Radiochimiothérapie des cancers de l’œsophage Radiochemotherapy of esophageal cancer D

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Radiochimiothérapie des cancers de l’œsophage
Radiochemotherapy of esophageal cancer
● D. Atlan*
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■ Une radiochimiothérapie concomitante peut être discutée en situation préopératoire pour les stades T3 N0 ou N1,
voire représenter le traitement exclusif.
La radiochimiothérapie ex cl u s ive est supéri e u re à la
ra d i o t h é rapie seule. C’est le traitement de référence des cancers inopérables non métastatiques, en l’absence de fistule
œso-trachéale.
■
■ L’amélioration des techniques d’irra d i ation perm e t t ra
d’optimiser la tolérance et l’efficacité de la radiochimiothérapie.
chirurgie exclusive reste un traitement de référence
des formes localisées des cancers de l’œsophage. Malgré les techniques chirurgicales actuelles, ses résultats
restent modestes, avec 54 à 69 % des patients potentiellement opérables et 4 à 10 % de mortalité périopératoire. En outre, les complications postopérat o i res (card i o re s p i ratoires, i n fectieuses ou
anastomotiques) concernent 26 à 41 % des patients (1, 2 ). En termes
de surv i e, les taux à 5 ans va rient entre 15 et 24 %, avec une
médiane comprise entre 13 et 19 mois. Ainsi, particulièrement dans
les formes localement évoluées, pour améliorer ces résultats, plusieurs équipes ont étudié des associations de radiothérapie et de
chimiothérapie en situation postopératoire et préopératoire.
En raison de l’inopérabilité des patients ou de l’inextirpabilité de
la tumeur, une radiothérapie plus ou moins associée à une chimiothérapie a été proposée à titre exclusif en lieu et place de la
chirurgie (3-5). À titre palliatif, la radiothérapie plus ou moins
associée à une chimiothérapie peut permettre de soulager la dysphagie, mais elle doit trouver sa place avec le développement des
p rothèses œsophagiennes. L’état général du patient est alors déter-
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* Service d’oncologie-radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
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minant pour permettre le meilleur choix thérapeutique et offrir
la meilleure qualité de fin de vie. Quoi qu’il en soit, la radiothérapie médiastinale ne peut être proposée qu’en cas d’absence de
fistule œso-trachéale.
RADIOTHÉRAPIE POSTOPÉRATOIRE
La radiothérapie postopératoire a été proposée dans les formes de
cancers de l’œsophage associées à des facteurs de mauvais pronostic, tels que la présence d’adénopathies médiastinales, l’envahissement de la totalité de la paroi œsophagienne ou la présence de limites
de résection insuffisantes. Dans l’étude de Kasai (6), la radiothérapie postopératoire à la dose de 60 Gy ne modifiait pas les taux de
survie à 5 ans. Mais il semblait obtenir de meilleurs résultats, bien
que non signifi c at i f s , avec les patients sans envahissement ga nglionnaire dont la survie à 5 ans était de 35 % après une radiothérapie postopératoire contre 16 % après une ch i ru rgie ex cl u s ive.
Dans la série de Ténière (7), une radiothérapie postopératoire de
45 à 55 Gy permettait de réduire signifi c at ivement les taux de
rechute locale de 30 % à 15 %, sans modifier les taux de survie
à 5 ans. Dans celle de Fok (8), une radiothérapie postopératoire
de 49 Gy en trois semaines diminuait significativement le taux
de rechute locale de 46 % à 20 %, dans le groupe de patients opérés de façon non carcinologique (soit avec des limites chirurgicales insuffisantes sur le plan macroscopique ou microscopique).
La survie médiane était inch a n g é e. De plus, les complicat i o n s
post-thérapeutiques étaient beaucoup plus élevées en cas de ra d i othérapie postopératoire, passant de 6 % à 37 %.
Au total, en cas de résection carc i n o l ogique (microscopiquement
complète), il n’existe pas d’intérêt démontré d’une radiothérapie
adjuvante.
RADIOTHÉRAPIE ET RADIOCHIMIOTHÉRAPIE
PRÉOPÉRATOIRES
Étant donné les résultats ch i ru rgicaux peu encourageants, une
radiothérapie préopératoire a aussi été testée par plusieurs
équipes. Aucune d’entre elles n’a encore réellement prouvé l’intérêt d’une radiothérapie néoadjuvante. Des essais de radiothérapie et de chimiothérapie concomitantes préopératoires ont été
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publiés avec des résultats mitigés. Dans un premier temps, elles
ont permis d’obtenir environ 25 % de réponses complètes histol ogiques. Trois études ont ap p o rté quelques éléments de réponses.
L’étude de Walsh (9) c o n c e rnait 113 patients atteints d’un adénocarcinome du tiers inférieur de l’œsophage, dont 58 avaient reçu
une radiothérapie préopérat o i rede 40 Gy en quinze séances, associée à une chimiothérapie concomitante par 5-fluoro-uracile et cisplatine. Le taux de réponse complète histologique était de 25 %.
