Th. SOUSSI
312 Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°3
1. Cycle cellulaire et cancer
Notre organisme est composé d’environ 5 1012 cellules ré-
parties dans plus de 200 types cellulaires différents qui
composent les tissus (cellules sanguines, nerveuses, ger-
minales ...). La prolifération cellulaire au sein de ces tissus
est rigoureusement contrôlée au cours de notre vie; certai-
nes cellules (les neurones) ne nécessitant pas un renou-
vellement constant, d’autres étant perpétuellement en
cours de multiplication (cellules sanguines ou de la peau).
Le contrôle de cette multiplication cellulaire normale se fait
par l’intermédiaire d’un équilibre permanent entre facteurs
activateurs (stimulateurs de la division cellulaire) et fac-
teurs inhibiteurs (freins de la division cellulaire). Toute
altération de cet équilibre, ou homéostasie cellulaire, peut
faire pencher la balance soit du côté inhibiteur, dans ce cas
la cellule meurt et disparaît, soit du côté activateur et dans
ce cas la cellule se divise de façon incontrôlée et peut
donner naissance à un cancer.
Les oncogènes sont les régulateurs positifs de la prolifé-
ration cellulaire. Leur modification est dominante car il suf-
fit qu’une des deux copies du gène soit modifiée pour
qu’elle se manifeste. On connaît actuellement plus de 50
oncogènes. Les plus connus sont les gènes ras, myc, ou
abl.
La seconde catégorie comprend les gènes suppresseurs
de tumeur (appelés aussi anti-oncogènes). Leur altération
est récessive car il est nécessaire que les deux copies du
gène soient modifiées pour inactiver leur fonction. Une
dizaine de ces gènes sont identifiés à l’heure actuelle. Rb,
p53 ou APC sont les plus connus (1).
Plus récemment, deux nouvelles catégories de gènes ont
été impliquées dans cette régulation. i) les gènes impli-
qués dans la mort cellulaire programmée (nommée aussi
apoptose). L’apoptose est un phénomène biologique nor-
mal qui est aussi contrôlée par des molécules inhibitrices
qui répriment cette mort cellulaire. La disparition de ces
molécules par altération de leurs gènes (Bcl2 et gènes ap-
parentés) conduit à l’immortalisation de la cellule. ii) les
gènes impliqués dans la réparation de l’ADN et dont l’al-
tération conduit à une instabilité génétique importante.
INTÉRÊTS CLINICO-BIOLOGIQUES DE L’ÉTUDE
DES ALTÉRATIONS DU GÈNE SUPPRESSEUR
DE TUMEUR p53 DANS LES CANCERS HUMAINS
Th. SOUSSI
Institut Curie, Université P. & M. Curie
- Paris -
Il est essentiel de garder à l’esprit que ces classifications
ne sont pas rigides et que l’évolution de nos connaissan-
ces montre qu’il existe une superposition importante entre
ces différentes catégories. Le gène p53 est un suppresseur
de tumeur qui est impliqué dans l’apoptose.
Très récemment, Vogelstein et collaborateur ont proposé
une nouvelle manière de classer les gènes suppresseurs
en deux catégories, les "gatekeeper" et les "caretakers"
(2). Les premiers sont responsables du maintien de l’ho-
méostasie cellulaire en inhibant la division cellulaire et/ou
en induisant l’apoptose. Leur fonction est donc de limiter
la prolifération cellulaire. Ces gènes seraient spécifiques
de chaque tissu. Comme exemple, on peut prendre VHL
(altéré dans le syndrome de von Hippel Lindau) ou APC
(altéré dans la polypose adénomateuse familiale). Les gè-
nes de types "caretakers" sont impliqués dans le contrôle
de la stabilité génétique. Leurs altérations ne sont pas di-
rectement liées à la transformation cellulaire mais plutôt à
une augmentation du taux de mutations qui peuvent affec-
ter d’autres gènes. Les gènes MLH1 et MSH2, impliqués
dans la réparation des mésapariements de l’ADN, sont
inactivés chez les patients atteints du syndrome de Lynch.
2. Le gène suppresseur de tumeur p53
Il est maintenant clairement établi que le gène p53 peut
être classé dans le groupe des gènes suppresseurs de tu-
meur, même si son mode d’action diffère un peu de l’arché-
type "gène suppresseur de tumeur" que représente le gène
du rétinoblastome RB1 (3). En 1989 B. Vogelstein et J. Minna
publièrent la première mise en évidence de mutations du
gène p53 dans des cellules de cancers colorectaux et bron-
chiques (4,5). Par la suite, ces travaux ont été confirmés
par d’autres équipes, et actuellement plus de 2 000 publi-
cations font état de mutations du gène p53 dans divers
cancers humains (3,6). Ces altérations sont retrouvées dans
40 à 45 % des cas de cancers, toutes localisations confon-
dues (Figure 1). Il s’agit de l’événement génétique le plus
fréquent mis en évidence à ce jour. À titre de comparaison,
le gène ras n’est altéré que dans 10 à 20 % des cancers.
Ces mutations s’accompagnent généralement d’une perte