La Lettre du Rhumatologue - n° 260 - mars 2000
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la différence des connaissances fondamentales, les
méthodes thérapeutiques n’ont pas connu d’avancée
au cours des années 90, ce qui est une grande décep-
tion pour nous rhumatologues, mais encore plus pour nos
patients. Les derniers médicaments de fond ayant eu l’autori-
sation de mise sur le marché (AMM) dans la polyarthrite rhu-
matoïde (PR) sont en effet la tiopronine, la sulfasalazine, le
méthotrexate (MTX) et la ciclosporine.
Il y a fort à parier que les années à venir seront plus réjouis-
santes. Dès cette année, nous allons assister, en France, à la
commercialisation de nouveaux traitements dits “de fond”qui
ont obtenu l’enregistrement aux États-Unis fin 1998, le léflu-
nomide (Arava®) et deux inhibiteurs du TNFα(etanercept et
infliximab), auxquels s’ajoutent les AINS inhibiteurs sélectifs
Cox-2.
PHARMACOLOGIE
Le léflunomide (HWA 486) est un dérivé isoxazole. Il s’agit
d’une prodrogue qui est immédiatement transformée, in vivo,
en son métabolite actif majeur (A771726), responsable de la
quasi-totalité de ses effets pharmacologiques (figure 1).
Il existe un cycle entérohépatique, et ce métabolisme s’ef-
fectue au niveau des cellules hépatiques et des cellules
intestinales.
Le léflunomide,
nouveau traitement de fond
de la polyarthrite rhumatoïde
!
B. Combe*
"Le léflunomide est un médicament d’une
nouvelle classe chimique (isoxazole). Il inhibe la
synthèse de novo des pyrimidines et, par là-
même, favorise le blocage préférentiel des lym-
phocytes T activés.
"
La posologie est de 100 mg par jour pendant
trois jours, puis de 20 mg par jour en une prise
orale ; la cholestyramine est un chélateur du léflu-
nomide permettant son élimination accélérée.
"
Le léflunomide a une efficacité clinique supé-
rieure à celle du placebo dans la polyarthrite
rhumatoïde active. Cette efficacité est compa-
rable à celle de la sulfasalazine ou du métho-
trexate, mais plus rapide.
"
Le léflunomide ralentit sur un an la progres-
sion radiologique de la PR par rapport au pla-
cebo.
"
Le profil de tolérance (diarrhée, élévation
modérée des transaminases) du léflunomide
paraît favorable. Il n’a pas été mis en évidence
d’effet indésirable grave pouvant mettre en jeu
la vie des patients.
Mots-clés : Léflunomide - Polyarthrite rhuma-
toïde - Traitement de fond.
Points forts
*Fédération de rhumatologie, hôpital Lapeyronie, Montpellier.
MISE AU POINT
À
Figure 1. Pharmacologie. Le léflunomide est un dérivé isoxazole.
La Lettre du Rhumatologue - n° 260 - mars 2000
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MISE AU POINT
Mode d’action
Le mode d’action du léflunomide est connu (1, 2). Il inhibe la
dihydroorotate déhydrogénase (DHODH), qui est une enzyme
clé de la voie de biosynthèse de novo des pyrimidines. L’in-
hibition de cette enzyme réduit la synthèse d’ADN et d’ARN
cellulaire (figure 2). L’inhibition de la DHODH produit une
réduction du pool des pyrimidines à l’origine d’un arrêt du
cycle des cellules sensibles, notamment des lymphocytes T
activés. Ceux-ci utilisent huit fois plus la voie des pyrimidines
que celle des purines lors de leur prolifération.
Ce mode d’action du léflunomide est à rapprocher du rôle clé des
lymphocytes T dans la pathogénie de la PR (3), et explique que
les premiers essais cliniques de ce nouveau médicament réalisés
chez l’homme l’aient été dans la PR. À noter qu’il existe une voie
de récupération des pyrimidines (figure 2), ce qui permet d’évi-
ter une cytotoxicité vis-à-vis des autres types cellulaires.
Léflunomide et modèles animaux
Le léflunomide a été utilisé avec succès dans de nombreux
modèles animaux de maladies auto-immunes, en particulier
dans l’arthrite induite par l’adjuvant chez le rat, par le colla-
gène de type II ou par des protéoglycanes chez la souris (1).
Pharmacocinétique du léflunomide
Le léflunomide est bien absorbé après administration orale.
Le Tmax du métabolite actif est de 6 à 12 heures.
Sa demi-vie est de deux semaines, ce qui est particulièrement
long. Il faut une dose de charge de 100 mg par jour pendant
trois jours pour atteindre plus rapidement le plateau d’équi-
libre plasmatique (deux à trois jours au lieu de huit à dix
semaines).
La pharmacocinétique est linéaire. Le léflunomide a un faible
volume de distribution, mais une forte liaison, bien que labile,
aux protéines plasmatiques (99 %). L’élimination se fait à 43 %
dans les urines et à 48 % dans les selles.
