Aladin Farré Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne UFR 09 (Histoire)

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Aladin Farré
Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
UFR 09 (Histoire)
Master 2 d‟histoire des relations internationales
Institut Pierre Renouvin - Centre d'Histoire de l'Asie contemporaine
Les conseillers militaires
étrangers en Chine (1923-1942)
0
Remerciements
Quand on est un jeune étudiant-chercheur, l‟écriture d‟un mémoire peut s‟avérer semée
de doutes et d‟embûches. Ainsi, la présente étude que je vous propose de lire n‟aurait pu
aboutir sans le concours des personnes ci-après que je remercie vivement :
M. Hugues Tertrais et M. Pierre Singaravélou qui, par leurs conseils et leur suivi m‟ont
permis de mieux aborder les différentes problématiques et les questions de méthodologie
pour l‟écriture de ce travail de recherche ;
Ma famille et le programme ERASMUS qui, grâce à leur soutien matériel, m‟ont donné
la possibilité d‟étudier à Berlin ;
Les archivistes et bibliothécaires des lieux suivants : les archives diplomatiques du Quai
d‟Orsay, les Archives nationales des États-Unis (National Archives and Records
Administration), les « archives politiques » du ministère des Affaires étrangères allemand
(Politischen Archivs), les Archives fédérales allemandes du département cinématographique
(Bundesarchives – Abteilung Filmarchive), les bibliothèques de la Freie Universität, le
Collège de France, la BDIC de Nanterre (Bibliothèque de Documentation Internationale
Contemporaine), la BULAC (Bibliothèque universitaire des langues et civilisations), les
bibliothèques de l‟Université Paris 1 et tout particulièrement la Staatsbibliothek zu Berlin
située à Potsdamer Straße ;
Julie Bre, Alessandra Cocchi, Marion Coste, Bénédicte Golob, Louise Molière, Marion
Petitdemange, Valérie Pouteau, Anita Sarreau, Edgard Strigler, Marie-Claud Strigler,
Mathilde Villechevrolle et Guillaume Waret pour leur relecture ;
Clément Viktorovitch pour m‟avoir donné accès à une bibliothèque universitaire
pratiquant la rétention des ouvrages auprès des étudiants de la Sorbonne ;
Alexander Chen, « David » Kwok Wai Ho et « Gary » Lam Yu Hin pour les traductions ;
Louis de Coppet et Alessandro Tirapani pour leur soutien moral ;
Et surtout l‟équipe de la société Paradox Interactive sans laquelle l‟idée de ce mémoire
n‟aurait certainement pas germé. Comme quoi les activités vidéoludiques peu vent
parfois se révéler plus productives qu‟on le croit.
1
Préface
À la fin du XVIIIe siècle, la Chine était qualifiée d‟« homme malade de l‟Asie ». La
manière dont le pays, incapable de se défendre, était la victime des puissances occidentales et
du Japon eut pour conséquence d‟infliger à l‟« empire du Milieu » moult humiliations pendant
de nombreuses années – comme les concessions internationales et le payement de lourdes
dettes. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir la fin de ces
agissements qui avaient transformé la Chine en un État semi-colonisé. À l‟aube du XXIe
siècle, la République populaire de Chine est maintenant considérée comme un pays très
puissant dans tous les domaines : sa flotte commence à rivaliser avec celle des USA dans
l‟océan Pacifique, son économie dépasse en 2010 celle du Japon qui depuis 1968 était la
deuxième puissance mondiale. Dorénavant, quand des dirigeants rencontrent le dalaï-lama, ils
sont considérés comme courageux car l‟on sait que Pékin fait pression sans relâche pour
empêcher ces entrevues, voire réagit abruptement contre celles-ci.
Mais est-ce que l‟histoire chinoise a toujours été linéaire entre le début des guerres de
l‟opium et les Jeux olympiques de 2008 tenus à Pékin ? En grand passionné d‟histoire de la
Chine, j‟ai voulu démontrer dans ce mémoire qu‟à une certaine période du XXe siècle, entre
la fin du régime de Yuan Shikai et la Deuxième Guerre mondiale un parti politique a réussi à
réunifier la Chine. Ce gouvernement de Tchang Kaï-chek commença à remettre la Chine sur
le chemin de la puissance militaire et économique, en grande partie grâce à la présence de
conseillers étrangers et plus particulièrement allemands. Il atteignit en partie son objectif mais
suite à la Seconde Guerre sino-japonaise et la guerre civile chinoise, tous ses efforts furent
vains. Cependant, cette période précise de l‟histoire chinoise est à mon sens particulièrement
intéressante car elle prouve que la Chine aurait pu devenir bien plus tôt le géant qu‟elle est
aujourd‟hui. Par ailleurs, savoir comment et surtout par quel moyen une classe politique est
capable de réunifier un pays peut être considéré comme très actuelle à l‟heure de la
construction européenne.
Paris, le 7 juin 2013
2
« En Chine les politiciens n'ont aucune influence s'ils ne s'appuient point sur une force armée. Les
seconds, pour s'imposer doivent faire appel à la politique. »
Rapport de renseignements du Deuxième Bureau de l‟armée française,
Juillet 1931
3
Plan du mémoire
Introduction……………………………………………………………...page 7
Chapitre 1 : Le rôle des conseillers militaires soviétiques dans la conquête
du pays (1923-1927)...…………………………………………………page 13
Vers le front unis Kuomintang-PCC………………..……………………………….page 13
Le premier front unis……………………………………………….………………..page 18
L‟expédition du nord………………………………………………………………...page 33
Chapitre 2 : La décennie de Nankin (1928-1937)…………………...page 48
La mission militaire allemande sous le commandement de Max Bauer et Hermann
Kriebel (1928-1930) ……………………………………………...…………….......page 48
La mission militaire sous le commandement de Georg Wetzell (1930-1934)…….page 61
La mission militaire sous le commandement de Hans von Seeckt (1934-1935) et
Alexander von Falkenhausen (1935-1938)…………………………………………page 68
Les problèmes de la mission militaire allemande……………………………..……page 76
La construction d‟une armée de l‟air chinoise (1932-1937)……………………….page 80
Chapitre 3 : Résister à la menace japonaise………………...………..page 86
Situation de la Chine de 1929 à 1937 …………………………………………..….page 87
Les conseillers allemands pendant la guerre (1937-1938)……………..........….....page 97
La guerre des conseillers russes et américains (1937-1942)………………..........page 114
4
Conclusion……………………………………………………...…….page 122
Annexe 1 : Les autres missions militaires en Chine (1925-1939)….page 130
Annexe 2 : Étude de cas sur l‟apport industriel et idéologique de la mission
militaire allemande de 1930 à 1937………………………………….page 144
Crédits photos et vidéos………………………………………………page 158
Bibliographie …………………………………………………………page 160
5
Introduction
Au début des années 1840 le puissant empire plurimillénaire qu‟était la Chine
commença à montrer des difficultés pour s‟imposer face à la puissance militaire des
nations occidentales. Tout commença avec l‟empereur Daoguang (1782 -1850) qui
voulait empêcher les marchands anglais de vendre de l‟opium en Chine, mais l‟Empire
britannique dépêcha une flotte de guerre pour forcer les Chinois à accepter la vente de
cette marchandise. Suite à cette première guerre de l‟opium, le traité de Nankin (1842)
entérina cette situation et très vite de nombreuses nations commencèrent à imiter les
Anglais afin de se partager les ressources de la Chine au vu de l‟incapacité des Chinois à
se défendre. Alors que cet empire était puissant et presque entièrement fermé aux
étrangers pendant des siècles il devint rapidement, à partir des années 1860, une semi colonie suite aux nombreux « traités inégaux » qui durent être signés entre l‟Empereur et
les représentants des autres puissances.
En plus des vexations des puissances étrangères, le gouvernement de Pékin dut
faire face à des menaces aussi bien internes que régionales. Tout d‟abord le
gouvernement fut grandement affaibli par des révoltes populaires qui durèrent des
années comme le mouvement Taiping dans la région de Nankin (1851-1864) ou la
révolte Nian (1851-1868) dans la partie nord de l‟empire. Les dirigeants de ces
mouvements de rébellion tinrent tête au gouvernement de Pékin pendant plus d‟une
décennie et faillirent même remplacer aux yeux des occidentaux la légitimité du pouvoir
du régime impérial 1. Ensuite le Japon qui était autrefois considéré avec mépris par
l‟empire du Milieu avait commencé son industrialisation et battu les armées chinoises
sur terre et sur mer lors de la première guerre sino-japonaise en 1895. Signant un
nouveau traité humiliant la Chine donna à l‟empire du Soleil Levant le contrôle de la
Corée, de Taïwan et dut payer de lourdes réparations.
À l‟orée du XX e siècle de nombreux pays avaient ainsi des concessions en terre
chinoise. Ils pouvaient y faire ce qu‟ils souhaitaient. Un véritable pillage des ressources
fut organisé alors qu‟une corruption généralisée commença à s‟installer parmi la société
chinoise. Des villes comme Hong-Kong, Tsientsin ou Port-Arthur appartinrent à des
nations étrangères tandis que des pays vassaux de la Chine comme la Corée ou le
Vietnam devinrent la possession coloniale d‟autres États.
1
Caleb Carr, Le diable blanc, collection Pocket, Paris, France, 2002
6
Le gouvernement chinois était simplement incapable de s‟opposer aux vues
expansionnistes des autres nations et ce malgré ses tentatives de riposter avec son
imposante armée. Une ultime tentative de se venger de 50 ans d‟humiliations ne fit
qu‟accentuer le délabrement politique, militaire et financier du pays. En 1899 débuta la
Révolte des Boxers (1899-1901) qui avait pour cible les missionnaires étrangers, les
convertis au christianisme et les étrangers. Une série de sabotages et d‟as sassinats
commencèrent à avoir lieu en Chine et le gouvernement de l‟impératrice douairière Cixi
(1835-1908) tenta de profiter de cette vague de mécontentement. Pour cela elle plaça des
membres de l‟armée à la tête de milices Boxers 2 et fit assiéger le Quartier des légations
de Pékin où se trouvaient les diplomates étrangers. Mais en quelques semaines une
armée internationale composée de troupes de huit pays se mit en place pour briser le
siège des légations et mettre en déroute les troupes hostiles aux Occ identaux. Les
puissances étrangères punirent ainsi le gouvernement pour cette tentative de soustraction
aux traités inégaux en faisant signer un protocole politiquement bien plus humiliant que
les précédents et financièrement très couteux. Une tentative pacifique de sauver le
régime eut lieu aussi à travers la figure du politicien Kang Youwei (1858-1927) avec la
Réforme des Cent Jours en 1898. Mais les conservateurs de la cour impériale eurent
raison de ce réformiste. C‟est un régime sclérosé qui fut emporté par la fièvre
révolutionnaire au début de l‟année 1912. De là s'ensuivirent des luttes intestines pour
gagner le « mandat du Ciel ». Et ce ne fut qu‟en 1928 que l‟on vit de nouveau flotter le
même drapeau sur l‟ensemble du pays.
Cette réunification politique se fit sous l‟égide de la faction politique du
Kuomintang. Elle apparut à l‟époque comme un exploit car pour la première fois
depuis 1916 le pays possédait de nouveau un véritable gouvernement central. Le Parti
était à ce moment-là dirigé par le futur maréchal Tchang Kaï-chek et c‟était une victoire
posthume pour son fondateur, le docteur Sun Yat-Sen, considéré depuis, des deux côtés
du détroit de Taïwan, comme le père fondateur de la Chine moderne. Cette réunification
était le résultat d‟un long combat politique qu‟il avait mené depuis plus de 30 ans et que
ses héritiers politiques terminaient en son nom.
Sun Yat-Sen qui provenait d‟une famille pauvre mais dont le frère était devenu
un riche négociant dans l‟archipel de Hawaï démarra sa carrière comme médecin en
2
John K. Fairbank, Kwang Ching-liu (dir), The Cambridge History of China, Late Ch'ing, 1800–1911, Volume
11, Cambridge University Press, 1980, p. 122
7
1893 à Hong-Kong. Frustré de voir son pays s‟enfoncer dans le conservatisme le plus
extrême, il souhaitait la fin de la cour impériale mandchoue qui ne lui semblait plus en
mesure de gouverner correctement le pays. C‟est pourquoi il organisa avec des
camarades un coup d‟État après le traité de Shimonoseki qui entérinait la victoire du
Japon sur la Chine de la première guerre sino-japonaise. Le plan d‟action consistait, au
cours du printemps 1895, à prendre le contrôle de la ville voisine, Canton, depuis la
colonie britannique pour s‟en servir comme base afin de renverser l‟impératrice
douairière Cixi et fonder une république. Mais le complot fut éventé par les partisans de
Pékin. Suite à leurs pressions politiques les Anglais expulsèrent Sun Y at-Sen de HongKong. Celui-ci partit pour un exil qui dura 16 ans à travers l‟Europe, le Canada, le Japon
et les États-Unis.
En 1905 il fonda une alliance révolutionnaire du nom de Tongmenghui
(littéralement « société de loyauté unie ») sur les bases de la précédente association dite
du Xingzhonghui (traduit « société pour le redressement de la Chine ») qui regroupait
en 1895 les partisans du complot de Canton. Cette association politique, tout comme la
précédente, avait pour objectif de rendre le pouvoir au peuple en fondant une république
après l‟éviction de la famille impériale et pratiquer une politique de redistribution des
terres. Il tenta de restructurer de nouveaux mouvements de rébellion depuis la ville de
Huizhou en 1900 et à la frontière sino-vietnamienne en 1907. Mais ces tentatives
n‟arrivèrent pas à s‟établir durablement et échouèrent très rapidement sans inquiéter
outre mesure le pouvoir mandchou 3 à la différence des grandes révoltes qui avaient eu
lieu dans les années 1860.
Sun Yat-Sen aurait pu rester ainsi toute sa vie en exil si une occasion unique ne
s‟était pas présentée à l‟automne 1911, alors qu‟il voyageait aux États-Unis pour trouver
des fonds pour le Tongmenghui. Au cours du mois de mai de la même année le ministre
Sheng Xuanhuai (1849-1916) avait décrété que les chemins de fer chinois privés
devaient être nationalisés afin de pouvoir aider au remboursement des indemnités du
« Protocole de paix Boxer »4. De nombreuses protestations éclatèrent dans le pays contre
cette décision autoritaire, ce qui inquiéta le gouvernement central. Puis en octobre
plusieurs groupes révolutionnaires aidés de militants du Tongmenghui préparèrent une
3
Gao James Zheng, Historical dictionary of modern China (1800–1949), Scarecrow press, Toronto, Canada,
2009
4
Jonathan Spence, The Search for Modern China, W.W. Norton & Company, 1990, p. 250-256
8
insurrection dans la ville de Wuhan et en prirent le contrôle dans la journée du 10
octobre, après avoir défait les troupes de l‟Empire. De cette rébellion naquirent des
révoltes à travers toute la Chine. Après plusieurs semaines d‟incertitudes politiques une
réunion entre les régions du sud prorévolutionnaires et le gouvernement de Pékin fut
organisée. L‟institution d‟une république fut établie à partir du 1 er janvier 1912 avec à sa
tête Sun Yat-Sen comme président, juste quelques semaines après son retour en terre
chinoise. Il se voyait ainsi récompensé pour sa longue action politique menée lors de son
exil. Cependant le pays avait dorénavant deux dirigeants car le jeune empereur Puyi
(1906-1967) résidait encore à Pékin avec toujours le titre d‟empereur.
Si Sun Yat-Sen était le dirigeant de la faction des révolutionnaires, l‟homme fort
des Mandchous était le général Yuan Shikai (1859-1916). Celui-ci depuis le 30 octobre
1911 était le nouveau Premier ministre et l‟ancien commandant de l‟armée du Beiyang.
Ce corps de l‟armée chinoise possédait un armement moderne créé par le gouvernement
central suite à la défaite de l‟Empire face au Japon. Disposant ainsi d‟une puissance de
feu supérieure aux révolutionnaires du sud du pays et protégeant la Cité interdite il
arriva à prendre dès la mi-février la place de Président de la République tout en faisant
abdiquer l‟Empereur. Jouant sur les deux tableaux, il avait promis aux révolutionnaires
de faire capituler l‟Empereur en échange que Sun Yat-Sen se démette de son poste de
président tout en menaçant parallèlement l‟Empereur de ne pas assurer sa sécurité s‟il
refusait d‟abandonner le trône. La cour impériale ainsi que les révolutionnaires
acceptèrent les demandes de Yuan Shikai et trois jours après l‟abdication de l‟empereur
Puyi, le 12 février 1912, il devint le nouveau président du pays.
Sans force militaire face à l‟armée du Beiyang que contrôlait Yuan Shikai, Sun
Yat-Sen prit la décision de regrouper le Tongmenghui avec d‟autres mouvances
révolutionnaires au sein d‟un nouveau parti, le Kuomintang (littéralement le « Parti
nationaliste chinois ») pendant l‟été 1912. Ainsi assuré d‟une grande force politique ce
nouveau parti remporta lors des élections nationales de février 1913, 269 sièges sur 596
à la Chambre basse et 123 sur 274 au Sénat. Un résultat fort encourageant pour ce
nouveau parti qui était en concurrence contre 300 autres formations politiques.
Mais de la rivalité latente entre le nouveau président et Sun Yat -Sen résulta le
début d‟une seconde révolution à l‟été 1913. Suite à l‟assassinat en gare de Shanghai de
Song Jiaoren (1882-1913), un proche de Sun Yat-Sen, cette nouvelle révolution se
9
prépara à Canton. Incapables de résister aux armées de Pékin les hommes du
Kuomintang furent écrasés par les forces de Yuan Shikai qui devint ainsi l‟unique
homme fort du pays. Profitant de cette occasion il réinstaura la monarchie en son nom
en devenant empereur pendant quatre mois jusqu‟à sa mort en 1916.
Sa disparition entraîna la Chine dans la période dite des « Seigneurs de la
guerre » qui allait durer jusqu‟en 1928. Comme tout le système de gouvernement
reposait sur la forte personnalité de Yuan Shikai ses héritiers politiques furent
totalement inopérants pour sauver l‟unification du pays. On vit ainsi dans tout le pays
des gouverneurs de régions ainsi que certains généraux s‟établirent des principautés
pendant que le gouvernement central à Pékin n‟arrivait pas à faire respecter son autorité.
Bien que dépositaires de la légitimité du pouvoir central, les différents gouvernements
basés à Pékin étaient au mieux impuissants face aux seigneurs de guerre, au pire des
marionnettes dans les mains de ceux-ci. En effet comme ils gardèrent le contrôle des
soldats ainsi que la perception des taxes il était illusoire de pouvoir s‟opposer à
l‟ensemble de ces roitelets. Le pays était donc découpé entre de multiples factions qui
tentaient de s‟étendre au profit de leurs voisins via l‟utilisation de troupes armées et de
complots.
Cette anarchie politique engendra le banditisme, la famine et des conflits
incessants. Du fait des guerres permanentes, les soldats qui étaient au nombre de
500 000 en 1911 passèrent à 1,8 million au début de 1920 5 puis à 2 millions en 1927.
Quant au plan financier les gouvernements chinois qui voulaient, faute de fonds,
emprunter de l‟argent aux banques étrangères devaient rembourser avec des taux
d‟intérêts d‟usurier de 23% car les banques avaient peur de ne pouvoir être
remboursées 6. Il arrivait certes que certaines factions, parvenaient à s‟imposer face aux
autres seigneurs de guerre en prenant le contrôle de Pékin. Mais ces moments trop brefs
étaient insuffisants pour apporter une quelconque stabilité au pays.
Des solutions d‟envergure internationale furent mises en place contre cette guerre
permanente en Chine. C‟est ainsi qu‟en 1919, les grandes puissances (Etats-Unis, Japon,
France, Royaume-Uni, Russie, Brésil) décidèrent d‟interdire le commerce d‟armes 7.
5
Service Historique de la Défense, série 7N, archives des conseillers militaires à l‟étranger (1919-1940), carton
numéro 3297, note du 25 juin 1930
6
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 25 juin 1920
7
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 29 avril 1929
10
Mais cela n‟empêcha en rien la guerre continuelle entre les seigneurs de guerre car
d‟autres pays non-signataires du traité vendaient du matériel de guerre, ou alors les
signataires de l‟accord contournaient les clauses. C‟est ainsi que des avions civils, c‟est
à dire vendus sans armes, qui pouvaient être rapidement transformés en avion de combat
étaient régulièrement livrés aux seigneurs de guerre 8.
Cette période de désordre incessant s‟arrêta quand le parti du Kuomintang réussit
en 1928 à imposer son autorité sur l‟ensemble du pays. Plus de quinze années après sa
défaite le parti politique de Sun Yat-Sen passa du statut de faction partisane à celui de
gouvernement légitime de la République de Chine et déplaça la capitale à Nankin. Ce
gouvernement sera dès lors reconnu par les autres États comme l‟unique représentant de
la Chine9.
Mais pour arriver à un tel résultat Sun Yat-Sen et ses camarades comprirent qu‟il
n‟était pas envisageable de remporter une telle lutte uniquement avec les moyens
qu‟offrait leur pays. De nombreux chefs de factions tentèrent pendant ces années
d‟obtenir le « mandat du Ciel ». Mais il était tout bonnement impossible de triompher
des autres factions car les alliances politiques ne duraient jamais et les armées étaient
plus constituées de « coolie » déguisés en soldat que de vrais professionnels de la
guerre. C‟est pourquoi les hommes du Kuomintang durent solliciter le concours de
personnes se trouvant hors du pays pour combattre les seigneurs de guerre qui se
déchiraient de façon continue. Sans aide extérieure, nul doute que le Kuomintang aurait
rejoint la cohorte des partis et factions de cette période qui, n‟arrivant pas à se faire
reconnaître, disparurent du jeu politique.
Pour suivre la trajectoire politique et militaire du Kuomintang et de ses dirigeant s
nous nous pencherons dans cette étude sur l‟utilisation des conseillers militaires qui y
furent employés entre 1923 et 1942. Ces bornes chronologiques correspondant à
l‟arrivée des conseillers russes et à l‟arrivée des américains dans le conflit. Nous
pensons que cette stratégie de faire appel aux conseillers soviétiques, allemands, italiens
et américains contribua en grande partie au Kuomintang à s‟imposer dans le jeu politico militaire de la Chine de l‟entre-deux-guerres afin de devenir le représentant légitime du
pays face à d‟autres factions. Ensuite nous verrons que pour s‟accrocher au pouvoir
8
Guangqiu Xu, War wings, The United States and Chinese military aviation (1929-1949), Greenwood press,
Westport, USA, 2001
9
SHD, série 7N, carton numéro 3311, note du 25 juillet 1928
11
Tchang Kaï-chek continuera d‟avoir recours à des conseillers afin de posséder la
meilleure armée de Chine face à ses vassaux. De plus l‟apport de ces conseiller s permit
au Kuomintang de s‟équiper en matériel de guerre et de former les officiers de l‟armée à
des méthodes de guerre moderne. Nous examinerons comment ces avantages tactiques
non-négligeables seront jalousés, critiqués et combattus aussi bien par les a utres factions
chinoises que par l‟Empire du Japon au début du deuxième conflit sino -japonais.
Cependant nous exclurons de cette analyse les conseillers japonais présents en
Mandchourie du fait que cet État était un pays fantoche de l‟empire Nippon. Quant aux
aventuriers et mercenaires, anciens généraux de l‟Empire russe et pilotes de chasse
américains, ils étaient trop peu nombreux dans une période extrêmement resserrée dans
le temps pour avoir une quelconque influence sur le cours des évènements. Ne sero nt
pas mentionnés non plus les quelques conseillers civils venus aider le gouvernement de
Nankin dans le domaine de la politique ou des finances publiques.
Il y sera question en premier lieu des premiers échecs du Kuomintang dans sa
lutte pour le contrôle du pays puis de la fructueuse alliance politique effectuée avec la
« Troisième Internationale » et le Parti communiste chinois au début des années 1920.
Puis nous nous pencherons sur l‟arrivée des conseillers allemands au moment où le
Kuomintang basé à Nankin devenait le gouvernement légitime de la Chine. Enfin, nous
aborderons la question des missions appelées dans les années 1930 aussi bien par le
Kuomintang que par ses concurrents. Deux annexes nous paraissant importantes
complèteront cette étude afin de montrer la place de la mission allemande dans l‟histoire
industrielle de la Chine et sur l‟emploi des conseillers dans d‟autres factions chinoises
(Mandchourie, Parti communiste chinois, régime de Canton) qui comprirent que recourir
à des conseillers militaires pouvait être un mouvement stratégique de grand intérêt.
Chapitre 1 : Le rôle des conseillers militaires
soviétiques dans la conquête du pays (1923-1927)
12
1) Vers le front unis Kuomintang-PCC
A la mort de Yuan Shikai en juin 1916 la Chine rentra, pour plus d‟une décennie,
dans une période trouble où de nombreux seigneurs de guerre se taillèrent des
principautés dans tout le pays pendant que le gouvernement central perdait toute son
autorité. Sun Yat-sen, qui avait dû s‟exiler en 1913 après l‟échec de la seconde
révolution chinoise, avait par divers moyens tenté de renverser Yuan Shikai. A la mort
de ce dernier il put retourner en Chine pour essayer de nouveau d‟instaurer un modèle
républicain dans une Chine déchiré par la guerre civile.
Le Kuomintang de 1916 à 1922
Le chef du Kuomintang retourna en Chine dès l‟année 1917 et réesseya, tout
comme en 1896, de créer un gouvernement révolutionnaire. Cette fois-ci cependant Sun
Yat-sen souhaitait fonder un régime républicain qui d‟une part réunirait la Chin e et
ensuite réduirait au silence les seigneurs de guerre. Mais rapidement, sans avoir la
moindre puissance militaire, il dut partir en exile à Shanghai sans pouvoir réaliser quoi
que ce soit. C‟est pendant ce nouvel exil qu‟il décida de réformer le Kuomin tang le 10
octobre 1919, date hautement symbolique puisqu‟elle marque le huitème anniversaire de
la révolution chinoise. Après avoir réorganisé le parti, Sun Yat-sen repartit avec ses
fidèles à Canton à la fin de l‟année 1920 grâce au soutien d‟un seigneur de guerre local,
Chen Jiongming (1878-1933). Ce dernier, avec l‟aide des militants du Kuomintang,
avaient repris la ville, occupée par une clique 10 militaire depuis 1918, sous le mot
d‟ordre « Canton aux Cantonnais ».
A peine arrivé dans la ville, Sun Yat-sen appela au retour des anciens
parlementaires de l‟assemblé de 1912 à venir à Canton. En avril 1921 lors d‟une séance
extraordinaire avec 200 de ces parlementaires, un vote fut organisé et Sun Yat -sen fut
élu président par intérim de la Chine. Sur le plan économique les fidèles du chef du parti
travaillèrent beaucoup pour améliorer l‟état des finances, de l‟éducation et de
l‟urbanisme de la ville. Sun Yat-sen voulait dès possible lancer une expédition militaire
sur le nord du pays afin de renverser le gouvernement de Pékin ainsi que les seigneurs
de guerre. Mais le protecteur du Kuomintang, Chen Jiongming, ne l‟entendait pas ainsi.
10
L‟utilisation de ce mot n‟est en rien péjoratif. Il reprend un expression fort usitée à cette période où les
seigneurs de guerre représentaient des « cliques », c‟est à dire des groupes d‟intérêt militaire et politique. Le
Kuomintang fut lui même dénommé dans les sources « clique du Kuomintang ».
13
Il s‟était allié avec Sun Yat-sen afin de profiter de son aura politique pour s‟emparer de
la région de Canton, et depuis qu‟il en avait la jouissance, il ne comptait absolument
plus suivre le Kuomintang dans une aventure militaire où il risquait fort de perdre sa
position. Avoir le contrôle de la région du Guangdong avec Sun Yat -sen comme caution
politique lui suffisait amplement 11.
Malgré tout, avec ses alliés militaristes, Sun Yat-sen parvint à organiser une
première expédition pendant l‟été 1921 dont l‟objectif était la prise de la région de
Guangxi. Quelques victoires récompensèrent les armées sudistes, avec par exemple la
prise de la ville de Nanning le 1 er août, mais rapidement faute de matériel, de munitions
et surtout à cause du manque criant de motivation de Chen Jiongming l‟opération fut un
véritable échec12. La situation politique se détériora entre Chen Jiongming, partisan d‟un
fédéralisme favorable aux seigneurs de guerre, et Sun Yat-sen qui souhaitait réunifier
toute la Chine avec la création d‟un puissant gouvernement central. Au cours du
printemps 1922 Chen Jiongming ordonna à ses soldats d‟attaquer la résidence du chef du
Kuomintang qui dut, pour la troisième fois de sa vie, s‟enfuir de Canton sous peine d‟y
perdre la vie et se réfugia à Shanghai. Se retrouvant une nouvelle fois en exil, sans
aucun soutien, ni armée, Sun Yat-Sen devait reléguer au rang des chimères son projet
politique de réunir la Chine. Cependant il reçut quelques mois plus tard l‟aide du
Kominterm et des communistes chinois pour réunifier la Chine sous la bannière du
Kuomintang.
La création du Parti Communiste Chinois (1920-1922)
Au moment où Sun Yat-sen tentait de créer un nouveau gouvernement
républicain et de réunifier le pays, un nouveau courant politique apparut pendant l‟été
1921 en Chine. Dans la concession française de Shangai fut fondé le Parti Commu niste
Chinois qui devint en moins de 30 ans le parti régnant sur le pays. Mais à cette époque
les forces du PCC étaient insignifiantes au regard de la taille de la Chine : elles ne
comptaient lors du premier congrès de 1921 que 13 délégués qui représentaie nt 53
membres. La naissance du PCC fut en grande partie la responsabilité des soviétiques
russes qui voulaient étendre la révolution à travers l‟organisme dédié à ça, le
Kominterm. Après les échecs des spartakistes à Berlin en janvier 1919 et du régime
communiste de la République des conseils de Hongrie la même année, le rêve d‟une
11
12
Chesneaux Jean, Sun Yat-Sen, Le club français du livre, Collection Portraits de l‟Histoire, Paris, France, 1959
Journal, The Peking Chronicles, 27 novembre 1938, Pékin, Chine
14
insurrection mondiale semblait avoir disparu. Surtout, avec l‟instauration d‟états
tampons sur la frontière occidentale de l‟Union Soviétique, l‟Armée rouge n‟était plus
en mesure d‟aider militairement toute forme de rébellion.
Isolée diplomatiquement, l‟Union Soviétique commença à chercher de nouveaux
moyens d‟étendre la révolution à travers le monde. Des agents du Komintern furent alors
envoyés en Chine afin d‟analyser la situation du pays pour essayer de le faire basculer dans le
camp soviétique. Mais en ce début des années 1920, comme le raconta l‟agent hollandais
Henk Sneevliet (1883-1942) qui utilisait le nom d‟emprunt Maring, personne ne savait ce
qu‟il se passait véritablement en Chine et les agents qui y furent envoyés partirent sans aucune
instruction. Selon les propres mots de Maring « Il n‟y avait pas d‟instructions parce que seul
le bureau de renseignement d‟Irkusk (qui travaillait exclusivement avec la République de
Chita) avait des informations sur ce qu‟il se passait en Chine »13. Les dirigeants du Kremlin
ne savaient donc même pas s‟il existait en Chine un parti communiste. Les seules
informations qui parvenaient à Moscou provenaient de l‟éphémère République d'ExtrêmeOrient, or les analystes de cette république communiste pensaient qu‟il fallait s‟appuyer sur le
seigneur de guerre Wu Peifu (1874-1939), alors que celui-ci était déjà proche de l‟empire
britannique. Et selon ces mêmes analystes, Sun Yat-sen n‟était pas un chef politique sérieux
car il n‟était selon eux qu‟un « doux rêveur »14.
Maring partit pour Shanghai en avril 1921 où il s‟entretint avec plusieurs agents russes
qui travaillaient dans la ville afin d‟établir un réseau de renseignements pour le Kominterm. Il
y rencontra le premier agent qui avait été envoyé le Komintern : Grégoire Voitinsky qui était
arrivé une année avant Maring et avait rencontré plusieurs Chinois sympathisant de l‟Union
Soviétique. Ces personnes formaient un petite groupe d‟intellectuels et d‟universitaires qui
depuis 1920 se définissait comme marxiste, mais il n‟avait jamais formellement crée un parti
communiste. Sous l‟impulsion de Maring, ce fut chose faite le 31 juillet 1921. Le congrès, qui
se tenait dans la concession française, fut soudainement interrompus par l‟arrivée de la police
Française qui soupçonnait une réunion politique dans la maison. Le congrès dut se terminer au
milieu d‟un lac dans les environs de Shanghai.
Le rapprochement du PCC et du Kuomintang
13
Harold R. Isaacs and Albert Treint, Documents on the Comintern and the Chinese Revolution, The China
Quarterly, No. 45, janvier-mars 1971, p. 102
14
Ibid., p.103
15
Après la création du PCC Maring fit comprendre que, malgré le soutien financier
de Moscou, il était illusoire de vouloir prétendre à un rôle politique d‟envergure avec le
peu d‟adhérents présent dans le parti. Entre le premier congrès de juillet 1921 et le
deuxième, qui avait eu lieu en juillet 1922, l‟augmentation du nombre d‟adhérent était
passé de seulement 53 à 123 membres. Il pensait qu‟il fallait mener une politique de
front uni avec le Kuomintang car les deux partis possédaient de nombreux points
communs dans leur programme comme la fin des seigneurs de guerres, la réinstauration
de la république et l‟abolition immédiate des traités inégaux. De par son expérience à
Java, où il avait travaillé comme agent de 1913 à 1918, il pensait qu‟une alliance entre
partis « bourgeois » et communiste avait toute les chances d‟être profitable à la
Révolution. C‟est pourquoi en décembre 1921 il partit rencontrer Sun Yat-sen à Canton.
Le chef du Kuomintang, fin stratège, accepta l‟idée de s‟allier avec les communistes
chinois si cela lui permettait de recevoir l‟aide des soviétiques 15. Mais la proposition
n‟alla pas plus loin car d‟une part le chef de Canton qui venait de lancer la première
expédition vers le nord récoltait quelques succès tandis que les militants du PCC firent
comprendre à Maring qu‟ils ne voulaient en aucun cas s‟allier avec un parti politique
qu‟ils considéraient comme conservateur. Ils pouvaient faire appel à des arguments
d‟autorités car Sun Yat-sen avait été accusé par Lénine lui même d‟être un
réactionnaire16, alors que celui-ci lui avait envoyé un message de soutien après la
victoire des communistes en Russie. Lors du deuxième congrès du PCC, qui se tint à une
année d‟intervalle du premier, les participants acceptèrent quelques concession à l‟égard
du Kuomintang mais la proposition de Maring d‟établir « front uni » avec Sun Yat-sen
fut refusée. Comme celui-ci avait dû retourner à Moscou d‟avril à août 1922 il ne put
influencer les participants.
Quand il revint en Chine pour sa deuxième mission, il voyagea avec l ‟un des
diplomates de l‟Union Soviétique, Adolph Joffe (1883-1927). Cet homme rencontra Sun
Yat-sen en janvier 1923 et ils discutèrent de l‟aide que l‟URSS pouvait apporter au
Kuomintang dans sa lutte pour la réunification de la Chine. Le 26 janvier 19 23, ils
rédigèrent une déclaration commune d‟amitié qui fut rendue publique. Dans ce
manifeste, qui n‟avait qu‟une portée symbolique, les deux signataires déclarèrent leurs
sentiments d‟amitié. Mais aucune ligne ne fit mention d‟une aide matérielle et il était
15
Jérémie Tamiatto, Un missionnaire de la révolution en Chine, L'action de Maring au sein du mouvement
communiste chinois, 1921-1923, IRICE | Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, 2008/1 - N° 27 p. 159-174
16
Dan N. Jacobs, Borodin, Stalin‘s Man in china, Harvard University Press, Cambridge, Etats-Unis, 1981
16
clairement stipulé que « les conditions pour l‟établissement du communisme ou des
soviets [n‟existent pas en Chine] ».
Or une semaine avant la rencontre de Sun Yat-sen et d‟Adolph Joffe, Chen
Jiongming avait été expulsé de Canton par des militants du Kuomintang. Profitant de la
situation, Sun Yat-sen s‟embarqua pour Canton quelques jours après sa rencontre avec
Joffe pour reprendre les rênes du gouvernement de Canton. Mais rapidement Sun Yat sen fit face à des problèmes de trésorerie. Pour arriver à payer la solde des soldats qui
protégeaient la ville, il dut accepter que l‟opium, pourtant interdit, soit remis en vente
afin de pouvoir taxer ce produit et de remplir les caisses du gouvernement 17. Puis, en
mai 1923, les soldats de Chen Jiongming tentèrent de reprendre Canton et ce ne fut qu‟à
grande peine que Sun Yat-sen garda le contrôle de la ville. Des négociations entre les
Anglais, qui possédaient la ville voisine d‟Honk Kong, ainsi qu‟avec la guilde des
marchands s‟établirent pendant cette période concernant une aide militaire et financière
du Kuomintang. Mais le prix du soutien qu‟ils pouvaient apporter au Kuomintang était
trop couteux pour que Sun Yat-sen acceptasse de s‟allier avec eux 18.
A cause de cette situation déséspérée, il dut repenser plus sérieusement à l‟offre
que lui avait fait Maring en décembre 1921. Malgré l‟opposition de l‟aile droite du
Kuomintang à cette alliance deux éléments le poussèrent à demander l‟aide de l‟URSS.
Le premier était qu‟en juin 1923, le Parti Communiste Chinois tint son troisième
congrès dans la ville de Canton. Maring n‟avait pas abandonné l‟idée d‟une alliance
entre le PCC et le Kuomintang. Il expliqua à ses camarades chinois que ce « front uni »
avait pour but d‟infiltrer le parti nationaliste afin de le noyauter po ur ensuite s‟emparer
du pouvoir en Chine. Sachant que la Russie pourvoyait à 95% des ressources financières
du parti, Chen Duxiu avec ses camarades acceptèrent finalement de se plier aux
injonctions de Maring lors du congrès ; la politique de « front uni » préconisée par
Maring y fut officiellement adoptée. Le deuxième élément fut que la Russie avait
apporté son aide au gouvernement mexicain en mars de la même année en lui donnant
deux millions de dollars mexicain, un montant très intéressant quand un respo nsable
17
F. Gilbert Chan, An Alternative to Kuomintang-Communist Collaboration: Sun Yat-Sen and Hong Kong,
January-June 1923, Cambridge University Press Stable, Modern Asian Studies, Volume 13, Numéro 1, 1979, p.
135
18
Ibid., p.134
17
politique en Chine souhaitait survivre face aux autres factions 19. Quelques mois plus
tard, les premiers conseillers russes et du matériel de guerre arrivaient dans le port de
Canton, et ce pour plusieurs années.
Maring quant à lui fut rappelé à Moscou et remplacé par un autre agent, Mikhaïl
Borodine (1884-1951), qui eut tout comme lui la responsabilité de veiller au PCC.
Maring fut profondément humilié par la décision de ses supérieurs, il s‟en confia même
au futur dissident Peng Shuzhi (1895-1983) 20, mais tel était les ordres du partis et il ne
pouvait pas désobéir. Maring poursuivit sa carrière d‟agents du Kominterm avant d‟être
fusillé par les Allemands en 1942 pendant l‟occupation de la Hollande. Il laissait certes
derrière lui un petit parti d‟à peine 500 adhérents, mais il avait réussi par lui-même à
allier le PCC avec la formation politique républicaine la plus importante de l‟époque.
Comme les communistes étaient trop faibles pour s‟emparer du pays, il valait mieux
s‟allier avec le Kuomintang pour essayer de le contrôler par la suite. De part cette
alliance Sun Yat-sen fit même un voyage à Moscou au cours de l‟année 1923 où il put
rencontrer de nombreuses personnalités soviétiques.
