seul point de vue ; c’est-à-dire par rapport aux caractères distinctifs des espèces entr’elles, et
pour la partie qu’on appelle la nomenclature ; ainsi, quoiqu’ils aient parlé de toutes les
productions de la nature, on peut dire qu’ils n’ont traité qu’une partie de l’histoire naturelle.
Ceux qui ont voulu pousser plus loin leurs recherches se sont restreints dans un certain nombre
de genres, ou si l’on veut, dans certaines classes d’animaux, de végétaux ou de minéraux.
L’anatomie humaine, qui est une si petite partie de l’histoire naturelle, a seule occupé un grand
nombre de gens illustres ; et il s’en faut encore de beaucoup qu’ils n’aient tout vu. M. de
Réaumur, un des plus laborieux de nos naturalistes, n’a pas épuisé, à beaucoup près, la partie
des insectes. Je crois l’auteur de la nouvelle histoire naturelle, fait pour aller aussi loin qu’il est
possible dans toutes les sciences qu’il voudra cultiver ; mais il n’en est pas de l’histoire naturelle
et des autres sciences de faits, comme de la géométrie et des sciences de pur raisonnement.
Dans ces dernières, le génie supérieur marche à grands pas, et laisse bien loin derrière lui ceux
qui sans avoir les mêmes talens, y ont donné la même application. Mais dans les sciences de
faits, quelqu’avantage qu’ait un homme d’esprit, rien ne peut suppléer au travail assidu et
opiniâtre. Ainsi, il paroît difficile qu’un seul auteur, quelques talens qu’on lui suppose, puisse
suffire à un ouvrage dont chaque partie semble demander un homme entier. Ces difficultés se
présentèrent à mon esprit lorsque l’ouvrage de M. de Buffon fut annoncé au public. Il me parut
que par ce titre d’Histoire générale et particulière, l’auteur promettoit un traité complet sur
chaque partie de cette science. Ce projet me sembla d’autant plus hardi, que M. de Buffon
n’avoit pas encore paru dans le monde savant comme naturaliste. Il étoit déjà célèbre par
plusieurs mémoires lus à l’académie sur différens sujets, d’agriculture, de physique et de
géométrie, et par une traduction très-estimable. Mais ces différentes connoissances me
paroissoient autant de diversions à l’étude de la nature, et autant d’obstacles à l’exécution de
l’ouvrage projetté.Enfin l’ouvrage parut, et je le lus avec avidité. J’y trouvai plus encore que je
n’avois espéré, quant à l’élégance du style et à la profondeur des vues. Mais j’y trouvai
beaucoup à reprendre quant à l’exactitude des faits qui doivent être la base d’un ouvrage tel que
celui-ci. Il étoit important que ces fautes fussent relevées : car la réputation de l’auteur, et les
traits brillans dont son ouvrage est semé, n’étoient que trop propres à accréditer des erreurs.
Ce qui rendoit une critique plus indispensable, c’est que plusieurs hommes illustres sont
attaqués avec force, et si j’ose le dire, avec trop peu de circonspection. C’est un reproche que
je ne puis m’empêcher de faire à M. de Buffon surtout à l’égard de Linnæus, dont je crois qu’il
a trop peu lu les ouvrages, et dont il n’a pas saisi l’esprit.
Lamoignon-Malesherbes, Observations de Lamoignon-Malesherbes sur l'Histoire
Naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton, Tome premier. Ecrit en 1750,
D'Alembert vient de louer Fontenelle, qui « a même osé prêter à la philosophie les ornements
qui semblaient lui être les plus étrangers et qu’elle paraissait devoir s’interdire le plus
sévèrement ». L’audace de Fontenelle a suscité bien des détracteurs, et bien des imitateurs : «
Mais semblable à tous les écrivains originaux, il a laissé bien loin derrière lui ceux qui ont cru
pouvoir l’imiter. ». Puis il enchaîne :
L'Auteur de l'Histoire Naturelle a suivi une route différente. Rival de Platon & de Lucrece, il a
répandudans son Ouvrage, dont la réputation croît de jour en jour, cette noblesse & cette
élévation de style, quisont si propres aux matieres philosophiques, & qui dans les écrits du
Sage doivent être la peinture de soname.