Il n’y a pas d’interaction avec l’alimentation, ni d’interaction
médicamenteuse significative connue (contraceptifs oraux,
cimétidine, diclofénac, ibuprofène, MTX, etc.).
Enfin, il y a une possibilité d’élimination accélérée du produit
par le charbon actif ou, mieux, par la cholestyramine. Le
schéma proposé est l’administration de cholestyramine 8 g,
trois fois par jour pendant onze jours.
Tolérance préclinique du léflunomide
Les études chez l’animal ont retrouvé des cas d’anémie, de
leucopénie et de thrombopénie reflétant le mode d’action de
la molécule (inhibition de la synthèse de l’ADN). Il n’a pas
été montré d’effet mutagène ni d’effet carcinogène chez le rat.
En revanche, le léflunomide est embryotoxique et tératogène
chez le rat et le lapin, à des doses correspondant aux posolo-
gies utilisées chez l’homme. La fertilité n’est pas diminuée.
RÉSULTATS DES ÉTUDES CLINIQUES
Études de phase II
Sept études de phase II ont été réalisées, dont une étude pivot
contrôlée en double aveugle (5, 10, 25 mg/j contre placebo)
(4). Quatre cent deux patients atteints de PR ont été traités
pendant six mois. L’efficacité a été confirmée contre placebo,
la dose la plus efficace étant celle de 25 mg/j. Cependant, à
cette dose, les effets secondaires étaient plus importants,
notamment les diarrhées. Grâce à un modèle d’adaptation de
posologie, la dose optimale retenue est celle de 20 mg/j, qui
sera utilisée dans toutes les études ultérieures.
Études cliniques de phase III
Cette phase comporte trois études multicentriques internatio-
nales contrôlées en double aveugle (5, 6, 7).
L’étude US 301 (n = 482 patients) a comparé le léflunomide
au placebo et au méthotrexate (MTX) sur une période de
12 mois, aux États-Unis et au Canada (5). L’étude MN 301
(n = 358) a comparé le léflunomide au placebo et à la sulfa-
salazine sur une période de six mois, avec une extension à
12 mois pendant laquelle le groupe placebo a reçu de la sul-
fasalazine. Cette étude a été menée essentiellement en Europe,
mais également en Afrique du Sud, en Australie et en Nou-
velle-
Zélande (6). L’étude MN 302 (n = 999) a comparé le
léflunomide et le MTX sur une période de 12 mois en Europe
et en Afrique du Sud (7). Dans les trois études, le léflunomide
a été administré à 100 mg par jour pendant trois jours, puis à
20 mg par jour en une prise. La sulfasalazine a été adminis-
trée à 2 g par jour dans l’étude MN 301, et le MTX à une poso-
logie de 7,5 à 15 mg par semaine dans les études US 301
(moyenne = 10,6 mg) et MN 302 (moyenne = 11,1 mg). De
l’acide folique a été administré conjointement au MTX à 2 mg
par jour de manière systématique dans l’étude américaine,
mais pas dans l’étude européenne.
Figure 2. Le léflunomide inhibe la biosynthèse de novo des pyrimidines.
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MISE AU POINT
L’ancienneté moyenne de la PR variait, selon les études, de
3,7 à 7,6 ans. Environ 40 % des patients inclus dans les trois
études avaient une PR évoluant depuis moins de deux ans. On
notait chez 60 à 70 % des patients la présence de facteur rhu-
matoïde dans le sérum. Un traitement de fond avait générale-
ment déjà été administré, mais près de 40 % des patients n’en
avaient jamais reçu avant l’entrée dans l’étude. Dans les études
comportant du MTX ou de la sulfasalazine, les patients
n’avaient jamais reçu l’un de ces médicaments auparavant.
Efficacité clinique dans les études de phase III
Le critère d’efficacité clinique principal était le taux de répon-
deurs selon les critères de l’ACR 20 %. Selon ces critères, 51
à 55 % des patients traités par le léflunomide étaient répon-
deurs (figure 3). Il y avait une différence significative par rap-
port au placebo (p < 0,01). Il n’y avait pas de différence par
rapport à la sulfasalazine. Par contre, dans l’étude US 301, le
léflunomide était légèrement supérieur au MTX alors que, dans
l’étude MN 302, le MTX était supérieur au léflunomide
(p < 0,05). Ces résultats étaient retrouvés pour tous les critères
cliniques évalués, c’est-à-dire le nombre d’articulations dou-
loureuses, le nombre d’articulations gonflées, le jugement glo-
bal d’activité de la PR par le médecin et par le patient. On peut
noter, à ce propos, que l’efficacité du léflunomide est signifi-
cativement plus rapide que celle des comparateurs (figure 4).
Figure 3. Études de phase III : taux de répondeurs selon l’ACR 20 % pendant la pre-
mière année d’utilisation.
Figure 4.
Études de phase III :
taux de répondeurs
selon l’ACR 20 %
pendant la première année
d’utilisation.
