G Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É La relation médecin-malade en gynécologie : étude et approche ! M. Lachowsky* O n peut se demander ce qui est le plus difficile, être le médecin ou être le malade... Certes, le médecin a, en général, choisi son camp, mais pour quelles raisons ? Le malade, lui, n’a en principe pas choisi ou, du moins, il ne le sait sans doute pas, même si, selon la phrase de Kafka, “la maladie parle pour moi parce que je le lui demande”. La médecine, et en particulier notre spécialité, a, ces dernières années, progressé à pas de géant en s’appuyant de plus en plus sur la science et sur les sciences. Nous pouvons presque tout voir et tout explorer, presque tout doser et interpréter, presque tout identifier, même si ce fabuleux butin ne nous donne pas encore le vrai pouvoir, celui de guérir, ou plutôt le vrai savoir, celui qui éviterait la maladie. Mais il est un domaine où la médecine reste encore un art, l’art de l’échange et de la communication, de cette forme d’intimité qu’est la consultation, l’art que Georges Duhamel, écrivain et médecin, nommait le “colloque singulier”, et qu’à la suite de Michael Balint nous nommons relation médecin-malade, ou soignant-soigné. Mais est-ce seulement de cela qu’il s’agit ici ? Oui, si l’on évoque le schéma de base où verbal et non-verbal doivent permettre une reconnaissance de l’offre et de la demande. Non, si l’on estime devoir dépasser cette objectivité, éventuellement cette neutralité bienveillante, qui seraient ce que doit le médecin à son patient, à l’exclusion de tout autre sentiment. Sentiment, et pourquoi pas émotion, cette dimension fondamentale de toute relation, que le médecin plus qu’un autre doit apprendre à reconnaître d’abord, à canaliser ensuite. Faudrait-il alors opposer sur un mode irréductible le praticien imperturbable, ne “s’en laissant pas conter”, efficace parce qu’objectif, à celui plus subjectif, moins “ne varietur”, qui s’attache autant au sujet malade qu’à l’objet maladie ? Non, bien sûr, pas plus que ne sont souhaitables les partis pris manichéens, du style technique reine et rationalisation étroite versus psychologisation outrancière, pas plus que ne serait souhaitable une vision monolithique d’un bout à l’autre de sa pratique d’un médecin que ne troublerait jamais la moindre parcelle d’émotion et, surtout, de doute. En fait, l’idéal serait sans doute une balance entre deux pôles, celui du “savoir” médical et celui d’une “ignorance” qui ménagerait sa place au savoir de l’autre. Point n’est besoin de le souligner, une consultation est un échange d’une extrême complexité. Elle évolue dans cette unité de temps et de lieu chère à la tragédie classique et, comme celle-ci, en plusieurs actes. À la rencontre, ce prologue qui met en place les rôles et la place de chacun, va succéder “le corps à corps” [1] de l’examen, puis la parole va reprendre ce que les gestes ont mis au jour et, donnant un nom au problème, permettre la transition vers la dernière scène, celle qui ouvre sur l’avenir, immédiat ou lointain, avec ou sans suite au prochain numéro. Tout cela se joue en version originale, à chaque fois différente, parfois muette mais le plus souvent parlante. “Le langage anesthésie la bouche aussi bien qu’un produit pharmaceutique” (2). Est-ce cette anesthésie qui nous rend souvent insensibles – au sens propre du terme – aux bizarreries de nos échanges avec ceux et surtout celles qui viennent nous consulter ? “Comment allez-vous ?” marque dans la plupart des langues et des cultures l’ouverture de la rencontre et, en principe, l’amorce du dialogue. Mais cette apparente marque d’intérêt pour l’autre n’est souvent qu’une banale habitude et, vidée de tout contenu affectif, n’appelle pas plus de réponse sincère que d’écoute vraie. La poignée de main était autrefois un garant de non-inimitié et parfois de loyauté, elle tend aujourd’hui à s’effacer au profit d’une gestuelle à type de salut où les mains s’agitent en l’air sans se toucher. Les mots aussi peuvent se chercher sans se rencontrer, même si, selon la sagesse populaire, un mot en appelle un autre. * Attachée consultant, service de gynécologie-obstétrique, Pr P. Madelenat, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris. [1] Michel Sapir. [2] Michel Serres. Alors, que disons-nous à nos patientes pour inaugurer la relation, celle du moment présent, qu’elle soit nouvelle ou déjà ancienne ? Non pas “que voulez-vous ?” ou “qui êtes-vous ?” ni même “qu’avez-vous ?”, mais plutôt “en quel état êtes-vous ?”, en quel état de santé donc. En