Cas anatomoclinique Hématologie 2012 ; 18 (4) : 250-2 Lymphome cardiaque primitif obstructif Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Obstructive primary cardiac lymphoma 1 Service de cardiologie, hôpital militaire de Tunis, Tunisie <[email protected]> 2 Service de chirurgie cardiaque, hôpital militaire de Tunis, Tunisie L e lymphome cardiaque primitif (LCP) est la tumeur cardiaque primitive la plus rare (1,3 %) [1]. Cette entité exceptionnelle, parfois même discutée, correspond à un lymphome confiné exclusivement au cœur et/ou au péricarde, sans autre localisation extracardiaque au moment où le diagnostic a été posé [2]. Le LCP est à distinguer de l’extension cardiaque des lymphomes non hodgkiniens, plus commune et qui complique 9 à 27 % des lymphomes disséminés [3]. En raison de symptômes cardiaques peu spécifiques, le diagnostic de la localisation cardiaque est rarement fait du vivant du malade [4, 5]. Le pronostic spontané à court terme est constamment défavorable à cause d’une prolifération tumorale rapide d’où l’urgence diagnostique et thérapeutique de cette affection [6]. Nous rapportons le cas d’une patiente chez qui une insuffisance cardiaque droite subaiguë par obstacle intracardiaque droit subocclusif et un trouble conductif ont été le mode de révélation d’un énorme LCP. Observation Il s’agit d’une patiente de 30 ans sans antécédents pathologiques particuliers qui a été hospitalisée pour exploration d’une dyspnée récente d’aggravation rapide avec syncopes évoluant depuis trois semaines. À l’examen, on a noté un rythme cardiaque irrégulier à 75 bpm, une TA à 90/60 mmHg ainsi que des signes francs d’insuffisance cardiaque droite, le reste de l’examen étant sans anomalies. La radiographie du thorax était sans particularités. L’électrocardiogramme a montré un bloc auriculoventriculaire de 2e degré de type Mobitz II. L’échocardiographie transthoracique (ETT) a mis en évidence une énorme masse d’échostructure hétérogène polylobée très mobile à large base d’implantation sur la paroi latérale de l’oreillette droite (OD), mesurant 70 × 46 mm (figure 1). Cette masse s’enclavait à travers l’orifice tricuspide pour passer dans le ventricule droit (VD), créant un obstacle au remplissage du VD avec un gradient de pression moyen transtricuspide à 9 mmHg. Il y avait aussi un épanchement péricardique rétro-auriculaire droit et en regard du VD de 10 mm. La veine cave inférieure était dilatée non compliante. À l’échographie transœsophagienne (ETO), on a noté un épaississement notable du septum interauriculaire qui paraissait infiltré (figure 2). Le bilan d’extension n’a pas révélé d’autres localisations. En raison du caractère obstructif de cette grosse masse intracardiaque et du risque embolique majeur, mettant en jeu le pronostic vital immédiat, la patiente a bénéficié en urgence d’une résection chirurgicale de la tumeur. L’examen macroscopique de la tumeur a montré qu’elle était formée par une multitude de masses ovoïdes de couleur nacrée et de consistance cérébroïde très friables, rassemblées en grappe de raisin (figure 3). L’examen anatomopathologique a révélé qu’il s’agissait d’un lymphome malin non hodgkinien de type B à grandes cellules. Une chimiothérapie a alors été entreprise en urgence Tirés à part : T. Filali Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012 Pour citer cet article : Filali T, Lahidheb D, Ghodbene W, Fehri W, Chenik S, Haouala H. Lymphome cardiaque primitif obstructif. Hématologie 2012 ; 18 (4) : 250-2 doi:10.1684/hma.2012.0729 doi:10.1684/hma.2012.0729 250 Thouraya Filali1 Dhaker Lahidheb1 Walid Ghodbene2 Wafa Fehri1 Slim Chenik2 Habib Haouala1 V 5 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 10 15 Figure 1. Grosse masse polylobée comblant l’OD et s’enclavant à travers l’orifice tricuspide dans le VD (ETT coupe apicale quatre cavités). V 5 10 Figure 2. Masse tumorale comblant l’OD et s’enclavant à travers l’orifice tricuspide dans le VD avec épaississement et infiltration du septum interauriculaire (ETO). permettant une évolution rapidement favorable avec régression de l’infiltration septale et affinement de cette paroi, permettant la récupération d’une conduction auriculoventriculaire normale. La patiente est en rémission depuis dix mois. Discussion Le LCP a été décrit surtout dans la population de patients immunodéprimés, particulièrement ceux atteints du syndrome Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012 Figure 3. Aspect macroscopique de la tumeur intracardiaque. d’immunodéficience acquis ou les patients transplantés – le LCP chez les patients immunocompétents, comme notre patiente, étant exceptionnel [2, 3]. Il s’agit habituellement de lymphomes non hodgkiniens de type B à grandes cellules [7]. Le LCP touche plus le sexe masculin, avec un âge moyen de découverte aux alentours de 62 ans [6, 8]. Les cavités droites, et essentiellement