Les capacités fonctionnelles évaluées par le score HAQ étaient
significativement améliorées dans le groupe léflunomide par
rapport au placebo (p < 0,001), mais également par rapport au
MTX (p < 0,01) dans l’étude US 301 (8) et par rapport à la
sulfasalazine (p < 0,008) dans l’étude MN 301. Il n’y avait pas
de différence entre le léflunomide et le MTX dans l’étude
MN 302 (figure 5).
On notait une influence sur les paramètres biologiques paral-
lèle à celle observée sur les paramètres cliniques, notamment
la vitesse de sédimentation et la protéine C réactive.
Effet sur les lésions radiographiques dans les études de
phase III
Dans les trois études, les clichés radiographiques des patients
effectués sur les mains et les pieds ont été lus par Sharp lui-
même selon la méthode qu’il a décrite et modifiée (9). On
peut constater (figure 6) que le léflunomide permet de ralen-
tir significativement la progression radiographique sur un an
par rapport au placebo (p < 0,01). Il y a également une ten-
dance favorable, mais non significative, par rapport à la sul-
fasalazine dans l’étude MN 301. Dans l’étude US 301, le léflu-
MISE AU POINT
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Figure 5.
Études de phase III :
amélioration de la capacité
fonctionnelle (HAQ).
Figure 6.
Études de phase III :
ralentissement
de la progression radiographique
évaluée sur le score de Sharp
par rapport au placebo.
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nomide ralentit significativement plus que le MTX la pro-
gression radiographique (p < 0,049). Il n’y a pas de différence
entre les deux produits dans l’étude MN 302, bien que la pro-
gression sous MTX soit légèrement inférieure à celle sous
léflunomide.
Tolérance dans les études de phase III
Le pourcentage d’arrêt pour effet indésirable a été compa-
rable chez les patients traités par léflunomide, sulfasalazine
et MTX et légèrement supérieur à celui observé sous pla-
cebo. Les effets indésirables principaux sous léflunomide
ont été les effets gastro-intestinaux à type de diarrhée, retrou-
vés dans 26,7 % des cas versus 11,9 % des cas dans les études
contre placebo. Dans la plupart des cas, les diarrhées régres-
sent en dépit de la poursuite du léflunomide, mais, dans 1 à
4 % des cas, elles ont justifié son arrêt. Les nausées sont
moins fréquentes que dans le groupe MTX. Une élévation
des transaminases hépatiques (SGPO, SGPT) est retrouvée
chez les patients traités par léflunomide dans 5,8 à 10,2 %
des cas, supérieure à celle relevée dans le groupe placebo
(2,4 %) et comparable à celle notée pour les groupes de
patients traités par sulfasalazine et par MTX plus acide
folique. Elle est toutefois significativement inférieure à celle
retrouvée chez les patients traités par MTX seul (figure 7).
L’hypertransaminasémie régresse spontanément ou dès l’ar-
rêt du traitement. De très rares biopsies hépatiques ont été
réalisées, et n’ont pas montré de lésions de fibrose. Parmi
les autres effets secondaires, il faut noter une élévation des
rash cutanés (10,8 à 12,4 %), comparable à celle observée
avec la sulfasalazine, et une fréquence également accrue des
pertes de cheveux.
Une tendance à l’hypertension artérielle (HTA) a été notée
dans les groupes léflunomide, mais les nouveaux cas
d’HTA n’ont pas été plus fréquents que dans les groupes
comparateurs.
Les infections sont comparables à celles relevées dans le
groupe placebo et moins importantes que dans le groupe
MTX. À noter qu’il n’a été constaté aucun effet indésirable
hématologique, pulmonaire ou rénal, alors qu’il y a eu deux
cas d’agranulocytose dans le groupe sulfasalazine, un cas
de thrombopénie dans le groupe sulfasalazine et un autre
dans un groupe MTX. Il y a eu également quatre pneumo-
pathies interstitielles dans les groupes de patients traités
par MTX, dont un ayant entraîné le décès du patient. Une
fibrose pulmonaire a également été observée sous MTX.
Extension des études de phase III
Les trois études de phase III ont été prolongées sur une
deuxième année (7, 10, 12). En dépit d’un certain nombre de
patients perdus de vue, l’efficacité clinique se confirme à
deux ans, avec des résultats en termes de pourcentage de
patients répondeurs ACR 20 identiques à ceux des groupes
MTX et significativement supérieurs à ceux du groupe sul-
fasalazine.
Le profil de tolérance reste satisfaisant, avec un pourcentage
d’effets secondaires graves identique à celui relevé dans le
groupe placebo. L’augmentation de fréquence des épisodes de
diarrhée et d’alopécie, bien que moins importante qu’en début
de traitement, est à nouveau signalée.
L’effet de ralentissement de la progression radiologique se
confirme, avec une absence de modification du score de
Larsen à 24 mois (11).
MISE AU POINT
Figure 7.
Études de phase III :
élévation
des transaminases (SGPT).
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