2) Le premier front unis
Le profil des conseillers russes
Au-delà des armes, de l‟argent et du soutien du PCC, l‟Union Soviétique apporta
une aide précieuse avec les conseillers qu‟elle envoya à Canton. Au début peu
nombreux, leur nombre augmenta rapidement afin de soutenir le Kuomintang sur la
plupart des domaines touchant la question militaire. Ces conseillers étaient tous de très
bon militaires qui, tous, étaient passés par la prestigieuse académie militaire de Frunze à
Moscou, ou avaient fait de la prison sous le régime tzariste ou subi un exil de plusieurs
années. Ils avaient aussi pour la plupart combattus dans les rangs de l‟armée rouge
pendant la guerre civile et avaient été mainte fois décorés 21. Ils donnèrent des cours aux
cadets de l‟armée du Kuomintang sur des sujets militaires très variés (infanterie,
19
F. Gilbert Chan, An Alternative to Kuomintang-Communist Collaboration: Sun Yat-Sen and Hong Kong,
January-June 1923, Cambridge University Press Stable, Modern Asian Studies, Volume 13, Numéro 1, 1979, p.
138
20
Peng Shuzhi, L‘envol du communisme en Chine, tome 1, éditions Gallimard, France 1983
21
Vera Vladimirovna Vishnyakova, Two years in revolutionnary China 1925-1927, Harvard East Asian
Monographs, Etats-Unis, 1971
18
artillerie, aviation, etc...) ou alors s‟occupaient de la question de la propagande auprès
des masses chinoises. La plupart des conseillers vinrent même à Canton avec leurs
familles, les épouses quant à elles, loin de se cantonner à des rôles de femmes au f oyer
donnaient des cours de russes 22.
Le nombre de conseillers russes présents en Chine restera assez modeste au vu de
l‟influence qu‟elle aura, il pourrait s‟expliquer par le fait que Moscou refusa de
reconnaître, et ce jusque dans les années 70, que l‟URSS voulait exporter la révolution
en Chine. Même si les conseillers furent repérés assez rapidement il n‟était pas
concevable d‟envoyer des milliers de conseillers voir des bataillons de l‟armée rouge au
risque de provoquer les puissances occidentales qui avaient pendant quatre ans tenté de
détruire le régime bolchévique. Ainsi d‟octobre 1923, où arrivèrent les premiers
conseillers, à juillet 1927, ce seront en tout un millier de conseillers qui effectueront le
déplacement en Chine. Ils ne furent cependant jamais plus de 140 en même temps :
Octobre 1927..............5 conseillers
Juin 1924.....................25 conseillers
Janvier 26....................47 conseillers
Mai 26.........................58 conseillers
Janvier 1927............140 conseillers
Parmi tous ces conseillers deux figures importantes sont à retenir, l‟un sera le spécialiste
politique et le porte-parole de la mission tandis que l‟autre travaillera plus sur les
questions militaires.
Le premier s‟appelait Mikhaïl Borodine, né dans une famille juive de
la région de Vitebsk en Biélorussie, il adhéra au Parti ouvrier social démocrate de Russie en 1903. Arrêté en 1906 par la police tsariste il ressortit
de prison au bout de quelques mois et partit vivre à l‟étranger pendant dix ans
aux États-Unis. Après la révolution de 1917 il retourna en Russie pour aider
Lénine. Il fut envoyé comme agent du Kominterm dans plusieurs pays
Mikhaïl Borodine
dont les États-Unis. Ayant été repéré par les forces du contre-espionnage américain il
dut retourner en Russie pour se mettre à l‟abri. A son retour on décida de l‟envoyer, en
22
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit.
19
secret, en Chine comme chef de la mission soviétique. Il arriva à Canton en novembre
1923 et se mit immédiatement au travail pour aider les Chinois à mieux s‟organiser.
Le deuxième, dénommé Vassili Blücher (1889-1938), et surnommé « général
Galen », était lui aussi issu d'un milieu modeste. Fils de paysans, il exerca de multiples
petits métiers, comme ouvrier puis sous-officier. Durant la Grande Guerre il devint
officier et fut mobilisé dans l'armée du front sud-ouest et adhéra au parti bolchévique en
1916 puis prit part à la révolution d‟octobre. Par ses
nombreuses réussites militaires il fut le premier soldat à
recevoir l‟Ordre du Drapeau rouge en septembre 1918 puis
en 1919 on lui confia une division à l‟âge de 30 ans, ce qui
équivalait à le nommer général. Après la guerre il fut
employé comme conseiller militaire par l‟éphémère
République d'Extrême-Orient. Puis en 1924 il reçut l‟ordre
d‟aller à Canton pour assister Tchang Kaï-chek à l‟état-major
et donner des cours aux cadets de l‟académie de Whampoa.
Vassili Blücher
L‘apport des conseillers russes dans le premier congrès du Kuomintang
Mais avant d‟aider le Kuomintang à posséder une armée, les premiers conseillers
militaires arrivés à la fin de 1923 sous le commandement de Borodine s‟attaquèrent à la
réformation politique du parti de Sun Yat-sen. Pendant plusieurs mois ils aidèrent à
l‟organisation d‟un congrès du Kuomintang pour janvier 1924. Comme Sun Yat -sen et
Borodine avaient tous les deux vécu aux États-Unis pendant plusieurs années ils
pouvaient converser en anglais sans interprète. De par son expérience de la guerre civile
et de son appartenance au parti communiste de l‟Union Soviétique, Borodine possédait
une aura et un grand savoir-faire dans la construction d‟un mouvement politique. Il
expliqua à Sun Yat-sen que son « parti [devait] être l‟organe central de contrôle du
pouvoir politique »23, en renforçant l‟autorité du Kuomintang et le dotant de statuts
adéquats. Ce parti pouvait ainsi se transformer, tout comme en Russie l ors de la guerre
civile, en une arme capable de triompher des seigneurs de guerre.
23
Dan N. Jacobs, op. cit.
20
Après plusieurs mois d‟efforts, ou il fallut aussi convaincre les communistes du
PCC de suivre les instructions de Moscou, le Kuomintang tint un congrès au début de
1924. Devant l‟ensemble des représentants fut entériné officiellement, au désespoir de
l‟aile droite du parti appelée « le groupe des collines de l‟ouest », l‟accord de
participation du PCC au sein du Kuomintang. Trois dirigeants communistes furent même
admis au sein du « comité central exécutif » qui était l‟organe de décision du parti. Le
parti était tellement désorganisé comme le raconta Borodine dans un rapport qu‟on ne
savait même pas combien de membres en faisait parti 24. Des règles furent éditées et la
structure du Kuomintang complètement réorganisée afin de la placer sous le contrôle de
petits comités. Borodine réussit même à arracher à Sun Yat-sen une réforme concernant
une légère répartition des terres et à inclure dans le manifeste du congrès la critique des
grandes puissances « impérialistes », couplée à la reconnaissance d‟une demande d‟aide
à l‟Union Soviétique. Sun Yat-sen tergiversa pendant des semaines, mais céda après un
certain temps face aux arguments de son conseiller en chef, qu‟il surnommait
« Lafayette » car il croyait fermement que cet homme allait porter le Kuomintang au
pouvoir25. Par ce congrès Borodine démontrait aussi au Kremlin sa capacité à instaurer
une bonne entente entre les deux partis politique et à conduire l‟orientation politique du
Kuomintang.
L‘aide militaire des conseillers soviétiques
Quand les premiers conseillers arrivèrent à Canton la situation militaire du
Kuomintang n‟était pas très bonne. Grâce à ses alliées Sun Yat-sen avait repris la ville à
Chen Jiongming en janvier 1923, mais ceux-ci étaient tout comme lui des seigneurs de
guerre. Le Kuomintang possédait sur le papier 40 000 soldats sous ses ordres, mais seul
les 200 gardes du corps de Sun Yat-sen répondaient à son commandement. L‟ensemble
des autres armées n‟obéissaient qu‟à leurs chefs militaires et rien ne garantissait leurs
obédiences. Il fallait pour assurer la survie du parti le doter lui aussi d‟un corps
militaire, c‟était d‟ailleurs l‟une des raisons pour lesquelles Sun Yat-sen avait dû fuir
Canton en 1917 et 1922, ne possédant aucun régiment il ne put se défendre contre les
attaques des seigneurs de guerre. Puis quand il était au pouvoir il devait composer avec
24
Louis Fischer, Les soviets dans les affaires mondiales, collection « les Documents Bleues In-octavo »,
Gallimard, Paris, France, 1933
25
Dan N. Jacobs, op. cit.
21
tellement de groupes différents qu‟il ne pouvait rien ordonner sans de longues
négociations.
Mais l‟arrivée des conseillers soviétiques, auréolés du prestige des victoires de la
guerre civile russe, allait changer la donne. Dès son arrivée à Canton, Borodine put
démontrer le savoir-faire guerrier des hommes de l‟Armée Rouge. Les troupes de Chen
Jiongming qui tentaient à ce moment de reprendre Canton étaient sur le point de
triompher des soldats du Kuomintang. Attaqué de toute part, voyant son armée entière
déserter, Sun Yat-sen se préparait à partir en exil une nouvelle fois. Mais Borodine le
persuada qu‟il allait arrêter les régiments ennemis. Aidé de Liao Zhongkai (1877 -1925),
qui faisait parti de l‟aile gauche du Kuomintang, il recruta des volontaires dans la
population en leur promettant une répartition des terres une fois le Kuomintang arrivé au
pouvoir26. Instillé d‟un esprit révolutionnaire, les armées des volontaires menées par
Borodine repoussèrent les forces adversaires avec une telle puissance que Chen
Jiongming ne retenta plus jamais de reconquérir Canton. Cette victoire fit une telle
impression que bien des années plus tard, quand les Japonais lors de la Seconde Guerre
Sino-Japonaise prirent la ville, une blague courait que cette fois-ci « Borodine n‟avait
pas pu sauver Canton », il n‟en reste pas moins que ce trait d‟humour démontre l‟exploit
militaire qui fut réalisé en 1923 27.
Après le premier congrès du Kuomintang et la victoire sur les ennemis du
Kuomintang, les conseillers militaires Russes travaillèrent sur la création d‟une
académie militaire où une instruction politique et militaire serait instaurée aux cadets. A
son ouverture l‟école recevait 400 élèves, mais au bout de quelques mois ce furent plus
de 2 500 cadets qui y reçurent une instruction militaire 28. Le modèle d‟enseignement,
qui différait des autres institutions en Chine reprenait celui des « écoles de
commandement rouge » crées par Léon Trotski en février 1918. A une formation
militaire était couplé une formation politique. Même si cette académie formaient des
aspirants-officiers ils devaient être à la sortie de leur formation être tous regroupés dans
des régiments afin de ne pas être dilués dans les armées alliées qui auraient enlevé
l‟atmosphère dans lequelle ils baignaient.
26
Dan N. Jacobs, op. cit.
SHD, série 7N, carton numéro 3308, article de presse 22 novembre 1938
28
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit.
27
22
Cette académie accueillie de nombreuses personnalités qui allaient jouer dans les
années suivantes un rôle de premier plan dans la politique chinoise. Déjà au niveau de la
direction de l‟école Tchang Kaï-chek, futur dirigeant du pays, en était le directeur et
Zhou Enlai (1898-1976), grand responsable du PCC à partir des années 1930, le
responsable du département politique. Des hommes comme Lin Biao (1907-1971), Ye
Jianying (1897-1986) qui furent par la suite généraux de L'Armée populaire de
libération ou Chen Cheng (1897-1965) qui devint premier ministre à Taïwan firent leurs
classes dans cette académie 29. Située dans une petite île facilement défendable à 15
kilomètres de Canton, les étudiants y apprirent à manier les armes et se virent enseigner
des cours de théorie politique afin d‟être endoctrinés dans la logique du « front uni ». Un
enseignement de la politique était jugé primordial car comme le raconta le conseiller
soviétique Alexandre Cerepanov (1895-1984) dans ses mémoires, le degré d‟engagement
politique des soldats à cette époque était proche de zéro :
« Officiers et soldats ignoraient également pourquoi ils se battaient. Leurs patrons –
les généraux yunannais- les payaient, les nourrissaient, les habillaient, et eux allaient là
où on les menait, sans chercher à savoir vers quoi ni pourquoi » 30
Il était donc nécessaire pour le Kuomintang d‟avoir des soldats qui croyaient en un idéal
politique afin de triompher des armées ennemies à la manière de l‟Armée rouge.
Sans l‟aide des Soviétiques l‟académie, dite de Whampoa, n‟aurait pas pu
fonctionner31. Quand Sun Yat-sen demanda à ses alliés militaires de Canton de lui
donner des armes pour les élèves, qui étaient plusieurs milliers, seul 300 fusils
parvinrent à l‟école. L‟Union Soviétique au contraire se montra fort généreuse en
envoyant rapidement une cargaison maritime contenant 8 000 fusils, soit un chiffre bien
supérieur à celui des élèves 32. De même que pour la question des fonds, l‟armée du
Kuomintang reçut 186 000 dollars du gouvernement de Canton tandis que l‟URSS put
envoyer une enveloppe de 2.6 millions de dollars33. Ce qui était une véritable aubaine sachant
que l‟entretien des troupes Cantonaises revenait à 26 000 dollars par jour34. En recevant cette
29
Thierry Sanjuan, L‘armée populaire de libération : miroir des trajectoires modernes de la Chine, La
Découverte, Hérodote numéro 116, 2005, P. 164 à 174
30
Jean-Marie Bouissou, Seigneurs de guerre et officiers rouges. La révolution chinoise, 1924-1927, collection «
l‟histoire à l‟épreuve », Tours, France, 1974
31
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 18 février 1928
32
Raymond L. Garthoff, Sino-soviet military relations, publié par Frederick A. Praeger, USA, 1966
33
Bergère Marie-Claire, Sun Yat-Sen, Fayard, France, 1994
34
Dan N. Jacobs, op. cit., p. 120
23
argent Sun Yat-sen n‟était plus obliger de pressuriser fiscalement les Cantonnais comme il
l‟avait fait par le passé, ce qui lui permettait de diriger Canton sans craindre une révolte
populaire. L‟académie de Whampoa devint assez reconnue à travers le monde communiste et
reçut la visite publique de plusieurs personnalités comme celle du communiste, et futur
collaborationniste, Jacques Doriot (1898-1945)35.
Au niveau de l‟organisation de l‟armée déjà existante, les conseillers essayèrent de
brider les autres seigneurs de guerre alliés de Sun Yat-sen qui possédaient des troupes au sein
du Kuomintang. Ils instaurèrent une série de réforme assez simple mais très efficace36 :
- il était interdit de communiquer lors des guerres dans la presse les phases de mouvements
des troupes du Kuomintang (sic).
- aucun officier supérieur ne pouvait condamner à mort certains de ses soldats sans un
jugement préalable.
- chaque armée sous l‟égide du Kuomintang devait être approuvée par la « commission
militaire » du parti, présidée par TKC, un titre qu‟il gardera d‟ailleurs même jusqu‟à la
seconde guerre sino-japonaise car c‟était la véritable position suprême en Chine. Cette
commission militaire était le véritable bras armée du Kuomintang et ce fut grâce à elle que le
parti put imposer progressivement son autorité auprès de ses alliés 37. D‟ailleurs pour les
besoins de la propagande le nom de l‟armée de Sun Yat-sen, qui était « l‟armée du
Kwantung », changea afin de devenir celui, bien plus prestigieux, de « l‟Armée Nationale
Révolutionnaire » à partir de 192538.
Quant au matériel militaire les conseillers russes furent effarés de voir à quel point les
soldats chinois étaient pauvrement équipés et ce avec du matériel de mauvaise qualité. A leurs
arrivées, les armées de Canton ne possédaient que quatre canons, six avions, quatre navires de
haute mer, qui étaient utilisés pour le trafic d‟opium, et vingt-deux bateaux de rivières dont les
blindages ne résistaient pas aux balles de fusils modernes 39. Par la suite de nombreux navires
russes déchargèrent dans le port de Canton un grand nombre d‟armes.
35
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 12 mars 1927
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, Documents on communism, nationalism, and soviet advisers in China
1918-1927, papers seized in the 1927 Peking raid, Compte-rendu de la commission militaire (juillet 1925),
Columbia university press, New York, États-Unis, 1956
37
Ibid., p. x
38
Ibid., p. x
39
Jean-Marie Bouissou, op. cit.
36
24
La montée en puissance du « front unis »
En plus de l‟apport financier et militaire les conseillers russes apportèrent l‟arme
la plus efficace qu‟ils utilisèrent pendant la guerre civile russe : la propagande à l‟égard
des masses. Dès son arrivée en Chine en 1921 Maring avait critiqué le PCC en disant
que ce parti n‟avait que « des liens assez tenus avec la classe ouvrière »40, il avait même
forcé le Politburo à ouvrir le parti aux femmes et à la paysannerie41. Le Kuomintang n‟était lui
aussi qu‟un parti réservé à une élite et ne menait aucune opération de propagande envers la
paysannerie ou les coolies du port de Canton. Les spécialistes russes se mirent au travail pour
instiller un esprit révolutionnaire dans la population civile et la préparer à la réunification du
pays sous l‟égide du Kuomintang. Par exemple, le 1er mai 1924 fut fêté avec beaucoup de
faste et le point d‟orgue de cette journée fut un discours de Sun Yat-sen prononcé devant une
foule de 170 000 personnes42. Lors de ces meetings du Kuomintang l‟influence du marxisme
était si forte que d‟immenses portraits sinisés de Marx et Lénine étaient placés sur les
estrades, par ailleurs les conseillers russes étaient toujours invités à parler lors des meetings43.
Exemple d’un dessin de propagande réalisé
par le département politique de la première
armée du Kuomintang en 1926 inspiré par
les soviétiques.
Il est inscrit sur le bâton « pouvoir des
masses », et les deux personnages bastonnés
représentent les figures de « l’impérialisme »
et des « seigneurs de guerres »
40
Harold R. Isaacs and Albert Treint, op. cit., p.103
Chevrier Yves, La résistible ascension de Mao, Revue d‟histoire Vingtième Siècle, n°13, janvier-mars 1987,
p. 3-22
42
Dan N. Jacobs, op. cit.
43
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit.
41
25
L‟influence de cette propagande et des efforts prodigués par les conseillers pour
aggrandir le nombre des adhérents dans les deux partis du « front uni » se firent ressentir.
Pour le Kuomintang par exemple, le nombre d‟adhérents doubla entre 1924 et 192544 tandis
que le PCC enregistra une hausse spectaculaire. Après avoir stagné autour de 100 militants
entre 1920 et 1923, le nombre d‟adhérents fut multiplié par mille en quatre ans 45. Cependant
le Kuomintang resta toujours le plus grand parti chinois de cette époque car à la veille de la
rupture du « front uni » en avril 1927 il possédait dix fois plus de membres que le PCC 46. Audelà d‟avoir de véritables armées de sympathisants à leur cause, les deux partis purent utiliser
l‟arme de la grève pour faire pression sur les Grandes Puissances quand il le fallait. A partir
de la fin de 1924 une « campagne pour la restauration des syndicats » fut mise en place afin
de faire adhérer le prolétariat pour le politiser et démontrer aux pays possédant des
concessions que la Chine se réveillait après 80 années d‟humiliation. Les seigneurs de guerre,
mis à part Feng Yuxiang, étaient eux aussi visés par cette manœuvre car ce type de
politisation des travailleurs pouvait grandement saper leur contrôle sur les régions qu‟ils
contrôlaient. Le résultat de cette campagne fut sans appel, des 22 000 syndicalistes recensés
en 1922 ils furent 540 000 en 1925 puis 2.8 millions en 192747.
La puissance des syndicats se démontra en 1925, suite à la mort à Shanghai d‟un
ouvrier chinois gréviste par un contremaitre japonais une manifestation fut organisée. Mais le
cortège fut la cible de tirs de soldats anglais tuant dix personnes, suite à ce nouvel affront
commença le « mouvement du 30 mai ». Pendant plusieurs mois dans tout le pays les villes
bourdonnèrent de comité de soutien aux entreprises qui se mettaient successivement en grève
afin d‟asphyxier les entreprises étrangères. Et suite à une nouvelle fusillade sur les abords de
la concession étrangère de Canton, entre policier occidentaux et manifestants, les syndicats
aidés du « front uni » lancèrent une grève illimitée à Honk Kong pour punir les Anglais.
100 000 travailleurs, soit 1/7 de la population, quittèrent la ville et furent en grève pendant 16
mois, soit l‟une des plus longues grèves de l‟histoire48. La force de propagande du « front
uni » était telle que les grévistes de Honk Kong reçurent de l‟argent de toute la Chine
pour pouvoir tenir la grève tandis que la chambre de commerce de Canton en janvier
1926 termina une de ses déclarations publiques par la phrase « vive la révolution
44
Dan N. Jacobs, op. cit.
Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, édition Payot, Paris, France, 1968
46
Jung Chang et Jon Halliday, Mao: The unknown story, Jonathan Cape, Londres, 2005
47
Jacques Guillermaz, op. cit.
48
Louis Fischer, op. cit.
45
26
mondiale »49. Cependant malgré cette fièvre révolutionnaire ni Sun Yat-sen ni ses
héritiers politiques ne tiendront la promesse faîtes lors du premier congrès d e 1924 de
commencer une collectivisation des terres.
Les premiers combats de l‘ANR et mort de Sun Yat-sen
En septembre 1924 commença une guerre entre les deux plus puissants seigneurs de
guerre du moment, Wu Peifu qui contrôlait la côte du pays et Zhang Zuolin qui tenait la
Mandchourie. Sun Yat-sen voulant profiter de l‟occasion de prendre à revers les soldats de
Wu Peifu, et ayant de bonne relation avec Zhang Zuolin, décida de commencer plus tôt que
prévus l‟expédition du Nord. Les conseillers russes étaient particulièrement furieux car à
cause de cette décision Sun Yat-sen mettait en péril tout le travail qu‟ils avaient fourni,
l‟armée n‟était tout simplement pas prête à partir en campagne à ce moment là50. Mais Sun
Yat-sen n‟en avait cure et ordonna que l‟armée marcha vers Pékin. Mais dès le 10 octobre les
milices marchandes de Canton, qui comptaient pas moins de 12 000 personnes, attaquèrent le
gouvernemnt de Sun Yat-sen51. Les marchands de Canton souhaitaient mettre à bas ce
gouvernement qu‟ils trouvaient trop révolutionnaire et ils espéraient pour certains d‟entre eux
faire revenir en ville Chen Jiaogming pour expulser les communistes. Après plusieurs jours de
combats, où les conseillers russes jouèrent un rôle important, les milices marchandes furent
écrasées. Mais à cause de cette bataille les Cantonnais plus occupés à se battre entre eux
plutôt que de marcher contre Wu Peifu. Cette mini-guerre civile lui avait offert un peu de
répit. Puis le 1er novembre 1925 le seigneur de guerre Feng Yuxiang, un général venait de se
rebeller de l‟armée de Wu Peifu, proposa avec le soutien de Zhang Zuolin d‟organiser une
conférence de paix pour réunifier pacifiquement le pays. Le chef du Kuomintang accepta avec
joie l‟invitation. La conférence cependant n‟amena pas les résultats escomptés.
Au même moment à Canton les différents généraux commencèrent à s‟entredéchirer
faute du charismatique Sun Yat-sen pour les accommoder les uns avec les autres. Après un
mois d‟une campagne militaire en décembre 1924 contre Wu Peifu qui s‟était révélée vaine
l‟armée du Kuomintang retourna sur Canton. Puis sur la proposition du général Blücher une
nouvelle expédition, plus modeste, fut préparée en février 1925 contre Chen Jiongming qui
attendait toujours de pouvoir reprendre sa revanche sur le Kuomintang. Après seulement 6
semaines de bataille la ville de Chatow, qui était la base principale de ce seigneur de guerre,
49
Ibid.,
Dan N. Jacobs, op. cit.
51
Jean-Marie Bouissou, op. cit.
50
27
fût prise. L‟ensemble de la région du Guangdong était à ce moment sous le contrôle du
Kuomintang et de ses alliés. Les raisons de ce succès furent sans nul doute l‟influence des
conseillers soviétiques, qui durent des fois batailler pour imposer leurs vues tactiques 52, et le
professionnalisme du régime de cadet de l‟académie de Whampoua. Cette « Expédition de
l‟Est » ne permit pas de détruire entièrement les armées ennemies mais grâce à elle l‟Armée
Nationale Révolutionnaire contrôlait un plus grand territoire, elle mit aussi la main sur un
grand nombre de caisses contenant des milliers de fusils ainsi que des canons.
Mais le 12 mars 1925 Sun Yat-sen décéda à Pékin après plusieurs mois de maladie, sa
mort allait semer la discorde entre ses héritiers politiques qui voulaient tous prendre la place
du vieux chef. Pas moins de six jours après sa mort, un premier conflit éclata quand le
yunnanais Tang Jiyao (1883-1927) proclama être le seul chef possible du Kuomintang,
prenant de court le général en chef de l‟armée Hu Hanmin (1879-1936). Mais comme le
raconta un expert militaire travaillant en Chine, les « troupes cantonnaises conduites par les
officiers bolchéviques et les cadets chinois de l'école militaire rouge de Whampoa »53
triomphèrent des anciens alliés du Yunnan. Sur le plan militaire, le Kuomintang historique des
proches de Sun Yat-sen aidé des conseillers soviétiques, resta la faction gouvernante du parti.
Puis une nouvelle lutte s‟engagea entre les anciens lieutenants de Sun Yat-sen pour savoir qui
devait être le chef du parti. Entre l‟aile gauche conduite par Liao Zhongkai, qui avait aidé
Borodine à sauver Canton en 1923, et l‟aile droite la lutte commença. Liao Zhongkai fut
assassiné le 20 août 1925 à Canton au moment où il sortait de sa voiture. Les chefs de l‟aile
droite, Hu Hanmin et Xu Zhongzhi, furent accusés d‟avoir commandité l‟attentat et ils
partirent en exil. Ce vide de leadership laissa au jeune général Tchang Kaï-chek la possibilité
de prendre plus de responsabilité au sein du Kuomintang et de devenir le chef de file du centre
et de l‟aile droite du Kuomintang54. Sun Yat-sen était décédé et le Kuomintang au début de
l‟automne 1925 ne contrôlait toujours qu‟une région mais à ce moment le parti souffrait
moins des dissensions. Les conseillers russes et leurs alliés purent se remettre au travail pour
préparer l‟unification de la Chine.
52
Jean-Marie Bouissou, op. cit., p. 216
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 28 juillet 1925
54
Pierre Broué, Histoire de l‘internationale communiste (1919-1943), Fayard, Paris, France, 1997, p.431
53
28
Le double jeu politique de l‘URSS
Mais alors que l‟URSS soutenait officieusement le gouvernement de Canton, et plus
tard l‟armée de Feng Yuxiang, à prendre le pouvoir en Chine, le gouvernement soviétique et
le Kominterm menaient un double jeu. D‟une part avec le gouvernement de Pékin et ensuite
avec le Kuomintang. Pour le premier Moscou parlementait depuis le début des années 1920
afin d‟être reconnu comme le gouvernement officiel de la Russie et pour renégocier les traités
tzaristes. Avec le second, la politique qu‟avait préconisé Maring en juin 1923 était toujours de
vigueur, le « front uni » permettait au PCC de multiplier ses adhérents afin de pouvoir plus
tard être suffisamment puissant pour purger les éléments non-communistes du gouvernement.
C‟était l‟utilisation avant l‟heure de la « tactique du salami » qui fut utilisée par les
communistes pour prendre le contrôle des pays d‟Europe l‟Est après la Deuxième Guerre
mondiale. Les soviétiques souhaitaient aussi aider d‟autres clans politiques chinois autres que
celui du Kuomintang. Ils pensèrent se rapprocher de Wu Peifu mais celui-ci se révéla être un
seigneur de guerre conservateur qui n‟hésita pas à réprimer violemment un mouvement de
grévistes en février 192355. A partir de 1925 ils aidèrent le dissident Feng Yuxiang, qui avait
une politique bien plus ouverte à la gauche. Mais il se montra bien plus méfiant que le
Kuomintang et refusa au contraire de ses alliés sudistes de laisser autant de pouvoirs aux
conseillers militaires qui vinrent l‟aider56.
Pendant que des cliques politiques recevaient de l‟aide russe par la biais du
Komintern, le gouvernement soviétique lui négociait avec le gouvernement de Pékin le
droit d‟une reconaissance chinoise de leur gouvernement et la possiilité d‟avoir une
ambassade soviétique. Les négociations débutèrent sur plusieurs sujets quand plusieurs
diplomates comme Lev Karakhan (1889-1937) arrivèrent à Pékin pour négocier avec le
gouvernement chinois. Ils souhaitaient discuter de plusieurs sujets :
- la reconnaissance de l‟URSS par la Chine, le sort de la Mongolie occupé par l‟Armée
rouge depuis 1921,
- le futur du Chemin de fer de l‟Est chinois qui avait été construit sous Nicolas II,
- le devenir des traités inégaux entre les deux pays.
Les communistes proclamaient depuis 1919 leurs amitiés au peuple chinois et leur
volonté de combattre l‟impérialisme. Mais Karakhan et ses compatriotes se montrèrent
au contraire impitoyables pendant les négociations avec les Chinois. Si les traités
55
56
F. Gilbert Chan, op. cit., p. 128
Voir page 140 de la présente étude sur ce sujet
29
inégaux furent abolis la république de Chine en paya le prix fort : les Russes réussirent à
transformer la Mongolie en territoire satellite de l‟URSS, le Chemin de fer de l‟Est
chinois resta sous contrôle soviétique et la reconaissance de l‟URSS permettait aux
Russes d‟avoir une ambassade dans le quartier des légations qui servait de couverture à
ses agents et membres du PCC 57.
Cette maîtrise de la « realpolitik » s‟appliqua aussi vis à vis du Kuomintang. Lors
du 5 e congrès du Kominterm en 1924 les participants validèrent une motion stipulant
que tout parti membre d‟un pays colonisé pouvait dorénavent s‟allier avec des partis
nationalistes ou bourgeois. Vu le peu de succès qu‟avait obtenu cette organisation à
déclancher une révolution dans d‟autres pays les communistes réfléchirent pour trouver
de nouveaux moyens d‟actions pour s‟emparer du pouvoir dans d‟autres pays. Cette
motion validait ainsi l‟alliance du PCC et du Kuomintang. Ce dernier sera même
membre observateur du Komintern à partir de 1926 58. Staline déclara à la commission
chinoise du Kominterm, le 30 novembre 1926, que « l‟avance des troupes de Canton est
un coup porté à l‟impérialisme et à ses agents en Chine ». Il renchérit en stipulant que le
Kuomintang était de par ses statuts un parti « anti-impérialiste », en conséquent il ne
fallait rien craindre de Tchang Kaï-chek et de ses camarades car il n‟était pas
l‟équivalent de Mencheviks 59.
Mais ces belles paroles et cet appui inconditonnel au « front uni » cachaient la
manœuvre du Kremlin qui voulait tout simplement noyeauter le parti de Sun Yat -sen
afin de rendre le PCC plus puissant. Borodine déclara en petit comité : « Il ne faut pas
oublier que le travail [consacré à la stabilisation du Kuomintang] vise en fait à la stabilisation
du Parti Communiste Chinois »60. Quand à Staline il dit, au printemps 1927, que le but final
de l‟alliance des deux partis était de « presser [le Kuomintang] comme un citron [une fois la
Chine conquit] puis de jeter les restes ». Il fallait cependant ne pas attirer trop rapidemet
l‟attention des puissances occidentales et du Japon qui avaient encore en souvenir les
différentes révolutions avortées des années 1918-1921 en Europe. Même Leon Trotski,
pourtant le théoricien de la Révolution permanante, pensait tout comme Staline qu‟il fallait
faire attention aux réactions anglaises et japonaises des succès du « front uni » pour éviter de
57
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, op. cit.
Matthex Worley (direction), In search of revolution, International communist Parties in the third world,
édition I.B. Tauris, Londres, Royaume-Unis, 2004, article de John Callaghan, Storm over Asia : Comintern
colonial policy in the third period
59
Pierre Broué, La question chinoise dans l‘internationale communiste, Paris, 1965, p. 13
60
Bergère Marie-Claire, op. cit.,
58
30
compromettre les chances de la réunification61. Cette double politique diplomatique du
mensonge et de la traitrise porta jusqu‟à certains points ses fruits. Le gouvernement de Pékin
perdit son statut de gouvernement de la Chine suite aux efforts du Kuomintang de réunifier la
Chine sous sa bannière, et lors du deuxième congrès du Kuomintang, en janvier 1926, la
moitié des postes au sein des comités décisionnaires étaient détenus soit par des communistes,
soit par des membres de l‟aile gauche du Kuomintang62. Mais ce plan bien huilé allait être
remis en question lorsque le centre et l‟aile droite de ce parti, sous la direction de Tchang Kaïchek, qui commençait à devenir bien plus méfiant à l‟encontre des communistes et des
conseillers russes.
L‘incident du 20 mars 1926
Alors que les préparatifs pour l‟expédition du Nord battaient leur plein un incident
politique se produisit au mois de mars 1926 entre nationalistes et communistes. Le 20 de ce
mois, Tchang Kaï-chek, qui tâchait de se montrer ouvert aux communistes 63, fit soudainement
mettre aux arrêts le capitaine d‟une canonnière membre du PCC qui croisait au large de
Canton sous le prétexte qu‟il voulait attenter à sa vie. Il arrêta par la même occasion plusieurs
cadres communistes Chinois et consigna par la force des armes les conseillers russes avec
leurs familles dans leurs baraquements64. Finalement l‟ensemble des communistes Chinois,
comme Russes, purent au bout de quelques heures être libres de leurs mouvements mais tous
comprirent que s‟ils n‟avaient pas été exécutés c‟est parce que l‟alliance avec Moscou était
trop importante pour le Kuomintang pour être brisée. Encore aujourd‟hui il est difficile de
savoir si l‟action du général était guidée par la volonté de se protéger ou si c‟était une
manœuvre politique pour affaiblir l‟influence montante des communistes.
Chen Duxiu qui était alors à ce moment secrétaire général du PCC, fit part au chef du
Komintern Nikolaï Boukharine (1888-1938) de son inquiétude concernant une possible
détérioration des relations entre les deux partis. Selon lui il était préférable de prévenir une
prochaine crise de ce type en instaurant plus de distance entre les deux organisations. Mais il
fut tancé vertement par le russe qui lui rappela que la collaboration devait malgré tout
61
Matthex Worley (direction), In search of revolution, International communist Parties in the third world,
édition I.B. Tauris, Londres, Royaume-Unis, 2004, article de John Callaghan, Storm over Asia : Comintern
colonial policy in the third period
62
James Sheridan, China in désintégration, the republican era in Chinese history (1912-1949), the free press,
New York, Etats-Unis, 1975
63
So Wai Chor, The Kuomintang left in the national revolution (1924-1931), Oxford University Press, Hong
Kong, 1991
64
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit.
31
continuer65. Le PCC dut adopter une résolution qui confirmait bien l‟alliance avec le
Kuomintang. Quand à Staline il redit quelques mois tard qu‟il serait « pure folie » de cesser
l‟alliance entre le Kuomintang et le PCC66. Borodine quant à lui comprit qu‟il devait se méfier
tout particulièrement de ce général ambitieux, mais il ne laissa rien transparaître car il devait
s‟assurer le succès de l‟expédition du Nord et il avait besoin Tchang Kaï-chek pour mener les
troupes. Le général chinois profita notoirement de cet incident pour s‟imposer encore plus au
sein du parti contre son rival de l‟aile gauche Wang Jingwei. Un mois plus tard, le 25 avril
1926, il s‟attaqua aussi à l‟aile droite du parti pour démontrer aux communistes qu‟il n‟était
pas l‟homme d‟une seule faction67.
Suite à l‟incident du 20 mars, Tchang Kaï-chek demanda aux Russes de ne pas lui
tenir en rigueur l‟excès de pouvoir qu‟il leur avait fait subir et de continuer la collaboration
comme auparavant68. Il n‟en resta pas moins que lui et Borodine négocièrent un nouvel
arrangement du « front uni ». Après plusieurs jours de discussions les deux parties tombèrent,
en mai 1926, sur un accord largement favorable à Tchang Kaï-chek et à ses partisans69 :
- Aucune personne ne pouvait posséder deux adhésions sous peine d‟expulsion, des gens
comme Mao Zedong qui était membre du PCC et du Kuomintang durent choisir un seul
camp70,
- Les Russes se portaient garants des actions des communistes chinois,
- La grève qui étouffait les marchands de Honk Kong depuis un an devait cesser,
- Le PCC ne pouvait d‟ordre sans l‟accord d‟une commission mixte,
- Le PCC ne pouvait porter assistance aux membres du Kuomintang qui allaient être
bientôt purgés par Tchang Kaï-chek,
- Pas plus d‟un tiers des membres d‟un conseil décisionnaire pouvait être du PCC,
- Aucun poste clé ne pouvait être détenu par un communiste,
- La liste complète des membres du PCC devait être remise au Kuomintang.
C‟était un prix très lourd à payer pour sauvegarder l‟alliance du « front uni » mais le
Kremlin souhaitait continuer dans cette voie et ce à n‟importe quel prix. C‟est pourquoi
l‟ambassadeur Karakhan ordonna de Pékin à Borodine qu‟il fallait réfréner toute attaque
65
Benjamin Isadore Schwartz, Chinese communism and the rise of Mao, Harvard University Press, deuxième
édition, États-Unis, 1968
66
Jacques Guillermaz, op. cit.
67
Dan N. Jacobs, op. cit.
68
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, op. cit.
69
Pierre Broué, op. cit., p. 432
70
Zhisui Li, La vie privée de Mao racontée par son médecin, Plon, Paris, France, 2006
32
contre Tchang Kaï-chek avant Pékin 71. Et celui-ci obéit aux ordres avec beaucoup de
diligeance, après les négociations menées avec Tchang Kaï-chek un navire russe rempli
d‟armements arriva à Canton. Les communistes souhaitèrent pouvoir se servir dans la
cargaison afin de pouvoir se protéger si un nouvel accident se produisait. Mais Borodine
refusa de laisser les adhérents du PCC prendre les armes du navire car il ne voulait pas
contrarier Tchang Kaï-chek72. L‟organisation de la prochaine campagne militaire pour la
réunification de la Chine était trop importante pour que le « front uni » soit brisé avant
même que les opérations n‟aient commencé.
3)
L‟expédition du Nord
La conférence de paix donnée Feng Yuxiang à Pékin n‟avait en rien mis la Chine sur
le chemin de la paix et le pays continuait à voir d‟innombrables masses de soldats
ravager les campagnes dans des guerres incessantes entre les différentes factions
politiques. A Canton cependant le « front uni » préparait toujours avec l‟aide des
conseillers soviétiques la reconquête du pays.
L‘expédition du Nord (juillet 1926 - janvier 1927)
Après la fin de la querelle de succession au sein du Kuomintang et les tentatives
de récupération de la part des seigneurs de guerre alliés au parti, les conseillers russes
purent travailler intégralement à l‟élaboration de la prochaine expédition du Nord, qui
avait pour objectif final de prendre Pékin 73. L‟influence des conseillers soviétiques sur le
Kuomintang prit une telle ampleur qu‟on parlait de « troupes rouges »74 pour désigner
l‟Armée Nationale Révolutionnaire, et Borodine était d‟ailleurs surnommé le « dictateur
de Canton »75. Cette ville, qui était décrite par les soviétiques comme un « marais
d‟intrigues, de trahisons et de chantages »
76
, était devenue en deux ans, en dépit de
l‟incident du 20 mars, une véritable base militaire capable de devenir le prochain
71
Louis Fischer, op. cit.
Dan N. Jacobs, op. cit.
