Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 3-4, mars/avril 2001
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Émergence
de représentations
refoulées
Cela est particulièrement
vrai dans la prise en charge
des pathologies souvent
qualifiées de fonctionnel-
les ou de psychogènes
qui, ne coïncidant avec
aucun cadre nosologique
et n’étant repérables par
aucune anomalie biolo-
gique, font souvent dire
au médecin que le malade
n’a rien (ce qui en dit long
sur l’adhésion du médecin
aux représentations pure-
ment biologiques), annu-
lant ainsi tout sens de la
consultation. Néanmoins,
ce type de pathologie aug-
mente en fréquence, et
cela pourrait être considé-
ré comme une prise de parole : le refus
d’accepter une représentation purement
biologique et l’affirmation d’un mal-
maladie indissociable d’une histoire sin-
gulière témoignant de représentations
refoulées par la biomédecine.
Concernant les malades, ce désir de rup-
ture plus ou moins explicite avec un
cadre de pratique refoulant leur subjecti-
vité individuelle, ne se manifeste pas
uniquement au travers de la pathologie
fonctionnelle. On le retrouve quelle que
soit la pathologie et il est souvent expri-
mé de façon plus radicale chez les
patients atteints de maladie grave et
chronique comme le cancer. Il fait alors
souvent suite au traumatisme de l’expé-
rience des pratiques hospitalières vécues,
qui, dans la subjectivité du patient, tran-
chent singulièrement avec les représenta-
tions positivistes volontiers diffusées sur
le petit écran : “Tout ce que j’ai subi, jour
après jour, nuit après nuit, pendant ces
neuf mois… et pour n’être pas plus avancé
qu’au premier jour ! (…) Toujours de
nouveaux soins, de nouveaux traitements
de nouvelles drogues… Si on essayait ci,
si on tentait ça ?… Et moi, patient
cobaye, bonne pâte à frire qu’on tourne
et retourne sur le gril, prostré au fond de
mon lit, serrant les dents pour ne pas trop
gémir…, je sais fort bien qu’il me faudra
bientôt affronter de nouvelles épreuves,
monter encore et remonter sur le billard,
exposer mon pauvre
corps déjà si mutilé à des
incisions et à des abla-
tions supplémentaires
(1).” F. Zorn va plus loin
lorsqu’il dit : “Je crois
que le cancer est une
maladie de l’âme qui fait
qu’un homme qui dévore
tout son chagrin est dévoré
lui-même, au bout d’un
certain temps, par ce cha-
grin qui est en lui. Et
parce qu’un tel homme se
détruit lui-même, dans la
plupart des cas les traite-
ments médicaux ne ser-
vent absolument à rien.
Il prétend même : “Avec
ce que j’ai reçu de ma
famille au cours de ma
peu réjouissante existen-
ce, la chose la plus intelli-
gente que j’aie jamais
faite, c’est d’attraper le
cancer (…) depuis que je
suis malade, je vais beaucoup mieux
qu’autrefois, avant de tomber malade.
Cette remise en question d’une biologisa-
tion outrancière de la maladie, au bénéfice
de représentations psychologique ou
sociale n’est pas le seul fait des malades.
Groddeck, déjà dans les années 1920, dis-
ait “ne pas croire en la science”, soulignant
bien que même la science pouvait devenir
une croyance. Il ajoutait avec une pointe
de provocation qu’il “préférait avoir tort
par ses propres voies que raison par celles
des autres”. En outre, les sciences humai-
nes, lorsqu’elles portent leur regard sur les
pratiques attachées à la maladie, considè-
rent bien souvent le cadre épistémologique
actuel de la biomédecine comme réduc-
teur. Canguilhem, même s’il se serait bien
gardé d’émettre une telle opinion, écrit :
* Neurologue, Arpajon.
Dans la première partie de ce texte , nous avons
essayé de montrer combien les représentations
du pathologique sont variables dans l’espace et dans le
temps et même peuvent être multiples chez un même
patient à un même moment générant une ambivalence
psychique fréquemment observée chez le sujet malade.
Face à cette diversité, la biomédecine a travaillé à
donner une représentation consensuelle du pathologique,
afin de se doter d’un statut de science expérimentale,
gage d’une efficacité objectivable ; non sans renoncer à
(voire écarter) la dimension subjective attachée à un
malade singulier considéré en quelque sorte comme un
artéfact pour ce qui concerne l’étude de l’objet
pathologique, conçu grâce à des études rassemblant un
grand nombre de patients ayant la “même” pathologie.
Ce que nous considérons comme l’objectivité privilégie
l’objet mais lorsqu’un patient nous consulte, c’est un sujet
que nous avons en face de nous.
