absence d’études
neuropsychologiques prospectives, les troubles
cognitifs moins sévères mais pouvant gêner l’activité quotidienne et la qualité de vie des patients.
Il semble que les domaines risquant le plus d’être
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Tableau III. Critères de réponse.
IRM
Stéroïdes
Ophtalmologie
RC
Pas de prise de contraste (pdc)
Arrêtés depuis au moins
2 semaines (sauf si indiqué
pour autre pathologie)
Normal (N)
p pas d’évaluation
OPH si OPH 1 négative
RCu
RC sauf pdc < 3 mm au niveau biopsie ou RC radiologique mais stéroïdes Anomalies mineures mais
sur site avec microsaignement
non arrêtés
non spécifiques d’une orip si pas d’évolution dans le temps = RC**
gine tumorale***
p si pas d’évolution = RC
RP
r de 50 % ou plus du volume des pdc
Stabilité
Réponse < RP mais pas de critère de
progression
Progression
q de plus de 25 % du volume des pdc
(baseline ou meilleure réponse)
Apparition de nouvelles lésions
(SNC ou ailleurs)
LCR
Pas de cellule tumorale
p pas de PL
si PL1 négative*
r de l’infiltrat du vitré, de la
rétine ou du nerf optique,
mais persistance (photos
couleur si possible)
Pas de cellules tumorales
Cellules malignes ou suspectes persistantes, mais
r de 50 % ou + du volume
des pdc cérébrales
Progression des lésions
(vitré, rétine, nerf optique)
Apparition de cellules
tumorales
* : en cas d’atteinte initiale du LCR, la cytologie du LCR devra être examinée à partir d’un prélèvement lombaire.
** : si l’anomalie focale reste stable ou disparaît, les patients seront considérés comme étant en RC.
*** : persistance d’un infiltrat non tumoral dans le vitré ou anomalie de la rétine non suspecte de malignité. On pourra étayer le diagnostic avec un dosage d’IL-10 dans la chambre antérieure de
l’œil si l’examen est possible.
Tableau IV. Essais thérapeutiques en cours en France.
Patients ≤ 60 ans
Protocole R-C5R 2006 : étude prospective multicentrique de phase II évaluant l’adjonction du rituximab et du DepoCyte® en intrathécal au protocole
de chimiothérapie C5R chez les patients âgés de 18 à 60 ans porteurs de lymphomes non hodgkiniens cérébraux primitifs et de lymphomes systémiques diffus à grandes cellules B avec envahissement neuro-méningé au diagnostic.
Promoteur : Gela
Coordinateur : Dr H. Ghesquières, service d’hématologie, centre Léon-Bérard, Lyon
e-mail : [email protected]
Protocole PRÉCIS : étude prospective, multicentrique, randomisée, de phase II, évaluant en parallèle l’intérêt de la radiothérapie encéphalique ou
d’une chimiothérapie intensive après chimiothérapie conventionnelle dans le traitement du lymphome primitif du système nerveux central chez le
sujet jeune (≤ 60 ans).
Intergroupes : Goelams – Anocef – Autres centres
Promoteur : Centre René-Huguenin, Saint-Cloud (PHRC 2007)
Coordinateur : Dr C. Soussain, service d’hématologie clinique, centre René-Huguenin, Saint-Cloud
e-mail : [email protected]
Coordinateur pour l’anocef : Dr L. Taillandier, service de neuro-oncologie, CHU de Nancy
e-mail : [email protected]
Coordinateur pour le Goelams : Pr T. Lamy, service d’hématologie, hôpital Pontchaillou, Rennes
e-mail : [email protected]
Patients ≥ 60 ans
Protocole CNS LYMPHOMA : étude multicentrique randomisée de phase II évaluant l’association méthotrexate et témozolomide (MT) et l’association
méthotrexate, procarbazine, vincristine et cytarabine (MPV-A) dans le traitement du lymphome primitif du système nerveux central chez le sujet âgé.
Intergroupes : Anocef – Goelams – Autres centres
Promoteur : AP-HP (PHRC 2006)
Coordinateur : Pr K. Hoang-Xuan, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, service de neurologie Mazarin, Paris
e-mail : [email protected]
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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
Les lymphomes cérébraux primitifs chez le sujet immunocompétent
perturbés soient l’attention, les fonctions exécutives et la mémoire.
Les troubles cognitifs préthérapeutiques liés à
la tumeur ainsi que l’association chimio-radiothérapie encéphalique sont des facteurs favorisant l’apparition de la toxicité encéphalique. Des
polymorphismes du gène MTHFR, impliqué dans
le cycle des folates, sont associés à une toxicité
accrue du MTX (21).