73
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, Documents on communism, nationalism, and soviet advisers in China
1918-1927, papers seized in the 1927 Peking raid, Rapport de Stepanov sur le meeting du groupe soviétique de
Canton (avril 1926), Columbia university press, New York, États-Unis, 1956
74
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 30 septembre 1925
75
Dan N. Jacobs, Borodin, Stalin‘s Man in china, Harvard University Press, Cambridge, Etats-Unis, 1981
76
Jean-Marie Bouissou, Seigneurs de guerre et officiers rouges. La révolution chinoise, 1924-1927, collection «
l‟histoire à l‟épreuve », Tours, France, 1974, P.286
72
33
gouvernement de Chine. Tchang Kaï-chek démontra de nouveau sa force, lors d‟une
réunion du Plénum le 15 mai 1927. Il fit entériner une motion lui procurant les pleins
pouvoirs au moment où la campagne vers Pékin débuterait. Il fallait, selon lui, ne pas
entraver à ce moment l‟armée avec des revendications ou des querelles politiques 77.
Les premières campagnes s‟étant révélées être des fiascos faute d‟une organisation
convenable, Borodine retarda au maximum le départ de la nouvelle Expédition du
nord78. En plus d‟avoir des soldats bien entrainés et du bon matériel, un effort sans
précédent dans l‟histoire de la guerre en Chine fut porté sur l‟endoctrinement des
masses. A la veille du départ le bureau de l‟armée chargé de la propagande imprima
50 000 pamphlets de chansons révolutionnaires et forma une centaine de personnes qui
devait aller en amont de l‟armée organiser des meetings dans les villes ennemies. Il
fallait qu‟à leur arrivée, les soldats de l‟ANR puissent rencontrer une population civile
acquise à la cause de la révolution. Devenue partisane à la cause du Kuomintang, cette
dernière pourrait gêner les plans des armées ennemies 79. En outre, les conseillers
militaires espéraient contrebalancer avec l‟utilisation des masses le pouvoir grandissant
de Tchang Kaï-chek sur le « front uni ». D‟ailleurs pendant les opérations militaires
précédentes, les soviétiques avaient ressenti une grande hostilité de la p art de leurs
homologues chinois ; mais ils furent soudainement pendant les mois précédent
l‟expédition particulièrement choyés par les généraux chinois du Kuomintang. Tchang
Kaï-chek lui-même s‟assura qu‟il passait un bon séjour à Canton. Les officiers de l‟ANR
espéraient par ces démonstrations d‟amitié s‟assurer l‟appui de Moscou à la veille de la
guerre, et ce alors qu‟une rupture politique se dessinait.
Puis le 9 juillet 1926 l‟ANR, forte de 100 000 hommes, s‟ébranla en direction de
Pékin avec 15 conseillers russes au sein de l‟état-major80. Blücher qui avait préparé le
plan d‟attaque réussit à cantonner les hommes de Tchang Kaï-chek dans un rôle mineur.
Une fois de plus l‟expertise des conseillers soviétiques aida grandement les forces
militaires du Kuomintang. Au bout de trois mois les soldats avaient parcouru 1 3 00
kilomètres, n‟avaient subi aucune défaite et certains de leurs adversaires avaient changé
de camps pour rejoindre celui du « front uni ». A son arrivée sur le Yangzi, l‟ANR avait
77
Pierre Broué, op. cit., p.434
Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, édition Payot, Paris, France, 1968
79
Dan N. Jacobs, Borodin, Stalin‘s Man in china, Harvard University Press, Cambridge, Etats-Unis, 1981
80
Louis Fischer, Les soviets dans les affaires mondiales, collection « les Documents Bleues In-octavo »,
Gallimard, Paris, France, 1933
78
34
multiplié ses effectifs pour atteindre 260 000 soldats. L‟aide de Moscou dans cette
progression de l‟armée sudiste était bien connue des contemporains. Un missionnaire
français en poste dans le sud du pays envoya un témoignage à sa congrégation qui
décrivait la guerre qui se déroulait sous ses yeux :
« Ces soldats venant du kaong-tong, via Hou-nan qu'ils ont occupés,
appartiennent à la 2e et 3e armée commandées par les généraux Tzae et Ngo; ils
marchent drapeaux rouge et russe en tête. Presque tous leurs fusils sont russes ;
chaque chef supérieur a quelques russes avec lui » 81
Quant aux services secrets Français ils avaient parfaitement pris conscience de
l‟importance des conseillers russes au sein des troupes du Kuomintang 82. Ce fut
notamment grâce à eux qu‟ils purent prendre la triple cité de Wuhan en août 1926,
malgré les nombreuses défenses que le défenseur de la ville, Wu Peifu, avait fait
construire. Alors que dans les campagnes précédentes les généraux de l‟ANR évitaient
d‟engager leurs soldats dans des combats trop coûteux en hommes, les conseillers
parvinrent à imposer cette fois-ci une tactique de guerre bien plus offensive. Les plans
du général Blücher permirent ainsi à l‟ANR de détruire une grande partie des troupes
ennemies alors qu‟elles s‟enfuyaient. Et lorsque la situation l‟exigeait les conseillers
militaires allaient même en première ligne soutenir leurs hommes 83
Cependant Tchang Kaï-chek, à cause de l‟influence des soviétiques, devait
commander une armée de second ordre au lieu de se voir confier des responsabilités
importantes pendant la campagne. Souhaitant revenir sur le devant de la scène il décida
d‟attaquer la ville de Nanchang, appartenant au seigneur de guerre Sun Chuan-Fang, au
début de l‟automne 1926. Cette grande cité n‟était pas, à la différence de Wuhan, une
ville ouvrière. Elle regroupait au contraire de nombreux propriétaires terriens ainsi
qu‟une bourgeoisie conservatrice. Cette population était politiquement plus proche des
idéaux politiques de Tchang Kaï-chek et il lui semblait important, face à l‟aile gauche
du « front uni », de posséder des territoires politiquement sûrs, au cas où ces derniers
auraient voulu se débarrasser de lui. Tchang Kaï-chek lança, contre l‟avis des conseillers
soviétiques, une offensive pour conquérir Nanchang. Mais il n‟arriva pas à prendre la
81
Journal mensuel « Bulletin catholique de Pékin », Pékin, Chine, numéro 158 d‟octobre 1926, lettre d‟un
missionnaire du 29 septembre 1926
82
SHD, série 7N, carton numéro 3295, note du 8 janvier 1927
83
Vera Vladimora Vishnyakova, op. cit, p. 276-277
35
cité qui était garnie de solides murailles et défendue par une armée possédant plus de
canons, de mitrailleuses et de régiments que celle du Kuomintang. Les conseillers russes
se retrouvèrent dans une position particulièrement inconfortable. Ils pouvaient laisser
l‟ambitieux général affaiblir ses troupes afin qu‟il perde de son influence ou alors l‟aider
à prendre Nanchang afin de sauver ce corps d‟armée de l‟ANR. Galen, suivant la ligne
définie par Moscou, se porta à son secours pour empêcher que la campagne soit
compromise. Grâce à lui Tchang Kaï-chek put le 8 novembre occuper Nanchang et
établir son autorité sur une large partie de la région. Après la prise de la ville, S un
Chuan-fang avait perdu la moitié de ses troupes ainsi qu‟une grande partie de son
matériel de guerre. L‟emprise du Kuomintang put s‟étendre sur les régions du Jiangxi et
du Fujian84.
Malgré la difficulté des batailles , la fin de l‟année 1926 avait un parfum de
victoire pour le « front uni » qui détenait à ce moment 10 régions chinoises. On peut
expliquer le succès de l‟expédition du Nord à ce moment par plusieurs facteurs 85 :
- Contrairement à leurs adversaires les troupes du Kuomintang parties de Canton avaient
reçu un entrainement militaire et un endoctrinement politique de qualité.
- La propagande utilisée montrait aux soldats qu‟ils se battaient pour une grande cause, à
savoir la réunification de la Chine et le redressement du pays.
- A la différence de leurs adversaires, aucun général de l‟ANR ne trahit ses compagnons
d‟armes pendant la campagne, alors que les défections chez les ennemis furent
nombreuses.
- La présence du seigneur de guerre Feng Yuxiang qui était un allié du Kuomintang fixa
une partie des troupes nordistes sur les frontières du nord-ouest.
Ces victoires militaires permirent au gouvernement cantonnais de déplacer tous les
organes du gouvernement de Canton à la région du Hubei où se trouvait la triple ville de
Wuhan-Hankou-Hanyang. Un lieu hautement symbolique puisque la révolution de 1911
y avait éclaté.
84
85
Dan N. Jacobs, op. cit
Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, op. cit
36
L’avance des armées du Kuomintang pendant l’expédition du Nord
Le gouvernement du Wuhan
La décision de déplacer la capitale fut prise le 15 octobre 1926. Tchang Kaï-chek
combattit cette décision car il craignait que dans cette ville industrielle l‟aile gauche du
« front uni » puisse s‟y développer plus facilement qu‟à Canton. Mais cette mouvance
37
politique reprenait du pouvoir après le coup de force du 20 mars 1926 et imposa cette
décision au général qui, selon certains témoins, en « pleura de rage »86. Profitant de ce
retour en grâce, Wang Jingwei qui s‟était exilé pendant quelques mois pu revenir
travailler au sein du gouvernement. Après l‟installation du gouvernement à Wuhan, la
cité, sous l‟impulsion des communistes et de l‟aile gauche, se transforma radicalement.
La semaine de travail de 54 heures fut instaurée, des ligues paysannes destiné es à
protéger les agriculteurs pauvres furent créées et une obligation de réduire de 25% la
location des terrains fut promulguée. Au-delà de ces réformes économiques, l‟influence
de la gauche du « front uni » fut ressentie car deux millions de paysans rentrèrent dans
les milices paysannes 87 et les Grandes Puissances durent pour la première fois depuis
1842 s‟incliner devant les Chinois. En janvier 1927 des membres du Kuomintang furent
arrêtés par des policiers anglais dans la concession de Tientsin. A cette nouvelle, de
nombreuses personnes envahirent la concession anglaise d‟Hankou qui ne pouvait être
défendue par les grandes puissances faute de troupes suffisantes. Au bout de quelques
jours toutes les concessions d‟Hankou furent abandonnées, ce qui représentait un
véritable camouflet pour les puissances occidentales. La grève des coolies de Honk
Kong fut aussi arrêtée après que les Anglais payèrent pour qu‟elle s‟arrêteavaient payé
afin qu‟elle s‟arrête 88.
Alors que Tchang Kaï-chek s‟était imposé comme l‟homme fort de Canton,
l‟expédition du Nord était en train de faire rebasculer le poids politique vers la gauche
du Kuomintang. Deux communistes reçurent un poste important au sein du
gouvernement, l‟agriculture et le travail. Quant à l‟influence des Russes elle était
exposée au grand jour. Borodine était ainsi devenu une célébrité car il fut une fois à
Canton acclamé par 100 000 personnes 89 tandis que les syndicats continuaient
d‟accueillir sans cesse de nouveaux adhérents. La propagande soviétique fonctionnait si
bien que les populations allaient au-devant des troupes de l‟ANR pour les accueillir 90-91.
Connaissant la mauvaise réputation des soldats chinois qui volaient les gens dès leur
arrivé dans la moindre petite bourgade, cet information en dit long sur la popularité du
86
Vera Vladimora Vishnyakova, op. cit., p. 283
Jean-Marie Bouissou, op. cit., p.317
88
Jean Chesnaux et Françoise Le Barbier, La marche de la révolution 1921-1949, Histoire de la Chine tome 3,
Collection d‟histoire contemporaine, Hatier Université, Paris, 1975, p.57
89
SHD, série 7N, carton numéro 3295, note du 8 janvier 1927
90
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit
91
Pierre Franconie, Canonnière en Chine, éditions Karthala, France, 2007, p. 126
87
38
Kuomintang à cette période. Cette montée en puissance du parti et des syndicats qui se
créaient partout où l‟armée du Kuomintang passait, était une grande source d‟inquiétude
pour la bourgeoise 92. Si les syndicats et l‟aile gauche du « front uni » arrivaient à faire
plier les occidentaux, alors que les empereurs chinois n‟y étaient pas arrivés, quel serait
le futur politique de la Chine ?
La rupture du « front uni »
Les dissensions qui apparurent entre Tchang Kaï-chek et le groupe de l‟aile gauche du
Kuomintang, soutenu par le PCC et les conseillers, allaient mener à la rupture brutale du
« front uni ». Comme nous venons de le voir, la crise du 20 mars 1926 et les dissensions lors
de l‟expédition du Nord démontrèrent que les relations entre le Kuomintang et ses conseillers
n‟étaient pas entièrement dénuées de méfiance et de suspicion. Au début de l‟année 1927
d‟autres problèmes apparurent.
Du 22 au 24 février 1927 une importante grève forte de 350 000 personnes agita
Shanghai, mais Tchang Kaï-chek, dont l‟armée était dans les environs, ne marcha pas sur la
ville pour soutenir les grévistes. Il préféra au contraire laisser le général Li Baozhang
disperser les fauteurs de troubles, en grande partie communistes, alors qu‟il était en guerre
avec le premier et allié avec les seconds93. Un mois plus tard, le 24 mars 1927, la ville de
Nankin fut prise par les armées de Canton, mais pendant l‟assaut sur la ville plusieurs dizaines
d‟occidentaux furent massacrés par des soldats de l‟armée cantonaise. Suite aux incidents qui
s‟étaient déroulés sur la concession étrangère d‟Hankou, Tchang Kaï-chek en conclut que le
Kuomintang ne gagnerait jamais la reconnaissance des grandes puissances s‟il laissait ses
soldats impunément assassiner des blancs. Le général se dépêcha d‟arriver en ville et pour
l‟exemple fit exécuter publiquement 40 meneurs soupçonnés d‟avoir participé à ces crimes.
En plus de cette démonstration de force, il accusa publiquement le communiste Lin Tsu-Han
(1866-1959), qui était alors le commissaire politique du corps d‟armée ayant pris la ville,
d‟être le seul responsable du massacre perpétué contre les occidentaux.
Voyant l‟agressivité dont Tchang Kaï-chek faisait preuve contre les communistes, et à
sa volonté de contredire les demandes des conseillers, le gouvernement de Wuhan décida de
lui retirer les pouvoirs absolus dont ce général jouissait depuis le lancement de l‟expédition.
S‟il ne fut pas destitué comme responsable de l‟armée, son pouvoir fut cependant dilué à
92
93
Pierre Broué, Histoire de l‘internationale communiste (1919-1943), Fayard, Paris, France, 1997, p.434
Ibid., p. 436
39
travers une commission où il siégeait avec d‟autres membres du parti. Pour se préparer à toute
éventualité et expliquer cette décision, le gouvernement de Wuhan fit paraître une circulaire
auprès des militants où l‟on fit appel à leur vigilance pour combattre la concentration des
pouvoirs. Après ce camouflet Wang Jingwei tenta de calmer les esprits en expliquant, à
travers une déclaration commune avec Chen Duxiu, que le gouvernement de Wuhan n‟était
pas sous l‟influence des communistes mais qu‟au contraire le PCC « [souscrivait pleinement]
à la politique du gouvernement » et qu‟aucune purge n‟était en préparation94. Tchang Kaïchek avait justement fait une visite en mars auprès du gouvernement afin d‟enrayer le
processus politique qui voulait l‟exclure des centres de décision. Il comprit qu‟il avait
beaucoup perdu de son influence car il ne put s‟opposer à la réduction de ses pouvoirs.
Cependant il ne laissa rien transparaître et réaffirma son obéissance aux ordres du
gouvernement.
Alors que le « front uni » du Kuomintang commençait à se fissurer, un nouveau coup
lui fut porté. Le surlendemain de la déclaration commune de Wang Jingwei et de Chen Duxiu,
la police de Pékin, sur ordre du maréchal Zhang Zuolin, mena un raid sur l‟ambassade russe
du quartier des légations. 300 policiers investirent, illégalement, les lieux en arrêtant plusieurs
personnes dont Li Dazhao (1888-1927), l‟un des cofondateur du PCC. Alors que le Kremlin
se défendait toujours d‟avoir une quelconque relation avec les conseillers russes présents à
Canton95, le coup de main révéla au grand jour toute la supercherie soviétique. Une
importante documentation fut découverte prouvant que Borodine et ses concitoyens étaient
payés par des fonds secrets de l‟ambassade et qu‟ils étaient des agents de Moscou96. Certains
papiers dévoilaient même les plans des soviétiques pour s‟emparer du pays. Selon le
Kominterm il fallait procéder d‟une certaine manière pour pouvoir faire basculer la Chine
dans le camp communiste :
« Ne pas encore développer le Communisme en Chine avant l'écrasement de Zhang
Zuolin car pour détruire la dictature du maréchal nous avons besoin de l'appui des
classes bourgeoises [c‟est à dire du Kuomintang] »97
L‟affaire eut un retentissement international et ternit la réputation de l‟Union
Soviétique qui vit dévoiler sur la place publique sa correspondance secrète. Elle affirma avec
94
Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, op. cit
Journal mensuel « Bulletin catholique de Pékin », Pékin, Chine, numéro 161 de février 1927
96
SHD, série 7N, carton numéro 3291, note du 22 mai 1927
97
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 29 avril 1927
95
40
force que ces papiers étaient des faux fabriqués par Zhang Zuolin avec l‟aide des puissances
occidentales. Il faudra attendre les années 1970 pour que la véracité historique de ces
documents soit officiellement reconnue98. Zhang Zuolin libéra les soviétiques mais se montra
sans pitié avec les communistes chinois tombés entre ses mains, ils furent tous exécutés
quelques semaines après leurs arrestations.
Suite à cet évènement, Tchang Kaï-chek prépara une nouvelle attaque contre les
communistes, mais, contrairement à celle du 20 mars 1926, celle-ci ne pouvait pas donner lieu
à un retour en arrière. Il se doutait que Borodine et ses alliés voulaient se débarrasser de lui.
L‟incident de Pékin prouvait que les « rouges » voulaient prendre le contrôle de la Chine et il
s‟imagina que si cette éventualité devenait réalité il n‟aurait pas sa place dans un futur
gouvernement bénéficiant du soutien de Moscou. Il fallait donc, pour sa survie politique, les
éliminer, d‟autant plus que les puissances occidentales considéraient le Kuomintang comme
un véritable gouvernement communiste99. Il avait d‟ailleurs anticipé de frapper le premier
contre le gouvernement de Wuhan car il avait contacté en février et mars 1927 des banquiers
occidentaux. Il les avait rassurés que sous son commandement, la Chine ne suivrait jamais le
chemin de l‟URSS100. Il passa donc à l‟action le 12 avril, au moment où il campait avec ses
troupes à Shanghai.
La ville avait été l‟objet d‟une nouvelle grève grâce à Blücher qui avait dépêché un de
ses conseillers pour aider les manifestants à s‟organiser. Le général soviétique avait dû se
résoudre à envoyer un de ses hommes car Tchang Kaï-chek refusait obstinément d‟attaquer la
ville. La grève commença le 22 mars. Les 800 000 grévistes cette fois-ci réussirent à faire
partir les hommes du général Li Baozhang. Cependant la propagande soviétique se chargea de
féliciter plutôt Tchang Kaï-chek pour cette victoire alors qu‟il n‟y avait joué aucun rôle101.
Les manifestants, en majorité communiste sous la direction de Chou Enlai, tenaient la ville
mais étaient peu armés, et le PCC ne possédait aucune troupe. Tchang Kaï-chek se savait donc
militairement invulnérable à ce moment-là. Il rentra avec ses régiments dans la ville après la
fuite des armées ennemies, et instaura la loi martiale le 9 avril. Trois jours plus tard il lança
une violente attaque contre les syndicalistes et les communistes qui refusaient de se plier aux
nouvelles règles stipulant qu‟il fallait redonner les armes des milices ouvrières et abandonner
les piquets de grève. Appuyé avec l‟aide conjointe des triades, que Tchang Kaï-chek
98
Dan N. Jacobs, op. cit
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 22 mai 1926
100
Dan N. Jacobs, op. cit
101
Dan N. Jacobs, op. cit.
99
41
connaissait personnellement102, ainsi que des polices des concessions qui donnèrent des armes
aux malfrats, le résultat fut sans appel103. Près de 300 personnes furent tuées et plus de 5000
disparurent laissant le chef de l‟armée du Kuomintang seul maître de la ville. Il avait pris soin
d‟ailleurs de donner des ordres à ses alliés qui eux aussi se chargèrent de purger le pays des
adhérents du PCC bien connus des membres du Kuomintang. Dans toute la Chine ce seront
4/5e des adhérents du PCC qui seront arrêtés ou tué. Le parti disparus totalement des grandes
villes pendant cette période104, rien qu‟à Canton le général Li Jishen (1885-1959) massacra
2000 personnes*. Un décret fut publié interdisant à toutes personnes d‟appartenir au PCC
sous peine d‟être exécuté séance tenante105. Un expert étranger en place à Pékin résuma
parfaitement la situation dans laquelle se trouvait Tchang Kaï-chek :
« Tchang Kaï-Chek dont la mentalité ne diffère pas de celle des autres généraux
chinois entendait bien exploiter tous les concours afin d'assurer son triomphe
personnel, notamment profiter de l'action vigoureuse des communistes, guidé par les
russes jusqu'au jour où celle-ci deviendrait pour lui un nouveau danger »106
Suite à cette trahison du « front uni » la rupture entre les deux zones d‟influence fut
totale. Le 17 avril, le gouvernement du Kuomintang de Wuhan retira à Tchang Kaï-chek son
poste. Le lendemain il créa son propre gouvernement à Nankin 107. Le rapport de forces n‟était
cependant pas équilibré ; Tchang Kaï-chek commandait la majorité de l‟armée et contrôlait
Shanghai qui était une source intarissable d‟argent108, tandis qu‟à Wuhan se trouvait la
légitimité politique et les conseillers militaires. A un journaliste japonais qui demanda à
Borodine comment il comptait s‟attaquer à Tchang Kaï-chek, le conseiller répondit que « Ce
ne sera pas nécessaire. Le processus de désintégration a déjà commencé [dans le camp de
Tchang Kaï-chek] […] donnons-leur encore un peu de temps et ils s‟effondreront par euxmêmes »109. La situation était tellement confuse que suite à l‟apparition de la scission dans le
Kuomintang les experts étrangers se retrouvèrent incapables de prédire qui allait l‟emporter
102
Pierre Broué, op. cit., p. 438
Elizabeth J. Perry, Shanghai on strike, the politics of Chinese Labor, Stanford University Press, Etats-Unis,
1993
104
Yves Chevrier, op. cit
105
SHD, série 7N, carton numéro 3295, note du 5 mai 1928
106
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 29 avril 1927
107
André Pierre, L'URSS et le parti communiste de Chine, Revue politique étrangère, numéro 3, France, 1937,
p.251-262
108
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 4 février 1925
* Cette purge cependant n‟empêchera pas ce général de changer de camps 20 ans plus tard, et devenir l‟un des
premiers vice-présidents de la république populaire de Chine.
109
Dan N. Jacobs, op. cit.
103
42
pendant cette guerre110. Mais malgré les brillantes opérations de propagande, Borodine et ses
camarades ne furent en mesure de sauver le gouvernement de Wuhan.
Le gouvernement de Wuhan dans la tourmente
Suite à la sécession de Tchang Kaï-chek l‟aile gauche du « front uni » dut faire
face à plusieurs éléments qui les uns combinés aux autres allaient mener à la disparition de
son gouvernement et au départ des conseillers russes. Tout d‟abords au niveau militaire,
Wang Jingwei se retrouva incapable de rivaliser avec la puissance de feu de Tchang Kaïchek. D‟une part ce général possédait plus d‟hommes que l‟armée de Wuhan et ensuite la
majorité des troupes qui étaient présente n‟étaient pas sous les ordres directs du parti. La
plupart d‟entre elles était dans l‟armée d‟un général du nom de Tang Shengji (1889-1970) qui
avait rallié la révolution. Sur le conseil des soviétiques, ses troupes partirent vers le nord afin
d‟opérer une jonction avec les hommes de Feng Yuxiang. Zhang Zuolin leur barra la route
avec ses meilleurs régiments qui possédaient même des chars. Une importante bataille
s‟engagea et une fois de plus l‟ANR se montra victorieuse contre les soldats de la clique
Fengtien. Mais les pertes très élevées, plus de 14 000 soldats sur les 50 000 encore présents,
saignèrent les régiments qui avaient été formés à l‟académie de Whampoa. Ainsi il ne fut
jamais possible pour le gouvernement de Wuhan de lancer une contre-attaque pour reprendre
Nankin et Shanghai, voir même de prendre Pékin faute de soldats suffisant. Il ne pouvait
d‟ailleurs plus compter sur Feng Yuxiang qui, le 30 mai 1927 soit la veille de la jonction du
Kuomintang et du Guominjun, déclara que le gouvernement de Nankin n‟était pas selon lui un
gouvernement contre-révolutionnaire111, ce qui revenait à se déclarer neutre dans le conflit qui
opposait Nankin à Wuhan. D‟autres seigneurs de guerre, comme le général Zhu Pei-de (1889
– 1937) qui contrôlait le Jiangxi, sentirent le vent tourner et changèrent de camps avec armes
et bagages. Quant aux conseillers russes ils étaient éparpillés à travers des armées dans tout le
pays, ainsi renouveler l‟exploit de sauver Wuhan comme Canton en 1923 semblait bien
difficile. Militairement Wang Jingwei ne pouvait espérer faire pencher la balance de son côté
car il était tributaire des armées de ses alliés et ceux-ci ne souhaitaient pas s‟engager contre
Tchang Kaï-chek.
En plus des questions d‟ordre militaire, des problèmes économiques et politiques
allaient fragiliser le gouvernement de Wuhan. Cette ville industrielle était positionnée en plein
110
111
SHD, série 7N, carton numéro 3299, note du 9 mai 1927
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit.
43
cœur de la Chine et son seul lien avec le monde extérieur était le fleuve Yangzi. Du fait que
l‟embouchure de ce fleuve arrivait à Shanghai un blocus économique fut mis en place par
Tchang Kaï-chek afin d‟asphyxier le gouvernement ennemi. La ville se retrouvant coupée
économiquement du monde extérieur, la grogne populaire commença à monter alors que les
communistes excitaient les mécontentements populaires contre les propriétaires terriens et les
capitalistes. La concession anglaise était partie, les capitaux étrangers n‟étaient plus présents
et 100 000 personnes se retrouvèrent au chômage112. Dans cet emballement révolutionnaire
les ligues paysannes et les syndicats commencèrent à avoir des demandes que même les
communistes ne pouvaient accepter. Borodine lui-même commença à craindre d‟être
considéré comme quelqu‟un de trop consensuel par rapport aux ligues paysannes 113 tandis que
le communiste Xu Chao-ren, alors ministre du Travail, déclarait lors de son intronisation le 11
juin 1927 :
« Les forces des ouvriers et des paysans, qui viennent tout juste de recouvrer la liberté,
mènent trop souvent des actions irréfléchies ; nous en avons de nombreux exemples et
cela cause un grand dommage à l‟union révolutionnaire des travailleurs, des industriels
et des commerçants » 114
Les raisons de ce manque de clarté idéologique provenaient du fait que les acteurs du
gouvernement de Wuhan avaient peur de briser le « front uni ». Les communistes espéraient
utiliser les masses pour triompher de leurs adversaires mais ils voulaient éviter que les
associations de travailleurs, par leurs revendications, ne poussent les modérés dans les bras de
la bourgeoisie réactionnaire et de Tchang Kaï-chek. Les membres de l‟aile gauche du
Kuomintang quant à eux avaient peur des communistes, mais sans leurs aides ils ne pouvaient
plus espérer rester sur le devant de la scène politique chinoise. Cette indécision se retrouva
même à Moscou pendant ces mois qui étaient pourtant décisifs pour le futur du Kuomintang.
Lors d‟une réunion du comité chinois du Kominterm, en mai 1927, aucun des membres ne
semblait pouvoir apporter une solution efficace115. Lors de cette séance Boukharine, Staline,
l‟italien Palmiro Togliatti (1893-1964) et le français Albert Treint (1889-1971) discutèrent de
la ligne à prendre sur la situation en Chine. Après de longs débats particulièrement houleux,
Staline prit la décision d‟arrêter les réformes agraires, une réforme figurant pourtant dans le
programme communiste, afin de garder le « front uni » coûte que coûte. Le géorgien ordonna
112
Alain Roux, Le singe et le tigre, Mao, un destin chinois, éditions Larousse, Espagne, 2009, p.177
Dan N. Jacobs, op. cit
114
Jean-Marie Bouissou, op. cit., p.334
115
Harold R. Isaacs and Albert Treint, op. cit
113
44
même à Tam Pin San, ministre communiste de l‟agriculture, de faire cesser par la force toutes
insurrections ayant lieu dans les campagnes afin de protéger la bourgeoisie et les propriétaires
terriens. Cette décision politique sera l‟objet d‟un tollé et Tam Pin San ne fera pas fusiller des
responsables de ligues paysannes. Cet incident cependant démontre que les prises de décisions
politiques à Wuhan n‟étaient pas faites selon une idéologie mais plus selon la situation du
moment. Ce qui devait fatalement amener une improvisation qui fit grand tort au « front uni ».
Les communistes pressentant qu‟aucune armée n‟était véritablement en faveur du PCC
proposèrent par la voix de l‟indien Manabendra Nath Roy (1887-1954), qui était le
représentant du Kominterm en Chine, de former une armée avec les milices ouvrières 116. Mais
le gouvernement de Wuhan refusa d‟entériner cette proposition qu‟il jugea trop radicale à son
goût.
Le départ des conseillers
Suite à l‟addition de tous ces problèmes, Wang Jingwei et ses collègues de
gouvernement se rendirent à l‟évidence que s‟ils voulaient survivre ils devaient négocier avec
l‟autre gouvernement du Kuomintang. Ils furent approchés par Feng Yuxiang qui se proposa
de jouer le rôle d‟intermédiaire afin de trouver un accord entre les trois anciens alliés contre
Zhang Zuolin, qui contrôlait encore Pékin et la Mandchourie. Feng Yuxiang loin de vouloir
rétablir l‟autorité du Kuomintang sur la Chine souhaitait surtout sauver sa tête en évitant une
possible alliance entre Tchang Kaï-chek et Zhang Zuolin. Il invita les membres du
gouvernement de Wuhan à discuter d‟un possible rapprochement avec Tchang Kaï-chek lors
de la conférence de Chengchow. Ce fut lors de cette négociation que les chefs de file de l‟aile
gauche du Kuomintang acceptèrent de se soumettre à l‟autorité de Tchang Kaï-chek et de
rompre avec les communistes en échange de pouvoir être pardonnés. Ceux comme Wang
Jingwei ou Song Qingling (1893-1981), la veuve de Sun Yat-sen, qui avaient insultés Tchang
Kaï-chek de « traître », trahissaient à leur tour leurs derniers alliés117. A la fin de la
conférence ils décidèrent de mettre fin aux violences déclenchées par les ligues paysannes et
de les déclarer hors-la-loi. Puis le 15 juillet 1927, lors du Plénum du Kuomintang, les
membres du PCC ne furent pas invités. Il s‟agissait d‟une rupture pure et simple de ce qui
restait du « front uni ».
116
Jean Chesnaux et Françoise Le Barbier, op. cit
Dun J. Li, (direction), Modern China, from mandarin to commissar, Charles Scribner‟s Sons, New-York,
Etats-Unis, 1978
117
45
Les conseillers militaires ne pouvaient évidemment pas rester dans ce climat délétère,
et déjà certains d‟entre eux avaient commencé à rentrer dès le mois de juin 1927 sur ordre de
Borodine. Il était impossible pour les derniers instructeurs restant de commencer une rébellion
car ils ne pouvaient lever que 10 000 syndicalistes alors que le gouvernement de Wuhan
possédait cinq fois plus de soldats. La plupart des conseillers rentrèrent par le Yangzi pour
prendre un navire de Shanghai à destination de la Russie. Bien qu‟ils fussent en territoire
ennemie aucun mal ne leur arriva. Une traductrice de la mission soviétique, Vera
Vladimirovna Vishnyakova, raconta même dans ses mémoires une scène extraordinaire où
elle croisa par hasard Tchang Kaï-chek dans un cinéma :
« La plupart des conseillers et leurs familles avaient déjà quitté la Chine. Tchang Kaïchek était parfaitement au courant de cette situation mais à ce moment il ne s‟opposa
pas à leur départ. Nous l‟avons croisé par hasard dans l‟un des cinémas de la
concession internationale […] Tchang Kaï-chek était assis au premier rang du balcon
pendant que notre groupe se tenait 6 rangs derrière lui. Il se retourna et nous observa
de manière appuyée, nous faisant comprendre qu‟il nous avait reconnus, […] ne
connaissant pas ses intentions nous nous dépêchâmes de quitter le cinéma »118
Borodine fut l‟un des derniers conseillers à partir. Le 27 juillet à Wuhan, Wang
Jingwei lui rendit les honneurs pour tout le travail qu‟il avait accompli en Chine119. Après la
cérémonie, le soviétique, dont la tête avait mise à prix pour 30 000 dollars, rentra en URSS
par le désert de Gobi par peur d‟être arrêté s‟il prenait la route de Shanghai. Il dut pour cela
traverser le territoire de Feng Yuxiang qui était officiellement à sa recherche. Mais ce dernier
jugea plus prudent de ne pas l‟empêcher de revenir en Union Soviétique. Suite au départ des
conseillers, la propagande anti-étrangère du Kuomintang disparut très rapidement120. Un seul
conseiller soviétique, du nom de Michael Komanine, resta en Chine et participa en août 1927
au soulèvement avorté de Nanchang121. Un nouveau soulèvement eu lieu en décembre 1927 à
Canton et la terrible répression qui s‟ensuivit décapita tout le mouvement ouvrier de la ville.
Après deux jours de combats le consulat soviétique fut d‟ailleurs fouillé par les soldats du
Kuomintang qui fusillèrent cinq citoyens soviétiques. Cet incident rompit les relations entre
118
Vera Vladimirovna Vishnyakova, op. cit, p. 328-329
Ibid., p. 335
120
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 12 octobre 1927
121
Laura M. Calkins, Recapturing an Urban Identity: Chinese Communists and the Commune at Shantou, 1927,
Illinois State University, revue “Studies on Asia”, 2011, depuis le site http://studiesonasia.illinoisstate.edu
119
46
les deux pays jusqu‟en 1932122. Tchang Kaï-chek par cette occasion verra son premier fils
Chiang Ching-kuo (1910-1988) qui étudiant en URSS gardé comme otage par Staline, et ce
jusqu‟à la signature du deuxième front uni avec le parti communiste chinois en 1937.
Au sein même de l‟Union Soviétique cette révolution avorté eut des répercussions.
Staline et Boukharine avait répété inlassablement que « les 9/10 du Kuomintang
appartenaient à la tendance révolutionnaire et étaient prêts à marcher la main dans la
main avec le Parti communiste »123, selon leur détracteur Léon Trotski, mais les évènements
leur avaient donnés tort. Après cet échec le Kremlin mis l‟arrêt à la politique d‟exportation de
la révolution. A partir des années 1928-1929 ce fut une politique diamétralement opposée qui
fut mise en place, les soviétiques essayèrent de normaliser les relations entre l‟URSS et les
autres états124.
La Chine au contraire ne traversa pas cette période de crise politique. Tchang Kaï-chek
qui était maintenant en position de force put avec ses alliés en juin 1928 prendre Pékin à la
clique du Fengtien. Le maréchal Zhang Zuolin préféra abandonner la ville au lieu de
combattre, mais il mourut dans un attentat le lendemain de la retraite ; même encore
aujourd‟hui il est difficile de savoir qui en fut le commanditaire. Son fils Zhang Xueliang
(1901-2001) devint le chef de la faction du Fengtien qui ne contrôlait plus que le nord-est du
pays. Au lieu de s‟engager dans des combats incertains il préféra négocier sa reddition auprès
du Kuomintang pendant plusieurs mois. Puis, le 30 décembre 1928, le « drapeau [du
Kuomintang fut] arboré en Mandchourie »125. Le rêve de Sun Yat-sen de revoir une Chine
unifiée avait été accompli, après douze années de guerres incessantes le Kuomintang avait
réalisé ce que beaucoup pensaient impossible. Mais cette unification symbolique sous l‟égide
du Kuomintang allait être souvent remise en cause dans ce qu‟on appela la « décennie de
Nankin ».
122
Raymond L. Garthoff , op. cit.
Léon Trotski, L'Internationale Communiste après Lénine, Bilan et perspectives de la révolution chinoise, 1928
124
Nicolas Werth, Histoire de l‘Union soviétique de Lénine à Staline (1917-1953), P.U.F, collection Que sais-je
?, France, 2007, p.72
125
Journal mensuel « Bulletin catholique de Pékin », Pékin, Chine, numéro 185, janvier 1929
123
47
Chapitre 2 : La décennie de Nankin (1928-1937)
1) La mission militaire allemande sous le commandement de
Max Bauer et Hermann Kriebel (1928-1930)
Tchang Kaï-chek à la fin de 1928 pouvait être considéré comme le nouvel homme fort
du pays. Il avait brisé l‟expansion communiste, était le plus puissant seigneur de guerre du
pays, négocié la reddition de Zhang Xueliang et l‟opposition frontale au sein de son propre
parti avait cessé après la dissolution du gouvernement de Wuhan. Cependant, loin d‟être un
succès éclatant, le Kuomintang n‟était pas en mesure d‟imposer sa volonté sur toutes les
régions de Chine. De plus les chefs militaires de l‟Armée nationale révolutionnaire se
rendirent compte qu‟avec le départ des conseillers russes ils risquaient d‟être défait sur le
champ de bataille, c‟est ce raconta un attaché militaire dans un de ses rapports :
« [Lors d‟un dîner] le généralissime et ses lieutenants se sont aperçu en effet, qu'après
le départ des conseillers militaire bolchéviques ; leurs armées n'ont plus connu de
succès. Ils en ont déduit que le concours d'experts étrangers leur était indispensable »
126
Comme Zhang Zuolin ou Wu Peifu, Tchang Kaï-chek pouvait tout aussi rapidement
disparaître de la scène politique s‟il ne triomphait pas sur le champs de bataille. Pour pouvoir
consolider son empire, améliorer son armée et réduire la puissance de ses ennemis il fallait à
tout prix faire venir des instructeurs militaires étrangers. Et sachant que le Kuomintang avait
l‟intention de renégocier les nombreux traités inégaux dont la Chine était victime cela aurait
été seulement en position de force, avec un pays soudé et une armée conséquente que les
négociations auraient pu se dérouler avec succès127.
Tchang Kaï-chek suivit l‟exemple de Sun Yat-sen, qui avait démarché des militaires
allemands, et plus particulièrement le maréchal Erich Ludendorff (1865-1937)128, en 1923
pour trouver des conseillers militaires. Il envoya des émissaires à Berlin pour trouver des
conseillers qui pourraient rempalcer les conseillers soviétiques. Ces envoyés furent, soit le
126
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 17 mars 1928
Robert Bedeski, State building in modern China : the Kuomintang in pre war period, University of
California, Institute of Eats Asian Studies, Berkeley, USA, 1981
128
Hans J. van de Ven, op. cit
127
48
général Chiang-Tso-Ping (1884-1942)129, soit le docteur Chu Chia-hua (1893-1963)130, qui
avaient étudié l‟ingénierie des mines à Berlin. Ce point de l‟histoire de la mission militaire
allemande en Chine n‟est pas très précis car de nombreuses sources citent l‟un ou l‟autre des
deux hommes, mais jamais les deux en même temps, comme envoyé spécial en Allemagne
par Tchang Kaï-chek. On peut cependant imaginer que les deux personnages se soient trouvés
simplement en Allemagne au même moment et aient travaillé de concert sur le même objectif.
