Le Courrier de la Transplantation - Volume IV - no3 - juillet-août-sept. 2004
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DOSSIER
thématique
LACTIVITÉ DE RETRANSPLANTATION
HÉPATIQUE
Selon le registre européen de transplan-
tation hépatique (TH), qui rapporte
39 416 TH primaires, l’activité de
retransplantation a porté sur 8,6 % des cas
(1). La moitié environ des retransplanta-
tions (1 770) a été effectuée avant six
mois, et l’autre moitié (1 621) au-delà de
six mois. Cette limite de six mois est réa-
liste, dans la mesure où les causes de
retransplantation sont différentes dans ces
deux périodes : la majorité des retrans-
plantations précoces sont liées à des non-
fonctions primaires du greffon, à des
thromboses de l’artère hépatique et à des
complications mécaniques, en particulier
biliaires et veineuses. En revanche, les
retransplantations effectuées au-delà de
six mois sont expliquées par trois causes
principales : des complications chirurgi-
cales, en particulier biliaires, des rejets,
essentiellement chroniques, et des réci-
dives de la maladie initiale (tableau I).
Cependant, après 6 mois, la majorité des
pertes de greffons est due au décès du
patient (tableau I). Parmi ces décès, cer-
tains sont liés à des infections ou à des
complications cardio- ou cérébrovascu-
laires, mais un nombre élevé d’entre eux
sont liés à une récidive de la maladie ini-
tiale, pour des pathologies non tumorales,
et sont donc potentiellement accessibles
à une retransplantation.
Un des enjeux actuels de la retransplanta-
tion est l’augmentation progressive du
nombre de retransplantations pour hépa-
tite C. Selon les estimations du CDC (Cen-
ter for Disease Control), le pic de préva-
lence de l’épidémie d’hépatite C s’est situé
au milieu des années 1990, et le pic prévu
de la cirrhose virale C, pouvant nécessiter
une TH, se situe entre les années 2010 et
2020 (2). Si ces prédictions sont exactes,
le nombre de patients porteurs d’une hépa-
tite C requérant une TH pourrait tripler à
cette date. En effet, le risque d’évolution
vers la cirrhose est situé entre 15 et 40 %
à trois ans, et plusieurs équipes ont mon-
tré que le risque avait augmenté au cours
des dernières années, peut-être du fait de
l’utilisation de greffons provenant de don-
neurs plus âgés et/ou de l’utilisation de
traitements immunosuppresseurs suscep-
tibles d’aggraver l’évolution des lésions de
récidive (3). La récidive de l’hépatite C
pourrait donc représenter la cause la plus
importante de retransplantation dans les
années à venir (2, 4).
Retransplantation
Coordinateur : Pr Y. Calmus,
service de chirurgie hépatique,
hôpital Cochin, 75014 Paris
Retransplantation : état des lieux - C. Antoine, E. Savoye, B. Loty (page 126)
Retransplantation rénale - M. Hourmant (page 134)
Retransplantation cardiaque - P. Chevalier (page 140)
Retransplantation hépatique tardive - Y. Calmus
Retransplantation d’organes : aspects immunologiques
C. Suberbielle-Boissel, C. Gautreau, D. Charron
(page 149)
* Hôpital Cochin, 75014 Paris.
Retransplantation hépatique tardive
Y. Calmus*
RÉSULTATS DE LA RETRANSPLANTATION
HÉPATIQUE
Les résultats de la retransplantation hépa-
tique sont moins bons que ceux de la TH
primaire. La survie du greffon après
deuxième TH était ainsi de 53 % à un an
versus 75 % en cas de TH primaire, de
42 % à cinq ans versus 63 %, et de 35 %
à dix ans versus 55 %, dans le registre
européen (figure 1) (1). Dans la majorité
des séries, on retrouve cette différence de
20% environ de survie du greffon en cas
de retransplantation par rapport aux
résultats obtenus en cas de première TH.
