L'usage des pesticides en agriculture a crû plus vite que
les connaissances à leur égard. Notre santé nécessite
pourtant recherches et précautions dans ce domaine.
Pesticides : un domaine sensible
Avec plus de 100 000 tonnes
épandues par an, la France
est le deuxième utilisateur mondial
de pesticides, derrière les États-
Unis. «Toutes les difficultés actuelles
en matière de sécurité alimentaire, y
compris pour les pesticides, provien-
nent du fait que l’on dispose de peu
d’études»,souligne André Aschieri,
auteur d’un rapport parlementaire
sur les substances toxiques et de La
France toxique aux éditions La Dé-
couverte. La recherche progresse
tout de même dans ce domaine
sensible.
Les agriculteurs
Avant les consommateurs, les agri-
culteurs sont les premiers touchés
parce qu’ils manipulent les pesti-
cides et les épandent. La Mutualité
Sociale Agricole (MSA) a lancé un
réseau de toxicovigilance en 1991,
puis l’a généralisé en 1997. Méde-
cins du travail et techniciens de
prévention de la MSA enregistrent
incidents, effets indésirables liés
àl’emploi de phytosanitaires, et
empoisonnements d’agriculteurs.
Mille dossiers, centralisés à l’Insti-
tut national de médecine agricole
(INMA) de Tours, ont été recueillis
depuis 1991. «Un médecin toxico-
logue expertise les dossiers pour véri-
fier s’il existe une relation de cause à
effet entre le toxique et l’effet indési-
rable notifié », précise le Dr Elisa-
beth Marcotullio(1). Ce lien a été
établi pour les deux tiers de ces
mille dossiers. Les cultures les plus
concernées sont les céréales, la
vigne et l’horticulture. Les troubles
frappent les muqueuses et la peau
(40 % des cas étudiés), le système
digestif (34 % des cas), le système
respiratoire (20 %), l’ensemble de
l’organisme à travers des troubles
généraux comme des maux de tête
(24 %). Plus de deux victimes sur
trois ont dû consulter un médecin
après l’incident. Parmi les paysans
de cette banque de donnée MSA,
13 % ont dû être hospitalisés à
cause de l’utilisation de produits
phytosanitaires, et 27 % ont dû ar-
rêter leur travail.
Les consommateurs
Au-delà de ces effets à très court
terme, les effets des pesticides à
moyen et long termes ne sont pas
étudiés par ce réseau MSA. Ces
produits sont abondamment utili-
sés dans la culture des céréales, des
fruits et des légumes. On les re-
trouve même dans l’eau que nous
buvons.
Or, les dangers des pesticides
peuvent se traduire par une toxi-
cité à moyen terme. «Celle-ci re-
groupe les effets survenant plusieurs
mois ou années après une intoxica-
tion massive aiguë ou une exposition
prolongée à des doses faibles », ex-
plique le Dr Marie-Antoinette
Gingomard (1). Il s’agit, pour les
hommes, d’infertilités, d’anoma-
lies des testicules et de malforma-
tions du pénis. Pour les femmes,
des avortements spontanés lors de
la grossesse, des enfants préma-
turés, de petite taille et de petit
poids, font partie des effets indé-
sirables. A ces maladies et acci-
dents qui touchent la vie, il faut
ajouter les cancers et les atteintes
neurologiques parmi les troubles
à moyen terme incriminés.
Le lien entre infertilité mascu-
line et pesticides a été prouvé à
l’échelle d’un pays (2). Pour cela,
le taux des pesticides dans le sang
a été étudié chez l’ensemble des
hommes infertiles d’Israël. On re-
trouve bien, chez ces hommes, de
fortes concentrations de deux types
de pesticides (insecticides organo-
chlorés et polychlorés-biphényl).
«L’évident effet de ces substances sur
la détérioration de la qualité du
sperme apparaît dans de nom-
breuses études », ajoute plus lar-
gement le Pr Marco Maroni, du
Centre international Pesticides
et sécurité, à Milan, même si des
études restent à mener (3). Les
fertilisants n’arrangent pas les
choses. «En ce qui concerne les
troubles de la reproduction, dit le
Dr Gingomard, la responsabilité
d’un fumigant, le dibromochloro-
propane est reconnu pour provoquer
des stérilités masculines. » Plusieurs
études ont aussi montré que les
pesticides favorisent une ano-
malie congénitale des testicules
(non-descente des testicules ou
cryptorchidie). Des recherches
menées montrent également une
augmentation significative des
malformations congénitales du
pénis.
Ces dangers concernent aussi la
grossesse et la mère. Une aug-
mentation du nombre d’accou-
chements prématurés et d’avorte-
ments avec rétention placentaire
est constatée chez des femmes pré-
sentant de forts taux de pesticides
dans le sang (taux plasmatiques
d’organochlorés et de PCB) (4,5).
Des synthèses américaines de
plusieurs études (6) montrent le
rôle des pesticides sur les nais-
sances d’enfants de petit poids et
de petite taille chez des femmes
de régions agricoles arrosées de
pesticides. La contamination de
l’eau par des herbicides est aussi
incriminée. Elle entraîne des re-
tards de croissance du fœtus, se-
lon une étude américaine menée
dans l’Iowa. Toujours à cause des
pesticides, les travaux agricoles
des femmes entraîneraient des
malformations de l’enfant selon
une étude finlandaise.
Les risques des expositions à
des substances aux effets xéno-
estrogéniques ne sont pas exclus.
Celles-ci provoqueraient des chan-
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Santé publique
Professions Santé Infirmier Infirmière - No31 - novembre 2001