Dès leur arrivée en Allemagne ils rencontrèrent le maréchal Ludendorff pour lui
redemander de venir en Chine afin d‟aider à la construction d‟une armée chinoise nationale de
meilleure qualité. Le maréchal Ludendorff était en effet un stratège militaire de grand renom ;
il avait remporté en 1914 la bataille de Tannenberg contre les armées russes qui étaient deux
fois plus nombreuses que ses hommes et il avait en partie planifié les offensives du printemps
1918 sur le front ouest. Ces offensives furent un demi-succès car le front recula de plusieurs
kilomètres mais, de par le nombre de soldats dans les armées alliées, les troupes du Kaiser ne
réussirent pas à l‟emporter.
La coopération entre la Chine et l‟Allemagne sur le plan militaire n‟était pas
entièrement nouvelle. En effet, dès le XVIIe siècle, un prêtre allemand avait aidé la dynastie
Ming à fabriquer des armes à feu pour se défendre contre les Mongols131. Le résultat fut
cependant loin d‟être à la hauteur puisqu‟en 1644 cette dynastie dut céder le « mandat du
ciel » à celle des Mandchous. Plusieurs années plus tard, vers la fin du XIX e siècle, fut
décidée par Yuan Shikai la création de la « nouvelle armée », qui devint plus tard « l‟armée de
Beiyang ». Les soldats présents étaient équipés et formés à l‟européenne et ce notamment par
des armes allemandes132. Des soldats chinois avaient été envoyés en Allemagne pour
apprendre à piloter des avions peu avant la Première Guerre mondiale133 et, même dans les
années 20, il n‟était pas rare de continuer à voir des soldats chinois dans le nord du pays
recevoir un entraînement « à l‟allemande »134.
Cependant le maréchal Ludendorff, bien que tenté par cette offre, préféra la refuser ;
conscient que son déplacement en Chine, de par sa stature de stratège militaire et de sa
129
Archives du Quai d‟Orsay, dossier Chine 1918-1940, carton 537 « sur la mission allemande »
William C. Kirby, Germany and Republican China, Stanford University Press, USA, 1984
131
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
132
Elisabeth Kaske, Bismarcks Missionäre : deutsche Militärinstrukteure in China (1884-1890), publié par
Harrassowitz, Wiesbaden, Allemagne 2002
133
Anthony Chan, Arming the Chinese, The western armaments trade in warlord China (1920-1928), University
of British Columbia Press, Vancouver, Canada, 1982
134
NARA, boîte numéro 1513, Records of the Military Intelligence, microfilm n° 36, rapport de 1926
intitulé ―The Chinese Army‖
130
49
participation au putsch de la Brasserie en 1923, pourrait poser des problèmes politiques135.
Toutefois, il leur proposa le nom du général Hans von Seeckt qui, lui-même, soumit le nom de
l‟un de ses anciens collaborateurs, le général Wetzell. Mais celui-ci refusa à son tour la
proposition et donna à la délégation chinoise le nom du colonel Max Bauer. C‟est ainsi que la
plupart des officiers qui allèrent en Chine partirent grâce aux recommandations du maréchal
Ludendorff qui fut même qualifié de « fournisseur officiel »136.
L‘analyse de la situation chinoise par le colonel Max Bauer
Le colonel Max Bauer (1869-1929) était un militaire qui
rejoignit dès l‟âge de 21 ans la « Deutsches Heer » (l‟armée de
l‟Empire allemand). D‟année en année, il acquit beaucoup
d‟expérience dans la pratique de la guerre ainsi que dans
l‟industrie de l‟armement. Il devint dès 1905 responsable d‟une
partie de la communication interne de l‟armée comme aide-decamps. Son travail consistait à assurer le bon fonctionnement du
transfert d‟information entre le Quartier Général et les troupes au
front. Il était aussi expert en artillerie et fut responsable en 1914,
lors de l‟avancée des troupes allemandes en Belgique, de la
destruction des forts de Liège qui protégeaient la ville.
Travaillant à l‟état-major sous les ordres du général Moltke qui
perdit la bataille de la Marne puis du duo Hindenburg et de
Ludendorff il participa en 1916 au « programme d‟Hindenburg »
ou « Rüstungprogramm » (Trad. : programme d‟armement). Ce
projet visait à augmenter fortement la capacité productive de
l‟industrie allemande pour la guerre afin de remporter la victoire.
Le colonel Max Bauer
Ses qualités militaires furent reconnues puisqu‟il reçut dès 1916 la médaille de « Pour le
Mérite », la plus haute distinction militaire de l‟Empire allemand.
Max Bauer était aussi politiquement marqué très à droite. Ayant un goût du complot, il
voulait que seule l‟armée soit en charge des questions du gouvernement pendant la guerre de
14-18 et tenta de faire tomber le chancelier Bethmann-Hollweg (1856-1921) pendant la
première guerre mondiale. Puis il participa avec le conservateur Wolfgang Kapp (1858-1922)
135
136
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
Achives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 15 janvier 1931
50
à sa tentative de coup d‟État en 1920 à Berlin, qui avait pour but de renverser la jeune
république137. Suite à l‟échec de cette manœuvre, il vécut en exil jusqu‟à une amnistie
générale en 1925. Il profita de ce moment pour voyager dans plusieurs pays comme l‟URSS
ou l‟Argentine et, à son retour en Allemagne, il tenta sans succès de devenir un nom
important dans la littérature militaire de l‟après-guerre138. Cette proposition de travailler en
Chine lui permettait donc d‟avoir de nouveau un travail dans la mesure où de nombreux
officiers avaient été mis à la retraite anticipée après l‟interdiction faite à l‟Allemagne d‟avoir
une armée de plus de 100 000 hommes. Une telle opportunité devait sans doute être trop
intéressante pour ne pas être acceptée, d‟autant plus qu‟au moment où il embarqua pour
Shanghai, les Soviétiques, qu‟il détestait, n‟étaient plus présents en Chine.
Le colonel Max Bauer partit seul effectuer une première visite en Chine dans le
courant du mois de décembre 1927 et il se déguisa même en banal voyageur pour ne pas être
reconnu par d‟éventuels espions139. Il resta ainsi jusqu‟au printemps 1928 pour étudier le pays
afin de pouvoir proposer des solutions à Tchang Kaï-chek pour maintenir et approfondir le
contrôle du Kuomintang sur la Chine140. Le colonel Bauer avait pendant son premier voyage
en Chine écrit un rapport qu‟il remit à Tchang Kaï-chek avant son départ. Après ses
déplacements il lui proposa une série de réformes que le nouveau gouvernement chinois se
devait d‟adopter pour renforcer l‟armée et le pays141.
Partie I – concernant l’armée
Il fallait restructurer de fond en comble l‟organisation des armées chinoises en
licenciant la majorité des troupes, qui étaient au nombre de 180 divisions, soit pratiquement 2
millions d‟hommes, pour n‟en avoir plus que 100 000. De là les divisions restantes seraient
formées par des conseillers allemands et l‟on ferait progressivement monter l‟armée à 500 000
hommes. Ainsi il y aurait une petite armée disciplinée fidèle au gouvernement au lieu de cette
immense masse de « coolies déguisés en soldats » qui composaient par millions les armées
chinoises. Ne possédant aucun professionnalisme ils pouvaient facilement suivre un général
rebelle dans la mesure où les troupes étaient payées par les généraux. Ce nouveau système
empêcherait donc toute velléité de sécession. Quant à la manière dont devaient se battre les
137
John P. Fox , Max Bauer : Chiang Kai-Shek's First German Military, Adviser, Journal of Contemporary
History, Vol. 5, No. 4, p. 21-44, 1970
138
Hsi-Huey Liang, op. cit., p. 47
139
William C. Kirby, op. cit.
140
Kurt Bloch, German interests and policies in the far east, Institute of Pacific Relations, New York, USA,
1940
141
Archives du Quai d‟Orsay, dossier Chine – période 1918 à 1940, carton 537 « sur la mission allemande »
51
troupes, Tchang Kaï-chek souhaitait avoir des soldats qui se battent avec un moral d‟acier et
un sens du sacrifice digne des Japonais et qu‟ils soient endoctrinés politiquement à la manière
des Soviétiques. Bauer préfèrerait lui que la future armée chinoise investisse tout d‟abord, du
fait de son manque criant de matériel, dans le contre-espionnage, une aviation moderne, la
création d‟une police et un remodelage des unités.
Partie II – concernant l’industrie
Il y avait un besoin aigu de créer une industrie chinoise d‟armement capable de
produire des armes lourdes, des avions et des armes de soutien. En effet, au moment où le
colonel Max Bauer arriva en Chine, seuls 200 000 fusils pouvaient sortir des arsenaux chaque
année142, ce qui était un chiffre insignifiant comparé aux besoins d‟une armée moderne qui
avait besoin de tanks, de canons, d‟avions et de mitrailleuses ainsi que des moyens de
communication performants. Pour le colonel Bauer, la priorité était donc de construire cette
nouvelle industrie chinoise ; il se considérait d‟ailleurs plus comme un conseiller économique
que militaire143 et déclara :
« Il est inutile de parler d‟organiser une armée nationale tant qu‟il n‟y aura pas
d‟industrie [nationale chinoise] »144.
Partie III – concernant l’économie
Le colonel Bauer préconisait que l‟Allemagne devait investir en Chine afin de pouvoir
utiliser les matières premières, donnant ainsi aux Chinois les liquidités qui leur permettraient
de créer cette industrie nationale. Ensuite pour Bauer il fallait de toute urgence faire une
réforme agraire afin d‟endiguer la paupérisation des paysans qui représentaient plus de 80%
de la population. Cette réforme les rendrait ainsi consommateurs de produits et les
empêcherait de devenir soldats pour le compte d‟un seigneur de guerre. Comme nous l‟avions
indiqué précédemment les paysans devenaient souvent soldats afin de pouvoir subvenir à
leurs besoins en pillant des villes lors des batailles. Le colonel Bauer proposa au
gouvernement chinois de contacter et d‟engager un agronome autrichien qui pourrait les aider
dans ce domaine.
142
Hsi Sheng Chi‟i, Warlord politics in China 1916-1928, Stanford University Press, USA, 1976
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), article military advisers and german assistance for chinese
industrialization, op. cit.
144
William C. Kirby, op. cit.
143
52
Ce programme, très ambitieux et qui ne relevait pas du domaine militaire, nécessitait
donc que des Allemands y participent afin qu‟ils puissent aider à son fonctionnement. Ainsi le
colonel Bauer repartit en Allemagne au printemps 1928 et y resta plusieurs mois pour revenir
le 13 novembre 1928 à Canton avec 26 officiers spécialisés dans plusieurs domaines comme
l‟instruction militaire, l‟armement, la police et l‟agronomie145. Il emmena aussi en Allemagne
avec lui un général chinois du nom de Shanji pour visiter plusieurs usines en vue d‟acheter
des armes146. Ce lien entre les conseillers et l‟industrie allemande allait ainsi devenir un
problème récurrent dans la mission militaire allemande147.
Le début de la mission militaire sous le commandement du colonel Max Bauer (1929-1929)
Après son arrivée à Canton avec ses collègues, le colonel Max Bauer se mit
immédiatement au travail. Il profita de son voyage en Europe pour organiser un réseau basé
en Allemagne, en Suisse et en Autriche, qui serait entièrement au service de Tchang Kaï-chek
concernant l‟achat d‟armes et l‟envoi de conseillers148. La plupart de ces personnes étaient des
amis à lui, il pouvait ainsi compter sur leur soutien total. A titre d‟exemple son propre fils
travaillait au département commercial de la délégation chinoise à Berlin, ce qui lui permettait
de contrôler la qualité du matériel envoyé en Chine.
Cette délégation, qui était une idée de Bauer, avait pour unique but d‟acheter des
armes et toute personne souhaitant commercer du matériel militaire à destination de la Chine
devait passer par cette administration dont tous les membres avaient leurs cartes au
Kuomintang. Il était donc bien plus difficile pour des citoyens allemands de vendre des armes
à des seigneurs de guerre indépendants du gouvernement central sans son autorisation149. Par
ailleurs Bauer possédait, du fait de son appartenance au « programme Hindenburg », de très
bonnes connaissances dans le domaine de l‟armement dont il pouvait faire profiter ses
employeurs chinois. Il connaissait ainsi de nombreuses personnes, comme la famille Krupp,
célèbre pour ses canons ou encore Hugo Junkers (1859-1935), le fondateur de l‟entreprise
éponyme fabricant des avions de guerre150. Ces connaissances étaient très importantes, étant
donné qu‟en juin 1927 lors de la négociation entre le docteur Chu Chia-hua et le colonel
145
Hans J. van de Ven, op. cit.
NARA, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―Colonel Bauer‘s military mission on China‖ 5 décembre 1928
147
A ce sujet consulter la page 77 dédié à ce sujet dans la présente étude
148
Hsi-Huey Liang, op. cit., p. 48
149
Ibid, p. 49
150
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
146
53
Bauer, l‟envoyé de Tchang Kaï-chek fit comprendre qu‟un immense marché sur les armes
existait pour ceux qui travailleraient avec le Kuomintang151.
En Chine, même la plupart des officiers que le colonel Max Bauer avait emmenés avec
lui furent employés en tant que formateurs pour jeunes officiers qui avaient pour charge par la
suite de former à leur tour leurs hommes et même des collègues 152. On aurait pu ainsi
s‟attendre à ce que ces « conseillers militaires » passent le plus clair de leur temps à donner
des conseils aux officiers lors de campagnes ou de batailles mais l‟utilisation majeure qui sera
faite d‟eux sera justement la formation de troupes153.
D‟autres conseillers qui n‟étaient pas des militaires viendront aussi en Chine grâce à la
présence du colonel Bauer pour donner leurs avis sur des sujets très divers. On retrouve le cas
de plusieurs personnes comme154 :
- Le docteur Schubart, qui travaillant dans la finance, devait aider aux questions économiques,
- Le professeur Keiper, un géologue censé trouver des ressources naturelles,
- Le docteur Amann, un employé de Siemens qui pouvait apporter sa contribution sur les
questions concernant l‟industrie,
- Le lieutenant-colonel Spiess et un certain « Monsieur Jordan » qui avaient des compétences
concernant l‟utilisation de radios militaires,
- le docteur Van Zanthier, agronome de son métier155.
Après l‟arrivée des Allemands, le gouvernement chinois pendant près de six mois
(jusqu‟en janvier 1929) tenta, lors de la « conférence de réorganisation et de dissolution »,
par la voix de T.V. Song (1894-1971), qui était le beau-frère de Tchang Kaï-chek, de réformer
l‟ensemble des armées présentes en Chine. Sachant qu‟officiellement le pays était uni et en
paix sous la bannière du Kuomintang, il n‟y avait plus de raison pour garder un tel nombre
d‟hommes sous l‟uniforme156. Le plan de réorganisation de l‟armée préconisé par T.V. Song
était assez proche de celui préconisé par le colonel Bauer ; il proposa de faire passer
l‟immense armée chinoise de plus de 2 millions d‟hommes, par une réduction progressive des
troupes jusqu‟à 900 000 hommes pour 60 divisions. Puis, dans une deuxième phase de la
151
William C. Kirby, op. cit.
NARA, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―German influence in China‖, 5 février 1929
153
Ibid, rapport numéro 7687 ―German military mission employed by Tchang Kaï-chek‖, 25 avril 1930, USA
154
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
155
Archives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
française de Shangai, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934
156
Hsi-Sheng Ch‟i, Nationalist China at war, The University of Michigan Press, USA, 1982
152
54
réduire à 450 000 soldats. Le reste des troupes devait être reconverti dans la création d‟une
police et de troupes de génie qui auraient pour but d‟aider à la reconstruction du pays décimé
par quinze ans de guerre civile157. L‟argument principal de cette démarche était que maintenir
tant d‟hommes armés pesait très lourd dans le budget et qu‟il fallait mieux utiliser cette maind‟œuvre pour une politique de grands travaux158.
La conférence entérina officiellement la demande auprès de l‟ensemble des
participants. Mais dans la mesure où tous les participants étaient des seigneurs de guerre et
qu‟ils souhaitaient garder le plus d‟hommes possible sous leur contrôle, cette conférence fut
un échec retentissant. Six mois plus tard, pas un seul soldat n‟avait été licencié 159. Tchang
Kaï-chek, qui ne dirigeait que 5 à 10% de l‟ensemble des forces chinoises, ne put donc pas
imposer à ses adversaires cette réforme qu‟il souhaitait ardemment mettre en place pour
conserver son leadership sur les cliques. Cependant leur refus lui permit ainsi de défaire en
1929 la clique Guangxi et la majeure partie des seigneurs de guerre lors de la guerre des
plaines centrales en 1930, le confirmant à nouveau en tant que chef du pays.
Une aide militaire lors des nouvelles guerres civiles (1929-1931)
Bien que Tchang Kaï-chek fut devenu l‟homme fort du pays à partir de juillet 1927
face à l‟aile gauche du Kuomintang, il devait pendant encore de nombreuses années faire face
à des mouvements de rébellion parmi les seigneurs de guerre. Pendant la moitié de l‟année
1928 il dut combattre Zhang Zuolin qui était le dernier adversaire de l‟unification chinoise par
le Kuomintang. Après son assassinat en juin 1928 son fils Zhang Xueliang prit le pouvoir et
entreprit de négocier sa reddition avec Tchang Kaï-chek. Après plusieurs mois de
négociations le drapeau du Kuomintang flotta finalement sur l‟ensemble du pays lors de la
saint sylvestre.
Mais suite à la conférence portant sur la réorganisation de l‟armée et par peur de voir
Tchang Kaï-chek s‟imposer comme chef suprême plusieurs seigneurs de guerre décidèrent de
se rebeller contre l‟autorité de Nankin. Les conseillers militaires allemands ne devaient pas
participer aux combats, leurs contrats indiquant qu‟ils devaient former des aspirants officiers
ou des officiers. Même lors d‟une interview au North China Daily News, le colonel Bauer
déclara qu‟il n‟avait pas pris part à des combats en Chine160. Cette affirmation peut cependant
157
Hsi-Sheng Ch‟i, op. cit.
Hans J. van de Ven, op. cit., p. 135
159
SHD, série 7N, carton 3284, note du 27 août 1929
160
North China Daily News, 16 novembre 1928, Chine
158
55
toutefois être sujette à caution, sachant qu‟un attaché militaire américain, en avril 1928, se vit
refuser l‟accès de l‟état-major de Tchang Kaï-chek ; il apprit par la suite que deux conseillers
militaires allemands étaient présents dans la pièce et que l‟on ne souhaitait pas qu‟il les vît161.
Un ancien membre de l‟état-major de Tchang Kaï-chek, F. F. Liu, raconte aussi que
Bauer planifia lui-même une offensive qui fut victorieuse contre les troupes du seigneur de
guerre Li Zongren (1890-1969)
162
et ce, en moins d‟une semaine163. Par ailleurs, selon
toujours F. F. Liu, l‟état-major avait été entièrement réorganisé en octobre 1928 suivant un
modèle copié de l‟état-major allemand164. En 1929 Bauer prépare aussi un plan d‟attaque
contre le seigneur de guerre Feng Yuhxiang (1882-1948)
165
qui fut défait sur le champ de
bataille.
Puis, en 1931 les services diplomatiques français relevèrent que si Tchang Kaï-chek
avait pu triompher de ses ennemis lors de la guerre des plaines centrales de 1930 et affirmer
sa position comme nouveau leader de la Chine face à ses adversaires politiques, au même titre
que Feng Yuxiang ou Yan Xishan (1883-1960), c‟était en grande partie grâce à ses conseillers
allemands. Il est tout simplement écrit que ces personnes ont « Joué un rôle décisif dans les
opérations menées victorieusement contre les forces du nord. »166.
Ainsi la qualités guerrières des Allemands et leurs conseils qui permirent souvent aux
forces du Kuomintang de remporter souvent la victoire. En raison de cela les Chinois
apprécièrent énormément dans les premiers temps les Allemands167.
La mort du colonel Bauer (6 avril 1929) et le bilan de son commandement
Le colonel Max Bauer cependant n‟eut jamais la possibilité de voir les fruits de son
travail ni d‟influencer très longtemps la politique intérieure de la Chine car il mourut à
Shanghai le 6 avril 1929 de la variole, une maladie très contagieuse qui même en cas de
survie du sujet l‟aurait laissé considérablement défiguré. La question restera de savoir s‟il a
été empoisonné au moyen d‟une souche de la maladie déposée sur sa serviette de bain comme
161
NARA, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―German economic aspiration in China‖, 12 juin 1928
162
F. F. Liu, op. cit.
163
Evans Carlson, The chinese army, Institute of Pacific Relations, New York City, États-Unis, 1940
164
F. F. Liu, op. cit.
165
SHD, série 7N, carton 3284, note du 14 juin 1929
166
Archives du Quai d‟Orsay, Chine, carton 537 « sur la mission allemande », note du 15 janvier 1931, France
167
NARA, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―German advisers to Chiang Kai Shek‖, 9 avril 1930
56
l‟affirma sa secrétaire personnelle168 car il avait de nombreux ennemis169. De plus, il était à ce
moment-là en train de superviser une partie des combats qui se déroulaient dans le long du
fleuve Yangzi contre les troupes de la clique Guangxi établies en Chine centrale 170, suite à
l‟échec des négociations portant sur la réduction du nombre de troupes en Chine. Or ces
combats étaient justement en train de tourner en faveur de Tchang Kaï-chek et les conseils du
colonel Max Bauer n‟étaient pas étrangers à cette situation171. La veille de sa mort, il avait
établi un plan de bataille pour les soldats de Tchang Kaï-chek qui furent une fois de plus
victorieux.
Sa mort se fit durement ressentir par l‟état-major de Tchang Kaï-chek et par la mission
militaire allemande. Tchang Kaï-chek, qui était un intime du colonel Bauer, regretta sa mort et
ne fut sans doute jamais aussi proche de l‟un de ses conseillers allemands, seul Alexander von
Falkenhausen gagna le même respect et la même confiance du généralissime172. Le lieutenantcolonel Hermann Kriebel qui succéda à Max Bauer déclara que sa mort aura tout simplement
eu pour effet « De diminuer de moitié la valeur de nos effort »173.
En effet le colonel Max Bauer était un organisateur d‟expérience et un très bon
stratège, comme le prouve la campagne éclair contre Li Zongren. Mais on peut se demander,
si même en restant vivant, il aurait pu changer considérablement le destin de la Chine. Malgré
ses importantes relations dans l‟industrie de guerre allemande, les nombreux et divers
conseillers qu‟il emmena en Chine ainsi que le soutien de Tchang Kaï-chek à ses propositions
pour réformer le pays, la mission militaire ne réussit pas à atteindre la plupart des objectifs
que le colonel Bauer avait consigné dans son rapport pour améliorer l‟armée et l‟état du pays.
L‟armée en elle-même n‟avait pas été substantiellement réduite, aucune industrie de
grande ampleur n‟avait pu voir le jour alors que c‟était le point le plus important pour le
colonel Bauer. Il n‟y eu pas de création d‟aviation de guerre 174 et les conseillers civils ne
restèrent pas très longtemps en Chine du fait de la quasi-impossibilité d‟y travailler dans de
bonnes conditions. Par exemple le docteur Van Zanthier décidera de partir à la fin de l‟année
168
Ibid, rapport numéro 7543 ―German Officiers in China‖, 9 juin 1929
Robert Berkov, Strong man of China, The Riverside Press, Cambridge, États-Unis, 1938
170
Hsi-Huey Liang, op. cit. p. 50
171
Arthur Young, China‘s nation-building effort, the financial and economical record, Hoover Institution Press,
Stanford University, USA, 1971, p. 350
172
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.,
173
Archives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 29 janvier 1930
174
Hsi-Sheng Ch‟i, op. cit.
169
57
1930 suite à l‟impossibilité de mettre en place ses projets eu égard au « chaos qui [régnait] à
l‟intérieur du pays »175.
D‟un autre coté la mission militaire allemande permit à certaines parties de l‟armée du
Kuomintang de recevoir une formation de qualité, un rôle de formateurs qu‟ils auront à tenir
la plupart du temps pendant la durée de la mission. De plus ils dispensèrent de bons conseils
tactiques permettant à Tchang Kaï-chek de triompher de ses ennemis lors des années
suivantes. Mais tout ne fitdu généralissime que le seigneur de guerre le plus puissant du pays,
qui règnera d‟une manière quasi féodale. Le colonel Bauer ne lui aura pas permis de devenir
un chef d‟état reconnu de tous, dirigeant un pays moderne capable de se défendre contre tous
types d‟agressions comme les attaques continues des Japonais dans les années 30 qui allaient
grignoter petit à petit le territoire chinois, voire même les traités inégaux qui n‟existaient
qu‟en Chine.
Cependant vu les six mois qu‟a duré la mission du colonel Bauer on peut comprendre
que la Chine n‟ait pu devenir soudainement un pays capable de se faire entendre dans le
concert des nations. Mais la mission militaire allemande qui allait pourtant continuer encore
plusieurs années n‟arriva pas non plus rapidement à des résultats plus concluants. Il fallut
attendre pratiquement le milieu des années 1930 pour espérer une véritable amélioration.
La mission militaire allemande sous la direction du lieutenant-colonel Hermann Kriebel
(1929-1930)
La mission militaire allemande venait donc de perdre son chef et il fallait de toute
urgence le remplacer, ce fut donc l‟un de ses meilleurs amis, le national-socialiste Hermann
Kriebel (1876-1941) qui prit sa place pendant plusieurs mois. Le lieutenant-colonel Kriebel
était aussi un militaire de carrière, qui fit ses débuts dans l‟armée dès l‟âge de 18 ans. Il
participa en 1900 à l‟expédition contre les boxers du fait de son appartenance à l‟infanterie
marine puis, durant la Première Guerre mondiale travailla au quartier général de Ludendorff
tout comme le colonel Bauer. Il était aussi marqué politiquement très à droite et faisait partie
de la délégation allemande lors des négociations de 1919. À la fin de celles-ci il tira un coup
de feu en l‟air et cria « nous nous reverrons dans 20 ans » puis se rapprochera politiquement
d‟Adolf Hitler176. C‟est pour cette raison qu‟il participera avec le futur chancelier et
175
Archives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
française de Shangai, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934
176
F. F. Liu, op. cit.
58
Ludendorff au putsch de la Brasserie en 1923 à Munich alors qu‟au même moment le colonel
Bauer était en exil suite à sa participation au putsch de Kapp de 1920. Condamné avec les
conjurés il fut condamné à quelques mois de prison puis fut libéré dès 1924 en même temps
qu‟Adolf Hitler.
Il arriva en Chine quelques mois après le retour du colonel Bauer en Chine où il
participa à la mission militaire du fait de ses compétences militaires. Plus tard, en tant que
chef de la mission militaire, il se contenta de former des officiers et de donner des conseils au
quartier général de Tchang Kaï-chek177 pendant près d‟un an, lui permettant ainsi d‟aider
Tchang Kaï-chek à remporter la victoire contre les troupes de Feng Yuxiang lors de la guerre
des plaines centrales de 1930178.
Photo des accusés lors du procès des principaux organisateurs du putsch de la Brasserie
(1923). Hermann Kriebel (1876-1941), qui est le 4e à gauche, est à côté de Ludendorff qui
se tient lui-même à côté d’Hitler.
177
Archives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
française de Shanghai, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934
178
Hsi-Huey Liang, op. cit., p. 92
59
Les relations entre les deux hommes ne furent pourtant pas aussi cordiales qu‟avec le
colonel Bauer. D‟une part il se fit un ennemi du responsable du « département commercial » à
Berlin chargé d‟acheter les armes allemandes puis fut rapidement détesté de hauts
responsables chinois en raison des violentes critiques qu‟il émettait sans considération.
D‟autre part Kriebel possédait l‟image d‟un putschiste qui avait fait de la prison pour ses actes
tandis que le colonel Bauer avait été officiellement amnistié pour ses actes de 1920. Ainsi tout
contact avec des entreprises allemandes et surtout avec des officiels de la République de
Weimar était délicat179.
Mais là où Kriebel réussit le moins, ce fut de contrômer ses hommes et de les faire
travailler. Les instructeurs passaient le plus clair de leur temps à boire et s‟amuser. C‟est
pourquoi le 1er janvier 1930 lors d‟une projection d‟un film consacré à la Première Guerre
mondiale à laquelle assistaient l‟ensemble des conseillers militaires vivant à Nankin, Tchang
Kaï-chek présent à la projection prit la parole pour déclarer :
« Parmi [les conseillers militaires] il en est qui depuis un an n‟ont rien fait. Ceci est
particulièrement décevant »180 et « Le gouvernement chinois n‟hésite pas à dépenser
beaucoup d‟argent pour inviter des conseillers allemands à venir en Chine […] Ne
manquez donc pas à vos devoirs alors que vous êtes payés »181.
Tchang Kaï-chek était particulièrement mécontant de voir que de nombreux
Allemands venus en Chine ne travaillaient pas beaucoup et lorsqu‟il tenta en juillet 1929 de
prendre le contrôle du chemin de fer mandchourien qui appartenait aux Soviétiques, ceux-ci
lancèrent une contre-attaque qui balaya les troupes du Kuomintang pourtant bien plus
nombreuses, et pénétra jusqu‟à plus de 300 kilomètres à l‟intérieur de la Chine182, humiliant
ainsi le Kuomintang. Pour le généralissime cette défaite était en partie de la faute des
Allemands qui n‟avaient su se montrer à la hauteur de la mission qui leur avait été confié.
C‟est pourquoi la déclaration du 1er janvier 1930 de Tchang Kaï-chek à ses conseillers fut
même rendue publique par voie de presse.
Pour toutes ces raisons, l‟état-major du Kuomintang décida de remplacer Hermann
Kriebel comme chef de mission en août 1930 par le général Georg Wetzell (1869-1947). Son
179
Hsi-Huey Liang, op. cit., p. 92
Archives du Quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
181
NARA, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―Colonel Bauer‘s military mission on China‖ 22 janvier 1930
182
Journal « Time Magazine », 9 décembre 1929, États-Unis
180
60
travail en Chine n‟était cependant pas terminé puisqu‟il resta encore quelque temps conseiller
militaire puis revint dans le pays en 1934 en tant que représentant du parti national socialiste,
remplaçant par la suite ainsi de manière officieuse l‟ambassadeur Oskar Trautmann qui fut
rappelé en 1938. Il resta ainsi en Chine jusqu‟en 1941 puis revint en Allemagne après que le
3e Reich eut reconnu le régime fantoche de Nankin dirigé par Wang Jingwei comme seul
gouvernement de la Chine. Hermann Kriebel décédera de mort naturelle à Munich quelques
mois après son retour en Europe.
2) La mission militaire sous le commandement de Georg
Wetzell (1930-1934)
Suite aux nombreux déboires et problèmes survenus alors que le lieutenant
Hermann Kriebel était chef de la mission militaire allemande, Tchang Kaï-chek décida au
bout d‟un an de changer de responsable pour la mission
allemande. Son choix s‟arrêta sur le général Georg Wetzell
(1869-1947), qui était également un proche de Ludendorff. Le
général Wetzell était monté bien plus haut dans la hiérarchie
militaire que ses deux prédécesseurs. En effet, lors de la première
guerre mondiale, il avait fait partie de l‟état-major du IIIe ainsi
que celui du XVIII e corps d‟armée sur le front ouest. Il travailla
avec Ludendorff et, en 1917, avait conçu en partie les plans
militaires qui permirent aux allemands d‟enfoncer les lignes
italiennes lors de la bataille de Caporetto. Il continua à travailler
dans la nouvelle armée allemande jusqu‟en 1927 et était, tout
comme la plupart des conseillers militaires, politiquement engagé
à l‟extrême droite. C‟est pour toutes ces raisons qu‟il fut choisi
personnellement par Tchang Kaï-chek après que le docteur Chu
Chia-hua a été chargé de trouver un successeur à Kriebel 183.
Le général Georg Wetzell (1869-1947)
Dès son arrivé en Chine, le général proposa à Tchang Kaï-chek plusieurs
solutions pour continuer la réforme de son armée, autre la formation des troupes qui
183
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
61
tenait à cœur à Tchang Kaï-chek. Il fallait selon le général allemand construire des
routes, des aéroports, améliorer la communication entre les différentes troupes, et laisser
les officiers et sous-officiers prendre des initiatives 184. En plus, de ses compétences
militaires Georg Wetzell fut aussi choisi car il possédait tout comme le colonel Bauer,
de nombreux contacts dans le monde de l‟industrie, qu‟il avait noués lors de la Première
Guerre mondiale. Les relations de Georg Wetzell permirent à ces employeurs chinois de
pouvoir acheter de nombreuses armes de bonne qualité185.
Sous son commandement la mission militaire allemande permit à l‟armée
chinoise de continuer sa modernisation. Wetzell réorganisa l‟état-major de Tchang Kaïchek, donna de nombreux conseils sur le ravitaillement des troupes, réorganisa et
entraina des divisions qui s‟avévèrent bien plus efficaces contre l‟ennemi que ne le
furent celles non entrainées par des Allemands. Sur le plan de la formation, il créa des
écoles de guerre avec des manuels traduits en allemand afin de remplacer les vieux
manuels japonais datant des années 1900. Il augmenta aussi la taille de la mission
allemande pour porter le nombre de conseillers d‟une quarantaine à une petite
centaine186-187. Il fit ainsi venir de nouvelles recrues qui joueront un rôle important dans
l‟histoire militaire chinoise. Par exemple l‟un des nouveaux conseillers, Walter Stennes
(1895-1989), devint plus tard le garde du corps personnel de Tchang Kaï -chek188.
De par ses nombreuses relations dans le milieu industriel, le général Wetzell
aurait pu permettre une industrialisation plus rapide du pays, mais cela ne fut pas le cas
pendant son séjour en Chine 189 ; une usine d‟armement par exemple devait voir le jour
mais ne put être construite faut de moyens 190. Le pays ne vit donc sa capacité de
production industrielle augmenter qu‟à partir du milieu des années 1930. Par ailleurs, ce
fut sous son commandement que tout officier souhaitant acheter des armes devait
184
Jerry b. Seps, Bernd Martin (direction), op. cit.
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
186
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 26 juin 1933
187
Ibid, rapport du service politique de la police française de Shangaï, « rapport sur la mission militaire
allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934,
188
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
189
William C.Kirby, op. cit.
190
Ibid
185
62
dorénavant faire une demande à l‟administration et ne pouvait passer des commandes
tout seul, ce qui était la norme jusqu‟à ce moment 191.
En ce qui concerne le travail de formation de divisions entières, le général
Wetzell aurait formé, dès le début de l‟année 1932, 3 divisions soit près de 30 000
hommes. Cependant ces troupes pouvaient toujours être améliorées car deux points dont
à préciser : il y avait une carence en équipement d‟artillerie ainsi qu‟en nombre de
mitrailleuses 192. De plus, le général Wetzell demandait à Tchang Kaï-chek de ne pas
donner des responsabilités trop grandes à des officiers qui n‟avaient jamais pris part aux
combats, mais ce conseil ne fut jamais véritablement suivi 193.
D‟ailleurs, Tchang Kaï-chek, voyant la qualité de ses troupes et les nombreuses
victoires qu‟il réalisait avec celles-ci, redemanda de manière toute officielle au
gouvernement allemand, dès le mois de novembre 1930, d‟envoyer jusqu‟à 100
instructeurs militaires afin de pouvoir faire passer de 3 à 12 le nombre de divisions
d‟élites ou « divisions de fer » qui lui ont permis de s‟imposer sur les champs de
bataille. Néanmoins cette demande provoqua de nombreux remous au sein du
Kuomintang, ses membres avaient peur qu‟une telle demande ne puisse permettre à au
généralissime de s‟imposer comme chef suprême et dictateur 194. Ces divisions, pour les
services
diplomatiques
français,
étaient
tout
simplement
qualifié
de
« garde
prétorienne »195. Equipées comme des divisions européennes, elles possédaient
pratiquement tout le matériel nécessaire à une guerre moderne, comme des obusiers, des
fusils mitrailleurs, des canons de 155mm et des équipes de téléphonistes pour
transmettre les ordres 196. C‟était une révolution dans la manière de faire la guerre
sachant que quelques années auparavant seul des estafettes s‟occupaient de transmettre
les ordres depuis le QG jusqu‟aux soldats en première ligne.
191
Archives du quai d‟Orsay, Chine – période 1918 à 1940, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du
service politique de la police française de Shangaï, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro
686/2, 27 décembre 1934
192
Hans J. Van de Ven, op. cit.
193
Chang Jui-Te, Nationalist Army Officers during the Sino-Japanese War (1937-1945), Modern Asian Studies,
Vol. 30, No. 4, Special Issue: War in Modern China (Oct., 1996), p. 1033-1056, Royaume-Uni, 1996
194
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 4 novembre 1930
195
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 15 janvier 1931
196
SHD, série 7N, carton 3297, note du 5 août 1931
63
L‘utilisation des divisions entrainées à l‘allemande sur les champs de bataille
Comme nous l‟avons déjà évoqué, dès 1930, deux des trois divisions qui avaient
été entrainées par les Allemands furent employées lors de la Guerre des plaines
centrales. Ces régiments ne représentèrent qu‟une infime partie du nombre d‟hommes
qui prirent part à ces combats, près de 1.6 millions d‟hommes furent mobilisés et parmis
eux 240 000 y furent blessés ou tués 197. Et c‟était sans oublier les négociations secrètes
entre différents seigneurs de guerre qui étaient parfois bien plus importantes que les
batailles dans l‟environnement politique et guerrier de la décennie de Nankin. Cependant
elles aidèrent Tchang Kaï-chek à remporter la victoire puisqu‟elles se battirent de
manière remarquable contre les troupes de Feng Yuxiang198.
En revanche les divisions entrainées par des Allemands furent particulièrement
efficaces lors de la bataille de Shanghai qui se déroula en 1932. En effet, les Japonais
suite à des heurts entre Japonais et Chinois à Shanghai demandèrent à la municipalité
des dédommagements et au gouvernement chinois de retirer toute troupe dans un rayon
de 20 kilomètres. Pendant les négociations, les Japonais décidèrent dinalement
d‟attaquer la ville et la bataille engagea près de 100 000 japonais (infanterie, marine et
aviation) contre
près de 500 000 chinois dont la 87 e et 88 e divisions qui était les
divisions chinoises les plus modernes. D‟ailleurs, des officiers allemands suivaient ces
divisions pour surveiller leurs élèves 199. Leur présence embarrassa considérablement le
gouvernement allemand qui se vit ainsi critiqué par le Japon pour laisser des européens
interférer dans les affaires asiatiques 200.
Les Japonais, après plusieurs semaines de combats, réussirent à remporter la
victoire contre les troupes chinoises, mais ce fut en grande partie grâce à leur flotte, à
leur aviation, et leurs troupes mieux équipées et plus nombreuses. En effet, le ciel de
Shanghai était tout simplement vide d‟appareils appartenant au Kuomintang, laissant
197
Jay Taylor, The generalissimo: Chiang Kai-shek and the struggle for modern China, Harvard University
Press, USA, 2009, p. 89
198
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2237, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, article de l‟Agence radiotélégraphique de l‟indochine et du pacifique, le 18
novembre 1930
199
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
francaise de Shangaï, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934, France
200
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2239, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, suite de télégrammes entre l‟ambassadeur Oskar Trautmann et le ministère
des affaires étrangères allemands.
64
ainsi la maitrise totale de l‟espace aérien aux Japonais 201. Cependant, malgré tous ces
problèmes, les troupes chinoises purent résister près de 5 semaines, notamment grâce à
la qualité des divisions entrainées par les Allemands.
Début mars 1932 un cessez le feu sous l‟égide de la Société des Nations fut signé
entre le Japon et la Chine, transformant ainsi Shanghai en zone démilitarisée. De là, les
troupes chinoises de la 87 e et 88 e divisions furent envoyées pour mettre fin à
l‟insurrection communiste qui sévissait dans le sud de la Chine et que les troupes du
Kuomintang n‟arrivaient pas à détruire 202.