La survie globale était significativement améliorée, avec 32 % des
patients survivant à 3 ans. Mais l’une des faiblesses majeures de
cet essai était le taux de survie à 3 ans des patients opérés sans
traitement adjuvant, particulièrement faible, puisqu’il atteignait
seulement 6 %.
L’essai 8805 de la Fondation francophone de cancérologie digestive (FFCD) et de la European Orga n i z ation for Research and Treat ment of Cancer (EORTC) a permis de randomiser 282 patients
parmi lesquels 143 avaient reçu une radiothérapie préopératoire de
37 Gy en dix séances associée à une chimiothérapie concomitante
par du cisplatine délivré au premier et au vingt-deuxième jour du
traitement (2). L’irradiation se déroulait en deux séries de 5 jours
chacune, séparées par 15 jours d’interruption. Le taux de réponse
complète histologique était de 26 %. La radiochimiothérapie concomitante a permis d’apporter un bénéfice significatif en survie sans
rechute à 3 ans de 28 % à 40 %, ainsi que l’amélioration significative du contrôle local, du taux de résection complète et de la survie spécifique. En revanche, la survie globale n’était pas modifiée,
et la mortalité postopératoire était même majorée à 12 % dans le
groupe “expérimental”, alors qu’elle était à 3 % dans le groupe de
référence traité par chirurgie exclusive.
E n fi n , la FFCD a publié un autre essai (9102) portant sur
259 patients qui avaient reçu une radiochimiothérapie concomitante à base de 5 fl u o ro - u racile et de cisplatine en pre m i è re et
troisième semaines de traitement (10). L’irradiation avait permis
de déliv rer 46 Gy en 23 séances. L’option de l’irra d i ation par
deux séries de 15 Gy séparées par une interruption de 15 jours
avait été supprimée de l’essai en raison de son efficacité inférieure lors du rapport de l’analyse intermédiaire. Une évaluation
de la réponse était effectuée pour décider de la randomisation du
t raitement ultérieur (en cas de réponse tumorale partielle ou complète) par chirurgie ou par un complément d’irradiation de 20 Gy
en 10 séances dans le lit tumoral. Ces patients étaient atteints de
tumeurs classées T3 ou T4, N0 ou N1. La survie globale n’était
pas significativement différente dans les deux groupes de traitement, mais les décès postopératoires à trois mois étaient significativement plus fréquents (9 %) que dans le groupe de radiochim i o t h é rapieex cl u s ive (1 %). En reva n ch e,dans ce dernier gro u p e
de pat i e n t s , le nombre des hospitalisations et le recours à une prothèse œsophagienne après le traitement étaient plus fréquents.
RADIOTHÉRAPIE ET RADIOCHIMIOTHÉRAPIE
EXCLUSIVES
Pour les patients dont l’état général ne permet pas d’envisager
une ch i rurgie ou qui présentent une tumeur inextirp abl e, des séri e s
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h i s t o riques d’irra d i ation ex cl u s ive ont conclu à des résultats
médiocres de 0 à 10 % de surv ivants à 5 ans. Il faut noter les
ex c eptions que représentent les patients inopérables port e u rs d’un
cancer intra muqueux ou d’un cancer envahissant la sousmuqueuse (classé Tis ou T1) ; les taux de survie spécifique à 5 ans
étaient respectivement de 81 % et 64 % (11).
Pour les patients inopérables, comme le sugg é raient plusieurs
études de phase II, la ra d i o ch i m i o t h é rapieconcomitante est supérieure à la radiothérapie exclusive. Plusieurs essais de phase III,
dont le plus célèbre est l’essai 8501 du Radiation Therapy Oncology Group (RTO G ) , l’ont ensuite démontré. Cet essai (3, 4)
regroupait 121 patients séparés en deux groupes. Le groupe de
référence recevait une irradiation de 64 Gy en 32 séances. Dans
le groupe “ ex p é rimental”, une radiothérapie de 50 Gy en
25 séances était délivrée en association avec une chimiothérapie
concomitante par 5-fl u o ro - u racile et cisplatine en pre m i è re et
cinquième semaine. Le 5-fl u o ro - u racile était administré à la dose
de 1 000 mg/m2 par jour du premier au quatrième jour et le cisplatine à la dose de 75 mg/m2 au premier ou au deuxième jour
du cy cl e. Cette association de ra d i o ch i m i o t h é rapie était suivie
par la même chimiothérapie pour deux autres cycles, en huitième
et onzième semaine. Dans ce dernier gro u p e, il existait un
meilleur taux de contrôle à 2 ans de 53 % contre 30 %, et un
meilleur taux de survie globale à 2 ans de 42 % contre 10 %. À
plus long term e, la survie globale était signifi c at ivement améliorée dans le groupe de radiochimiothérapie concomitante, avec
27 % de survivants à 5 ans contre 0 %, et une médiane de survie
de 14 mois contre 9 mois.