La physiopathologie de la neurotoxicité centrale
des traitements anticancéreux, plus fréquente
et plus sévère en cas de tumeur cérébrale, reste
peu comprise. Les critères de réponse reposent
sur les recommandations du groupe international
des LCP, l’IPCG, et intègrent les résultats de l’IRM
(ou du scanner si contre-indication), de l’examen
ophtalmologique et/ou l’examen du LCR en cas
d’atteinte initiale de ces sites, ainsi que le traitement par corticoïdes au moment de l’évaluation
(tableau III).
CONCLUSION
La prise en charge des LCP est passée ces dernières
années d’une approche palliative à une approche
curative. Il est important, pour cette forme rare de
lymphome, d’inclure les patients dans des protocoles thérapeutiques afin de mieux connaître les
facteurs pronostiques et biologiques, et de définir
la meilleure stratégie thérapeutique (cf. les protocoles actuellement ouverts en France pour les LCP,
tableau IV). L’importante recherche biologique
suscitée par les LCP fait espérer une meilleure
connaissance de leur physiopathologie, avec ses
éventuelles conséquences thérapeutiques.
Retrouvez l’intégralité des références
bibliographiques sur www.edimark.fr
Nouvelles de l’industrie pharmaceutique
Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations, organisés par l’industrie pharmaceutique
LANCEMENT DE CAPHOSOL®, NOUVELLE
OPTION THÉRAPEUTIQUE DANS LA PRÉVENTION ET LE TRAITEMENT DES MUCITES CAUSÉES PAR LES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX
Le laboratoire EUSA Pharma annonce le lancement
en France de Caphosol®, une innovation thérapeutique à l’efficacité cliniquement démontrée
(1) dans la prévention des mucites buccales causées par les traitements de radiothérapie et de
chimiothérapie.
La mucite buccale est l’une des complications les
plus courantes et invalidantes des traitements
anticancéreux contre laquelle les options thérapeutiques sont limitées. Elle atteint en France près de
100 000 patients par an (2, 3). Il s’agit d’une inflammation des muqueuses de la bouche, source de
douleurs intenses et de perturbations importantes
de l’alimentation, provoquant une altération marquée de la qualité de vie des patients. Une mucite
sévère peut différer, voire empêcher la poursuite
du traitement anticancéreux, contribuant alors à
rendre plus précaire le devenir du patient (1, 3).
L’efficacité et la tolérance de Caphosol® ont été
démontrées dans le cadre d’un essai clinique prospectif randomisé, en double aveugle, contrôlé, chez
des patients subissant un conditionnement myéloablatif (radio- et/ou chimiothérapie) avant une
greffe de cellules souches hématopoïétiques (1).
Utilisé en prévention dès le premier jour du traitement de radio-chimiothérapie, Caphosol® a permis
une baisse significative de l’incidence, de la sévérité
et de la durée de la mucite, ainsi qu’une diminution
significative de la douleur (durée et intensité) et de
l’utilisation de morphine (dose et durée).
Caphosol® a également montré une efficacité
notable dans la réduction de l’incidence et de
l’intensité des mucites dans la prise en charge
des cancers de la sphère tête et cou, usuellement
caractérisés par une fréquence élevée de mucites
très sévères (4, 5).
Le Pr Noël Milpied, chef du service des maladies
du sang du centre François-Magendie (Centre hospitalier universitaire de Bordeaux) et président
de la Société française de greffe de moelle et de
thérapie cellulaire (SFGM-TC), souligne que “la
survenue d’une mucite peut profondément affecter
la qualité de vie du patient. Nous sommes particulièrement désarmés pour lutter contre cet effet
indésirable, la mise à disposition d’une nouvelle
option thérapeutique pour prévenir la mucite est
donc bienvenue”.
“Une mucite, si elle est sévère, peut même amener
les équipes soignantes à modifier ou interrompre
le traitement anticancéreux, avec les conséquences que vous pouvez imaginer pour le patient.
Caphosol® est une solution administrée en bains
de bouche, qui représente une réelle avancée dans
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2009
la prise en charge de cette complication très courante sous radio- et/ou chimiothérapie”, précise
le Dr Patrick Houmeau, directeur médical France
d’EUSA Pharma. “Caphosol® est le résultat de l’engagement d’EUSA Pharma dans la recherche et le
développement de traitements en oncologie.”
C.P.
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