L‘échec des campagnes militaires contre la République soviétique chinoise
Depuis 1930, le parti communiste chinois avait réussi, sous l‟impulsion de Mao
Zedong, à créer une base dans les montagnes de la région du Jiangxi qui devint en 1931
la République soviétique chinois. Or, Tchang Kaï-chek pensait qu‟il fallait d‟abord
pacifier le pays pour résister à la prochaine guerre entre le Japon et la Chine, qu‟il
pensait imminente. C‟est pourquoi pas moins de cinq campagnes d‟extermination furent
lancées contre les communistes, avec plus ou moins de succès, et c‟est la raison pour
laquelle les conseillers militaires allemands et les divisions qu‟ils entrainèrent y
participèrent. Pendant ces campagnes les Allemands étaient même auprès de leurs
hommes à superviser leur progression 203.
Les trois premières campagnes menées de décembre 1930 à juillet 1931 se
soldèrent par trois échecs successifs. La première fut un fiasco total. Les communistes
chinois, de par leurs contacts avec des espions russes, purent savoir exactement quand et
par où viendraient les troupes du Kuomintang, leur donnant ainsi la possibilité de leur
tendre des embuscades ; c‟est ainsi que le général en charge de la première campagne fut
même capturé et exécuté par les communistes 204. La deuxième campagne mobilisa deux
fois plus d‟hommes, soit 200 000, en mai et juin 1931 ; malgré cette mobilisation, aucun
résultat concluant ne fut atteint. La troisième campagne, avec encore plus de troupes,
soit 300 000 soldats, permit de faire reculer les communistes durant l‟été 1931. Mais cet
avantage militaire ne put être exploité suite à l‟invasion de la Mandchourie le 18
201
Arthur Young, op. cit., p. 352
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
francaise de Shangaï, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934
203
SHD, série 7N, carton numéro 3294, note du 15 juillet 1932
204
Jung Chang et Jon Halliday, op. cit.
202
65
septembre de la même année par les japonais donnant ainsi un temps de répits aux
troupes du PCC.
La quatrième campagne de suppression n‟eurent lieux que deux ans plus tard,
pendant l‟été 1933 avec près de 250 000 hommes et les divisions entrainées par les
Allemands furent utilisées ; mais là encore ce fut un échec. Tchang Kaï-chek considéra
que le général Wetzell n‟avait pas fait un bon travail et qu‟il était responsable de l‟échec
de la campagne205. Mais en dépit de ce fiasco, la mission militaire ne perdit pas grâce
aux yeux du chef de l‟État chinois 206. La république soviétique fut cependant annihilée
l‟année suivante, en grande partie grâce au travail et à la stratégie du général Von
Seeckt, successeur du général Wetzell au poste du commandement de la mission
militaire allemande.
La reconnaissance du travail accompli
Malgré l‟échec de la 4 e campagne contre les communistes, les efforts des
conseillers militaires allemands semblaient avoir porté leurs fruits car au début de 1933
les services diplomatiques américains remarquèrent le changement appréciable qui
c‟était opéré au sein de l‟armée chinoise :
« Les progrès réalisés par les troupes du gouvernement central sous la
supervision de cette mission [militaire allemande] ont été tels qu'ils convaincront
les plus sceptiques que la Chine aura une armée puissante et moderne [...]. Non
seulement les troupes et les officiers qui sont entrainés par des méthodes
modernes et équipés par des armes modernes, mais en plus, des plans sont
réalisés pour la construction d‟une usine d'acier, des arsenaux, des lignes de
communication, etc...
L'influence de cette mission sur l'entrainement du gouvernement central chinois a
été telle que nulle autre armée en Chine ne lui est comparable. Leur discipline,
leur tenue et leur morale les distinguent des autres troupes chinoises qui n'ont pas
eu le même entrainement. Durant les récents évènements à Shanghai, ces troupes
205
206
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 17 avril 1934
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 16 septembre 1933
66
ont démontré [...] qu'elles étaient capables d‟opposer un certain degré de
résistance face à une force de combat moderne. »207
De plus, Tchang Kaï-chek accepta d‟envoyer deux de ses conseillers militaires
allemands dans le nord de la Chine afin d‟aider ses alliés, suite à la présence japonaise
en Mandchourie, ce qui tend à démontrer que leurs qualités étaient largement reconnues
au sein de l‟état-major chinois208. Le « jeune maréchal » Zhang Xueliang, quant à lui,
voulait construire un arsenal dans la ville de Tunghsien et souhaitait avoir des ingénieurs
allemands pour le faire fonctionner209. Quant aux Japonais, dès 1931 voyant que les
Allemands préparaient les troupes chinoises à devenir une force de combat moderne, ils
étaient donc très inquiets de cette situation et souhaitaient les faire partir de Chine au
plus vite, au vue la qualité du travail accompli 210.
Les problèmes relationnels du général Wetzell avec ses collaborateurs chinois et son
départ
Malgré les résultats globalement positifs de la mission militaire allemande sous le
commandement du général Wetzell, ses relations avec ses collaborateurs et les officiels
chinois furent tout simplement exécrables, au point que, dès la fin de son contrat,
Tchang Kaï-chek s‟empressera d‟engager un nouveau général pour diriger la mission.
Georg Wetzell était « trop prussien pour s‟habituer aux mœurs chinoises »211 selon une
note du ministère de la guerre allemand. Le général Von Seeckt qui allait le remplacer,
et qui avait été invité de nombreuses fois à se rendre en Chine, recevra un télégramme
du docteur Chu Chia-Hua lui disant que :
« La tension entre le maréchal [Tchang Kaï-chek] et le général Wetzell a
malheureusement monté. J‟essaye de servir de médiateur, mais sans succès »212.
En effet, le général Wetzell à chaque fois que Tchang Kaï-chek prenait une
décision qui ne marchait pas se voyait critiquer par son conseiller qui lui faisait la leçon
207
N.A.R.A, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
numéro 8517 ―German military economic mission employed by Tchang Kai Shek”, 27 février 1933, USA
208
N.A.R.A, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
numéro 8517 ―German military economic mission employed by Tchang Kai Shek”, 27 février 1933, USA
209
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2237, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, article de l‟agence d‟information Nippon dempo du 14 octobre 1932
210
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 24 avril 1931
211
Jerry b. Seps, Bernd Martin (direction),The Germany advisory group in China, publié par Droste, Düsseldorf,
Allemagne, 1981
212
Ibid
67
comme à un enfant 213, il n‟écoutait les conseils de personne 214. Ses collègues chinois le
détestait du fait qu‟il les accusait d‟être corrompus 215 et il les considérait comme
stupides du fait qu‟ils n‟arrivaient pas à comprendre de nouvelles méthodes de guerre
(comme celle du « tir indirect », un concept que les officiers chinois avaient du mal à
mettre en pratique) 216. Chose incroyable, 48 généraux signèrent une pétition qui fut
envoyée à Tchang Kaï-chek afin qu‟il renvoya le général allemand 217. De plus, le
général Wetzell était très irrespectueux avec ses subordonnés allemands. Les services
secrets français ont ainsi intercepté une lettre d‟un conseiller allemand du nom de Krug
envoyée à un officier du nom de W. Faupel, ancien commandant d‟une mission militaire
au Pérou, où Krug lui demanda d‟utiliser son influence pour faire renvoyer Georg
Wetzell car il ne pouvait le demander lui-même à Tchang Kaï-chek218.
3) La mission militaire sous le commandement de Hans von
Seeckt (1934-1935) et Alexander von Falkenhausen
(1935-1938)
Le général von Seeckt
En raison des multiples problèmes crées par le général Georg
Wetzell, le commandement chinois décida de ne pas renouveler le
contrat du général et préféra employer un autre militaire allemand
prestigieux :
Hans
von
Seeckt
(1866-1936).
Ce
219
surnommé «l‟homme au monocle et au masque de fer »
militaire,
, était sans
doute l‟un des meilleurs conseillers militaires au monde qu‟il était
possible d‟engager. Il entra dans l‟armée dès l‟âge de 19 ans et gravit
les échelons de la hiérarchie militaire, allant sur pratiquement tous les
fronts de la première guerre mondiale (France, Russie, Autrichele général Hans von Seeckt
213 213
(1866-1936)
Jerry b. Seps, Bernd Martin (direction), op. cit.
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande
215
Donald S. Sutton, German Advice and Residual Warlordism in the Nanking Decade: Influences on
Nationalist Military Training and Strategy, the China Quarterly, N° 91 (Sep., 1982), p. 386-410, Cambridge
University Press, États-Unis, 1982
216
Hans J. Van de Ven, op. cit.
217
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 1er octobre 1932
218
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 26 juin 1933
219
Journal « Time Magazine », 15 mai 1933, États-Unis
214
68
Hongrie, Empire Ottoman). De par ses talents militaires il obtint aussi la médaille « Pour
le Mérite », la plus haute distinction de l‟Empire allemand. Mais son plus grand fait
d‟arme fut paradoxalement réalisé en temps de paix. De 1919 à 1926 il fut promu chef
de la nouvelle armée allemande et donc de fait en charge de sa réorganisation. Il réussit
à en faire une force militaire de grande valeur malgré un effectif limité à 100 000
hommes. Après le traité de Versailles, l‟armée de la république de Weimar était réduite
à ce chiffre. Hans von Seeckt travailla pour créer une armée de professionnels capables
de travailler ensemble selon la technique dite « des armes combinées » ; par exemple
l‟aviation doit soutenir l‟offensive d‟un régiment d‟infanterie en bombardant les
positions ennemies afin de permettre aux fantassins d‟avancer plus rapidement. C‟est
ainsi que son travail et ses méthodes ont jeté les bases des techniques guerrières de la
future Wehrmacht 220. A noter que lors du Putsch de Kapp en 1920 auqeul participa le
colonel Max Bauer, il refusa de mater la rébellion sous le prétexte que la « La
Reichswehr ne tire pas sur la Reichswehr » sans pour autant prendre part à
l‟insurrection 221.
Mais en 1926, il fut expulsé de l‟armée pour avoir laissé le petit -fils de l‟ancien
empereur Guillaume II participer à une manœuvre militaire en uniforme impérial. Après
cet épisode il se lanca dans la politique. Il fut élu au Reichstag sous l‟étiquette du parti
centriste et partit en 1933 une première fois en Chine pour deux mois afin de donner son
avis sur la situation militaire du pays. Tout comme le colonel Bauer, il avait tenté d e ne
pas être vu des journalistes et s‟était même caché dans sa cabine pendant tout le voyage
pour ne pas être repéré 222. Il revint en mai 1934 pour remplacer Georg Wetzell, sauvant
pratiquement les relations de la mission militaire allemande suite aux nombr euses
complications qu‟avaient posées l‟irascible général, à cause de son manque de
diplomatie avec ses collègues et ses employeurs 223. Le général von Seeckt tenta de faire
croire qu‟il revenait en Asie seulement pour voyager mais personne ne le croyait et
c‟était un secret de polichinelle au sein de la presse et des services diplomatiques qu‟il
allait en Chine afin d‟aider le Kuomintang à améliorer son armée 224.
220
James Corum, The roots of Blietzkireg, University press of Kansas, USA, 1992
Bernard Oudin et Michèle Georges, Histoires de Berlin, collection Tempus, édition Perrin, Paris, France,
2000
222
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 11 mai 1933
223
Hsi-Huey Liang, China, the Sino-Japanese Conflict and the Munich Crisis, Diplomacy & Statecraft, Volume
10, Issue 2-3, pages 342-369, Routledge, London , Royaume-Uni, 1999
224
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 7 avril 1934
221
69
Le succès de la 5 e campagne contre la « république soviétique chinoise » (1933-1934)
Peu après son arrivée en Chine le général von Seeckt se mit au travail pour
trouver une méthode pour venir à bout des troupes du PCC qui restaient invaincues
depuis 1931 malgré les nombreux moyens mis à disposition et que l‟on commençait à
croire invincibles 225. Cette fois-ci, au lieu d‟envoyer les troupes à l‟assaut des
communistes, une nouvelle technique fut mise en place. Des routes furent construites
afin de permettre aux troupes du Kuomintang d‟avoir une logistique de qualité ; près
d‟un million d‟hommes furent mobilisés dans cette campagne dont l‟ensemble des
divisions entrainées par les Allemands 226, et un véritable blocus économique de la zone
fut mis en place 227 grâce à des blockhaus. Ces fortifications étaient construites chacune a
portée de tir afin qu‟elles puissent se protéger les unes des autres, empêchant ainsi les
communistes de sortir. De plus, quand une zone était sécurisé, on recommençait à
construire des blockhaus deux kilomètres plus loin vers les zones communistes. Le
journaliste Edgard Snow en donna même une image frappante :
« C‟était une sorte de muraille de Chine […] qui petit à petit rétrécissait »228
Cette méthode n‟était certes pas nouvelle car elle avait déjà été utilisée contre la
rébellion chinoise des Nian au 19 e siècle. D‟ailleurs il y a un débat historiographique
pour savoir si les Allemands ont vraiment mis au point cette méthode puisque c‟était des
Chinois qui l‟avaient suggérée 229. Seulement cette technique de guerre venait d‟être déjà
utilisée aussi dans le Caucase ainsi que contre les Rifains quelques années auparavant.
On peut donc affirmer que c‟est le général von Seeckt qui copia la technique des
Français et des Russes 230. Suite à cette campagne militaire qui dura une année le PCC
dut abandonner sa base et s‟enfuir pour ce qui allait devenir « La Longue Marche »
durant laquelle Mao Zedong devient le chef du parti communiste chinois.
Passant par l‟unique endroit où la ceinture de blockhaus n‟était pas encore
terminée, les services secrets français soupçonnèrent une tentative de Tchang Kaï -chek
de laisser aux communistes la possibilité de s‟enfuir 231. Après le départ des communistes
225
Fu Pao-Jen (article), Bernd Martin (direction), op. cit.
Journal « The New York Times », 3 juin 1934
227
Edgar Snow, Red star over China, left book club edition, Londres, Royaume-Unis, 1937
228
Ibid.
229
Fu Pao-Jen (article), Bernd Martin (direction), op. cit.
230
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 17 avril 1934
231
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 1er février 1935
226
70
l‟Armée nationale révolutionnaire du Kuomintang les poursuivit avec plusieurs
régiments, dont l‟une des divisions formées par les Allemands. Ne cherchant jamais à
les détruire entièrement, Tchang Kaï-chek profita de la colonne du PCC qui parcourait la
Chine pour mieux assoir son autorité sur des régions périphériques de la Chine. Ainsi
quand les armées nationalistes arrivèrent après le passage des troupes rouges, elles
pouvaient rappeler plus facilement l‟autorité du gouvernement central. Les seigneurs de
guerre du Yunnan, de Canton, des mongols et du Shanxi subirent de cette manière la
force du gouvernement central avec l‟aide indirecte des communistes chinois 232. On
relèva même un cas où les troupes nationalistes délibérément laissèrent les forces locales
se faire attaquer par l‟Armée rouge chinoise sans se porter à leur secours 233.
Les propositions militaire et industrielle de Hans von Seeckt
Outre donner des conseils d‟ordre tactique, le général von Seeckt proposa à Tchang
Kaï-chek un plan qui reprenait à peu près ce que le colonel Bauer avait proposé plusieurs
années auparavant. Il fallait réduire l‟armée à 100 000 hommes, puis la remonter jusqu‟à
500 000, soit 80 divisions, afin que le Kuomintang pût disposer d‟une force
manœuvrable ayant des armes de bonne qualité que, seule, la création d‟une industrie
nationale lui permettrait d‟avoir 234, il voulait aussi une armée capable de fonctionner en
se combinant avec l‟aviation235. En effet pour ce général :
« Plus petite sera l‟armée plus elle sera facile à équiper d‟armes modernes alors
que l‟approvisionnement constant d‟une armée de millions d‟hommes est tout
simplement impossible» 236.
Or la période pour réaliser un tel programme était idéal ; les derniers adversaires
politiques de Tchang Kaï-chek qui s‟étaient rebellés quelques années auparavant avaient
dorénavant soit accepté son autorité soit n‟étaient plus dangereux pour menacer sa
position. Quant aux communistes, ils étaient pourchassés à travers la Chine par les
troupes du Kuomintang. Les seuls adversaires encore susceptibles de détruire
l‟unification de la Chine étaient les Japonais et, pour les vaincre, il fallait justement,
232
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 18 jkuillet 1935
SHD, série 7N, carton numéro 3286, note du 21 novembre 1935
234
Ibid, note du 17 avril 1934
235
Hsi-Sheng Ch‟i, Nationalist China at war, op. cit.
236
James Corum, op. cit.
233
71
pour le maréchal, renforcer l‟armée afin de garder le contrôle du pays 237. Hans von
Seeckt, ses conseillers et l‟industrie allemande allaient donc aider Tchang Kaï -chek à
atteindre son but politique, les deux hommes allèrent même jusqu‟à se rencontrer deux
fois par semaine 238 et le maréchal suivit souvent l‟avis de son conseiller. A titre
d‟exemple, en 1934, von Seeckt demanda au Kuomintang d‟acheter pour 50 millions de
dollars d‟artillerie afin de pouvoir mener la 5 e campagne de manière effective contre les
communistes et Tchang Kaï-chek demanda à H. H. Kung son ministre des finances de
trouver l‟argent par n‟importe quel moyen
239
.
Le départ de von Seeckt et la prise en main
de la mission par le général von
Falkenhausen
En 1935, le général von Seeckt quitta la Chine officiellement pour raison de
santé, mais aussi parce que le commandement chinois trouvait qu‟il ne tenait pas assez
ses hommes et qu‟il avait tout comme le général Wetzell des mœurs trop prussiennes,
bien qu‟il eut beaucoup plus de tact que ce dernier 240. De plus ayant lancé le processus
de collaboration économique entre la Chine et l‟Allemagne avec l‟accord H.A.P.R.O. 241
il ne voyait plus l‟intérêt de rester plus en Chine 242. C‟est pourquoi, dès 1934, son
second, le général Alexander von Falkenhausen fut pressenti pour devenir rapidement le
nouveau chef de la mission allemande. En janvier 1935, il prit le contrôle régulier de la
mission alors que von Seeckt en était toujours officiellement le responsable, et ce
jusqu'à sa mort 243. Le général décèda près d‟un an plus tard, après son retour en
Allemagne en décembre 1936. L‟ambassade chinoise à Berlin ne daignera même pas
envoyer un représentant à son enterrement 244.
237
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport numéro 8854 ―Mission of general Von Seekct in China”, 22 juin 1934, USA
238
Hans J. Van de Ven, op. cit.
239
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport numéro 8854 ―Mission of general Von Seekct in China”, 22 juin 1934, USA
240
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 3 avril 1935
241
Pour plus d‟informations sur l‟accords HAPRO se référer à la page 145 de la présente étude
242
William C.Kirby, op. cit., p. 126
243
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 6 juin 1934 et du 6 janvier 1935.
244
Ibid, note du 21 janvier 1937
72
Alexander von Falkenhausen, arrivé en juin 1934, connaissait mieux l‟Asie que
ses collègues puisqu‟il avait participé à la répression des boxers en 1900, qu‟il parlait
couramment le japonais et avait été attaché militaire au Japon avant la première guerre
mondiale. Il combattit avec l‟empire ottoman durant la Première Guerre mondiale et y
rencontra, le général von Seeckt. Après la guerre, il fut nommé directeur de l‟école
militaire de Dresde avant de partir pour la Chine en 1933. Il remplaca donc le général
Hans von Seeckt en tant chef de la mission militaire allemande en 1935 et adopta à peu
près la même politique, bien qu‟il fût plus spécialisé sur des questions de tactique
purement militaire (formation des troupes, plan
de bataille) contrairement à son
prédécesseur, qui réfléchissait plus en termes stratégiques (construction d‟usines et de
d‟arsenaux). Après le rappel de la mission en 1938, il fut gouverneur de la Belgique
occupée pendant 4 ans, puis fut interné par les nazis après l‟attentat manqué contre
Hitler du 22 juillet 1944. Libéré par les troupes alliées, il fut cependant traduit en
justice, suite à certaines actions qu‟il avait prises en tant que gouverneur et aurait pu être
condamné aux travaux forcés. Il fut cependant acquitté et tenta de travailler comme
représentant de Taiwan, sans grand succès 245, il décéda en 1966.
Le général von Falkenhausen (1er rang, au milieu) avec des membres de la mission militaire allemande à Nankin
245
Hsi-Huey Liang, op. cit.
73
La formation des troupes et des officiers (1935-1937)
Grâce aux nombreux conseillers militaires et surtout à la relative paix qui allait
durer de 1935 à 1937, de nouvelles troupes chinoises purent bénéficier du savoir-faire
allemand portant ainsi le nombre à 300 000 hommes nommées en « divisions de fer ».
Jusqu‟à
lors
dès
qu‟une
division
était
entrainée,
le
Kuomintang l‟envoyait
immédiatement au front se battre contre les ennemis de Tchang Kaï-chek comme lors de
la Guerre des plaines centrales ou contre les communistes. De par leurs qualités
guerrières qui étaient bien supérieures à la moyenne des divisions chinoises, elles
triomphaient souvent de leurs ennemis. Mais cette manière de raisonner ét ait pour les
conseillers allemands un véritable désastre, car leurs efforts de plusieurs mois étaient
réduits à zéro sachant que de nombreux officiers et soldats disparaissaient lors des
batailles. En effet, pour eux, il fallait qu‟une « division modèle » restât intacte et
entrainât successivement les autres parties de l‟armée afin de faire grossir plus
rapidement le nombre de divisions entrainées à des techniques modernes.
Ces vœux étaient restés lettre morte, mais, profitant de deux ans d‟une paix
relative ungrand nombre d‟hommes furent entrainés selon les nouveaux standards
militaires. Alors que le général Wetzell n‟était arrivé à former que 3 divisions en quatre
ans, sous la direction de von Seeckt et von Falkenhausen ce furent 20 divisions qui
furent entrainées, soit 2000 officiers qui sortirent chaque année des écoles militaires
gérées par les Allemands jusqu‟en 1937 246. Des formations étaient dispensées pour
chaque type de branche militaire existante comme l‟artillerie, les communications,
l‟infanterie ou le génie247.
Les travaux de fortification et pourquoi ils furent entrepris
En 1933, lors de sa première visite en Chine, le général Hans von Seeckt conclut
que, pour augmenter les chances de défendre le territoire chinois, autre la création d‟une
meilleure armée et de développer une industrie, il était urgent de construire une sé rie de
forts et de lignes de défense sur les rives du Yangzi. En effet, l‟immensité du fleuve
Yangzi permettait théoriquement à la flotte japonaise d‟envoyer certains de ses navires
pour être utilisés dans des opérations amphibies et comme soutien d‟artill erie, chose que
246
247
Arthur Young, op. cit.p. 350
Hsi-Sheng Ch‟i , Nationalist China at war, op. cit.
74
les japonais ne se privèrent pas de réaliser pendant le deuxième conflit sino -japonais248.
Or les forts côtiers qui existaient déjà, étaient de très mauvaise qualité et, après plusieurs
tests, il fut conclu qu‟ils devaient être rapidement rénovés. Les canons, par exemple,
tiraient moins loin que ceux des navires japonais et étaient placés sur des plates -formes
datant du temps de la dynastie des Ming, donc ne possédaient aucune protection en cas
d‟attaque aérienne 249.
Ainsi Tchang Kaï-chek demanda à von Falkenhausen de superviser les nouvelles
constructions
Nankin
seront
250
de
forts
vers
. En 4 ans plusieurs forts
construits
nombreuses
et
pièces
de
très
d‟artillerie
furent commandées à l‟Allemagne
mais seule une dizaine de pièces
arrivèrent avant l‟incident du pont
Marco Polo251. Un plan existait
pour fortifier le fleuve jaune, mais
à cause de la guerre, il ne fut
jamais mis en place 252.
Exemple de Blockhaus encore existant de la « ligne Hindenburg chinoise »
Il fut aussi décidé de
construire une ligne de défense qui fut surnommée la « Ligne Hindenburg Chinoise » en
référence à la « Ligne Hindenburg » que les allemands avaient construite en 1916 en
France et qui ne fut que très rarement percée par les armées de l‟Entente. Cette ligne de
défense devait entourer la région de Shanghai afin qu‟en cas de prise de la ville par les
Japonais ceux-ci ne puissent plus avancer vers Nankin. La raison de la construction de
cette ligne de défense était que von Falkenhausen pensait qu‟il fallait faire de la région
du Yangzi le lieu principal du combat contre les Japonais car c‟était une région
facilement défendable et il prenait en exemple, les Dardanelles où les forces de l‟Entente
248
http://www.republicanchina.org/Japanese-Yangtze-Campaign.pdf et Bundesarchives – Abteilung
Filmarchive, film numéro DTW 341/1938
249
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2235, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, article du The Shangaï Morning Post le 27 janvier 1933
250
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
francaise de Shangaï, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934, France
251
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), The battle of China, essays on the military history
of the sino-japanese war of 1937-1945, Stanford University Press, USA, 2011
252
Ibid
75
n‟avait pu déloger la défense turque malgré des moyens considérables 253. Loin d‟égaler
la ligne Maginot, la construction d‟un tel système de défense fut terminée deux mois
seulement avant le début de la guerre ; elle était censée permettre aux défenseurs
d‟utiliser de nombreux blockhaus pour ralentir tous assaillants. Or cette ligne de défen se
se révéla bien moins efficace que prévu.
4) Les problèmes de la mission militaire allemande
Alors que la mission militaire était une mission d‟ordre entièrement privé qui n‟était
régie que par des contrats entre des individus et un État de nombreux problèmes
apparurent. Alors que les conseillers soviétiques furent la cause de problème politiques
entre l‟URSS et la Chine, la présence des conseillers allemands fut la source de
nombreuses complications. La mission failli être remise en cause plusieurs fois pour
diverses raisons.
Les problèmes relationnels entre Chinois et Allemands
Comme il l‟a été expliqué précédemment les relations entre les Chinois et leurs
conseillers furent souvent sources de disputes et de mécontentement. D‟un côté les
Chinois reprochaient aux Allemands ne pas saisir les subtilités des relations humaines en
Asie, leur impatience « prussienne », leur manque de professionnalisme et parfois des
fois leur « amour de la bouteille »254. De l‟autre, les conseillers trouvaient les Chinois
corrompus, incapables de prendre une initiative ou de saisir les nouveaux concepts de la
guerre moderne, des reproches fondés puisque 10 ans plus tard le général-conseiller
russe Vassili Tchouïkov (1900-1982) reprocha exactement les mêmes choses aux soldats
et généraux chinois 255.
Indépendamment des relations purement sociales un autre facteur entra en jeux dans
les problèmes relationnels entre Chinois et Allemands. Comme nous l‟avons déjà vu les
conseillers allemands étaient en mesure de fournir des armes de bonne qualité aux Chinois. La
crainte des officiers chinois était justement d‟acheter des armes de mauvais qualitée ou des
253
Donald S. Sutton, op. cit.
SHD, série 7N, carton numéro 3285, note du 3 août 1932
255
Vasili Chuikov, Mission to China, Memoirs of a soviet military advisers to Chiang Kaishek, édition East
Bridge, États-Unis, 2004
254
76
stocks inutilisables datant de la Première Guerre mondiale. Du fait des conflits constants en
Chine les marchands d‟armes européens étaient ainsi particulièrement désireux de vendre tout
ce qui prenait la poussière dans leurs entrepots256. En utilisant les conseillers allemands
comme intermédiaires, Tchang Kaï-chek pensait pouvoir prétendre à des armes de meilleure
qualité mais, là aussi, des problèmes de corruption apparurent.
Par exemple le commandement de Georg Wetzell en 1933 était particulièrement
désireux d‟acheter des canons de montagne fabriqués par les usines suédoises Bofors,
alors que l‟ensemble des armées du monde refusèrent de commander cette arme car elles
la trouvait inadaptée 257. Face à cette information, il serait légitime de penser que Georg
Wetzell fut grassement payé par les fabricants dudit canon. Une hypothèse qui se vérifie
car quelques mois plus tard les services secrets français interceptèrent le rapport d‟un
conseiller allemand expliquant qu‟il avait été approché par des marchands d‟armes afin
de montrer uniquement les bons côtés de certaines armes à l‟état-major chinois 258. Ne
souhaitant pas entrer dans ce jeu-là, le conseiller raconte que certains de ses collègues
au contraire acceptaient les cadeaux et pots-de-vin que proposaient certains
commerçants. Ainsi la réputation de la mission allemande en fut ternie car l‟état -major
chinois avait déjà par le passé souffert d‟achats d‟armes de mauvaise qualitée à cause
d‟intermédiaire véreux.
Si l‟on étudie les archives françaises sur cette période, archives diplomatiques et
rapports des attachés militaires, on remarque que, sur l‟ensemble des années où la mission
militaire allemande fut présente en Chine, il n‟existe pas un semestre où les analystes déclare
que la mission Allemande sera bientôt terminée, du fait de ces problèmes relationnels avec les
Allemands. Cependant force est de constater que malgré ces problèmes internes à l‟armée
chinoise jamais la mission allemande ne fut véritablement remise en cause, même lorsque des
éléments extérieurs tentèrent de convaincre Tchang Kaï-chek de faire partir ses conseillers.
Les tentatives extérieures pour faire partir la mission Allemande
Ainsi pendant ces nombreuses années de coopération entre l‟Allemagne et la
Chine, plusieurs personnes se sont élevées contre cette coopération militaire privée. Ils
256
SHD, série 7N, carton numéro, 3286, note du 25 février 1933
SHD, série 7N, carton numéro 3286, note du 23 juin 1933
258
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 28 septembre 1933
257
77
s‟appuyaient notamment sur le traité de Versailles car l‟un des articles proscrivait
spécifiquement l‟envoi de conseillers militaires allemands à l‟étranger :
Article 179 du traité de Versailles
L'Allemagne s'engage, à partir de la mise en vigueur du présent traité, à n'accréditer en
aucun pays étranger aucune mission militaire, navale ou aéronautique, et à n'en
envoyer et laisser partir aucune ; elle s'engage, en outre, à prendre les mesures
appropriées pour empêcher les nationaux allemands de quitter son territoire pour
s'enrôler dans l'armée, la flotte ou le service aéronautique d'aucun e puissance
étrangère, ou pour lui être attaché en vue d'aider à son entraînement où, en général, de
donner un concours à l'instruction militaire navale ou aéronautique dans un pays
étranger.
Même si cette mission militaire était d‟ordre privé, d‟autres pays auraient pu demander
à l‟Allemagne de respecter ses engagements signés lors du traité de Versailles et de rappeler
ses ressortissants. Par exemple, les services diplomatiques français qui savaient, avant même
le retour de Bauer en novembre 1928, qu‟il y aurait une mission militaire tentèrent plusieurs
fois de convaincre leurs homologues anglais de faire pression sur l‟Allemagne et ce, pendant
deux ans. Mais ceux-ci ne virent sans doute pas l‟utilité d‟une telle demande car ils se
contentèrent dans leur réponse de promettre « d‟examiner la question »259.
Même en Chine plusieurs personnalités tentèrent d‟évincer les conseillers hors du
pays. Wang Jingwei, qui s‟était allié à Feng Yuxian lors de la Guerre des plaines
centrales publia en janvier 1930 une tribune antiallemande intitulé Avertissement à
l‘Allemagne. Dans cette diatribe il demanda à la République de Weimar le retour des
conseillers 260 en les accusant :
- D‟avoir été « recommandé par le gouvernement allemand » pour Tchang Kaï-chek ;
- Que les nombreuses ventes d‟armes dont sont responsables les conseillers allemands
« détruisent l‟esprit d‟amitié des Chinois [et] suscite leur profonde inimitié» ;
- Et qu‟ils étaient dorénavant « au service des seigneurs de guerre de la Chine prenant ainsi
des milliers de vies innocentes ».
259
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2238, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, article du The China weekly review le 18 janvier 1930
260
78
La même année, le maréchal et seigneur de guerre Yan Xishan (1883 -1960), qui
était allié à l‟aile gauche du Kuomintang et à Feng Yuxiang, demanda au gouvernement
allemand s‟il était légal de voir des conseillers militaires allemands au service du
Kuomintang261. Ce à quoi la République de Weimar répondit officiellement :
« Il est faux d‟affirmer que le gouvernement allemand a envoyé des militaires en
Chine. Le gouvernement allemand n‟en n‟a même pas recommandé [et] ils ont été
sélectionnés soit par Tchang Kaï-chek, soit par ses subordonnés »262.
D‟ailleurs le colonel Bauer fit parler de lui au Reichstag lors d‟un débat263 entre les
députés et, quelques mois avant sa mort, un diplomate allemand le rencontra pour lui
demander de rentrer en Allemagne. Mais le colonel Bauer lui répondit que, vu la situation
économique en Allemagne, il préférait rester et le gouvernement allemand n‟osa pas
demander officiellement à Tchang Kaï-chek le retour des conseillers militaire264. Les
conseillers militaires furent cependant menacés de se voir privés de leur pension d‟officier,
mais la menace ne fut jamais mise à exécution265. Néanmoins les accusations disant que cette
mission militaire était officieusement liée au ministère allemand de la Défense continuèrent
jusqu‟en 1935 malgré le démenti formel de ce ministère soutenu aussi par les membres de la
mission et le gouvernement chinois266.
La mission militaire ne fut jamais rappelée officiellement par les différents
gouvernements allemands malgré toutes ces attaques. Ce ne sera fut 1938 que les
conseillers durent partir en raison des pressions exercées par le gouvernement japonais
sur Adolf Hitler. On peut expliquer ceci par le fait que la plupart des conseillers présents
jusqu‟en 1934 étaient des nationalistes convaincus proches du maréchal Ludendorff et
appartenaient souvent aux unités paramilitaires Freikorps. Ils avaient donc pour certains
comploté contre la République de Weimar comme Hermann Kriebel. Ainsi, pour le
gouvernement allemand jusqu‟à l‟arrivée de Hitler au pouvoir, l‟éloignement de ces
militaires à des milliers de kilomètres devait être une très bonne nouvelle, d‟autant plus
que, grâce à leur travail, les entreprises allemandes pénétraient mieux le marché chinois.
261
Kurt Bloch, op. cit.
Kurt Bloch, op. cit.
263
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit
264
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport numéro 7543 ―German Officiers in China‖, 9 juin 1929
265
John P. Fox, op. cit, p. 15
266
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport numéro 8517 ―German military economic mission employed by Tchang Kai Shek”, 27 février 1933
262
79
C‟est sans doute pour ces raisons qu‟ils ne furent rappelés qu‟en 1938, principalement
pour des raisons ayant trait aux relations entre le Japon et l‟Allemagne.
5) La construction d‟une armée de l‟air chinoise (1932-1937)
En 1929, sur l‟impulsion des Allemands, le Kuomintang acheta une trentaine d‟avions qui
servirent comme armes de soutien pour les troupes au sol, contrairement à la clique du
Fengtien qui possédait également une flotte aéronautique, mais sans aucune capacité
offensive. Dans la mesure ou l‟avion devenait l‟arme la plus puissante sur les champs de
bataille de Chine et que c‟était un gage pour briser le moral ennemi, un énorme effort allait
être engagé dans la création d‟une armée de l‟air. Une fois de plus l‟apport de conseillers
étrangers allaient se révéler déterminant.
La mission américaine du colonel Jouett (1932-1935)
En 1931 l‟armée de l‟air chinoise fut officiellement créée, mais n‟existant presque
que sur le papier faute d‟une véritable organisation, par exemple elle ne fut pas en
mesure de résister face aux appareils japonais lors de l‟incident de Shanghai en février
1932. En effet le ciel étant tout simplement vide d‟appareils chinois. Les Japonais purent
bombarder avec leurs navires et avions sans aucunes difficultés les troupes du
Kuomintang qui défendaient la ville. Ainsi dès la fin des hostilités, une collecte
nationale fut organisée afin que la république puisse posséder suffisamment d‟avions de
guerre dans le cadre d‟un futur conflit 267.
Un représentant commercial de la compagnie privée d‟aviation militaire CurtissWright, du nom de George Conrad Westervelt (1879-1956), envoya, suite aux
évènements de Shanghai, un rapport au ministre des finances chinois T.V. Song
concernant l‟intérêt pour l‟armée chinoise d‟acheter des avions de guerre américains. Il
réussit à éveiller l‟intérêt du gouvernement chinois pour engager des instructeurs
militaires qui viendraient des États-Unis. Mais la diplomatie américaine, par peur des
réactions japonaises, préféra empêcher toute mission militaire à destination de la C hine.
A force d‟insistance de la part du gouvernement de Nankin, Washington céda en
acceptant qu‟une équipe de conseillers puissent partir former de futurs pilotes mais à
267
Arthur Young, op. cit, p. 352
80
condition que ce fût officiellement une mission de formation de vols commerciaux sous
l‟égide du ministère du Commerce. Ceci se révélaa être un problème un problème
quelques années plus tard 268.
Le responsable de la mission, le colonel John Jouett, partit avec une équipe de 14
personnes (instructeurs, pilotes, mécaniciens, secrétaire) à destination de la Chine 269. Il
ne s‟était pas porté volontaire pour cette tâche mais les autorités lui firent comprendre
qu‟une telle opportunité permettrait aux entreprises américaines de pénétrer plus
facilement le marché chinois. Après avoir traversé le Pacifique, il rencontra
personnellement le ministre T.V. Song et lui proposa plusieurs types d‟entrainements
dont les coûts variaient de 4,2 millions à 14 millions de dollars. Sachant que la question
de l‟aéronautique militaire devenait importante pour le Kuomintang, ce fut
l‟entrainement le plus performant, et donc le plus cher, qui fut choisi par le ministre 270.
Pourtant la mission ne dura pas très longtemps. Dès le mois de juin 1935 le
colonel John Jouett repartit pour les Etats-Unis dès que son contrat fut terminé. En effet
une autre mission militaire aéronautique concurrente qui d‟Italie était aussi en Chine.
Celle-ci coûtait déjà moins cher au trésor public. Les instructeurs italiens étaient payés
presque moitié moins cher que leurs homologues américains 271 et l‟argent venait
directement des comptes du gouvernement de Nankin. Il ne faut pas oublier que, suite au
protocole de paix Boxer, les Chinois devaient toujours rembourser des indemnités de
guerre. Ces sommes étaient immédiatement reversées sous forme de bons d‟achats
valables dans l‟industrie aéronautique italienne 272. Tchang Kaï-chek souhaita trouver un
autre officier pour remplacer le colonel Jouett après son départ, mais le gouvernement
des États-Unis refusa de continuer cette coopération, en grande partie à cause des
pressions diplomatiques japonaises 273. Nankin ne poussa cependant pas Washington à
une plus grande collaboration car le colonel Jouett refusait de prêter au jeu de la
politique intérieure chinoise vu qu‟il ne voulait pas envoyer ses pilotes co mbattre les
communistes ou les troupes dissidentes au gouvernement. Les Italiens au contraire le
268
William M. Leary Jr, Wings for China: The Jouett Mission (1932-1935), University of California Press
Pacific Historical Review, Vol. 38, No. 4 (Nov., 1969), pp. 447-462, USA, 1969
269
Arthur Young, op. cit, p. 352
270
William M. Leary Jr, op. cit
271
Guangqiu Xu, op. cit
272
Arthur Young, op. cit, p. 354
273
William M. Leary Jr, op. cit
81
firent sans hésiter 274. Par ailleurs il ne s‟entendait pas avec les généraux chinois qui
surveillaient l‟école d‟aviation car, tout comme les Allemands, il les t rouvait
incompétents et ne se privait pas de le leur rappeler 275.