l’oreillette droite, constituent le siège de prédilection de la tumeur [7]. L’invasion de la séreuse péricardique est aussi classique, alors que l’atteinte des cavités gauches ou du septum est beaucoup plus rare. Les manifestations cardiaques sont la conséquence de l’envahissement et de l’effet de masse qu’engendre la tumeur ; elles dépendent de la structure cardiaque atteinte. À côté des manifestations inhérentes à la masse tumorale exubérante, des complications liées à l’infiltration myocardique ont été rapportées. Dans une mise au point récente recensant la majorité des cas (une soixantaine) de LCP répertoriés dans la littérature médicale, le mode de révélation paraît peu spécifique, dominé par l’insuffisance cardiaque, les complications péricardiques, les troubles conductifs et plus rarement les complications emboliques, les troubles du rythme, etc. [9]. Chez notre patiente, l’enclavement de la grosse tumeur à travers l’orifice tricuspide était responsable d’une obstruction partielle, à l’origine des symptômes d’insuffisance cardiaque droite subaiguë. Le bloc auriculoventriculaire est vraisemblablement la conséquence de l’atteinte des voies de conduction par l’infiltration septale. Le diagnostic de masse intracardiaque est généralement porté par l’ETT. L’ETO a permis de s’affranchir des limites de l’ETT en permettant d’affiner davantage l’analyse de ces masses. Le LCP se présente habituellement sous forme d’une masse irrégulière inhomogène polylobée [4], associée parfois à une infiltration myocardique [10]. Dans notre cas, à 251 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. côté de la grosse tumeur, l’aspect infiltré du septum à l’ETO laissait déjà présager une étiologie maligne. Les autres examens d’imagerie (scanner, PET-scanner, IRM) permettent de bien quantifier la masse tumorale, de préciser ses rapports ainsi que de réaliser un bilan d’extension [6]. Toutefois, la sensibilité de l’IRM est meilleure que celle du scanner [6, 7] et elle constitue actuellement l’examen de référence dans le diagnostic des tumeurs cardiaques [11]. Le diagnostic formel du LCP se fera par biopsie endomyocardique percutanée transveineuse, sinon chirurgicale par médiastinoscopie ou par thoracotomie [6, 12]. En cas d’atteinte péricardique [7], l’analyse cytologique du liquide de ponction ou, mieux, la biopsie péricardique, seront une alternative diagnostique. Le traitement du LCP rejoint celui des lymphomes de haut grade [6] et repose sur la chimiothérapie. Le traitement chirurgical n’a habituellement pas de place dans la stratégie thérapeutique, à l’exception de quelques cas rapportés [1], comme le nôtre, où une résection chirurgicale urgente était indispensable à cause du caractère obstructif de cette grosse tumeur. Il importe de souligner aussi la place de l’échocardiographie dans le suivi des lymphomes sous chimiothérapie, permettant de moduler le schéma thérapeutique pour en optimiser la réponse [4, 5, 10]. Plus encore, l’ETO [5] a été utilisée afin d’ajuster le protocole de chimiothérapie lorsqu’en début du traitement, une réponse explosive, due à une nécrose massive de la tumeur, est constatée, car une telle réponse peut être délétère de par le risque d’embolie massive [6, 10], voire de perforation septale ou de rupture cardiaque mortelle [3-5]. À côté de l’IRM, le PET-scanner constitue un examen performant dans le suivi évolutif des patients traités [6, 8]. La localisation cardiaque est un facteur de mauvais pronostic avec une survie, en l’absence de traitement, ne dépassant pas un mois [6]. Cependant, le pronostic du lymphome cardiaque, considéré globalement comme sombre, semble s’améliorer avec l’essor des nouveaux protocoles de chimiothérapie, et notamment avec l’adjonction du rituximab au schéma thérapeutique [5], et certains auteurs rapportent même des cas de survie prolongée [2]. Il n’en reste pas moins que le pronostic à moyen et à long terme reste menacé par la tendance classique de la maladie lymphomateuse aux récidives et à la diffusion systémique [11]. En conclusion, le LCP est une tumeur rarissime dont la pathogénie reste obscure [7]. La chimiothérapie représente l’essentiel du traitement des lymphomes cardiaques et doit être entreprise en urgence. L’option chirurgicale est à réserver uniquement en cas de complication mécanique avec répercussion hémodynamique. RÉFÉRENCES 1. Mohamed A, Cherian S, El-Ashmawy A, et al. Unusual origin and rare presentation of primary cardiac lymphoma. Tex Heart Inst J 2011 ; 38 : 415-7. 2. Bagwan IN, Desai S, Wotherspoon A, et al. Unusual presentation of primary cardiac lymphoma. Interact Cardiovasc Thorac Surg 2009 ; 9 : 127-9. 3. Ban-Hoefen M, Bernstein SH, Bisognano JD, et al. Symptomatic intracardiac diffuse large B-cell lymphoma. Am J Hematol 2009 ; 84 : 683-5. 4. Trifunovic D, Vujisic-Tesic B, Vuckovic M, et al. 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