parle-t-on jamais vraiment au cours des études médicales ? Il serait cependant bien dommage, et dommageable pour le soignant comme pour le soigné, que ce moment particulier reste “une énigme doublée d’un mystère”, selon l’une de ces formules lapidaires chères à Churchill. Moment particulier, certes, mais qui s’inscrit dans l’interaction qu’est toute relation entre êtres humains, ce qu’à la suite des publicitaires, hérauts de notre temps, on nomme aujourd’hui la communication, objet semble-t-il de toutes les convoitises. La Lettre du Gynécologue - n° 247 - décembre 1999 21 G Y N É C O L O G I Cet état de bien-être physique et mental, social aussi, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité – la santé selon la définition de l’OMS –, c’est la vie dans sa qualité au moins autant que dans sa quantité. Votre santé nous intéresse, disons-nous ès qualités à ces interlocuteurs spécifiques, vous n’avez pas l’obligation d’être malade pour venir nous consulter. Mais comment l’entendent-ils, comment l’entendons-nous, dans cette relation de soins où l’interaction repose sur une double assise, presque un paradoxe ? En effet, elle est, d’une part, une relation que l’on pourrait qualifier d’inégalitaire, fondée sur la dominance et le pouvoir de l’expert, seul à même de prendre les décisions thérapeutiques sans se permettre d’être troublé par les inquiétudes de son malade. Mais, d’autre part, elle doit aussi être une relation de coopération, où d’autres savoirs seront pris en compte, d’autres réalités, et aussi ce que d’aucuns appellent empathie ou encore, au sens large du terme, “compassion” [3], c’est-à-dire une certaine gestion des émotions. Peut-être faudraitil dire une gestion certaine, mais nous n’allons pas tarder à y revenir, car c’est bien cela que la Faculté non seulement ne nous enseigne pas mais nous demande d’éviter, et que seule une formation personnelle à la psychosomatique peut nous aider à percevoir et à intégrer. Encore faut-il en comprendre la nécessité et en éprouver le désir. Cette relation médecin-malade, comme toute relation humaine, est faite de dit et de non-dit, de mots et d’attitudes, d’échanges donc. Échange tout de même particulier puisqu’il commence souvent par un interrogatoire. Notons ici le vocabulaire policier, alors que pour soigner c’est le vocabulaire militaire qui prend la relève, avec notamment “ordonnance” et “arsenal thérapeutique”. “Si le médecin pose des questions selon sa technique habituellement apprise, il obtiendra sans doute des réponses, mais rien d’autre. Avant de pouvoir arriver à ce que nous avons appelé un diagnostic approfondi, il doit apprendre à écouter. Écouter est une technique beaucoup plus difficile et subtile que celle qui doit nécessairement la précéder : mettre le patient à l’aise pour lui permettre de parler. La capacité d’écouter est une aptitude nouvelle, qui exige un changement considérable bien que limité dans la personnalité du médecin. À mesure qu’il découvrira en lui la capacité d’écouter ce qui chez son patient est à peine formulé, car le patient n’en est qu’obscurément conscient [...] il découvrira qu’il n’est pas de questions nettes et directes qui puissent mettre à jour le type d’informations qu’il cherche [...] ces processus ne peuvent apparaître que par une collaboration de ces deux personnes” [4]. Après l’interrogatoire, l’examen, après les mots, les regards et les gestes. C’est son intimité, celle que l’éducation et la société lui ont appris à cacher et à préserver, celle liée à tous les mystères donc à tous les dangers, son “origine” [5], que nous allons demander à notre patiente de dévoiler. La voilà ici encore cette inégalité dans la relation, car ces regards et ces gestes sur le corps de l’autre sont nôtres et nôtres exclusivement, aussi devons-nous ne jamais oublier que rien, là, n’est [3] Emmanuel Levinas. [4] Michael Balint. [5] Gustave Courbet, “l’Origine du monde”, musée d’Orsay, Paris. [6] Michael Balint. 