Il n‟en reste pas moins que la mission militaire du colonel Jouett fut largement
bénéfique pour les deux pays, près de 300 cadets furent entraînés par ses soins et 250
étaient encore en formation le jour de son départ 276 ; quant aux entreprises américaines,
elles furent dominantes sur le marché de l‟aviation chinoise de 1933 à 1937 277 comme le
montrent ces chiffres de ventes d‟avions à la Chine en 1933 (à titre d‟information, sur
les 120 appareils vendus cette année 96 d‟entre eux étaient des avions militaires) 278 :
États-Unis…………………..5 634 000 $
Allemagne……………………364 000 $
Royaume-Uni………………...353 000 $
France……………………….....72 000 $
Autres pays..……..…………1 679 000 $
De plus, grâce aux conseils de Jouett concernant l‟achat d‟avions de combats
Curtiss Hawks II, les forces chinoises purent opposer une résistance très efficace contre
les avions japonais Nakajima A2N lors des premiers mois de la guerre alors que les deux
modèles furent construits exactement à la même période 279. Ainsi l‟empire du Mikado ne
put jamais réellement détruire complètement l‟aviation chinoise pendant les 8 années de
guerre qui allaient suivre 280.
On pourrait se demander pourquoi la mission militaire allemande, qui était très
présente à ce moment, n‟aurait pas pu proposer à Tchang Kaï-chek des pilotes et des
instructeurs aéronautiques. Mais pour le général Georg Wetzell, l‟Allemagne était
limitée au niveau de la construction d‟une aviation par l‟article 198 du traité de
274
Guangqiu Xu, op. cit, p. 67
William M. Leary Jr, op. cit
276
Ibid
277
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit., p. 294
278
Guangqiu Xu, War wings, The United States and Chinese military aviation (1929-1949), Greenwood press,
Westport, USA, 2001, page 66
279
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit., p. 243
280
Ibid, page 253
275
82
Versailles. Il était ainsi pratiquement impossible aux Allemands de proposer de bons
aviateurs, il était normal que ce soit un autre pays qui puisse envoyer des instructeurs 281.
La mission italienne (1933-1937)
Kong Xiangxi, qui était le ministre des Finances de Tchang Kaï-chek et aussi
considéré comme l‟homme le plus riche 282 de Chine, fit un voyage en Europe en 1933.
Très impressionné par le dictateur Benito Mussolini (1883-1945) lors de son passage en
Italie, une négociation fut menée entre les deux pays et un accord fut conclut pour que,
dorénavant la dette des Boxers que la république chinoise devait toujours payer lui soit
reversée en tant que crédit pour acheter du matériel aéronautique italien. Ainsi une
mission militaire transalpine se créa sous la direction du général Roberto Lordi (1894 1944) avec une équipe composée d‟une vingtaine de personnes dont la mission était de
former la jeune force aérienne chinoise en même temps que la mission Jouett. Les deux
missions ne travaillèrent cependant jamais ensemble car les deux écoles étaient distantes
de 600 kilomètres. Nankin était dévolu à la mission américaine et Nanchang pour la
mission italienne. Cette volonté de séparer les deux missions provenaient du colonel
Jouett qui ne fut pas d‟accords pour travailler avec la mission italienne leur refusant
même l‟accès à son terrain d‟aviation 283.
Le général Roberto Lordi sera remplacé suite à des questions politiques en 1935
par un autre général du nom de Silvio Scaroni (1893-1977) mais il revint peu avant le
deuxième conflit sino-japonais284. Ces généraux surent mieux jouer que le colonel Jouett
de la complexité de la scène politique chinoise car, contrairement aux Américains, ils
acceptèrent d‟aller bombarder les ennemis du Kuomintang. Ainsi quand le général Lordi
bombarda en 1933 la capitale des communistes 285 cela permit aux Italiens de jouir d‟une
excellente réputation auprès de Tchang Kaï-chek 286.
Cet accord permit ainsi aux Chinois d‟acheter plusieurs types d‟avions (chasseurs
Breda Ba.27s, bombardiers-légers Fiat B.R. 3 et bombardiers Savoia-Marchetti SM.81)
et même de faire construire certains exemplaires en Chine car un consortium sino -italien
281
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport numéro 8517 ―German military economic mission employed by Tchang Kai Shek”, 27 février 1933
282
http://history.cultural-china.com/en/47History7196.html
283
Service Historique de la Défense, série 7N, archives des conseillers militaires à l‟étranger (1919-1940), carton
numéro 3286, note du 20 novembre 1933
284
Arthur Young, op. cit, p. 354
285
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 29 décembre 1933
286
SHD, série 7N, carton numéro 3287, note du 1er janvier 1934
83
d‟un capital de 1.5 million de dollars du nom de « S.I.N.AW » (Sino-Italian National
Aircraft Works) fut créé dans la ville de Nanchang. Ce consortium fondé grâce aux
compagnies aéronautiques Breda, Caproni, Fiat and Savoia, permit aux Chinois de
construire des avions directement sur place sous licence italienne287. Ces entreprises
auraient préféré laisser la production en Italie plutôt que de devoir construire une usine
en Chine mais le gouvernement italien les y obligea pour des raisons politiques et
économiques 288.
La mission militaire italienne était particulièrement populaire auprès de Tchang
Kaï-chek qui appréciait particulièrement le général Lordi. Aussi le dirigeant chinois
décida de confier aux Italiens la responsabilité de construire la nouvelle flotte chinoise
qui était particulièrement désuète. Ainsi en mars 1937 arrivèrent à Shanghai trois
officiers de la Regia Marina qui devaient aider à la formation d‟officiers de marine
Chinois.
Peu après le début de la guerre entre le Japon et la Chine, l‟usine de Nanchang fut
fermé en décembre 1937 289 alors que la production d‟avions venait juste de
commencer290. Quant à la mission italienne, elle fut rappelée au mois d‟octobre 1937 291
en Italie non sans avoir pris la précaution d‟emporter l‟ensemble des photographies
aériennes de la région de Nanchang qu‟ils avaient effectuées pendant leur séjour en
Chine. Ces photos furent sans doute d‟ailleurs vendues aux japonais pour un très bon
prix292.
Par la suite lorsque le colonel Claire Chennault (1893-1958) devint conseiller
auprès de Tchang Kaï-chek pour les questions aéronautiques il se rendit compte que les
Italiens n‟avaient pas enseigné tant de choses à leurs élèves. Alors qu‟ils devaient
devenir des pilotes de chasse ils n‟apprirent à manier leurs avions que pour réaliser des
décollages et des atterrissages 293. Les pilotes chinois étaient alors considérés comme
l‟élite des militaires, au contraire de l‟infanterie qui était composé majoritairement de
paysans. Ainsi les familles aisés chinoises qui avaient en tête le fameux proverbe chinois
287
Arthur Young, op. cit, p. 354
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 3 octobre 1935
289
http://surfcity.kund.dalnet.se/sino-japanese-1937.htm
290
Guangqiu Xu, op. cit, p. 72
291
The New York Time, article “Italian Aviators Assisting China Reported Recalled by Mussolini”, États-Unis,
12 octobre 1937
292
Arthur Young, op. cit, p. 355
293
Jack Samson, Chennault, Doubleday, New York, USA, 1987, p. 16
288
84
« On ne prend pas du bon fer pour faire des clous, ni de bons hommes pour faire des soldats »
et ils avaient envoyé leurs héritiers pour y apprendre le métier de pilote. Cependant ils
firent comprendre à Tchang Kaï-chek qu‟ils souhaitaient voir leur enfant rester en vie.
Les instructeurs italiens furent furent soumis à des pressions pour accepter tous les
élèves même s‟ils se révélaient mauvais en pilotage donc ils ne purent enseigner dans de
bonnes conditions 294.
Sur les 52 avions que livrèrent les Italiens, pas moins de 19 d‟entre eux furent
détruits rien que pendant des exercices et 16 pilotes périrent dans ce type d‟accident.
Malgré la présence d‟une vingtaine d‟instructeurs 295, d‟un pôle industriel qui se
développait à côté de l‟école d‟aviation et de la volonté de construire une armée de l‟air
robuste, la mission italienne s‟avéra être un échec. Leurs élèves qui étaient assez doués
pour ne pas écraser leur appareil dès le décollage savaient comment utiliser une
mitrailleuse ou lâcher une bombe mais ils se révélèrent incapable de viser un objectif296.
294
William M. Leary Jr, op. cit
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du février 1936
296
SHD, série 7N, carton numéro 3293, note du 16 décembre 1936
295
85
Chapitre 3 : Résister à la menace japonaise
Pour le parti politique de Tchang Kaï-chek, les années de 1926 à 1937, se
révélèrent être une succession d‟épreuves pour faire admettre aux grandes puissances,
aux seigneurs de guerre, aux communistes et à l‟empire du Japon que le Kuomintang
était l‟unique force politique capable de gouverner la Chine. Être reconnu comme le
gouvernement officiel de la Chine fut une lutte de premier ordre pour le parti de Sun
Yat-sen durant cette décennie. Pour la première fois depuis 1916, un clan politique
arrivait à imposer son empreinte sur les affaires du pays, alors que certains observateurs
ne lui donnaient que quelques mois à vivre en 1928 297
Ce statut de représentant d‟une nation était quelque chose de très important. Pour
s‟en convaincre il n‟y qu‟à regarder les efforts que l‟URSS dut mettre en place afin
d‟être reconnue comme gouvernement officiel de l‟ancien empire tsariste. Ce fut cette
quête pour retrouver la légitimité du pouvoir précédent qui poussa l‟ambassadeur
Kharakhan à négocier la reconnaissance du gouvernement Chinois, alors qu‟il préparait
en même temps avec Borodine la chute de celui-ci. Ainsi pour le Kuomintang, d‟être
reconnu comme gouvernement officiel, et arriver à le rester pendant plus de dix ans
étaient une victoire sans précédent.
Mais si le gouvernement de Nankin fut reconnu comme le gouvernement légitime de
la Chine, il allait devoir affronter un nouvel adversaire en la présence de l‟empire
japonais. Les différents gouvernements nippons des années 1930 portaient tous un grand
intérêt aux matières premières et aux grands espaces chinois. Selon eux , du fait de la
natalité galopante de leur pays, qui augmentait le nombre de Japonais de 1 million par
an, il fallait trouver des solutions drastiques pour assurer le futur de leur pays. Et que ce
soit dans les milieux gouvernementaux, financiers ou militaires il était communément
admis, voir claironné, que seule la conquête de la Chine pourrait assurer le futur de
l‟empire298. La décennie de Nankin fut une période où, en plus de devoir lutter contre les
dissensions intérieures, Tchang Kaï-chek dut préparer une guerre qu‟il savait imminente.
Mais il devait jouer sur deux tableaux pour préparer la nation chinoise à la guerre tout
en évitant de trop provoquer les officiels Japonais.
297
SHD, série 7N, carton numéro 3310, note du 21 septembre 1928
SHD, série 7N, carton numéro 3297, Rapport du général Wetzell sur son activité en Chine, septembre 1933,
rapport du 12 août 1934
298
86
1) Situation de la Chine de 1929 à 1937
La gouvernance de la Chine par le Kuomintang
Mis à part les nombreuses victoires militaires que les armées de Tchang Kaï-chek
remportèrent sur les champs de bataille entre 1928 et 1937, le Kuomintang réussit aussi
à imposer sa légitimité en tant que gouvernement grâce à une série de mesures aussi bien
civiles que militaires, sur la fiscalité par exemple. En 1933, si toutes les provinces
n‟étaient pas encore soumises à un impôt de la part du gouvernement central, c‟était
aussi la première fois qu‟un gouvernement Chinois était en mesure d‟avoir un budget
précis depuis 1912. Les années précédentes on estimait à 500 millions de dollars le
budget chinois alors qu‟il arriva cette année aux alentours de 12 milliards 299. Une hausse
spectaculaire pour un pays miné par les mésententes entre le gouvernement central et les
potentats locaux. Mais ce ne sera pas la seule victoire civile que le Kuomintang
obtiendra pendant qu‟il gouvernait la Chine.
Sur le plan intérieur et économique le parti arriva à supprimer les taxes
intérieures qui sévissaient entre les régions et empêchaient l‟augmentation des échanges
commerciaux. Une nouvelle monnaie vint remplacer la monnaie millénaire qu‟était le
taël et un conseil économique fut mis en place afin de mener des politiques de grands
travaux300. C‟est grâce à ces actions que plus de 16 000 kilomètres de chemin de fer
furent construits 301.
Par rapport aux autres seigneurs de guerre, nous avons étudié que Tchang Kaï chek dut pendant cette décennie combattre des rébellions. S‟il engagea ses hommes avec
l‟aide des conseillers Allemands pendant la Guerre des plaines centrales ou contre le
régime de Foukien , il réussit cependant à ne pas utiliser à chaque fois ses troupes dès
qu‟un vent de révolte soufflait dans le pays. Dès 1929 il donna plusieurs millions de
dollars à Feng Yuxiang afin de pouvoir mater la révolte du général Zhang Fakui (1896 1980) pour éviter d‟être pris en tenaille par les deux armées 302. Lorsque le régime de
canton en été 1936 était prêt à entrer en guerre contre lui, il préféra de nouveau soudoyer
299
SHD, série 7N, carton numéro 3307, note de la Société d‟études et d‟informations économiques, 30 mars
1933
300
SHD, série 7N, carton numéro 3307, note de la Société d‟études et d‟informations économiques, 29 octobre
1935
301
Cheng Ch'eng-K'un, Regionalism in China's Postwar Reconstruction, revue Social Forces, Oxford University
Press, volume 22, numéro 1, page 1-20 , octobre 1943
302
SHD, série 7N, carton numéro 3307, note de la Société d‘études et d‘informations économiques, 24 décembre
1929
87
les flottes navales et aéronautiques cantonaises plutôt que de s‟engager dans d es
batailles incertaines. Cette manœuvre déstabilisa l‟état-major de la clique du Guangxi
qui accepta de signer la paix en échange de positions confortables au sein du
gouvernement de Nankin 303. Puis, lors de l‟incident du Xi‟an en décembre de la même
année, Tchang Kaï-chek fut fait prisonnier par le seigneur de guerre Zhang Xueliang lors
d‟une inspection dans le nord du pays. Celui-ci voulait que Tchang cessa la politique de
« pacification intérieure du pays » pour contre-attaquer dès que possible les Japonais. Il
fallait aussi, selon le jeune maréchal, s‟allier avec l‟URSS et promettre une constitution
au peuple. A l‟annonce de sa captivité l‟ensemble des forces politiques et militaires non communistes du pays demanda immédiatement la libération du maréchal, dont même
certains de ses anciens adversaires. Ils pensaient simplement que sans lui toute
résistance contre le Japon aurait été beaucoup plus difficile, en conséquence ils
préféraient être dominés par lui plutôt que par l‟Empire du Soleil levant. Ce qui prouve
la justesse de l‟analyse d‟un attaché militaire en août 1936 qui écrivit dans son rapport
que mis à part les dépendances Japonaises et communistes, l‟ensemble du pays était
globalement mis au pas par le gouvernement de Nankin 304.
Au sein même de son parti, Tchang Kaï-chek et ses partisans arrivèrent à garder la
main sur cet appareil politique, sans avoir besoin de pratiquer des purges comme Staline le
faisait à la même période. Après la querelle qui avait eu lieu entre le gouvernement de Wuhan
et celui de Nankin, les deux tendances du parti s‟étaient réconciliées grâce à la médiation de
Feng Yuxiang. Mais Wang Jingwei qui dirigeait la faction la plus à gauche du parti se voyait
difficilement rester numéro deux du Kuomintang pour le restant de ses jours. Après l‟échec
d„un gouvernement dissident à Pékin, qu‟il instaura en 1930 lors de la Guerre des plaines
centrales, et l‟invasion de la Mandchourie en 1931, il accepta de travailler avec les autres
courants politiques du Kuomintang. Cependant la majorité du parti réussit à l‟isoler en lui
confiant un poste au sein des affaires étrangères pendant que Tchang Kaï-chek et ses alliés
prenaient les décisions importantes qui avaient trait à l‟économie et à l‟armée. Des ministres
comme TV Song ou KK Kung le tirent dès que possible à l‟écart des prises de décisions
importantes afin de l‟isoler politiquement. Par la suite Wang Jingwei préféra trahir le
Kuomintang pendant la guerre avec les Japonais en acceptant de diriger pour eux un régime
303
304
James Sheridan, op. cit.,
SHD, série 7N, carton numéro 3287, note du 22 août 1936
88
fantoche à Nankin. Avec lui disparaitra le dernier homme capable de s‟opposer durablement
au sein du Kuomintang à Tchang Kaï-chek.
Face aux grandes puissances, le gouvernement chinois arriva progressivement à faire
accepter l‟idée d‟abandonner les concessions, du fait qu‟il réussissait à stabiliser le nombre de
guerres civiles dans le pays. Un argument qui avait été utilisé pendant des années par les pays
étrangers qui ne souhaitaient pas relâcher leur force militaire sur le pays tant que règnerait
l‟anarchie. Mais ils furent obligés de reconnaître que le Kuomintang arrivait mieux à imposer
l‟ordre au sein du pays que ses prédécesseurs. C‟est pourquoi le nombre de troupes
stationnées dans les diverses concessions baissa305. Par ailleurs, ce fut suite à la demande de
Tchang Kaï-chek que les grandes puissances acceptèrent de lever l‟embargo sur les armes le
29 avril 1929306. Dorénavant le gouvernement chinois n‟avait plus à subir l‟ingérence de pays
étrangers sur la question de l‟import de matériel de guerre.
Ainsi si l‟unification du pays n‟était pas encore entièrement effective, on peut
remarquer qu‟au niveau des impôts, de la légitimité de Tchang Kaï -chek ou de ses
relations avec les grandes puissances le gouvernement de Nankin arriva à imposer des
mesures. Ainsi ce ne fut pas seulement sur les champs de batailles que le Kuomintang
devint le parti dirigeant le pays mais aussi grâce à une série de mesures administratives,
politiques et diplomatiques.
Le Kuomintang face à l‘expansionnisme Japonais
L‟empire japonais depuis la fin du 19 e siècle manifestait une volonté
d‟expansionnisme marquée à travers les guerres qui l‟opposèrent à la Chine, la Russie et
à sa participation à la première guerre mondiale pour récupérer les colonies allema ndes
en Asie. Si le mémorandum Tanaka, qui était supposé être un plan pour la conquête de
l‟Asie, se révéla être une supercherie 307, il n‟en resta pas moins qu‟il était couramment
admis dans les hautes sphères de la société japonaise que la Chine ne devait p as
redevenir trop puissante si l‟on voulait continuer à garder la puissance de l‟empire du
Mikado. Il n‟y a qu‟à étudier l‟ensemble des accords conclus, ainsi que le nombre
d‟affrontements qu‟il y eut entre Chinois et Japonais, pour être convaincus des vol ontés
305
SHD, série 7N, carton numéro 3307, note de la Société d‟études et d‟informations économiques, 12
septembre 1931
306
Guangqiu Xu, American—British Aircraft Competition in South China, 1926-1936, op. cit.
307
Meirion and susie Harries, Soldiers of the sun, the rise and fall of the impérial japanese army, Random
House, New York, Etats-Unis, 1991
89
d‟expansion japonaise. Par ailleurs on utilise plus en Asie le terme de « Guerre de
Quinze Ans » pour parler de cette période 1931-1945 où le Japon se montra
particulièrement belligérant, que de la « Seconde Guerre sino-japonaise ».
Cette série d‟escarmouches et de conflits commença le 18 septembre 1931
lorsqu‟un attentat eu lieu sur une ligne de chemin de fer en Mandchourie, une région où
les Japonais possédaient de forts intérêts économiques. Cet « incident de Moukden »
sonna l‟invasion de la Mandchourie par l‟armée japonaise, qui prépara elle-même
l‟explosion puis en fit porter le blâme aux Chinois 308. Prétextant vouloir protéger leurs
concitoyens, les soldats japonais envahirent en quelques jours toute la Mandchourie
pendant que l‟ancien chef de la région, le maréchal Zhang Xuolin, se repliait avec ses
troupes près de Pékin sans livrer bataille. Il est d‟ailleurs intéressant de noter que huit
jours avant le début de l‟invasion une rumeur courait à Pékin qu‟une attaque des troupes
Japonaises sur la Mandchourie allait avoir prochainement lieu 309. Cette invasion sauva
d‟ailleurs indirectement la République soviétique chinoise du Parti Communiste Chinois
suite à la décision de Tchang Kaï-chek de rapatrier les troupes vers la frontière après
l‟agression japonaise. Cependant il ne lança pas de contre-offensive et préféra faire
appel à la ligue des nations, connaissant la faiblesse de l‟armée chinoise. Malgré le
Rapport Lytton rédigé en décembre 1931, qui donnait raison aux Chinois, et le vote des
pays membres, le Japon garda la mainmise sur la région. Suite à cet échec diplomatique,
Tchang Kaï-chek préféra continuer à temporiser afin de fortifier le pays en vue de la
prochaine guerre avec le Japon.
Cette politique de « pacification intérieure » voulue par le chef de l‟état était
effective avant même l‟invasion de la Mandchourie. Dans un rapport, le maréchal Zhang
Xuolin, expliqua qu‟il avait reçu l‟ordre de ne pas riposter contre les Japonais en cas
d‟attaque de leur part, mais au contraire de battre en retraite s‟ils commençaient une
invasion, et même de mettre sous clé les munitions afin d‟empêcher tout débordement 310.
Plus tard Tchang Kaï-chek rappellera sans cesse dans plusieurs discours qu‟il fallait
d‟abord pacifier l‟intérieur du pays avant de songer à se venger des Japonais. Cette
approche devint la pierre angulaire des relations entre les deux pays 311 et il mit en garde
308
Edward Behr, The Last Emperor, Bantam Books, New-York, États-Unis, 1987, p. 180
Journal mensuel « Bulletin catholique de Pékin », Pékin, Chine, numéro 217, octobre 1931
310
Dun J. Li, (direction), op. cit., rapport de Chang Hsüeh-liang
311
So Wai Chor, The Making of the Guomindang's Japan Policy, 1932-1937: The Roles of Chiang Kai-Shek and
Wang Jingwei, Modern China, Vol. 28, No. 2, avril 2002, p. 213-252
309
90
ses officiers en se déclarant contre le côté « glamour » d‟une contre-attaque contre le
Japon qu‟il jugeait prématurée 312.
Par la suite pas moins de quatre accords de paix furent signés entre les deux pays.
Chacun d‟entre eux réglera un problème particulier d‟une région chinoise qui était
l‟objet de la convoitise japonaise. Il y aura :
La paix de Shanghai (1932) :
Suite à l‟invasion de la Mandchourie, les sentiments antijaponais de la population
chinoise atteignirent un paroxysme qui provoquèrent de nombreux incidents,
particulièrement à Shanghai où les Japonais avaient une concession. A cause de ces
incidents la situation s‟envenima et bientôt des escarmouches éclatèrent entre les deux
camps. L‟armée japonaise envoya à partir du mois de janvier 1932 des navires de guerre,
des divisions de marines ainsi qu‟une partie de son aviation pour défendre ses
concitoyens. Après plusieurs semaines de conflits où 60 000 militaires perdirent la vie,
les Chinois durent admettre leur défaite et retirer tous soldats autour de Shanghai dans
un périmètre de 20 kilomètres entourant la ville.
Trêve de Tanggu (1933)
Après l‟invasion de la Mandchourie et la montée sur le trône de Puyi (19061967), en mars 1932, de cet état fantoche, l‟armée Japonaise chercha à sécuriser la
région du Jehol, en mettant de nouveau en scène un « incident ». Sous prétexte
d‟agressions chinoises et que cette région faisait historiquement partie de la
Mandchourie, l‟armée du Kwantung lança une offensive jusqu‟à la grande muraille en
battant à plate-couture les hommes de Zhang Xueliang en moins de deux semaines 313.
Ne pouvant une fois de plus arrêter les troupes de l‟empire du Mikado, Tchan g
Kaï-chek accepta de négocier une paix humiliante où il reconnut de facto l‟indépendance
du régime du Mandchoukouo lors de la Trêve de Tanggu. Par ailleurs fut aussi négociée
dans cette trêve la création d‟une zone démilitarisée commençant depuis la grand e
muraille et s‟étendant sur 100 kilomètres de profondeur vers le sud. Pour les troupes
312
Dun J. Li, (direction), op. cit., Discours de Tchang Kaï-chek à Nanchang devant un groupe d‘officiers
supérieur le 8 mai 1933
313
Journal « The Time Magazine », États-Unis, 12 juin 1933
91
chinoises il était désormais interdit d‟y stationner tandis que les Japonais possédaient le
droit de patrouiller dans cette région, alors qu‟elle était officiellement s ous contrôle du
régime de Nankin.
L’accord He-Umezu (1935)
A partir de l‟année 1933 les relations entre les deux pays semblèrent repartir sur des bases
plus amicales, et même en janvier 1935 le gouvernement japonais annonca qu‟il allait mener
une politique de non-agression envers la Chine. Cette déclaration ne fut pas du goût de
certains chefs militaires de l‟armée qui firent pression sur le gouvernement chinois pendant le
mois de juin 1935 avec des menaces d‟invasion sur le nord de la Chine. Une fois de plus
Tchang Kaï-chek préféra temporiser en acceptant de signer en secret cet accord He-Umezu au
bout de quelques jours. Ce traité interdisait au Kuomintang d‟être présent dans toutes les
régions où stationnait l‟armée japonaise, ce qui lui permit d‟instaurer un nouvel état fantoche
dans la région du Jéhol sous la direction de l‟homme politique chinois Yin Ju-keng (18851947). Celui-ci proclama, avec la bénédiction des Japonais, l‟indépendance du « Conseil
autonome du Hopei de l'est ». La ville de Pékin se trouvait désormais à moins de 40
kilomètres de la première garnison japonaise.
L’accord Chin–Doihara (1935)
Alors que l‟accord Hu-Umezu venait à peine d‟être signé, quatre soldats Japonais
qui profitaient d‟une permission partirent en excursion dans la province de Chahar située
en Mongolie-Intérieure. Etant partis sans visas, ils furent appréhendés par des soldats
Chinois, et mis en garde à vue pendant quelques heures avant d‟être relâchés. L‟armée
Japonaise profita de cet incident pour déclarer son indignation et rapidement un accord
fut de nouveau signé entre les deux pays à la fin du mois. La province du Chahar, qui
faisait la superficie de l‟Italie, devait être à son tour démilitarisée, et toute activité du
Kuomintang y fut désormais interdite.
A ces vexations s‟ajoutèrent deux tentatives de la part des Japonais de créer de ux
nouveaux états fantoches comme le Mandchoukouo et le conseil autonome du Hopei de
l‟est. A la fin de l‟année 1935, Le Prince Demchugdongrub (1902-1966) d‟origine
92
mongole, contacta les Japonais afin d‟établir un nouvel état qui regrouperait les
provinces de Mongolie-Intérieure. Envahissant la région du Chahar, puis poussant son
avance sur le sud, les troupes mongoles de Demchugdongrub furent battues par les
armées nationalistes en novembre 1936 314. Il faudra attendre la fin de 1937 avec la
défaite des armées chinoises en Chine du nord pour que les autonomistes mongols
puissent, avec la bénédiction du Japon, proclamer l‟indépendance du « Gouvernement
autonome uni du Mengjiang » en décembre 1937. Une autre tentative de créer un
immense territoire indépendant du gouvernement de Nankin, sur toute la superficie entre
le fleuve jaune et la muraille de Chine, fut mis à l‟étude par des officiels Japonais.
D‟anciens seigneurs de guerre déchus comme Duan Qirui (1864-1936), Feng Yuxiang ou
Wu Peifu furent approchés, en 1935, par les Japonais afin de savoir s‟ils ne voulaient pas
prendre la tête d‟un régime sécessionniste du régime de Nankin 315. Quand Tchang Kaïchek apprit la nouvelle, il mit une forte pression politique et militaire sur ces seigneurs
de guerre et les Japonais afin d‟éviter un nouveau démembrement de la Chine. De l‟avis
de certains experts présents sur place à cette période, si le généralissime réussit à
contrecarrer les plans japonais, il s‟en aurait fallu de très peu pour que ceux-ci ne
réussissent 316.
Pourquoi Tchang Kaï-chek accepta la confrontation en 1937
Cette méthode de « jouer contre la montre » fut reconnue par certains experts français
comme la meilleure manière de résister aux assauts japonais. Au bout de quelques années
d‟attente, la Chine, selon eux, pouvait contre-attaquer du fait qu‟elle était « en grande partie
unifiée »317, ce qui inquiétait particulièrement les Japonais. Au fil des ans ils commencèrent à
saisir qu‟avec le temps, la puissance militaire de la Chine pourrait dépasser la leur318. Ils
tentèrent de donner des signes d‟apaisement, mais personne au sein du milieu de la diplomatie
n‟ignorait les véritables intentions de l‟Empire du Soleil levant.
Puis arriva en juillet 1937 l‟incident du pont Marco-Polo qui déclencha la Seconde
Guerre sino-japonaise. Une nouvelle fois les Japonais utilisèrent la même stratégie que six ans
auparavant pour justifier leurs attaques envers la Chine. Suite à un incident particulièrement
mineur (la disparition d‟un soldat japonais près d‟une maison close pendant deux heures),
314
Hans J. Van de Ven, op. cit.,
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 6 novembre 1935
316
SHD, série 7N, carton numéro 3299, note mars 1936
317
SHD, série 7N, carton numéro, note du 21 octobre 1936
318
SHD, série 7N, carton numéro 3308, article du Journal de Pékin, 9 septembre 1936
315
93
allait commencer l‟un des conflits les plus meurtriers de l‟histoire. Des premières
escarmouches qui commencèrent sur le pont Marco Polo l‟armée Japonaise augmenta le
nombre de troupes engagées dans la région pour envahir Pékin le 8 août 1937.
Tchang Kaï-chek se retrouva face à
un choix décisif pour le futur de la nation
chinoise. Soit il acceptait un nouvel état
fantoche des Japonais qui comprendrait les 5
provinces du nord, soit il ordonnait la
résistance nationale contre l‟envahisseur.
Comme nous venons de le voir, les
militaristes
japonais
qui
souhaitaient
contrôler la Chine voulaient soumettre le
pays petit à petit, et non se lancer dans une
guerre de conquête qui se serait révélée très
incertaine319. Ils préparaient au contraire
depuis plusieurs mois la création d‟un
gouvernement sécessionniste à Pékin, celuici aurait été en tous points semblable à la
Mandchourie, avec à sa tête une élite
politique contrôlée par Tokyo320.
Les 5 provinces du nord
Pour le pays et le maréchal Tchang Kaï-chek, ce fut un moment crucial. Lui qui
était critiqué de toute part depuis plusieurs années dans sa politique de ne pas s‟engager
contre les Japonais risquait d‟être mis en minorité dans son propre parti s‟il ne
commençait pas cette guerre 321. Les seigneurs de guerre de Canton lui reprochaient
depuis longtemps de ne pas avoir résisté aux Japonais 322, le jeune maréchal Zhang
Zuolin, qui était une figure importante, avait abattu publiquement son chef d‟état-major
qui voulait s‟allier aux Japonais 323, et la population civile avait été particulièrement
319
SHD, série 7N, carton numéro 3287, note du 16 janvier 1936
James B. Crowley, A Reconsideration of the Marco Polo Bridge Incident,The Journal of Asian Studies, ÉtatsUnis, volume 22, numéro 3, mai 1963, p. 277-291
321
SHD, série 7N, carton numéro 3289, note du 27 juillet 1937
322
SHD, série 7N, carton numéro 3286, note du 1er juin 1933
323
SHD, série 7N, carton numéro 3293, note du 20 février 1937
320
94
choquée par les accords passés avec le Japon depuis 1932 324. Sans oublier que le
Kuomintang c‟était bâtit sur une légitimité anti-impérialiste, il ne pouvait donc être
question de repousser indéfiniment la confrontation.
Par peur d‟être mis en minorité au sein même du Kuomintang, malgré
l‟impossibilité de recevoir de l‟aide des grandes puissances occidentales, qui n‟osaient
contredire le Japon, et par le fait que la conscience que les forces Japonaises étaient de
meilleure qualité, Tchang Kaï-chek décida de commencer la guerre. C‟est pourquoi il
écrivit dès le 8 juillet dans son journal « Le moment de commencer le combat [contre les
Japonais] est venu » 325. Sans oublier qu‟à force de ne pas combattre les envahisseurs nippons
l‟armée chinoise possédait un moral très bas. A force d‟éviter le conflit, Tchang Kaï-chek
risquait de se retrouver avec une force militaire sans aucune expérience de la guerre
moderne326.
L‘état de l‘armée chinoise à la veille de la guerre
Le 6 juillet 1937, l‟armée chinoise comptait près de 300 000 hommes qui avaient
reçus un entrainement par les allemands, dont 80 000 possédaient un équipement
moderne. Mais cela était peu comparé aux 1.9 millions de soldats présents dont 1.1
millions seulement étaient sous les ordres directs du Kuomintang. Cette force militaire
représentait aussi un petit nombre de soldats, connaissant les techniques de combat
moderne, face aux japonais qui pouvaient eux aussi lever une armée de deux millions de
soldats327, sans oublier qu‟ils n‟avaient jamais été vaincus par les troupes chinoises sur
le champ bataille depuis 1895 328. Le corps des officiers s‟était amélioré en qualité, plus
de 10 500 avaient été ainsi formés dans des écoles dont les allemands étaient les
professeurs entre 1928 et 1937 329. Mais ce nombre était lui aussi très bas, suite aux
immenses besoins de l‟armée chinoise, qui nécessitait bien plus de commandants
qualifiés.
Concernant l‟aviation, des progrès avaient été faits depuis 1932, date à laquelle
les Chinois n‟avaient tout simplement pas d‟avion face aux bombardiers japonais lors de
324
Constantin Rissov, Le dragon enchainé, édition Robert Laffont, Paris, France, 1985
Meirion and susie Harries, op. cit.
326
Dun J. Li, (direction), op. cit., Rapport de Matsumoro Koryo, chef de l‘espionnage japonais à Pékin du 3
janvier 1936
327
Albert Merglen, La guerre à la française, éditeur Arthaud, Paris, France, 1967
328
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, The nationalist era in China (19271949), Cambridge University Press, New York, USA, 1991, p. 126
329
Chang Jui-Te, op. cit.
325
95
la bataille de Shanghai. Il y avait dorénavant presque 700 appareils330, mais tout comme
l‟armée de terre, ils étaient inférieurs en nombre face à la flotte aéronautique japonaise,
forte de plus de 1500 appareils 331. Sans oublier que les avions de l‟armée de l‟air
chinoise étaient totalement hétéroclites suite à des achats réalisés auprès de plusieurs
pays et par plusieurs clans politiques 332.
La marine quant à elle, était simplement inexistante. Elle n‟était composée que
d‟environ 70 navires, sans aucun porte-avion333, alors que le Japon possédait la 3 e flotte
de guerre au monde 334. Ainsi, aucune bataille navale n‟eut jamais lieu et les troupes
chinoises ne purent jamais se défendre efficacement contre les navires japonais, malgré
les tentatives de construire des forts le long des côtes. Dès octobre 1937, l‟ensemble des
ports chinois seront sous embargo, sans que les Chinois puissent s‟y opposer d‟une
quelconque manière 335.
Nonobstant ce tableau très sombre, l‟armée chinoise s'était considérablement
améliorée grâce aux conseillers militaires allemands, ainsi en janvier 1932 Tchang Kaï chek affirmait que :
« La Chine manque d‟une véritable puissance militaire […] en 3 jours le Japon
pourrait envahir sans difficulté les zones côtières et le bassin du Yangtze » 336
Alors qu‟en 1937 juste au début de la guerre le maréchal enverra un télégramme d‟un
ton beaucoup plus optimiste à son fils Chiang Ching-kuo qui étudiait en Allemagne en
lui disant :
« Ne sois pas perturbé par l‟invasion japonaise. J‟ai les moyens [comprendre : les
divisions entrainées par les allemands»] de les contrer » 337
330
Guangqiu Xu, op.cCit., p. 90
Ibid, p. 115
332
Rodney Gilbert, The War in China Continues, Foreign Affairs, Vol. 17, No. 2, pp. 321-335, New York, USA
1939
333
China today series edited by Tang Leang-Li, reconstruction in China, a record of progress and achievement
in facts and figures with illustration and map, China United Press, Shangaï, Chine, 1935
334
Albert Merglen, op. cit.
335
SHD, série 7N, carton numéro 3289, rapport d‟octobre de la police française à Shanghaï.
336
Hans J. Van de Ven, War and nationalism in China (1925-1945), Routledge Curzon, London, Royaume-Unis,
2003
337
Jay Taylor, op. cit., p. 146
331
96
Loin d‟être une rodomontade militaire, cet avis était en partie partagé par l‟attaché
militaire Français en poste à Pékin qui, dans un rapport au deuxième bureau de l‟armée
Française, expliqua que :
« L'armée chinoise a, ces dernières années, fait d'énormes progrès et elle continue à en
faire. Face à la menace japonaise les classes cultivées de la nation et l'armée ont un
moral élevé ».
Mais contrairement à Tchang Kaï-chek, il précisa à ses supérieurs que faute d‟artillerie, d‟une
meilleure aviation, d‟un nombre suffisant de troupes et de meilleurs officiers, la République
de Chine ne pouvait espérer battre les armées du Japon sans aide extérieure338. Une analyse
bien plus pertinente que celle du généralissime à qui l‟histoire devra donner raison. Par
ailleurs, la valeur des divisions des deux pays étaient loin d‟être la même. Il était
communément admis qu‟une division japonaise en terme de combativité valait soit six
divisions chinoises classiques ou quatre divisions entrainées par les Allemands339.
Sur la production d‟armes, les arsenaux chinois malgré l‟accord H.A.P.R.O signé
avec le gouvernement allemand ne pouvaient pas encore fournir d‟armes lourdes ou de
chars. L‟industrie de guerre chinoise se résumait à la fabrication de fusils, de
mitrailleuses, de mortiers et d‟avions construits sous licence italienne dans l‟usine de
Nanchang. De plus, malgré la construction d‟arsenaux pendant toutes ces années, il
n‟existait aucune standardisation des armes et des munitions 340.
2) Les conseillers allemands pendant la guerre (1937-1938)
Durant cette campagne, pendant les premières années de la guerre, les conseillers
militaires allemands seront très présents au côté des Chinois. Le général Von
Falkenhausen en tant que chef de mission, deviendra même une petite célébrité grâce
aux nombreux journalistes qui voulaient l‟interviewer. S‟ils ne permirent pas aux
Chinois de remporter de considérables victoires face aux Japonais, ils surent se montrer
indispensables et aidèrent beaucoup leurs employeurs.
338
SHD, série 7N, carton numéro 3288, notes du 25 mars et 3 juin 1937
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note du 2 septembre 1937
340
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note du 2 septembre 1937
339
97
Les conseillers militaires allemands pendant la bataille de Shanghai
Après le début des hostilités Tchang Kaï-Chek, pendant plusieurs jours, voulait
encore croire à la paix. Il déclara publiquement le 17 juillet :
« Si l‟incident du pont Marco Polo se transforme en guerre entre la Chine et le
Japon cela dépendra entièrement de l‟attitude du gouvernement japonais » 341
Voyant que les Japonais poussaient malgré tout leur offensive afin de contrôler
les cinq provinces du nord, il décida de prendre une initiative à leur encontre afin de
contrecarrer leurs plans. Au lieu d‟avoir un front étendu d‟est en ouest, comme l‟on
pourrait s‟y attendre de la part d‟une guerre se déroulant au nord du fleuve jaune, il
s‟efforça de faire basculer la ligne de front du nord au sud tout le long de la côte
chinoise342. Cette manœuvre était très importante parce que la Chine ne pouvait espérer
gagner cette guerre de manière traditionnelle vu son manque criant de troupes et de
moyens. Afin de pouvoir réaliser une telle réorientation sur un front, qui ferait plusieurs
milliers de kilomètres, et surtout contraindre le haut commandement japonais à
l‟accepter, il fallait lancer une offensive sur la concession japonais de Shanghai qui
contenait à peine 3 000 soldats. En outre, avec la présence des concessions françaises et
internationales, un incident diplomatique aurait pu survenir entre Japonais et
occidentaux, et Tchang Kaï-chek espérait qu‟un tel incident se produisit afin de mettre
en porte à faux l‟empire nippon 343. Son vœu faillit se réaliser, car à la fin de la bataille,
les armées du Mikado tentèrent d‟occuper illégalement la concession française ; mais
devant l‟obstination du commandant français, l‟état-major japonais préféra ne pas
offenser la République française 344.