L’analyse des causes d’échec après
retransplantation indique que deux prin-
cipaux phénomènes expliquent les résul-
tats plus péjoratifs après retransplanta-
tion : l’incidence élevée de décès par
sepsis (plus de 40 % des cas), quelle que
soit la cause de la retransplantation et
l’étiologie primaire de la TH (5, 6), et une
incidence probablement plus élevée de
récidive virale C conduisant à la perte du
greffon ou au décès du patient, chez les
patients transplantés pour maladie
virale C (5).
Chez l’enfant, des taux de survie du gref-
fon comparables à ceux rapportés chez
l’adulte (65,6 %, 56,7 %, et 56,7 % à 1,
3 et 5 ans, respectivement) ont été consta-
tés après retransplantation, de 15 à 20 %
inférieurs à ceux obtenus après TH pri-
maire (7).
FACTEURS PRÉDICTIFS D’ÉCHEC
DE LA RETRANSPLANTATION
Les paramètres prédictifs de décès après
retransplantation ne sont pas différents de
ceux constatés après TH primaire : l’âge
du receveur, la gravité de la maladie hépa-
tique, appréciée par exemple sous forme
de temps de prothrombine (5) ou sous
forme de score de Child-Pugh (6), ainsi
que la fonction rénale, en termes de créa-
tininémie (5), ont un poids important
dans la mortalité postretransplantation.
Par exemple, la présence d’un score de
Child-Pugh supérieur/égal à 10 avant
retransplantation s’est accompagnée
d’une survie des patients ne dépassant pas
40 % à cinq ans, versus près de 100 %
chez les patients dont le score était infé-
rieur à 10 (p = 0,0006) (figure 2) (6). Le
score MELD (Model for End-stage Liver
Disease), qui est utilisé aux États-Unis
pour l’attribution des greffons, est égale-
ment prédictif de la mortalité post-
retransplantation. Cependant, ce score ne
semble pas être meilleur que le score de
Child-Pugh pour prédire la mortalité
postretransplantation : il a été constaté
que l’aire sous la courbe de la courbe
ROC (Receiver Operating Characteris-
tic), qui reflète la valeur explicative d’un
paramètre, était respectivement de 0,82
pour le score de Child et de 0,68 pour le
score MELD (p = 0,11) (6). L’urgence de
la retransplantation est un des autres para-
mètres prédictifs de la mortalité post-
retransplantation : la survie à trois ans
était de 90 % pour les patients retrans-
plantés de façon programmée versus
40 % pour les patients retransplantés en
urgence (p = 0,06) dans une série cali-
fornienne (figure 3) (8).
D’autres paramètres n’apparaissent que
dans certaines études (tableau II) : c’est
le cas en particulier de l’indication (pro-
nostic moins bon en cas de retransplan-
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thématique
80
100
40
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Années
Pourcentage
20
60
1re transplantation hépatique (n = 39 416)
2e transplantation hépatique (n = 4 216)
3e transplantation hépatique (n = 521)
55
63
35
42
26
37
75
53
47
Figure 1. Survie du greffon après retransplantation hépatique (registre européen).
Tableau I. Retransplantations hépatiques après 6 mois (registre européen).
ReTH Décès
Complications chirurgicales 548 217
Sepsis 32 1 158
Rejet 584 295
Récidive de la maladie initiale
– tumorale 12 929
– non tumorale 257 541
Complications cardio- et cérébrovasculaires 565
Divers 188 1 790
Total 1 621 3 808
ReTH : retransplantation hépatique.
tation pour non-fonction primaire du
greffon dans l’étude de Rosen, et en cas
de rejet chronique dans celle de Postma).