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ors-
j
eux
Hors-Jeux
Sens et non-sens
de la maladie (IIepartie)
L. Chia*
Un lien entre
la neurologie
et les sciences
humaines
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“L’état pathologique peut être dit, sans
absurdité, normal, dans la mesure où il
exprime un rapport à la normativité de la
vie.” Il défend l’idée de la maladie comme
“effort pour obtenir un nouvel équilibre”.
L’“organisme fait une maladie pour se
guérir”, écrit-t-il dans sa thèse Le normal
et le pathologique.
“Psychisme et Cancer”:
l’exemple d’un retour
de la parole
Si ces représentations refoulées par la
biomédecine font l’objet de pratique
médicale et non médicale, dont on peut
regretter qu’elles ne soient pas suffisam-
ment développées, il existe de nombreux
patients (le plus souvent atteints de mal-
adies graves) pour lesquels l’accès à ces
représentations, pourtant souhaitées mais
pas toujours repérées, est barré par la
pression sociale et la structure institu-
tionnelle. L’exemple d’une association
comme “Psychisme et Cancer” montre
tout l’intérêt d’une pratique dont les
représentations sont radicalement diffé-
rentes de celle de la cancérologie et qui
pourtant s’adresse aux malades atteints
du cancer. Cette association, née de la
volonté d’un cancérologue, d’un psycha-
nalyste atteint du cancer et d’une patien-
te ayant aussi le cancer, est un lieu d’ac-
cueil et d’écoute pour les malades cancé-
reux (et leurs proches) où leur subjectivi-
té peut trouver un écho loin des repré-
sentations purement scientifiques. Son
fonctionnement s’appuie sur un élément
éthique fondateur : le partenariat entre
professionnels et malades. “Ce lieu est
structuré par la présence conjointe de
psychanalystes… et de malades
accueillants ayant une expérience intime
de la maladie et d’un travail psychique
personnel ; cette double expérience
garantit chez eux cette qualité d’empa-
thie présente chez ceux qui ont vécu des
situations analogues, tout en évitant les
pièges d’une collusion imaginaire pré-
servant ainsi cette dimension d’altérité
nécessaire à tout travail d’écoute” (2). Ce
nouveau positionnement dans le rapport
thérapeutique apparaît équilibrant sur-
tout pour des patients souvent engagés
par ailleurs avec leur cancérologue dans
une “relation de type omnipotence-sou-
mission ; cette relation résulte de la col-
lusion entre le transfert du malade – qui,
démuni face à la maladie et sous le coup
de la menace mortelle, peut se trouver en
position d’enfant accroché à la promesse
d’être sauvé par un parent tout-puissant –
et la position de savoir et de pouvoir du
cancérologue (2)”. Comme, par ailleurs,
“la lutte contre le cancer par le surinves-
tissement du cancer qu’elle entraîne peut
paradoxalement se faire aux dépens de
l’intérêt pour le sujet malade (2)”, la
démarche analytique a l’avantage de resi-
tuer le sujet (et non plus l’objet) au cent-
re de la démarche thérapeutique. De
plus, la structure associative devrait pou-
voir recréer du lien social quand celui-ci
peut faire cruellement défaut.
Ce type d’élaboration thérapeutique
(dont nous essaierons de rendre mieux
compte au cours du prochain numéro
consacré à un entretien avec le docteur
Bessis, présidente de l’association
“Psychisme et Cancer”) resituant le sujet
dans toute sa dimension subjective et
individuelle ne souhaite pas considérer le
pathologique uniquement comme un
objet biologique mais également comme
ayant un caractère événementiel au sein
d’une histoire individuelle, et pouvant
donc donner lieu à des élaborations
extrêmement diverses. Ce type de démar-
che apparaît actuellement comme de plus
en plus nécessaire pour faire face aux
prochains grands bouleversements de la
biomédecine high tech, et pourrait, par
ailleurs, en limiter le caractère inflation-
niste.
Pour conclure, je répondrai par avance à
ceux qui pourraient juger cet article
sévère, voire injurieux, diffamatoire ou
anticonfraternel, qu’il n’est pas un savoir
qui ne s’enrichisse d’une critique radica-
le, et que la mesure de l’engagement au
sein de ce savoir ne se fait pas non plus
par l’adhésion aux idées en cours.
Références
1. Guérin R. Le pus dans la plaie. Paris : Le
Tout sur le Tout, 1982.
2. Bessis F. Présidente de l’association
“Psychisme et Cancer”.
Retrouvez la troisième
partie de notre volet
dans les Actualités
en Neurologie de mai !
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ors-
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eux
Hors-Jeux
LISTE DES ANNONCEURS
ASTRA ZENACA (Zomig), P. 38 – BIOGEN (BIOSET), P. 61 –
GLAXO WELLCOME (NARAMIG), P. 41 – NOVARTIS PHARMA (TRILEPTAL), P. 68 –
SANOFI-SYNTHÉLABO (DÉPAKINE), P. 67.
Imprimé en France - Differdange S.A. -
95110 Sannois - Dépôt légal
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