Depuis l‟incident du 28 janvier 1932, où les Japonais avaient vaincu les Chinois à
Shanghai, ceux-ci ne pouvaient plus stationner de troupes en dehors de « Corps de
paix » chargé de faire un travail de police. L‟empire Nippon selon les accords de 1932
pouvait au contraire toujours stationner des hommes de l‟armée impériale sur une partie
de la concession internationale. Ainsi, vers le début du mois d‟août Tchang Kaï-chek
ordonna le déplacement des divisions numéros 87 et 88, qui avaient été entraînées par
341
Chiang Kei-Shek, President Chiang Kei-Shek selected speeches and messages (1937-1945), China culturel
service, Taipei, Taiwan, non daté
342
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), Op. Cit.
343
Jacques Guillermaz, Une vie pour la chine, mémoires (1937-1989), éditions Robert Laffont, Paris, 1989
344
Robert Guillain, Orient Extreme, une vie en Asie, édition le Seuil/Arlea, Paris, France, 1986
98
les allemands, vers Shanghai afin d‟attaquer les troupes maritimes japonaises. Le
général Zhang Zhizhong (1895-1969) était en charge de l‟attaque, il déguisa ses soldats
en hommes de « corps de paix », et le 13 août, après plusieurs escarmouches, lança une
attaque globale sur la concession japonaise.
Les conseillers allemands jouèrent un rôle non négligeable dans cette bataille.
Tout d‟abords, certains d‟entre eux, après avoir pris le commandement de la défense
anti-aérienne de la ville, abattirent
plusieurs avions, alors que sans eux
les
Chinois
se
montraient
incapables de défendre l‟espace
aérien de la ville 345. Ensuite, les
divisions
entraînées
par
les
Allemands se révélèrent être de
formidables adversaires pour les
Japonais
en
construisant
une
défense efficace face à la puissance
de feu largement supérieure des
Japonais346.
Photo de soldats de la 88e division marchant vers Shangaï, aout 1937
Après plusieurs jours de conflits, la bataille de Shanghai vit le nombre de forces
de chaque côté augmenter considérablement et arriver au chiffre gigantesque de 750 000
soldats chinois et de 250 000 soldats japonais 347. Mais après trois mois de combats, et
une manœuvre amphibie des forces japonaises qui prirent les troupes chinoises à revers,
les troupes du Kuomintang durent reculer de Shanghai pour éviter d‟être détruites. La
majorité des unités d‟élites formées par les allemands furent durement mises à ma l par la
bataille. La plupart des divisions qui se trouvaient à Shanghai perdirent jusqu‟à 50% de
leurs effectifs, avec un total de blessés et de tués proche de 190 000 hommes 348, tandis
que les japonais eurent près de 60 000 combattants mis hors de combats 349.
Von
Falkenhausen, qui au début des hostilités avait été envoyé au nord du pays pour
345
SHD, série 7N, carton numéro 3289, note du 29 octobre 1937
SHD, série 7N, carton numéro 300, note 27 décembre 1937
347
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction) op. cit.
348
Ibid.
349
Herbert Rosinski ,The Strategy of the Sino-Japanese Conflict, Pacific Affairs, Vol. 11, No. 1, 1938
346
99
conseiller les chefs militaires comme Yan Xishan 350, a sans aucun doute poussé à cette
prise de décision sachant qu‟il aura été vu à de nombreuses reprises visiter la bat aille351.
Après la défaite, il envoya une note à Tchang Kaï-chek disant :
« Si notre commandement avait été déterminé, unifié, et si des objectifs
principaux avaient été définis, nous aurions pu acquérir rapidement la victoire »
352
Une analyse partagée par les experts Français qui considérèrent que les Chinois
s‟étaient particulièrement bien battus à Shanghai 353. Quant aux généraux Japonais, ils
pensaient pouvoir reprendre la ville en quelques jours et administrer une correction aux
Chinois pour leur montrer qu‟ils étaient encore le pays dominant de la région. Mais
après quelques semaines de combats, ils durent reconnaître que les troupes de Tchang
Kaï-chek se battirent avec beaucoup de pugnacité 354. Les « faucons » japonais, tel le
général Hideki Tojo, pensèrent, avant la bataille de Shanghai, qu‟en lançant une offensive sur
Pékin ils impressionneraient suffisamment les Chinois pour prendre sans coup férir les cinq
régions du nord, et régler par la négociation les modalités de cette sécession. Ils n‟avaient
cependant pas prévus que Tchang Kaï-chek commencerait finalement à défendre
militairement l‟unité de la nation chinoise et les pousserait à s‟enliser en Chine355.
Loin d‟être une réussite, la bataille de Shanghai se révéla être une lourde défaite
militaire pour le Kuomintang. De par le nombre de morts, la perte de nombreux officiers
présents dans les divisions entrainées par les allemands et l‟ouverture d‟un nouveau
front, il n‟y avait pas de quoi être optimiste pour le futur de la guerre. Cependant, par
cette manœuvre Tchang Kaï-chek avait tout de même réussi une double victoire : il avait
prouvé aux puissances étrangères qu‟il pouvait défendre son pays alors qu‟on l‟en
croyait incapable, ensuite il avait gagné sur le plan stratégique en amenant une grande
partie des forces de l‟empire nippon à l‟embouchure du Yangzi, qui ne voulait surtout
pas ouvrir un deuxième front 356. Mais pour une question d‟honneur et de prestige, la
concession japonaise ne pouvait pas être abandonnée à l‟ennemi.
350
F.F. Liu, op. cit.
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
352
Hans J. Van de Ven, Op. Cit.,
353
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note décembre 1937
354
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note 6 septembre 1937
355
James B. Crowley, Op. Cit.
356
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note 27 décembre 1937
351
100
L‟empire du Japon avait ainsi envoyé la quasi-totalité de son armée régulière
pour garder Shanghai 357, or cette stratégie avait été justement proposée par von
Falkenhausen deux ans plus tôt dans son rapport de 1935 Propositions concernant la
situation actuelle. Pour ce général, il fallait absolument attirer les troupes japonaises
dans la région garnie de fortifications du Yangzi, puis reculer si la situation l‟exigeait
jusqu‟à la lointaine région montagneuse du Sichuan située à plus de 2000 kilomètres de
Shanghai. La nature du terrain y était bien plus propice à une guerre défensive que sur
les grandes plaines de la Chine du nord. Et selon von Falkenhausen, le Japon qui devait
maintenir déjà 100 000 hommes en Mandchourie depuis 1931, ne pouvait se permettre
de maintenir une armée d‟occupation sur l‟ensemble de la Chine. Ainsi il fallait se
défendre contre les japonais mais toujours en reculant afin d‟étendre leur ligne de
communications et le coût logistique de la guerre. Sachant qu‟avec le danger d‟une
intervention des Russes en Mandchourie il était impossible pour l‟empire du soleil
levant de lancer toutes ses forces dans la bataille, comme le raconte une note envoyée
par le général à Berlin pendant l‟été 1937. Il y parla de l‟armée chinoise en termes très
élogieux et pensait qu‟elle avait toute les chances de remporter cette guerre :
« Les chances d‟une victoire chinoise ne sont pas impossibles parce que les
Japonais – connaissant la possibilité d‟une intervention Russe – ne pourront pas
utiliser toute leur forces contre les Chinois. L‟infanterie chinoise est de bonne
qualité, l‟armée de l‟air chinoise est sur le point d‟égaler celle des japonais [et] le
moral de l‟armée chinoise est grand » 358
Sur les deux derniers points on peut cependant avoir des doutes, l‟aviation
chinoise, environ 600 appareils, fut entièrement détruite par les japonais lors des
premiers mois de la guerre 359. D‟ailleurs, les instructeurs italiens du général Roberto
Lordi (1894-1944) qui y travaillaient n‟hésitèrent pas à aller du côté japonais dès le
début avant d‟être rappelés en Italie par Mussolini 360-361. Quant au moral chinois, il était
loin d‟être au plus haut, car malgré le fait que les troupes nationalistes aient tenu en
respect les Japonais pendant 3 mois, lorsque le haut-commandement décida d‟ordonner
la retraite, ce fut un véritable sauve-qui-peut. Les unités devaient se cacher durant la
357
Journal « The Time Magazine », 6 septembre 1937, USA
Hans J. Van de Ven, Op. Cit.,
359
Herbert Rosinski ,The Strategy of the Sino-Japanese Conflict, Pacific Affairs, Vol. 11, No. 1, 1938
360
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
361
Arthur Nichols Young, Op. Cit.,
358
101
nuit pour ne pas être attaquées par les bombardiers japonais, et aucune division ne tenta
de lancer une contre-attaque.
La retraite de Shanghai et l‘inefficacité de la « ligne Hindenburg chinoise »
Les troupes chinoises devaient officiellement utiliser la « ligne Hindenburg
chinoise » afin de pouvoir pratiquer une « défense élastique ». Pour rappel, une
« défense élastique » est une manœuvre qui consiste, pour une armée en retraite, à
attendre le moment favorable où les forces ennemies seront tellement étendues qu‟elle
pourra lancer une contre-attaque dévastatrice. Les officiels chinois avaient ainsi promis
une défense de six mois grâce à cette ligne de défense 362 mais, dans la panique de la
retraite, la plupart des forts furent désertés par les occupants tandis que les défenseurs
qui arrivaient de Shanghai virent que les clés n‟étaient pas là : emportées soit par les
notables locaux qui en avaient la charge mais qui s‟étaient enfuis, soit par les anciens
occupants qui étaient aussi partis 363. Il était donc tout simplement impossible d‟opposer
une résistance sérieuse aux Japonais dans l‟incapacité qu‟ils se trouvaient de pouvoir
utiliser les forts et les bunkers.
Ainsi, le plan de Tchang Kaï-chek d‟étendre au maximum le conflit sur le
territoire chinois, en partie inspiré des idées d‟Alexander Von Falkenhausen, avait réussi
sur les plans diplomatique et stratégique. Mais le coût d‟une telle opération se révéla
rapidement très important ; Shanghai avait été prise, donnant ainsi aux japonais une
solide tête de pont en Chine : sur les 750 000 Chinois qui l‟avaient défendue, on
enregistrait près de 50% de pertes entre les blessés et les morts. La « ligne Hindenburg
chinoise » n‟avait pas fonctionné alors qu‟elle avait coûté des millions de Yuan et
désormais les japonais se trouvaient à moins de 300 kilomètres de Nankin, la capitale
chinoise. Ils n‟avaient désormais qu‟à remonter le fleuve pour la prendre.
Suite à la défaite des troupes chinoises face aux hommes du Mikado à Shanghai
et à la déroute qui en suivit, la question se posa au quartier général chinois s‟il fallait
défendre coûte que coûte la capitale de la Chine face aux troupes japonaises, ou alors la
déclarer « ville ouverte » pour éviter des pertes civiles. Sachant que les japonais se
trouvaient à quelques jours de marche et que la « ligne Hindenburg chinoise » n‟avait
pas du tout fonctionné, la situation était particulièrement critique. Alexander Von
362 Journal « The Time Magazine », États-Unis, 29 novembre 1937
363 Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit.
102
Falkenhausen et les autres conseillers penchèrent du côté de la prudence et conseillèrent
à Tchang Kaï-chek d‟abandonner entièrement la capitale 364. Un conseil qui fut connu
rapidement de tous, puisque John Rabe (1882-1950), l‟homme d‟affaire allemand
travaillant pour Siemens qui sauva de nombreuses personnes lors du massacre de
Nankin, notera dans son journal :
« Le général Von Falkenhausen et tous les autres conseillers allemands pensent
que [défendre la ville] est inutile. »365
Mais Tchang Kaï-chek ne voulant pas abandonner sans combattre sa capitale, et
surtout le mausolée de Sun Yat-sen. Ainsi furent stationnés près de 80 000 hommes sous
la direction du général Tang Shengzhi
366
qui s‟était porté volontaire pour diriger la
ville. Il déclara :
« [Abandonner Nankin serait] trahir la mémoire de Sun Yat-sen […] Je ne
reculerai devant aucun sacrifice dans la défense de Nankin. »367
Mais malgré l‟apport de divisions entraînées directement par les Allemands (la
38 e, la 87 e et la 88 e), les troupes chinoises ne purent défendre correctement la ville pour
de nombreuses raisons : elles n‟avaient pas d‟effectifs complets suite à la bataille de
Shanghai, un nombre constant de réfugiés perturbait le déroulement des opérations par
leur présence sur les routes, les soldats chinois fuyaient les combats sans être dirigés par
des officiers, les troupes japonaises étaient très importantes et le matériel de guerre
chinois était de mauvaises qualité 368. C‟est pourquoi, après seulement quatre jours de
combats, du 9 au 12 décembre, le général Tang Shengzhi décida une retraite générale.
Celle-ci tourna une nouvelle fois en déroute et provoqua la mort de nombreux civils lors
du massacre de Nankin.
Le reste du séjour
Pendant le reste de la guerre et jusqu‟à leur rappel définitif, les conseillers
militaires allemands continuèrent de travailler aux côtés des Chinois, pour la plupart
d‟entre eux dorénavant à Hankou, qui fut le siège du gouvernement chinois jusqu‟à la
364 Higashinakano Shudo, The Nanking massacre : fact versus fiction, Sekai Shuppan inc, 2006, Japan
365 John Rabe, The Good Man of Nanking: The Diaries of John Rabe, ed. Erwin Wickert New York, 1998
366 David Askew, Defending Nanking: An Examination of the Capital Garrison Forces, Ritsumeikan Asia
Pacific University
367 Hans J. Van de Ven, War and nationalism in China (1925-1945), Routledge Curzon, London, 2003
368 David Askew, op. cit.,
103
prise de la ville par les Japonais en septembre 1938 369. Ainsi, après les nombreuses
défaites que subit l‟armée chinoise lors de l‟année 1937, de nombreuses régions
tombèrent aux mains des Japonais. Cependant, l‟incident de l‟USS Panay, le 12
décembre 1937, stoppa légèrement les velléités nipponnes suite aux nombreuses
critiques que formulèrent les chancelleries occidentales. Pendant quelques mois, les
Chinois profitèrent ainsi de ce court répit, ce qui leur permit de remporter une première
victoire face aux Japonais à la bataille de Taierzhuang en avril 1938, selon le diplomate
Paul-Émile Naggiar . Or pour cet ambassadeur les efforts des pilotes russes et des
conseillers allemands étaient justement « responsables de ce redressement »370 : suite à
leurs conseils, les Chinois y attaquèrent de nuit pour ne pas être bombardés par les
avions japonais et utilisèrent pour la première fois des canons « 150 millimètres
Howitzers » de fabrication germanique, pour lesquels les artilleurs avaient été formés
par les Allemands 371, tandis que les pilotes russes harcelaient les lignes japonaises.
Paul-Émile Naggiar entendit aussi parler d‟un Allemand qui organisa une ligne
de défense le long du fleuve jaune près de la ville de Xuzhou et de deux autres
instructeurs militaires qui auraient été capturés par des troupes japonaises puis
maltraités par leurs gardiens 372, preuve que ces personnes étaient considérées comme
importantes par les Japonais. Par mesure de sécurité, les conseillers allemands se
défendaient de participer aux réunions d‟état-major373 mais tout le monde savait
pertinemment que Tchang Kaï-chek demandait des avis stratégiques à ses conseillers
pour vaincre les Japonais. Ainsi, lors de la bataille de Taierzhuang, le général Von
Falkenhausen était présent chaque jour au sein du quartier général chinois 374.
Mais les instructeurs militaires allemands, pendant le reste de leur séjour en
Chine, ne pouvaient plus vraiment faire pencher définitivement la balance des combats
en faveur de la Chine du fait de leur trop petit nombre (moins d‟une quarantaine) 375. De
plus, dès le mois de février 1938, le bruit courrait dans les ambassades que le
369 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
370 Archives du quai d‟Orsay, carton 538 « sur la mission allemande »
371 Billie K. Walsh, The German Military Mission in China, 1928-38, The Journal of Modern History, Vol. 46,
No. 3, The University of Chicago Press, USA, 1974
372 Archives du quai d‟Orsay, carton 538 « sur la mission allemande »
373
Dépêche Reuters, 25 mai 1938
374
Dépêche Reuters, 25 mai 1938
375 Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit.
104
gouvernement allemand avait promis aux Japonais de rappeler ses ressortissants
militaires présents en Chine 376.
Les conseillers Allemands, objet de manœuvres diplomatiques
Déjà pendant les années précédant le deuxième conflit sino-japonais, les services
diplomatiques français s‟aperçurent que les Japonais étaient inquiets de la présence de la
mission militaire allemande et des accords qui étaient passés entre l‟Allemagne et la
Chine. À titre d‟exemple, au moment de la négociation de l‟accord H.A.P.R.O. –
surnommé le « traité des 100 millions » – durant l‟été 1936, ou encore lors de l‟aide
pour la construction d‟un arsenal à Canton : dans les deux cas cela ne fut pas du goût des
Japonais. Par voie de presse, des éditorialistes se déchaînaient contre une telle entente et
expliquaient que ce rapprochement sino-germanique risquait de mettre le feu aux
poudres en Asie et de déclencher une guerre 377. Quant aux services diplomatiques
japonais, dès décembre 1937, ils demandèrent le retrait pur et simple des conseill ers
militaires allemands, alors que ceux-ci étaient officiellement en Chine à titre privé et
sous contrat. Ils fournirent comme prétexte que ceux-ci planifiaient les opérations
chinoises au lieu de donner simplement des conseils militaires, ce qui portait atteinte au
bon déroulement des opérations en Chine 378.
Cette stratégie de pressuration sur leur allié européen peut se comprendre du fait
que, depuis le 25 novembre 1936, l‟Allemagne nazie et l‟empire du Japon étaient
officiellement alliés par la signature du pacte anti-Kominterm qui les protégeait
mutuellement en cas d‟attaque de la part de l‟URSS 379. Ainsi, les Japonais ne pouvaient
voir que d‟un mauvais œil l‟Allemagne laisser une quarantaine de ses ressortissants,
spécialistes en matière d‟armement et de guerre, aider la Chine à construire une
meilleure armée et une industrie nationale.
Pendant un très long moment, les efforts des diplomates japonais semblaient vain.
La mission militaire allemande paraissait si bien ancrée en Chine qu‟un diplomate
français affirmait en septembre 1936 : « il ne me semble pas qu‟il soit encore question
de voir cesser à plus ou moyenne échéance l‟activité de la mission que dirige le général
376 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », France
377 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
378 Billie K. Walsh, op. cit.
379 Gerhard Weinberg, The Foreign Policy of Hitler's Germany Diplomatic Revolution in Europe 1933-36,
University of Chicago Press, 1970
105
Falkenhausen »380. Puis en février 1938, selon la même source, « les allemands assurent
que leurs instructeurs seront maintenus et que leurs envois d‟armes et de munitions
continueront »381. Mais les conseillers, suite à la pression constante du gouvernement
japonais sur celui du III e Reich, recevront finalement l‟ordre de partir moins de cinq
mois plus tard au cours du printemps 1938.
Alors que cette guerre asiatique commençait, l‟Allemagne se retrouvait dans une
position particulièrement délicate. Son allié politique, qu‟était le Japon suite à la
signature du pacte anti-Kominterm, était en guerre avec l‟un de ses premiers partenaires
commerciaux, la Chine, qui représentait 16% des exportations allemandes à la veille de
la guerre382. Le gouvernement allemand devait donc jouer sur les deux tableaux afin de
ne pas mécontenter ses partenaires asiatiques. Hitler, pour ne pas vexer Tchang Kaï chek, avait par exemple attendu très longtemps pour reconnaître le régime fantoche de
l‟empereur Pu Yi en Mandchourie. Il ne l‟avait fait qu‟en février 1938, soit de nombreux
mois après son allié italien qui l‟avait reconnu dès le 29 novembre 1936. En agissant de
cette manière, Hitler commençait à montrer aux Chinois que sa politique asiatique
pencherait en faveur des Japonais car seuls deux autres états à travers le monde, le
Salvador et le Vatican – avec l‟Italie –
avaient reconnu le Mandchoukouo 383.
Cependant, on pouvait se douter à l‟époque que l‟Allemagne pencherait définitivement
pour le Japon car, lors de son discours où il reconnaît le régime de Pu Yi, Hitler
expliqua clairement comment il considérait le Japon comme le meilleur allié qui saurait
lutter efficacement contre le communisme en Asie, à la différence de la Chine 384.
« Je ne considère pas la Chine assez forte, que ce soit spirituellement ou
matériellement, pour résister avec ses propres forces contre n‟importe quelle attaque des
bolcheviques [le Japon au contraire devait être considéré comme] un élément de sécurité
[contre l‟URSS] »385
On peut expliquer la longue hésitation d‟Hitler de plusieurs façons. D‟une part, le
poids du commerce entre la Chine et l‟Allemagne était tel que se défaire d‟un tel marché
380 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
381 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
382 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
383 André Siegfried, Les canaux internationaux et les grandes routes maritimes mondiales, Recueil des cours,
éditeur Sirey, Volume 74, 1950
384 Kurt Bloch, German interests and policies in the far east, institute of pacific relations, USA, New York,
1940
385 William C.Kirby, Germany and Republican China, op. cit.
106
aurait risqué de porter un coup aux exportations allemandes, comme le rapporta
l‟ambassadeur français à Berlin, André François-Poncet (1887-1978)386. D‟autre part, de
nombreuses personnes en Allemagne militaient pour un rapprochement avec la Chine, et
une partie de l‟opinion publique en Allemagne espéraient surtout que le conflit sino japonais se terminerait rapidement avec des négociations qui auraient pu permettre aux
Chinois de rentrer dans le pacte anti-Kominterm 387. D‟ailleurs, une partie de la presse
soutenait toujours la Chine, comme le journal Deutsche Allgemeine Zeitung, classé très à
droite de l‟échiquier politique, qui publia en janvier 1938 un article faisant l‟éloge du
maréchal Tchang Kaï-chek et expliquant qu‟il n‟accepterait jamais que les communistes,
aussi bien russes que chinois, ne prennent le contrôle de la Chine 388.
Mais les propositions économiques japonaises concernant un partage des
richesses en Chine occupée, l‟échec de la médiation allemande pour une paix ainsi que
l‟impossibilité de voir la Chine rejoindre le pacte anti-Kominterm suite à la signature du
pacte de non-agression signé entre la Chine nationaliste et l‟URSS, le 21 juillet 1937,
firent finalement pencher la balance en faveur du Japon 389.
L‘ordre de départ des conseillers Allemands
Après ces nombreux mois de tractations et de pressions de la part du Japon, le
chancelier du III e Reich demanda officiellement à la Chine, le 22 juin 1938, de rompre
le contrat qui attachait les conseillers militaires allemands encore présents en Chine avec
le gouvernement de Tchang Kaï-chek. À titre d‟exemple, von Falkenhausen, comme
certains de ses subordonnés devait rester jusqu‟en 1940 390. Le gouvernement allemand
s'engagea aussi à donner en échange de cette rupture de contrat une compensation de six
mois de salaire et la promesse d‟un poste dans la Wehrmacht dès que les conseillers
reviendraient en Allemagne 391. D‟une manière bien moins officielle, les autorités
allemandes promirent aussi à tous ceux qui souhaitaient rester contre la volonté du
gouvernement allemand que leurs familles subiraient de sévères répercussions : envoi
386Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
387
En mars 1938 la « ostasiatischer verain Hambrug-bremen » (l‟association pour l‟extrême orient d‟Hambourg
et Brême) organisa un banquet où chacun souhaitait la fin de la guerre. Source Archives du quai d‘Orsay, dossier
Chine 1918-1940, carton 679 « relation Allemagne-Chine »
388Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
389 William C.Kirby, Germany and Republican China, op. cit.
390
Journal « The New York Times», États-Unis, 20 mai 1938
391 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
107
dans des camps de concentration et confiscation leurs biens s‟ils n‟obtempéraient pas392.
L‟agence française d‟information HAVAS fit donc paraître un bulletin expliquant que
les conseillers militaires allemands partaient de Chine afin que le pays puisse « signaler
sa neutralité dans le conflit chino-japonais »393.
Tchang Kaï-chek avait aussi été tenté de forcer ses conseillers à rester sur place,
mais l‟Allemagne lui avait assuré qu'un tel acte risquait de rompre toute relation
diplomatique entre les deux pays. Une plus grande résistance de la part des militaires
étaient attendue des services diplomatiques français qui croyaient que Van Falkenhausen
ne rentrerait pas en Allemagne, ou alors que certains militaires se feraient naturaliser
comme citoyens chinois. Mais la peur de voir leur famille envoyée en camps de
concentration avec confiscation des biens fera que sur les quarante derniers conseillers,
seuls quelques-uns restèrent en Chine. Ces personnes pouvaient se permettre cette
liberté de choix : soit ils ne possédaient plus rien, soit ils étaient des opposants au
régime nazi. À titre d‟exemple, le capitaine Walter Stennes avait été expulsé du NDSAP
en 1931 et l‟un des techniciens avait vu ses deux frères tués par le régime hitlérien 394. Il
leur était simplement impossible de revenir au pays. Cette mesure, très extrême de la
part du gouvernement allemand pour faire revenir ses ressortissants, n‟était pas vraiment
une surprise car de nombreux conseillers voulaient rester auprès des forces du
Kuomintang jusqu‟à la fin de leur contrat, comme l‟écrivit le diplomate Naggiar, en
janvier 1938 :
« [Les conseillers militaires allemands] prennent soin de faire preuve du plus
complet loyalisme envers le gouvernement chinois »
L‟ambassadeur Trautmann quant à lui, voulait faire revenir les conseillers
militaires petit à petit afin d‟éviter que le commerce allemand avec la Chine n‟en pâtisse
trop rapidement. Mais Joachim von Ribbentrop (1893-1946), le ministre des affaires
étrangères d‟Hitler, le rappella violemment à l‟ordre en lui écrivant qu‟il devrait savoir
qu‟en tant que « vieux fonctionnaire qu‟il faut obéir aux ordres »395. Pour son indocilité,
l‟ambassadeur fut par ailleurs rappelé au pays quelques mois plus tard pour être
392 William C.Kirby, Germany and Republican China, op. cit.
393 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
394 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
395 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
108
remplacé par l‟ancien chef de la mission allemande, Hermann Kriebel, comme
représentant du Reich.
En conséquence, Tchang Kaï-chek, après avoir accepté de renvoyer tous les
Allemands chez eux, leur offrit un grand dîner d‟adieu le 6 juillet 1938. Il y fut lui même présent et leur rendit hommage pour tout le travail qu‟ils avaient réalisé, alors
qu‟il refusa à plusieurs reprises de rencontrer l‟ambassadeur allemand Oskar Trautmann
les semaines précédentes 396. Ce fut suite à ce dîner et quelques jours avant son départ
que Von Falkenhausen déclara aux journalistes :
« Je suis sûr que la Chine arrivera à la victoire finale. Le J apon échouera aussi
bien dans la paix que dans la guerre. »397
Cette déclaration était loin d‟être juste une petite phrase pour provoquer le
gouvernement allemand et japonais, car Alexander von Falkenhausen croyait fermement
en une victoire de la Chine. Il avait par exemple, quelques mois plus tôt, en mars 1938,
expliqué à l‟attaché militaire des Etats-Unis, James Marshall McHugh, que « Les chinois
peuvent gagner cette guerre s‟ils continuent [sans arrêt le combat] »398.
Les conseillers militaires partirent deux semaines plus tard en prenant le train
« Hankou – Hong-Kong ». Mais les Japonais bombardèrent la ligne de chemin de fer à
l‟avant et à l‟arrière du train provoquant l‟arrêt des wagons pendant plusieurs heures,
faisant du convoi une cible très facile en cas de nouvelles attaques. Les services secrets
français s‟interrogèrent sur une possible provocation japonaise ; ceux-ci avaient
d‟ailleurs déjà fait déclarer par la voix de la presse que le départ de la mission militaire
allemande ferait perdre 20% de la combativité et de la qualité des troupes chinoises 399.
Après le départ de la mission officielle, moins d‟une dizaine d‟Allemands, du fait
de leur différend avec le régime hitlérien, préférèrent rester en Chine au service de la
République chinoise. Mais ceux-ci n‟étaient vraiment pas nombreux et leur influence,
comparée aux autres missions militaires des autres puissances qui étaient en Chine avec
beaucoup d‟hommes, comme l‟URSS et les Etats-Unis, ne pouvaient être que minime.
D‟autant plus avec le refroidissement des relations entre les deux pays et la
396 Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
397 Journal « Time Magazine », États-Unis, 18 Juillet 1938
398
N.A.R.A., boîte numéro 1513, Records of the Military Intelligence, microfilm numéro 36, rapport intitulé
«Politico-military situation », mars 1938
399
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande »
109
reconnaissance par l‟Allemagne du régime chinois fantoche de Nankin dirigé par Wang
Jingwei ou encore à la déclaration de guerre officielle entre les deux pays en 1941.
On peut cependant retenir plusieurs noms d‟Allemands encore présents, comme
le capitaine Walter Stennes, ancien nazi qui deviendra le responsable personnel de la
sécurité de Tchang Kaï-chek et son aide de camp, Freiherr von Imhof, un spécialiste de
l‟artillerie motorisée qui dirigea une école de motorisation dans la ville de Taikui, ou
encore le docteur W. Baerensprung, ancien socialiste devenu réfugié politique qui eut la
charge du contre-espionnage chinois.
L‘utilisation des soldats Chinois formés et équipés « à l‘Allemande » dans la
propagande de guerre
Malgré le départ des conseillers allemands, la propagande sut s‟emparer des divisions
chinoises qui avaient endossées les uniformes de la Wehrmacht pour montrer une Chine
organisée, disposant d‟une bonne armée et prête à se battre contre l‟envahisseur japonais.
Dans un pamphlet intitulé China fights back, publié par le journal Hongkongais South China
Morning Post, le lecteur pouvait voir de nombreux soldats, cadets et officiers chinois portant
des uniformes allemands et se battant avec de l‟armement moderne pour défendre leur
pays400. Alors que la majorité des soldats Chinois pendant ce conflit ne possédait qu‟une
formation sommaire et des armes de mauvaise qualité, ce journal présenta l‟Armée Nationale
Révolutionnaire comme une force de combat moderne susceptible de repousser l‟envahisseur
japonais.
400
Seeds of conflict: The sino-japanese conflict (1931-1941), éditeur Nendeln Kraus Reprint, Pays-Bas, 1980
110
Un magazine de propangade intitulé The war pictorial, imprimé en langue anglaise et
chinoise, vantait les mérites de l‟ANR en mettant en exergue les troupes formées par les
Allemands. Dans chacun des pages on peut retrouver des photos de soldats chinois combattant
avec beaucoup d‟entrain les Japonais.
Les couvertures proviennent de photographies
prisent lors de la bataille de Shangaï.
111
Concernant les actualités cinématographiques, aucun reportage en Allemagne ne fut
consacré à la mission militaire allemande401. Mais l‟image de soldats chinois habillés et
casqués comme les soldats de la Wehrmacht resta bien connue aux États-Unis. Ces images
furent utilisées pour de la propagande à destination des soldats américains. Elles furent
présentes dans le film de propagande Why we fight – The battle of China402 du réalisateur
Frank Capra (1897-1991). Ce documentariste réalisa pas moins de sept films pour le compte
de l‟armée américaine, tous destinés aux troupes afin de montrer que le nouveau conflit
mondial était inévitable et qu‟ils avaient pour mission de promouvoir la démocratie. Ces films
décrivaient comment les puissances de l‟Axe souhaitaient s‟emparer de la terre entière et
assujettir la population mondiale à un régime dictatorial.
Le premier de ces films, Prelude to War reçut même un oscar dans la catégorie
« meilleur documentaire » en 1942. L‟avant-dernier volet de cette collection intitulé The
Battle of China, sorti en 1944, visait particulièrement le Japon en parlant du supposé
Mémorendum Tanaka qui visait à la conquête du monde par le Japon. Comme l‟expliqua le
commentateur du film :
« Voici quel était leur rêve. Première phase – l‟occupation de la Mandchourie pour ses
ressources minières. Deuxième phase – l‟absorption de la Chine pour sa population.
Troisième phase – une conquête rapide des riches Indes Orientales [Indonésie,
Malaisie, Indochine, Philippines, Nouvelle Guinée]. Quatrième phase – la conquête
des États-Unis »
Fort heureusement, selon Frank Capra, le maréchal Tchang Kaï-chek, qui avait unifié
le pays, résistait vaillamment à l‟agression grâce à ses concitoyens « qui venaient [de partout]
pour former l‟armée du peuple »403. De là, le spectateur pouvait voir des hommes habillés en
civil en provenance de toutes les régions de Chine, puis d‟assister à des scènes d‟entraînement
avant d‟observer des soldats chinois habillés de pied en cap de l‟uniforme allemand, bien
ordonnés et armés avec des fusils404. De cette manière, le montage du film cherche à prouver
que la Chine formait une armée capable de résister à l‟envahisseur pour contrer les plans de
domination mondiale du Japon. Et ce alors même que l‟Armée Nationale Révolutionnaire ne
401
Bundesfilm archiv...
www.archive.org/details/BattleOfChina
403
Frank Capra (réalisation), Why we fight – The battle of China, USA, 1943, 41e minute
404
Ibid., 41e-43e minute
402
112
fut jamais capable de posséder une majorité de divisions correctement équipées ni de réaliser
une contre-offensive militairement efficace.
Découpage de la séquence :
Un plan expose des volontaires chinois venus
de toutes les régions du pays pour s’engager
contre les Japonais.
Le montage du film indique que ces volontaires
reçoivent des séances d’entraînement.
Après celles-ci ils sont habillés, organisés,
équipés et armés de pied en cap comme des
soldats allemands. Pendant plus d’une minute
le spectateur les voit ainsi défiler de manière
disciplinée.
On peut, grâce à cet extrait de propagande, vérifier l‟importance de la mission militaire
allemande. En plus d‟avoir amélioré les troupes du Kuomintang sur le plan moral, matériel et
éducatif, l‟apport des conseillers allemands se révéla utile à la propagande de guerre bien
après leur départ. Il est même amusant de constater que soixante ans plus tard, dans une série
de jeux vidéo stratégiques consacrés à la Deuxième Guerre mondiale, entre tous les
documents photographiques auxquels avaient droit les créateurs, ce furent finalement en
113
grande partie des photos de propagande comme celle du South China Morning Post et de The
Battle of China qui furent utilisées405.
3) La guerre des conseillers russes et américains (1937-1942)
Sachant qu‟il ne gagnerait jamais la guerre sans aide extérieure et qu‟il n‟était pas certain
de pouvoir garder indéfiniment ses conseillers allemands, Tchang Kaï-chek fit appel à l‟URSS
et aux États-Unis afin de l‟aider dans la guerre. Pour le premier, il savait que Staline avait
peur d‟être pris en tenaille par le pacte antikomminterm et pour le deuxième, c‟était l‟un des
seuls pays démocratiques encore capables de ne pas avoir peur d‟une invasion japonaise sur
ses colonies. Au delà de l‟apport matériel et diplomatique, de nouveaux conseillers militaires
furent envoyés pour soutenir le Kuomintang et son armée.
L‘apport matériel russe
Alors que les hostilités venaient de débuter, l‟URSS décida, dès le mois d‟octobre
1937, d‟envoyer du matériel à la Chine pour l‟aider à résister face aux Japonais 406. Pour
Staline, il était tout simplement vital que la Chine nationaliste tint le plus longtemps
possible face au Japonais, car sans adversaires en Asie, l‟empire du Mikado pouvait
ensuite se tourner vers la Russie et prendre en tenaille l‟Union Soviétique avec l‟aide
des Allemands. Sachant que les deux pays avaient signé le pacte anti-Kominterm, il était
fort possible que le Japon honorât ses engagements. Pour ces raisons, l‟URSS accepta
d‟envoyer du matériel et de signer un pacte de non-agression le 21 août 1937 avec le
Kuomintang, chose que le Kremlin n‟avait jamais envisagée jusqu‟alors 407.
L‟aide matérielle russe envoyée à la République chinoise était tout simplement
incomparable face à ce que la mission militaire allemande avait permis d‟apporter à la
Chine. À titre d‟exemple, six mois après la signature du traité, la Russie envoya plus
d‟armes lourdes (tanks, canons, avions) que l‟ensemble des commandes délivrées par les
Allemands en onze ans de relations 408. Durant les quatre années de coopération entre la
Russie et la Chine, plusieurs accords de prêt d‟une somme totale de 250 millions de
dollars furent signés entre les deux pays, permettant ainsi aux forces du Kuomintang de
405
Voir la série « Hearts of Iron » de la société Paradox Interactiv
Evans Carlson, The chinese army, institute of pacific relations, New York City, USA, 1940
407
Jung Chang et Jon Halliday, op. cit.
408
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction) op. cit., p. 289
406
114
recevoir 900 avions, 82 tanks, 2 000 pièces d‟artillerie, 10 000 mitrailleuses et 50 000
fusils et des munitions pour un prix de vente bien inférieur à celui du marché
international 409. Par exemple, le diplomate Wellington Koo (1887-1985) écrivit dans ses
mémoires que la Chine obtint pour 160 millions de roubles une livraisons de plusieurs
tonnes de munitions. Or, comparée aux prix du marché international, cette livraison
valait en réalité 400 millions de roubles. En échange de tout cela, la Chine s‟engageait à
fournir des ressources pour l‟industrie soviétique 410.
D‟ailleurs, le Kuomintang était si dépendant de l‟aide russe que lorsque la région
du Xinjiang, sous contrôle des nationalistes, fut prise par le seigneur de guerre Sheng
Shicai (1897-1970) en aout 1937, avec l‟aide de l‟union soviétique, le Kuomintang
refusa de le reconnaître publiquement. Les officiels chinois prétextèrent alors que ce tte
information était de la propagande japonaise ; un incident diplomatique fut ainsi évité
pour ne pas embarrasser le Kremlin et s‟assurer de recevoir cette aide matériel 411.
Tchang Kaï-chek profita de sa nouvelle relation avec le Kremlin pour pousser les
Soviétiques à attaquer le Japon, mais Staline refusa continuellement de céder à sa
demande. Pendant les années qui suivirent, les Chinois continuèrent à essayer de
convaincre ce dernier et créerent même un nombre considérable de faux rapports
japonais qui devaient prouver aux Russes que la Sibérie allait être la cible d‟une attaque
de l‟armée du Kwantung 412.
Les conseillers et pilotes russes
En plus de fournir et de vendre du matériel à prix réduit aux Chinois, l‟URSS
envoya plusieurs volontaires qui prirent part aux combats. Près de 700 pilotes et
mécaniciens vinrent se battre sous les drapeaux du Kuomintang et 200 d‟entre eux
perdirent même la vie face aux Japonais 413. En plus de l‟infériorité numérique de la
flotte aéronautique chinoise, l‟état-major avait réalisé, quelques mois après le début des
hostilités, que les instructeurs italiens avaient été particulièrement incompétents lors des
formations qu‟ils avaient assurées. Si l‟espace aérien chinois put être défendu, ce fut en
409
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit., p. 290
Jonathan Fenby, Generalissimo: Chiang Kai-shek and the China He lost, Da Capo Press, USA, 2005, p. 322
411
Hsiao-ting Lin, Modern China's Ethnic Frontiers: A Journey to the West, Taylor & Francis, série Routledge
Studies in the Modern History of Asia, USA, 2010 p. 58
412
Vasilii Chuikov, Mission to China, memoirs of the Soviet military adviser to Chiang Kaishek, White Plains,
New-York, États-Unis, 2004
413
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction) op. cit., p. 290
410
115
grande partie grâce aux pilotes russes qui étaient bien plus compétents que leurs
homologues asiatiques 414. Ils jouèrent aussi un rôle important lors d‟attaques sur les
positions ennemies. Par exemple lors la bataille de Taierzhuang, ils harcelèrent
continuellement les lignes japonaises qui venaient d‟être enfermées par les Chinois. Se
retrouvant sous le feu continuel combiné des pilotes russes, des canons allemands et des
troupes chinoises, les Japonais ne purent tenter une sortie pour rejoindre des lignes
amies et furent en grande partie tués au cours de la bataille. Un an plus tard, les pilotes
russes réussirent un coup de maître en bombardant une cérémonie officielle de l‟aviation
japonaise : sans pertes, une quarantaine d‟avions furent détruits et de nombreux officiers
supérieurs japonais y perdirent la vie 415.