La détermination des facteurs prédictifs
de l’échec de la retransplantation est un
enjeu majeur à un moment où la pénurie
des greffons s’accentue aux États-Unis
aussi bien qu’en Europe. Un groupe de
transplanteurs américains a ainsi tenté de
modéliser le risque d’échec de la retrans-
plantation sous forme d’un score de
l’UNOS (United Network for Organ Sha-
ring) (9). Ce score tenait compte de l’âge
du receveur, de la bilirubinémie, de la
créatininémie, de la cause de perte du
greffon et de la gravité du patient au
moment de la retransplantation[a]. Ce
score permettait de distinguer les patients
à faible risque (score < 0,75), dont l’es-
pérance de vie à dix ans était supérieure
à 60 %, versus les patients à haut risque
(score 1,47), dont l’espérance de sur-
vie ne dépassait pas 30 % (p < 0,0001)
(figure 4). Ce score a récemment été
encore raffiné, avec un nombre limité de
paramètres (âge du receveur, bilirubine,
créatinine)[b] (10).
LE CAS PARTICULIER
DE LA RETRANSPLANTATION
POUR RÉCIDIVE DE L’HÉPATITE C
L’apparition d’une cirrhose sur le greffon
est de mauvais pronostic, a fortiori en cas
d’apparition des premiers signes de
décompensation, et doit faire envisager
rapidement la retransplantation (figure 5)
(11, 12). Parmi les facteurs prédictifs per-
mettant d’expliquer la gravité de la réci-
dive virale C après TH primaire pour cir-
rhose virale C, la charge virale prégreffe
était individualisée dans plusieurs séries.
Il existe donc une logique à proposer de
réduire, voire de négativer, la charge
virale avant retransplantation hépatique.
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DOSSIER
thématique
Tableau II. Facteurs prédictifs de survie après retransplantation hépatique. Résultats des
analyses multivariées de 5 études.
Référence n Âge Bilirubine Créatinine Autre
Doyle (13) 314 + + + Âge et sexe du donneur,
ventilation mécanique,
immunosuppression
Markmann (15) 150 + + + Ventilation mécanique,
durée d’ischémie froide
Rosen (9)* 900 + + + Statut UNOS,
étiologie (NFP)
Facciato (16)** 48 + - + Utilisation préopératoire
de produits sanguins
Postma (17) 55 - - - TP, indication (TAH)
*Étude portant sur le registre de l’UNOS ; **seules les retransplantations tardives ont été prises
en compte dans ce travail ; NFP = non-fonction primaire du greffon ; TAH = thrombose de l’artère
hépatique.
80
100
p = 0,0006
40
0 1 2 3 4 5
Années
Pourcentage
20
60
CTP < 10 (n = 16) CTP _ 10 (n = 24)
Figure 2. Survie
après retransplan-
tation, selon le
score de Child-
Pugh.
80
100
p = 0,06
40
010 20 30 40
Mois
Pourcentage
20
60
Non urgent Urgent
Figure 3. Survie
après retransplan-
tation, selon le
degré d’urgence.
[a] R (score de l’UNOS) = 0,024 (âge du rece-
veur) + 0,112 (bilirubine, mg/dl) + 0,23 (loge
créatinine, mg/dl) - 0,974 (cause de perte du
greffon, où PNF = 1, autre cause = 0) + coeffi-
cient UNOS (où stade 1 = -0,261, stade 2 =
- 0,463, et stade 3 = - 1,07).
[b] R (score de l’UNOS modifié) = 10 [0,0236
(âge du receveur) + 0,125 (bilirubine, mg/dl)
+ 0,438 (logecréatinine, mg/dl) - 0,234 (durée
jusqu’à la reTH : J15 à J60 = 0, et J 60 = 1)].
La survie des patients après retransplan-
tation pour la maladie virale C n’est pas
différente de celle relevée chez des
patients transplantés pour une autre étio-
logie : dans une série, la perte de chance
entre TH primaire et retransplantation
était de 17 %, aussi bien chez les patients
VHC-positifs que chez les patients VHC-
négatifs (14). Dans une autre série (10),
la survie après retransplantation était
similaire chez les patients VHC-positifs
et VHC-négatifs ; chez les patients VHC-
positifs, la survie était également simi-
laire lorsque la retransplantation était liée
à la récidive virale C ou lorsqu’elle était
liée à une autre cause (figure 6).