22 E E T S O C I É T É banal pour la patiente, étendue demi-nue et jambes écartées sur une table qui n’est pas un lit, livrée à ses fantasmes et fantasmant peut-être ceux du gynécologue. Le toucher vaginal peut, aussi étonnant que cela puisse paraître, être un moment privilégié de ce couple particulier gynécologue/patiente. Le silence notamment permet souvent l’émergence d’événements anciens, violences, attouchements ou abus sexuels, traumatismes refoulés qui ne se parleront peut-être nulle part ailleurs. Enfin, rituel final de ce duo joué tantôt à l’unisson, tantôt en canon, parfois avec des dissonances, vient la prescription, ce papier qui va objectiver qu’il s’est passé quelque chose entre les deux protagonistes, chacun à sa place et dans son rôle. “La prescription, c’est l’ensemble de l’atmosphère dans laquelle le médicament est donné et pris” [6]. Et pris, me direz-vous... Et Balint d’ajouter : “Le médicament de loin le plus utilisé en médecine est le médecin lui-même”. Mais aucun manuel ne nous guide quant à la drogue-médecin, aucun Vidal® n’en indique posologie ou effets secondaires, même si, comme pour tout médicament, trop pour l’un est trop peu pour l’autre, allergie ou accoutumance pouvant toujours survenir. “Ma gynécologue, elle est formidable, elle me prescrit toujours d’importants traitements, avec tous les médicaments nouveaux qui viennent de sortir...” “Ma gynécologue, elle est formidable, elle ne prescrit jamais de longues ordonnances, elle ne me donne jamais beaucoup de drogues...” Notons l’emploi de termes chargés de sens : les médicaments sont de bons objets, les drogues au contraire de mauvais objets. Gardons aussi présents à l’esprit (et avec quelle humilité !) le sort de nos ordonnances : perdues, oubliées au fond d’un sac, certaines ne verront jamais le jour. Quant aux autres, elles iront se faire étudier et contrôler par voisins et pharmaciens. En effet, taraudées par l’inquiétude ou persuadées de n’y rien comprendre, les patientes souvent n’entendent rien à nos explications et attendent d’être à l’extérieur pour enfin apprendre ce qui les attend. On l’aura compris, pour être de qualité, une relation ne peut être que de sujet à sujet et non de sujet à objet. La maladie ou sa souffrance sont l’objet de notre travail, l’être humain malade ou souffrant est notre partenaire. On a pu parler de l’inévitable duplicité du soignant, ce Janus Bifrons qui doit vous faire mal pour votre bien ou tenter d’adoucir votre sort s’il ne peut rien contre le mal. Cependant, il ne faudrait pas tomber dans le travers actuel qui croit tout résoudre ou tout expliquer en opposant la médecine technique à la médecine relationnelle. Il est bien entendu plus facile ou plus tentant pour le médecin de se cacher derrière ses écrans ou ses outils sophistiqués plutôt que d’ajouter à ses propres angoisses et à ses propres doutes ceux de sa patiente. Mais, bien entendu, ne devrait mériter “appellation contrôlée” de médecine psychosomatique que celle qui réunit la patiente au lieu de la réduire à la tranche défectueuse, externe ou interne, visible ou non, de son sein ou son utérus. La Lettre du Gynécologue - n° 247 - décembre 1999 Nous avons été formés à l’université pour affronter la maladie et même la mort, notre suprême échec, mais pas pour affronter le malade. Et pourtant, celui-ci est partie prenante dans sa maladie comme dans l’effet thérapeutique de ce que nous lui prescrivons, à condition aussi qu’il veuille bien de cette place que nous lui laissons. Il ne doit pas s’agir là d’un faux humanisme médical, d’une “gentillesse” de façade où ne passerait rien de vrai, une forme de rituel compensatoire du style de la tête à peine passée dans l’entrebâillement de la porte de cette chambre où l’on n’ose plus entrer faute de savoir faire face à la douleur physique ou morale. Faire face ou garder la face... mais devons-nous toujours porter un masque pour cacher nos émotions ? Certes non, mais l’autre écueil serait de nous laisser trop envahir par elles, de nous laisser déborder, dans toutes les acceptions du mot. La bonne distance thérapeutique n’est pas toujours facile à repérer, elle peut d’ailleurs varier d’une consultation à l’autre avec le même patient. Trop loin n’est pas plus bénéfique, mais peut-être plus économique pour le médecin qui, s’investissant moins, reçoit moins en retour. Trop près peut grossir les traits et diminuer la perspicacité, comme en témoigne la difficulté à soigner les siens, ceux justement qui vous sont – trop ? – proches. On voit que garder un certain degré de neutralité est assurément difficile mais est indéniablement une garantie de qualité. Il n’empêche que garder la tête froide ne signifie pas se montrer de glace, et l’on sait, depuis Hippocrate au moins, que se réchauffer les mains avant de palper un ventre ou des seins ne peut qu’améliorer la qualité de l’examen et la qualité de la relation. Et que dire de tout ce qui rend sa dignité à la malade hospitalisée, horizontale quand nous sommes verticaux, infantilisée par le lit et parfois par la nudité-spectacle qui lui est imposée. Les salutations les plus banales “dehors” deviennent capitales “dedans”, frapper