Un essai intergroupe nord-américain a tenté un essai de phase III
qui comparait le meilleur bras de radiochimiothérapie de l’essai
RTOG 8501 à un nouveau bras expérimental de radiochimiothérapie où la dose d’irradiation s’élevait jusqu’à 64,8 Gy. L’analyse intermédiaire n’a montré aucune différence dans les résult ats en termes de survie et de contrôle local. Cependant,
onze décès thérapeutiques ont été rapportés dans le bras expérimental, et l’essai a été interrompu (12).
Plusieurs essais de phase II ont testé l’association concomitante
de radiothérapie et de paclitaxel (13). Actuellement, le meilleur
i n d ex thérapeutique semble avoir été obtenu par l’association
d’une ra d i o t h é rapie classique à une chimiothérapie heb d o m adaire à base de paclitaxel (45 à 60 mg/m2 par semaine) et de cisplatine.
TECHNIQUE D’IRRADIATION
Sur le plan technique, les volumes et les doses de radiothérapie
indispensables pour le meilleur contrôle local et la meilleure survie ne sont pas défi n i t ivement établis. En ce qui concerne le
volume tumoral, l’irradiation semble s’orienter vers une définition du lit tumoral par les techniques de tomodensitométrie, au
mieux complétée par une image rie fusionnée de tomographie par
émission de positrons (TEP). En raison essentiellement des infiltrations tumorales sous-muqueuses, des marges de sécurité sont
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imposées autour du volume tumoral identifiable, en général de
5 cm dans le sens crânio-caudal et de 2 cm dans le plan transversal et le plan sagittal. La totalité de l’œsophage n’est plus systématiquement irradiée. En cas de complément d’irradiation audelà de 45 à 50 Gy, les marges de sécurité sont abaissées à 3 cm
dans le sens crânio-caudal, et les autres marges restent inchangées. Les aires ganglionnaires non envahies sont plus difficiles à
définir dans le volume d’irradiation optimal. En général, le tronc
cœliaque est irradié en cas de tumeur du tiers inférieur de l’œsophage et les aires supraclaviculaires internes bilatérales sont
incluses dans les volumes d’irradiation pour les tumeurs du tiers
supérieur de l’œsophage.
CURIETHÉRAPIE
La curiethérapie endo-œsophagienne est plus souvent utilisée
dans le cadre d’un traitement palliatif. Elle s’administre généralement à l’aide de sources de haut débit, par deux à quat re séances
hebdomadaires de 5 à 6 Gy (14). En cas de traitement désobstructif ou hémostatique, elle ne présente pas de différence d’efficacité par rapport à une irradiation externe, mais elle nécessite
la disponibilité d’un plateau technique adéquat. Elle a aussi été
utilisée à titre de complément d’irradiation dans le lit tumora l
après une radiochimiothérap i e,sans démonstration actuelle d’une
supériorité par rapport à une radiochimiothérapie exclusive (15).
CONCLUSION
En conclusion, l’échec thérapeutique dans les cancers de l’œsop h age reste fréquent, avec 10 à 40 % de re chutes loco-régi o n a l e s ,
20 à 40 % d’évolutions métastatiques et 30 à 50 % de l’association des deux. Ainsi, seules les petites lésions peuvent être traitées par chirurgie ou radiothérapie exclusive. Selon les recommandations de la FFCD, pour les cancers opérables (stades I et
II), une radiochimiothérapie concomitante se discute en situat i o n
préopératoire. Pour les stades T3 N0 ou N1, elle peut représenter le traitement ex cl u s i f. De même, pour les cancers du tiers
supérieur de l’œsophage où une laryngectomie totale est théoriquement indiquée, une radiochimiothérapie concomitante peut
être proposée. Enfin, pour les cancers inopérables non métastatiques, en l’absence de fistule œso-trachéale, une radiochimiothérapie exclusive peut être envisagée. En cas de stade métastat i q u e,une radioch i m i o t h é rapie peut être proposée pour améliore r
la dy s p h agi e, mais il est important d’évaluer au cas par cas la
situation clinique et de mettre en balance les autres possibilités
thérapeutiques telles que la prothèse endo-œsophagienne ou la
chimiothérapie palliative.
Des essais de radiochimiothérapie incluant de nouvelles drogues
sont en cours d’étude. L’amélioration des techniques d’irradia-
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tion permettra d’optimiser la tolérance de la radiochimiothérapie. Lorsque la situation clinique n’est pas tranchée, l’inclusion
des patients dans les essais thérapeutiques est plus que nécessaire
dans ce domaine où tant de questions restent posées.
■
Mots-clés : Œsophage - Cancer - Radiochimiothérapie.
Keywords: Esophagus - Cancer - Radiochemotherapy.
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