L’âge du donneur pourrait être un facteur
prédictif supplémentaire de résultat,
lorsque la retransplantation est liée à la
récidive de l’hépatite C. Dans une
série (5), l’âge du donneur 60 ans était
un paramètre indépendant de décès post-
retransplantation chez les receveurs
VHC-positifs.
LES ENJEUX FUTURS
L’enjeu est de permettre l’accès à une
nouvelle greffe aux patients dont on peut
espérer que les résultats de la retrans-
plantation seront proches de ceux de la
TH primaire, et d’exclure les retrans-
plantations héroïques, dont les résultats
sont catastrophiques. Cette attitude
nécessite de disposer de paramètres per-
mettant d’apprécier deux risques diffé-
rents : le risque de mortalité en liste d’at-
tente, et le risque de mortalité
post-transplantation. Seule, la modélisa-
tion, à partir des données disponibles
dans les fichiers nationaux ou internatio-
naux, peut permettre de savoir si les deux
courbes de risque sont distinctes. Si elle
permet effectivement d’obtenir deux
courbes bien distinctes, il sera alors pos-
sible de tirer un score de priorité (ou de
transplantabilité) définissant les patients
à haut risque de mortalité en l’absence de
retransplantation, dont les chances de
succès sont encore excellentes en cas de
retransplantation (figure 7). Cependant,
les paramètres permettant de prédire la
survie des patients en liste d’attente sont
très proches de ceux qui permettent de
définir la mortalité post-transplantation
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thématique
80
100
p < 0,0001
40
01 000 2 000 3 000 4 000 Jours
Pourcentage
20
60
Faible risque (< 0,75) Risque intermédiaire (0,75-1,46)
Haut risque (_ 1,47)
Figure 4. Survie
après retrans-
plantation,
selon le score de
l’UNOS.
0,8
1,0
0,6
0,0
12 24
Mois
36 48 60
0,2
0,4
Absence
de cirrhose
Cirrhose
0,8
1,0
0,6
0,0
12
Mois
24 36
0,2
0,4
Cirrhose
compensée
Cirrhose
décompensée
Figure 5. Survie chez des patients avec une hépatite C récurrente.
Figure 6. Survie
après retrans-
plantation :
patients VHC+
et VHC-.
80
100
60
0
Ans
Pourcentage
5 10
20
40
VHC+ : récidive C seule (n = 19) VHC- (n = 187) VHC+ : autre cause (n = 51)
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DOSSIER
thématique
(âge du receveur, bilirubine, créatinine),
de sorte que la fenêtre de transplantabi-
lité risque d’être extrêmement étroite.
CONCLUSION
Les résultats de la retransplantation sont
satisfaisants en cas de retransplantation
élective chez des patients dont les fac-
teurs de gravité sont encore limités (par
exemple, score de Child-Pugh < 10). Des
scores peuvent affiner les paramètres per-
mettant de déterminer les patients sus-
ceptibles de bénéficier le plus de la
retransplantation. Des progrès importants
restent cependant à faire dans ce domaine
pour mieux définir la meilleure fenêtre
de “transplantabilité”.
Dans le cas particulier de la retransplan-
tation chez des sujets VHC-positifs, qui
risque de devenir la principale étiologie
de la retransplantation dans les années à
venir, il faut tenter de réduire au maxi-
mum le risque de récidive virale C en pro-
posant aux futurs receveurs un traitement
antiviral agressif.
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val. Transpl Int 2004;17:234-40.
4
5
3
0
MELD
10 15 20 25 30 35 40
1
2
RR de mortalité post-transplantation hépatique
RR de mortalité prétransplantation hépatique
Score de priorité
Figure 7. Risque
relatif de mortalité
en fonction
du score MELD,
et proposition
d’un score
de priorité.
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