à la porte et se présenter nommément sont des attitudes aussi banales qu’évidentes mais propres à situer d’emblée la relation médecin-malade dans une plus juste perspective. On aura beau jeu de brandir ici l’épouvantail de la relation de séduction face à la relation de pouvoir, ou le risque de voir l’une menaçant l’autre. Certes, les deux éléments existent, malade et médecin en usent tous les deux selon leur temps et leurs moyens. L’important pour le médecin est de reconnaître ces mouvements, d’essayer de n’être ni trop manipulateur ni trop manipulé. Séduction du pouvoir ou pouvoir de la séduction, n’est-ce pas là le moteur de toute action et de toute relation des humains entre eux ? De toute action... mais le médecin se doit-il d’être toujours dans l’action, ne doit-il pas aussi aller à la rencontre de l’autre, sa patiente, aussi bien dans le silence de la technicité que dans l’absence de prescription, ou même dans certains cas jusqu’à la reconnaissance du placebo ? Ne résistons pas au plaisir de lire ce qu’en dit Ambroise Paré dans son Discours sur l’inefficacité de la poudre de licorne (!) : “Vous me direz, puisque les médecins savent bien et publient entre eux-mêmes que ce n’est qu’un abus, cette Poudre de Licorne, pourquoi en prescrivent-ils ? C’est (7) André Brincourt. La Lettre du Gynécologue - n° 247 - décembre 1999 que le monde veut être trompé et sont contraints, les dits médecins, d’en ordonner ou pour mieux dire, permettre aux patients d’en user parce qu’ils en veulent. Que s’il advenait que les patients qui en demandaient mourassent sans en avoir pris, les parents donneraient tous la chasse aux susdits médecins et les décrieraient comme vile monnaie.” Et si Hippocrate insiste pour que ne soit pas oubliée la formule magique conjuratoire après l’application d’une médication d’herbes très précisément nommées et dosées, c’est autant pour relier entre eux tous les paramètres de la thérapeutique que les patients semblent en droit d’exiger que pour maintenir le lien entre toutes les approches possibles de la médecine. Écouter l’autre, accepter l’ennui de consultations répétitives ou l’agressivité ambiante, savoir attendre et attendre ce temps de l’autre qui n’est pas toujours le nôtre, tenter d’entendre sa demande pour mieux le comprendre, c’est rechercher la dose d’empathie qui permettra cette “rencontre de deux imaginaires” qu’est une relation digne de ce nom. Cela n’est pas enseigné ex cathedra car il n’y a sans doute pas de recette miracle, si ce n’est un travail sur soi-même et surtout un travail en groupe, comme l’a littéralement inventé Michael Balint. La parole est à celui qui l’écoute, a écrit ce grand curieux de luimême qu’était Montaigne. L’objet de ces groupes était – et est toujours – l’étude exclusive de la relation médecin-malade dans sa pratique quotidienne, c’està-dire un essai de compréhension de ce fonctionnement particulier de chaque praticien, non pas tellement face à chaque malade mais bien face à une malade donnée. Toute histoire est unique et particulière et chaque relation est un cas particulier, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Le travail en groupe éclaire et rassure tout à la fois, montrant similitudes et divergences parmi les participants, tout aussi enrichissantes les unes que les autres, sans oublier le plaisir de se retrouver régulièrement dans la chaleur d’un groupe de collègues prêts à entendre et à comprendre, à partager et à soutenir. C’est sans doute en partie ce réconfort qui rend tolérable l’inconfort de certaines histoires rapportées au cours de sessions plus houleuses que d’autres. Il est d’ailleurs d’observation courante que la consultation rapportée se traduit souvent dans l’attitude du groupe qui s’ennuie comme le présentateur dit s’être ennuyé, ou se sent pris de colère avant même que celui-ci ne le raconte. Si les mêmes situations ne provoquent pas les mêmes réactions chez tous, ces réactions existent bel et bien et méritent que l’on s’y attarde, car elles sont des révélateurs et des repères qui vont servir ensuite de repères ou de balises dans le parcours de chacun. Exposé par le médecin qui a envie ou besoin de présenter son cas, celui-ci devient le cas de tous qui s’y retrouvent ou, à l’inverse, s’en étonnent. Ne sont pas là argumentés le type ou le protocole d’examens ou de traitements, mais bien ce qui a été vécu et comment, pour en arriver parfois au pourquoi et même, plus rarement, au plus jamais ça. Il ne s’agit pas non plus d’arriver avec un dossier écrit, mais bien d’utiliser “l’arbitraire des souvenirs persistants et des oublis incontrôlables” [7]. On n’insistera jamais assez sur l’objectif professionnel, et uniquement professionnel, de cette formation en forme de recherche, qui n’est pas une introspection psychanalytique personnelle. 23 G Y N É C O L O G I C’est bien du moi-médecin dont il est question ici et non du moipersonne privée, et c’est au leader (l’appellation anglaise d’origine a été conservée, même si elle tend parfois à être remplacée par celle d’animateur) d’y veiller, car il est vrai que ces deux sous-ensembles ont une évidente tendance à se surimprimer. Cela est capital tant pour le but recherché que pour l’équilibre et la sécurité de chaque participant, comme du groupe et de sa dynamique d’ailleurs. “Thérapie professionnelle” [8] certes, mais avec une évolution propre au groupe et propre à chacun. On ne vient pas là non plus pour faire l’économie d’une analyse personnelle, mais bien pour partager entre pairs et apprendre les uns des autres, apprendre à parler et à se taire, à dire et à entendre, à mettre en commun un peu de l’intime médical, sans fausse honte ni peur du ridicule. Le leader doit éviter d’être pris comme modèle ou comme référence, il lui faut gérer transfert et contre-transfert, car c’est bien de cela qu’il est question, il lui faut parler peu mais juste afin de n’être ni trop directif ni trop dirigiste. Là encore il lui faut savoir écouter. Est-il bien utile d’ajouter que participer à ce style de travail signifie que le médecin accepte de se remettre en question, qu’il a fait le deuil de sa toute-puissance au profit d’un intérêt plus grand pour l’échange et le partage des savoirs ? Il est frappant de constater que les gynécologues ont toujours été très présents dans ces groupes où sont mis au jour les problèmes inhérents au métier de médecin, à ce face-à-face soignant-soigné où l’offre et la demande ne sont pas toujours là où on les attend. Métier de médecin certes, mais pas n’importe quel métier. En effet, c’est plus sur leurs fonctions que sur leurs techniques, plus sur les ressorts que sur les ficelles que s’interrogent ces médecins. Ce n’est donc pas n’importe quel médecin non plus, et souvent ce n’est pas la maladie qui occupe le devant de la scène, même si elle fait de la figuration pas toujours intelligible, à travers des consultations pour contraception, infertilité, grossesse ou même un banal frottis de dépistage ; pas n’importe quelle maladie non plus puisque nous parlons de gynécologie, c’est-àdire autant de physiologie que de pathologie, mais surtout de ce qui nous fonde tous : le ventre et les seins des femmes. Le corps sexué a ici la vedette, il a son mot à dire et sa scène à jouer. La vie intime est toujours en filigrane, sexe et sexualité se mettent toujours en scène, dans les coulisses ou côté jardin. (8) Charles Brisset, psychiatre, coauteur d’un livre blanc sur la psychiatrie française. E E T S O C I É T É Sans doute est-ce aussi parce que, gynécologues ou obstétriciens, nous travaillons dans la filiation, la possible comme l’impossible, et dans une ambivalence du désir toujours tellement présente que, tout en étant de plus en plus hautement spécialisés, nous essayons de toujours considérer notre patiente comme un tout, un être humain dans sa globalité et non limité aux organes et aux symptômes qui nous concernent ou qu’elle nous apporte. Nous en arrivons donc, à nouveau, à un essai de compréhension, sinon de définition, de la médecine psychosomatique dont la gynécologie paraît être un terrain d’élection. Telle la double hélice indispensable à la vie, celle de l’entrelacs psyché et soma est la clé de voûte de la médecine comme de notre fonction de soignants. Oserons-nous qualifier la relation médecin-malade d’ARN messager, reconnu par toutes les cellules en cause, celles du soignant et celles du soigné ? “On ne guérit jamais du désir de guérir”, a écrit Canguilhem, mais arriver avant que ne s’installe ce que Balint appelle “la maladie organisée”, pour être apparemment moins glorieux, n’en est pas moins digne de nos efforts. Psyché et soma, hommes et femmes, médecins et patientes, ne s’agit-il pas toujours de ce lien, de ce liant indispensable, qu’est la relation ? C’est sans doute aux maladies de la relation que pensait Lucien Israël en écrivant : “À nous de faire entendre à nos patientes qu’elles ont quelque chose à dire que nous nous devons d’écouter.” " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S # Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. 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