Dans le domaine de l‟aviation, les pilotes russes assurèrent aussi les fonctions
d‟instructeurs auprès des jeunes pilotes chinois 416. Au début du conflit, ils donnèrent de
nombreux conseils aux pilotes du Kuomintang et des escadrilles mixes furent mises en
place afin que les cadets chinois puissent apprendre au mieux l‟utilisation des nouveaux
avions soviétiques. Puis à partir de 1940, certaines escadrilles étaient suffisamment
expérimentées pour combattre seules les Japonais. Plus de 1 000 pilotes et 8 000
techniciens furent ainsi formés par les équipes aéronautiques russes 417.
Tchang Kaï-chek demanda aussi au Kremlin de lui envoyer de toute urgence, à
partir de juin 1938, des conseillers militaires, suite au départ des instructeurs alle mands.
Avec les nombreuses pertes que venaient de subir l‟armée chinoise, et particulièrement
le corps des officiers qui avaient été durement touchés pendant la bataille de Shanghai, il
fallait impérativement trouver des remplaçants aux conseillers alleman ds. De 27
conseillers présents pendant l‟été 1938, leur nombre passa à 80 en octobre 1939, pour
atteindre 140 au début de l‟année 1941. Jusqu‟à 300 conseillers militaires furent
présents en Chine ; en plus d‟appartenir à l‟état-major de Tchang Kaï-chek pour aider à
la planification des plans de batailles, ils travaillèrent à continuer la formation des
troupes et des officiers. Plus de 90 000 élèves furent ainsi formés, rien que dans les
écoles militaires tenues par les officiers de l‟Armée rouge 418.
414
SHD, série 7N, carton numéro 3300, note 1er mars 1938
Anatolii Demin (traduit par George M. Mellinger), Soviet Fighters in the Sky of China IV (1937-1940), by
Aviatsiia i Kosmonavtika, Russie, numéro 12, 2000
416
Ibid.
417
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction), op. cit., p. 291
418
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction) op. cit., p. 291
415
116
Sur le plan stratégique, le dernier chef de la mission russe en Chine livra un
témoignage fort intéressant dans un livre autobiographique. Les conseillers militaires
qui étaient présents au sein de l‟état-major chinois ou des commandants sur le terrain
apprirent rapidement à voir leurs conseils remis en question ou simplement ignorés. Les
généraux chinois ne supportaient pas la critique et ne voulaient pas que des Occidentaux
remettent en cause leur sens de la stratégie devant leurs subordonnés. Vassily Chuikov
lui même essaya de persuader Tchang Kaï-chek de lancer des contres-offensives en
proposant des plans d‟attaque, mais il furent la plupart refusés par le chef du
Kuomintang. Une fois cependant, lorsque la situation sur le front chinois empirait au
cours de la deuxième bataille de Changsha en septembre 1941, les conseillers
soviétiques trouvèrent soudainement une oreille beaucoup plus attentive à leurs conseils.
Vassily Chuikov fut envoyé sur le terrain afin de préparer une contre-offensive pour
arrêter l‟avance des Japonais. Ce fut l‟unique fois où Tchang Kaï-chek fit assez
confiance aux Soviétiques pour leur confier entièrement la mise en place de la stratégie
de l‟offensive419. Mais le chef du Kuomintang avait besoin d‟une victoire pour prouver
aux Américains que la Chine était capable de triompher des Japonais. Grâce à ces
conseils et à celui de ses camarades, les Chinois sortirent victorieux de cet affrontement
avec l‟armée impériale. Mais à la différence des généraux allemands qui s‟épanchaient
souvent dans la presse, le général russe ne fit aucune déclaration publique. Il laissa au
contraire tout l‟espace médiatique aux généraux chinois afin qu‟on ne puisse accuser le
Kuomintang d‟être une marionnette aux mains de l‟Union soviétique 420. Ce qui était
justement l‟un des arguments des Japonais qui proclamaient qu‟ils voulaient vivre dans
une Asie pacifiée et dans laquelle le communisme n‟aurait pas sa place 421. En mettant en
avant les conseillers russes, Tchang Kaï-chek aurait donné aux Japonais des armes pour
leurs propagande de guerre.
La fin de la mission russe
Cependant avec l‟agression hitlérienne contre l‟URSS du 22 juin 1941, la plupart
des personnes qui travaillaient pour les Chinois furent rappelées pour défendre la « mère
Russie » et l‟envoi de matériel s‟arrêta422. L‟URSS devait en effet se défendre contre un
ennemi qui arriva aux portes de Moscou en moins de six mois. De plus, sachant que le
419
Ibid., p. 292
Vasilii Chuikov, op. cit.,
421
Journal « The Time Magazine », article “ WAR IN CHINA: Belated Push‖, États-Unis, 13 septembre 1937
422
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction) op. cit., p. 250
420
117
Kremlin avait accepté de signer un traité de neutralité avec le Japon le 13 avril 1941 et
de reconnaître le Mandchoukouo, toute offensive vers la Sibérie de la part des Japonais
semblait écartée 423. L‟aide militaire apportée aux Chinois n‟était plus une priorité alors
que les tanks de la Wehrmacht roulaient à vive allure vers la Volga.
Certains conseillers devaient rester jusqu‟en 1944, mais globalement la mission
d‟aide à la Russie s‟arrêta en 1942, quand le responsable de la mission militaire
soviétique Vassily Chuikov fut rappelé à Moscou sans être remplacé. Et dès le mois de
juillet 1941, plus aucun pilotes russe ne protégeaient les cieux de la Chine car ils furent
tous rappelés sur le front de l‟est 424. Contrairement à la précédente coopération des
années vingt qui s‟était terminée par la purge du PCC suite à la volonté de l‟URSS
d‟infiltrer les instances du Kuomintang, cette deuxième mission militaire se contenta
uniquement d‟aider la Chine à se défendre contre l‟agression japonaise sans chercher
une nouvelle fois à noyauter l‟appareil du Kuomintang. D‟ailleurs, l‟ambassadeur
chinois T.F. Siang en Russie déclara que :
« Moscou était plus intéressée […] d‟aider la résistance en Chine contre le Japon
que d‟y propager le communisme. »425
Quand au général Vassily Chuikov, il raconta dans ses mémoires que l‟une des parties
de sa mission était aussi d‟éviter qu‟une guerre civile ne commençât entre nationalistes
et communistes. Si tel avait été le cas, les Japonais auraient pu profiter des dissensions
chinoises et conquérir le pays. Ce ne furent pas moins de 5 000 Soviétiques qui vinrent
travailler en Chine pendant l‟ensemble de la mission, comme pilotes, conseillers ou
techniciens, afin de parer à cette éventualité 426.
Cependant, malgré le pacte de non-agression signé entre l‟URSS et le l‟Empire
du soleil levant, Staline ne préféra pas brusquer ses voisins japonais. Dans les années
1942-1945, les Américains avaient espéré pouvoir utiliser le transsibérien pour pouvoir
envoyer leur matériel de guerre en Chine ; la situation était particulièrement critique
avec la perte de la Birmanie et de l‟Indochine, qui permettaient d‟approvisionner les
armées chinoise. Il restait cependant la possibilité de faire passer les marchandise s par le
423
Brian Crozier, The man who lost China, Angus & Robertson, États-Unis, 1977
Guanqiu Xu, The issue of US air support for China during the Second World War, 1942-1945, Journal of
contemporary History, volume 36, numéro 3, juillet 2001, p. 459-484
425
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, The nationalist era in China (19271949), Cambridge University Press, New York, USA, 1991, p. 135
426
Jonathan Fenby, op. cit., p. 322
424
118
chemin de fer le long de la Sibérie, mais le Kremlin, par peur de provoquer les Japonais,
refusa pendant toute la guerre d‟aider Tchang Kaï-chek à recevoir ce matériel anglosaxon.
Claire Lee Chennault, les « Flying Tigers » et l‘influence américaine (1937-1942)
En juin 1937 le futur général Claire Lee Chennault (1893-1958) vint en Chine en
tant que conseiller militaire. Il avait été mis à la retraite anticipée par l‟US air force
suite à ses problèmes de santé ainsi qu‟à ses vues tactiques totalement différentes de
celles de l‟état-major de l‟United States Army Air Corps (l‟ancêtre de l‟US Air Force).
C‟est pour cette raison qu‟il fut invité par madame Tchang Kaï-chek, qui travaillait
depuis des années sur les questions de l‟aéronautique en Chine. Il partit travailler pour
l‟armée de l‟air chinoise, mais, afin de ne pas mettre dans l‟embarras son gouvernement,
il fut rattaché comme conseiller à la banque de Chine. Une institution où il ne fut bien
entendu jamais présent pendant toute la guerre 427.
Il n‟était censé rester que trois mois pour donner son avis sur l‟état de l‟armée de
l‟air chinoise, mais il y resta finalement pour plusieurs années. Il enseigna de nouvelles
techniques de guerre aux pilotes du Kuomintang 428 et commanda la petite communauté
de pilotes, d‟instructeurs et de mécaniciens qui étaient employés à titre privé par la
Chine429. Le département d‟état des États-Unis, qui voulait absolument tenir le pays en
dehors de la guerre, tenta même de faire rentrer ses ressortissants suite aux nombr euses
pressions diplomatiques japonaises 430. Près de 900 cadets furent ainsi formés par leurs
instructeurs américains de 1937 à 1940 431 et les mercenaires américains en 1937 étaient
si nombreux qu‟ils pouvaient utiliser, à eux tous seuls, la moitié des apparei ls chinois432.
Mais tant que les conseillers russes étaient présents, Claire Lee Chennault admit lui même dans ses mémoires que les instructeurs soviétiques avaient bien plus d‟influence
que lui et l‟« l‟escadrille internationale » composée en grande partie de pilotes anglais,
américains, australiens et néo-zélandais qui était sous ses ordres 433.
427
Michael Schaller, American Air Strategy in China, 1939-1941: The Origins of Clandestine Air Warfare,
American Quarterly, Volume 28, Numéro 1, États-Unis, printemps 1975, p. 3-19
428
Guangqiu Xu, op. cit., p. 118
429
Ibid, page 119
430
Ibid, page 120
431
GuangqiuXu, op. cit., p. 138
432
Ibid., p. 119
433
Claire Lee Chennault, Way of a Fighter, édition G. P. Putnam's Sons, New York, États-Unis, 1949
119
Puis en 1940, la situation aéronautique de la Chine devint particulièrement
critique : la contre-offensive chinoise de 1939 n‟avait pas fonctionné, les Russes
baissaient leur aide matériel, les nouveaux chasseurs japonais Mitsubishi A6M « Zero »
semblaient trop puissants face aux modèles obsolètes de l‟aviation chinoise : le Japon
pouvait désormais bombarder le sud de la Chine grâce à son occupation de
l‟Indochine434, le Kuomintang ne possédait plus que 68 avions contre plus de 950 pour le
Japon et les nombreux mercenaires qui composaient « l‟escadrille internationale » de
l‟armée de l‟air chinoise étaient en grande majorité morts, disparus ou blessés 435. Pour
toutes ces raisons, Tchang Kaï-chek décida d‟envoyer Chennault, en octobre 1940, à
Washington D.C. afin de convaincre les États-Unis de laisser la Chine acheter des
avions de guerre ainsi que de pouvoir employer des pilotes et des mécaniciens
volontaires 436. C‟était d‟ailleurs l‟un des seuls pays encore capables de soutenir son
régime, car malgré les pressions japonaises, Washington avait accepté de prêter 100
millions de dollars en novembre 1940 suite à la création du Régime de Nankin.
Le président Roosevelt, qui pressentait que la guerre avec le Japon était
inévitable, accepta d‟aider militairement Tchang Kaï-chek avec une nouvelle mission
aérienne. À la différence de la mission Jouett qui était partie en toute discrétion, la
mission Chennault fut fortement dotée d‟un personnel de 300 personnes qui
embarquèrent pour la Chine dès le mois de mars 1941. Chennault était parvenu à
négocier un nombre considérable d‟avions à emmener en Chine, dont même des
bombardiers qui devaient pouvoir attaquer directement avec des engins in cendiaires les
villes Japonaises. Mais l‟administration américaine comprit que ce type d‟attaque
pourrait être prise par les Japonais comme une agression purement américaine, sachant
que les pilotes, les armes et les avions viendraient des États-Unis. Les bombardiers
furent donc retirés de la mission Chennault avant même d‟être envoyés en Chine. Puis
les services diplomatiques anglais se plaignirent que cette aide à la Chine réduisait
l‟aide militaire à l‟Angleterre, alors même que les troupes du Commonweal th
affrontaient les troupes de l‟Axe dans le désert libyen. Finalement seulement 100
chasseurs Curtiss P-40 Warhawk furent envoyés en Chine – dont la fameuse gueule de
requin deviendra l‟emblème.
434
Ibid, p. 148
Ron Heiferman, Flying Tigers, Chennault in China, Ballantine‟s illustred story of world war II, deuxième
edition, USA, 1978, p. 15
436
Hans J. Van de Ven, War and nationalism in China (1925-1945), op. cit., p. 248
435
120
Avec le temps pris pour la constitution du groupe et son entraîenemnt, les
« Flying Tigers » ne connurent leur premier combat que fin décembre 1941 437, soit plus
d‟un an après la demande de Tchang Kaï-chek à Chennault de ramener du matériel et
des hommes depuis les États-Unis. Ce groupe de volontaires américains eut un rôle très
positif pour les alliés, sachant qu‟avec seulement une soixantaine de pilotes ils
détruisirent entre 115 438 et 300 appareils japonais pendant leurs six premiers mois
d‟activité et ne perdirent qu‟une dizaine de combattants 439. Mais sur le plan stratégique,
ils ne furent pas d‟une grande aide car, que malgré ces scores, la Birmanie fut conquise
par les Japonais et Rangoon fut plusieurs fois bombardée, entraînant de nombreuses
morts parmi les civils.
Après l‟attaque de Pearl Harbour, les Américains entrèrent en guerre contre le
Japon et déclarèrent la guerre à l‟Allemagne le 11 décembre suivant. Tchang Kaï -chek,
qui était particulièrement heureux de savoir que le géant américain allait envoyer ses
forces armées contre le Japon 440, déclara lui-même la guerre à l‟Italie et à l‟Allemagne
dans les jours suivants. Faisant officiellement partie des Alliés, la Chine reçut l‟aide de
conseillers militaires ainsi que du matériel de guerre. Le général américain Joseph
Stilwell (1883-1946) faillit devenir « chief of staff » de Tchang Kaï-chek et forma
plusieurs divisions chinoises avec du matériel américain. Mais cette fois -ci la Chine
obtint toute cette aide et ces conseillers militaires en tant que pays combattant les
puissances de l‟Axe, et non plus comme « l‟homme malade de l‟Asie » qu‟elle avait été
pendant des années.
437
Journal « The Time Magazine », article “Battle of China: Blood for the Tigers‖, États-Unis, 27 décembre
1941
438
Daniel Ford, Flying Tigers: Claire Chennault and his American volunteers (1941–1942), HarperCollinsSmithsonian Books, Washington DC, USA 2007
439
Ron Heiferman, Flying Tigers, Chennault in China, Ballantine‟s illustred story of world war II, deuxième
edition, USA, 1978, p. 62
440
Vasilii Chuikov, op. cit.,
121
Conlusion
S‟il fallait résumer l‟immense travail accompli par les instructeurs militaires étrangers
auprès du Kuomintang et définir leur influence en Chine de 1923 à 1942, que faudrait-il dire ?
Il est intéressant de constater que les conseillers militaires auprès du parti de Sun Yat-sen
n‟ont pas fait, jusqu‟à présent, l‟objet d‟études approfondies, du moins dans les livres de
chercheurs occidentaux. Ils sont souvent cités, étudiés mais jamais véritablement mis en
avant. Seuls des ouvrages comme Sino-soviet military relations de Raymond Garthoff, The
Sino-German connection de Hsi-Huey Liang ou The germany advisory group in China
rédigés sous la direction de Martin Bernd leur est consacré. Le reste du temps ils sont
considérés comme des commodités qui ne jouèrent qu‟un rôle d‟appoint dans la montée en
puissance du Kuomintang. Le rôle des conseillers allemands fut même passé sous silence dans
toute la littérature de guerre du Kuomintang441-442-443-444-445. Cependant, bien que ces
militaires soient peu mis à l‟honneur, on ne peut que constater l‟importance capitale qu‟ils
représentèrent pour le parti de Sun Yat-sen.
Les conseillers soviétiques à leur arrivé, en 1923, arrivèrent à transformer un petit parti
d‟intellectuels en une formation politique de grande envergure qui se révéla capable de
remplacer le gouvernement de Pékin. Par leurs conseils prodigués sur l‟administration d‟un
parti politique, l‟utilisation de la propagande et grâce à leur expérience de la guerre, le
Kuomintang put devancer tous ses adversaires et devenir le gouvernement légitime du pays.
Par exemple, l‟impact de l‟expédition du Nord marqua les esprits ; cette expédition
convainquit les Chinois que le Kuomintang n‟était pas une de ces innombrables factions qui
déchiraient le pays mais, au contraire, un mouvement qui voulait combattre les seigneurs de
guerre et abroger les traités inégaux. Concernant le domaine militaire, les instructeurs
soviétiques permirent à Sun Yat-sen de s‟imposer définitivement comme le maître de Canton,
alors que les années précédentes il en avait été chassé par deux fois. Ils formèrent une
nouvelle génération d‟officiers avec un enseignement de qualité et endoctrinée à la cause du
parti. Le Kuomintang put à partir de 1924 disposer d‟un groupe de soldats qui défendirent le
gouvernement de Canton contre les milices des marchands cantonnais puis contre Chen
441
Wei-kuo Chiang, How Generalissimo Chiang Kai-shek won the eight-year Sino-Japanese war (1937-1945),
Li Ming Culture Enterprise, Taipei, Taiwan, 1979
442
Pu-yu Hu, The military exploits and deeds of President Chiang Kai-shek, édité par Chung Wu, Taipei,
Taiwan, 1973
443
Maréchal et madame Tchang Kaï Chek, Les origines du drame chinois, Gaillmard, Paris, France, 1938
444
Tchang Kaï-chek, Comment les communistes se sont emparés de mon pays, édition Morgan, France, 1958
445
Association amicale et de patronage franco-chinois, Bulletin franco-chinois, Paris, 1929-1939
122
Jiongming qui souhaitait reprendre la ville. Même si ce groupe de soldats ne permit pas à Sun
Yat-sen d‟être plus puissant que les armées alliées, qui composait la majorité de l‟armée de
Canton, ses soldats lui permirent de ne plus être tributaire de généraux ambitieux. Sans
oublier que par l‟intermédiaire des Russes, les Chinois purent bénéficier de matériel de
qualité. Le prix à payer en échange de cette aide semblait quant à lui très petit : une alliance
avec le Parti Communiste de Chine, qui ne comptait alors qu‟une centaine d‟adhérents. Même
si les conservateurs du Kuomintang n‟étaient pas enjoués à l‟idée de travailler avec des
communistes, ils durent accepter cet état de fait puisque c‟était la volonté de Sun Yat-sen. La
mort de ce dernier, en 1925, et la bataille pour sa succession, auraient pu signifier la fin du
« front uni ». Cependant les différents leaders du parti réussirent à travailler ensemble pour
préparer l‟expédition du Nord qui devait les mener jusqu‟à Pékin. En juillet 1926 l‟Armée
Nationale Révolutionnaire était prête à s‟élancer en direction du Yangzi.
Une nouvelle fois les conseillers russes eurent un rôle capital pendant cette expédition.
Grâce à leurs conseils, les troupes de Wu Peifu, Zhang Zuolin et Li Baozhang furent battues
alors que ces dernières étaient bien supérieures en nombre. Ils n‟étaient pas toujours écoutés
mais, quand la situation militaire devenait défavorable à l‟ANR, ils étaient rappelés par les
généraux chinois pour leur demander de l‟aide. Il faut préciser que les généraux chinois
étaient dépourvus de tout sens tactique et se contentaient d‟envoyer leurs troupes en
vociférant dans une formation compacte sur les positions ennemies446. Une stratégie sans
doute encore efficace lors de la rébellion des Taipings, mais qui ne l‟était plus à l‟heure de la
guerre moderne. La prise en main des opérations militaires par ces vétérans de la guerre civile
russe ne pouvait qu‟être profitable pour le Kuomintang. Suite à la capture de Wuhan ils
aidèrent grandement à l‟organisation du gouvernement et poussèrent le « front uni » à
développer les syndicats pour combattre les « impérialistes ». Cependant ils ne réussirent pas
à empêcher la prise de pouvoir de Tchang Kaï-chek et leur éviction du pays ; mais cela fut la
conséquence de l‟indécision de l‟aile gauche du « front unis » ainsi que du Kominterm. Ces
deux instances se montrèrent incapables de prendre des décisions énergiques quand il le
fallait. D‟ailleurs bien des années plus tard, TKC reconnaîtra même la qualité et l‟impact des
conseillers russes sur la période de 1923 à 1927447.
Les conseillers allemands restèrent plus d‟une décennie en Chine. Tchang Kaï-chek fit
appel à eux car il s‟était rendu compte que sans conseillers militaires pour former ses
446
447
Jean-Marie Bouissou, Op. Cit., p. 256
Maréchal et madame Tchang Kaï Chek, Les origines du drame chinois, Gaillmard, Paris, France, 1938, p. 33
123
hommes, il risquait, tout comme Wu Peifu, Duan Qirui ou Zhang Zuolin, de rejoindre les
oubliettes de l‟histoire. Peu de gens s‟imaginaient que le chef du Kuomintang puisse arriver à
garder le contrôle du pays du fait de son instabilité chronique. Le colonel Bauer et ses
successeurs, avec l‟aide d‟officiers, formèrent des unités dites « division de fer » qui se
révélèrent efficaces contre les seigneurs de guerre, les Japonais et les communistes chinois.
Sans pour autant apporter la victoire à chaque bataille, ces instructeurs permirent à Tchang
Kaï-chek de rester au sommet de la hiérarchie du pouvoir chinois jusqu‟à la deuxième guerre
sino-japonaise. Aucun seigneur de guerre ne le chassa du pouvoir, les Japonais ne purent
démontrer l‟incompétence des Chinois à gouverner leur pays et les communistes, malgré les
succès initiaux de la « République soviétique chinoise », ne résistèrent aux assauts de l‟ANR.
Grâce à la présence des Allemands en Chine, des liens se formèrent entre les deux pays étant
donné qu‟ils avaient étés les grands perdants du traité de Versailles. L‟accord économique
H.A.P.R.O, signé en 1936, permit aux deux pays d‟échanger des matériaux dont ils avaient
mutuellement besoin ; par ailleurs des liens aussi bien politiques qu‟économique se
formèrent448. Comme le raconta le général F.F. Liu, qui travaillait à l‟état-major du
Kuomintang, les relations entre la Chine et l‟Allemagne étaient très bonnes. Si bien qu‟avant
le conflit sino-japonais il était envisageable que Tchang Kaï-chek puisse signer une alliance
militaire avec Hitler :
« [En 1937] de puissantes armes allemandes étaient paradées dans les rues de
[Nankin]. Hermann Goering envoya le général Milch pour que l‟armée de l‟air
chinoise reçoive l‟assistance de la Luftwaffe tandis qu‟un expert de la guerre sousmarine devint conseiller militaire sur les questions navale […] Si la guerre avait été
différée de deux ans la Chine aurait eu 60 divisions entrainées à l‟Allemande […] la
plupart de son équipement était allemand, la majorité de ses officiers sortaient d‟écoles
tenues par les conseillers du 3e Reich et l‟entière organisation de son armée était
inspirée sur celle de la Wehrmacht […] Les Japonais auraient ainsi combattus un
ennemi bien différent […] Cette influence allemande aurait peut être ainsi
radicalement changé la face du monde avec l‟engagement de la Chine au côté du 3e
Reich envoyant ainsi l‟immense réserve d‟hommes qu‟était ce pays dans une direction
[politique] totalement différente» 449
448
449
Voir à ce sujet la page 145 de la présente étude sur l‟accord H.A.P.R.O
F. F. Liu, op. cit., p. 102
124
Cette affirmation doit cependant ne pas être prise pour argent comptant. Nul doute que le
Japon, opposé à une Chine forte, aurait objecté à l‟entrée d‟une telle Chine dans le pacte AntiKominterm.
Les différentes missions aéronautiques se déployèrent en deux temps ; d‟abord pour
consolider la flotte chinoise, composée en 1930 uniquement d‟avions de reconnaissances 450,
ensuite pour résister aux Japonais pendant la guerre tout en continuant la formation des
pilotes. Les premières missions en temps de paix furent celles du colonel américain Jouett et
de l‟italien Lordi. De 1932 à 1937 ces deux missions formèrent plusieurs centaine de pilotes
chinois et leurs permirent de posséder une usine d‟aviation à Nanchang. Les instructeurs
permirent à l‟aviation chinoise de bombarder régulièrement la capitale communiste dans le
Jiangxi ainsi que les armées ennemies lors des différents conflits qui agitèrent la Chine
pendant l‟entre-deux-guerres. Il arriva même que les conseillers italiens pilotèrent des avions
pour attaquer les adversaires du Kuomintang. Un acte que les Américains au contraire
refusèrent catégoriquement d‟effectuer. Puis au début de la guerre sino-japonaise la majorité
des pilotes chinois reçurent un entrainement de la part des Russes. Ils furent effrayés du
manque de professionnalisme de la formation italienne, et ce fut en grande partie grâce à
l‟action de ces pilotes volontaires et instructeurs soviétiques que les cieux chinois purent être
être efficacement défendus. En outre un grand nombre d‟avions furent vendus à prix réduit et
l‟enseignement du pilotage fut organisé par les soviétiques de 1938 à 1942.
Au début de la guerre, les conseillers allemands puis soviétiques jouèrent un rôle
important. Grâce aux conseils prodigués par Alexander von Falkenhausen, le chef de la
mission allemande, les plans japonais consistant à prendre le contrôle des cinq régions au nord
du fleuve Jaune, pour en faire un état fantoche, furent réduit à néant. Les armées du Mikado
s‟embourbèrent le long du Yangzi, après avoir été tenus en respect pendant plus de trois mois
à Shanghai. Militairement les Chinois furent vaincus, car suite à cette confrontation, les
régions côtières furent envahies par les Japonais et les « divisions de fer » eurent beaucoup de
pertes. Mais politiquement Tchang Kaï-chek avait démontré au monde entier qu‟il refusait de
devenir le chef d‟un pays fantoche et qu‟il se battrait jusqu‟au bout. Une attitude qui lui
vaudra une place dans le camp des vainqueurs au sortir de la guerre. Après le rappel par Hitler
des conseillers allemands en juin 1938, les conseillers soviétiques continuèrent le travail de
formation et aidèrent les généraux chinois contre les Japonais. Il n‟était pas toujours facile de
450
William C.Kirby, op. cit., p. 109
125
convaincre les officiers chinois sur le choix des tactiques à employer, mais quand ils y
arrivèrent ce fut avec des résultats prometteurs. La bataille de Changsha par exemple, arrêta
une offensive japonaise et convainquit les Anglo-Saxons de la volonté combattive des
Chinois. Après le départ des Russes, d‟autres conseillers vinrent prêter main-forte aux
Chinois, agissant cette fois-ci en qualité d‟alliés et non en tant que mercenaires ou
ambassadeurs de la politique étrangère d‟un pays.
Au-delà de l‟apport militaire et industriel, l‟ensemble de ces missions militaires ont
apporté au Kuomintang une chose très précieuse : la légitimité du pouvoir ; ce qui est
dénommé en Chine le « mandat du ciel ». D‟un petit parti d‟intellectuels cantonnais en exil, le
Kuomintang est devenu le groupe politique représentant l‟ensemble de la Chine à l‟ONU, et
ce jusqu‟en 1971. Les conseillers russes des années 1920 lui permirent en moins de cinq ans
de passer du statut de faction rebelle à celui de gouvernement officiel du pays ; les
instructeurs allemands et les missions aéronautiques lui assurèrent de garder le pouvoir face
aux nombreuses révoltes des seigneurs de guerre ; les conseillers étrangers présents lors du
deuxième conflit sino-japonais aidèrent Tchang Kaï-chek à transformer cette guerre
périphérique en une zone importante du nouveau conflit mondial. En déclarant la guerre à
l‟Allemagne et à l‟Italie, suite à l‟attaque de Pearl Harbour, le gouvernement chinois trouva
grâce auprès des alliés qui avaient eu pendant des années la crainte que Tchang Kaï-chek ne
se rende auprès des Japonais. Grâce à la résistance des armées chinoises et à sa volonté de
triompher des armées de l‟Axe, la Chine s‟octroya une place dans le cercle très fermé des
grandes puissances de l‟après-guerre avec l‟URSS, les USA, l‟Angleterre et la France. Après
la défaite du Kuomintang face aux armées communiste, et à la fuite vers Taiwan, il fallut
attendre 1971 avec un vote à l‟ONU pour que la Chine de Mao Zedong puisse récupérer le
siège permanent au Conseil de Sécurité du gouvernement de Taiwan. Et aujourd‟hui encore,
24 pays reconnaissent la « République de Chine » de Taiwan comme seul gouvernement
légitime de la Chine. Bien qu‟ils ne soient que des états très modestes, il n‟en reste pas moins
étonnant que la Chine communiste ne soit pas reconnue par des pays comme le Panama, le
Burkina Faso ou le Saint-Siège.
Cette quête de la légitimité du Kuomintang pour devenir, puis rester, le seul
représentant de la Chine se retrouve sur l‟ensemble des combats que les conseillers étrangers
menèrent aux côtés de leurs camarades chinois. Avant 1925 personne ne connaissait, dans le
126
cercle des diplomates, le mot « Kuomintang »451 alors qu‟en 1927 le parti fut reconnu comme
le gouvernement légitime de la Chine. En 1928 tout le monde imaginait que Tchang Kaï-chek,
à l‟instar des hommes forts des années 1916-1927, ne resterait pas au pouvoir plus d‟une
année alors qu‟il resta un homme d‟état jusqu‟à sa mort en 1975452. Dans les années trente, les
armées du Kuomintang réussirent à triompher et à réduire au silence les seigneurs de guerre
qui souhaitaient combattre son autorité453. En 1928 le gouvernement de Nankin qui ne
contrôlait que deux provinces,mais à la fin de 1935 son emprise s‟étendait sur huit d‟entre
elles
454
. Lors de l‟incident de Xi‟an en décembre 1936, l‟ensemble des gouverneurs, des
hommes politiques et des généraux se préparent à l‟unanimité à combattre Zhang Xueliang
pour délivrer Tchang Kaï-chek puisqu‟ils pensaient que seul le généralissime pouvait sauver
la Chine des appétits japonais.
Lors du deuxième conflit sino-japonais, les conseillers étrangers aidèrent le
Kuomintang à contrecarrer certains plans japonais. Ils furent incapables d‟empêcher
l‟occupation d‟une partie du pays, et encore moins de repousser les ennemies à la mer.
Cependant grâce à eux le pays put résister pendant les huit années de guerre puis siéger
victorieusement aux côtés des Alliés. Malgré la violence de ce conflit, les diplomates nippons
tentèrent de déstabiliser le gouvernement de Tchang Kaï-chek pour le faire cesser au plus vite.
Ils essayèrent de continuer la balkanisation du pays commencée en 1931 avec la création d‟un
état au nord du fleuve Jaune, mais cette tentative ne réussit pas. Voyant que cela n‟avait pas
fonctionné, ils proposèrent des accords de paix humiliants pour le Kuomintang. Mais le
gouvernement chinois refusa tout simplement de négocier. Voyant que leurs propositions
diplomatiques étaient dédaignées par le gouvernement de Chongqing, les Japonais créèrent un
gouvernement fantoche à Nankin sous l‟égide de Wang Jingwei, mais mis à part les pays de
l‟Axe, aucun état ne le reconnut comme le gouvernement légitime de la Chine. Or dans cette
série de passe d‟arme diplomatique, les conseillers étrangers jouèrent un rôle essentiel. Les
Allemands démontrèrent que les soldats chinois pouvaient résister convenablement aux
Nippons et les Soviétiques mirent tout en œuvre pour embourber le Japon en Chine afin de
prévenir une attaque contre l‟URSS.
451
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 28 juillet 1925
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 12 octobre 1927
453
Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, Op. Cit.,
454
Hung-Mao Tien, Government and politics in Kuomintang China 1927-1937, Stanford University Press, EtatsUnis, 1972
452
127
Bien entendu, ces missions militaires n‟étaient pas de tout repos et certains éléments
faillirent les empêcher de fonctionner correctement. Dans les années 1920 les soviétiques
manquèrent cruellement de traducteurs à une période455 ; les différentes missions
aéronautiques brouillèrent la formation des pilotes chinois ; les Allemands se sentaient perdus
devant l‟immensité de la tâche qui les attendaient456 ; les Chinois se révélèrent être des élèves
particulièrement difficiles457 et selon certains experts il aurait fallu attendre le début des
années 1940 pour assister à l‟éclosion d‟une véritable armée moderne en Chine 458. Un
exemple sur la difficulté que les conseillers rencontrèrent se retrouve dans deux sources. Dans
la première, le conseiller soviétique Henry Lin raconta, en 1925, à l‟ambassadeur Karakhan
comment des soldats chinois avaient des difficultés à utiliser une mitrailleuse :
« Henry Lin : Le chargement et le déchargement des mitrailleuses [par les cadets
chinois] demandent 7 minutes.
Karakhan : Quelle est la vitesse pour recharger une mitrailleuse dans notre armée ?
Henry Lin : Seulement 40 secondes (sic) »459
Puis en 1942 le chef de la mission soviétique en Chine raconta comment c‟était déroulé le
même exercice lors d‟une parade organisée par les meilleurs éléments de l‟armée chinoise :
« Les mitrailleurs reçurent un exercice un exercice simple – il devait tirer sur une
position ennemie. Pendant 15 minutes ce groupe chercha maladroitement à réaliser
cette tâche, non seulement ils furent incapable de tirer un seul coup de feu mais en plus
ils se ne réussirent pas à viser correctement la position ennemie »460
Cette comparaison anecdotique, car elle ne saurait être représentative de l‟ensemble de
l‟armée chinoise, aide cependant le chercheur à comprendre les difficultés que rencontraient
les conseillers étrangers à instruire leurs élèves. Malgré les années passées à recevoir une
instruction étrangère, les forces chinoises supposées devenir l‟élite de l‟ANR, manquaient
déjà cruellement d‟initiative et de discernement.
Malgré toutes ces difficultés, les différentes missions militaires aidèrent le
Kuomintang à assoir son autorité sur la Chine. Elles le firent avec un tel professionnalisme
455
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, op. cit.
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 29 mars 1932
457
SHD, série 7N, carton numéro 3290, note du 1 er janvier 1938
458
SHD, série 7N, carton numéro 3287, note du 6 juillet 1932
459
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, Op. Cit., document numéro 38 « compte-rendu d‟un meeting à
l‟ambassade soviétique » le 2 décembre 1925
460
Vasili Chuikov, op. cit., p. 41
456
128
que d‟autres clans politiques suivirent la même stratégie afin de se défendre efficacement face
au gouvernement de Nankin461. Il est intéressant de noter que Tchang Kaï-chek, qui est le
personnage central de cette étude, présenta toujours un visage conciliant envers l‟idéologie
politique suivant les différentes missions présentes en Chine. Quand les soviétiques aidèrent
le Kuomintang à devenir le nouveau gouvernement officiel de la Chine Tchang Kaï-chek et
ses alliés firent contre mauvaise fortune, bon cœur, en travaillant de concert avec les hommes
de Borodine. Mais à l‟instant où ils purent se débarrasser des communistes, ils le firent sans
hésiter car tout le monde pensait que les hommes de Canton étaient des « rouges » qui ne
respectaient pas les Grandes Puissances462-463-464. Il fallait pour prendre le pouvoir, se
débarrasser de ces encombrants alliés. Lorsque les Italiens et les Allemands étaient présents,
et que fut signé l‟accord H.A.P.R.O, Tchang Kaï-chek déclara publiquement que « Le
fascisme est ce dont la Chine a le plus besoin » 465 et fonda la société des Chemises Bleu
pour distiller une idéologie autoritaire. Au moment où les Russes revinrent pour soutenir
les Chinois contre les Japonais, Tchang Kaï-chek poussa sans arrêt Staline à mener une
attaque préventive contre le Japon. Et lorsque ce furent les Anglo-Saxons qui furent les
principaux approvisionneurs de l‟ANR, le Kuomintang montra un visage étonnement
plus démocrate en supprimant le group des Chemises bleu et en promulguant en 1947
une constitution, alors qu‟il faudra attendre 1990 pour que soit organisé les premières
élections libres à Taiwan. Ainsi Tchang Kaï-chek, en habile homme politique, essayait
toujours d‟obtenir plus grâce à ceux qui le soutenaient financièrement, militairement et
matériellement. Les missions militaires étrangères furent pour le Kuomintang un formidable
outil pour recevoir de l‟aide extérieur et affirmer l‟emprise de ce parti sur la Chine.
461
A ce sujet voir la page 134 de la présente étude
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 20 décembre 1927
463
SHD, série 7N, carton numéro 3308, extrait du journal L‘Europe Nouvelle, 18 juillet 1925
464
Pierre Franconie, Canonnière en Chine, éditions Karthala, France, 2007, p. 126
465
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p.28
462
129
Annexe 1 : Les autres missions militaires en Chine
(1925-1939)
Au-delà de la mission militaire allemande, des conseillers aéronautiques et de
l‟appui du Kominterm, d‟autres missions militaires étrangères eurent lieu à cette période
en Chine. Vu le succès qu‟apportèrent ces missions au Kuomintang dans sa tâche de
réunification, d‟autres clans politiques suivirent le même exemple. Avec plus ou moins
de succès ceux-ci tentèrent d‟aider les hommes de Feng Yuxiang, de la clique de
Canton, du Parti Communiste Chinois et des armées de Mandchourie à être plus
performants dans le domaine de la guerre. Mais ces conseillers du fait de leur petit
nombre ou du temps trop court de leur mission ne purent faire bénéficier durablement
leurs savoirs aux hommes qu‟ils encadraient.
Tout comme dans les chapitres précédents de cette étude, cette annexe ne sera
consacrée qu‟aux conseillers militaires et non à des missions étrangères d‟ordre
religieux, financière ou politiques. A titre d‟exemples, Mussolini avait envoyé un
conseiller politique auprès du Kuomintang suite à la création des chemises bleues 466 et le
gouvernement anglais dépêcha des spécialistes de l‟impôt auprès du ministère des
finances chinois. Il ne sera pas fait mention au niveau militaire des russes blancs 467, des
mercenaires et des conseillers militaires chinois auprès d‟autres seigneurs de guerres
chinois468 du fait qu‟ils furent des évènements sporadiques. Concernant les instructeurs
japonais présents en Chine à cette période ils seront exclus de cette étude. Ces
conseillers travaillaient dans les armées des gouvernements fantoches de Mandchourie et
du « Gouvernement national réorganisé de la République de Chine » dirigé par Wang
Jingwei depuis Nankin. Ils obéissaient donc aux ordres des gouvernements japonais qui
souhaitaient simplement dominer la Chine dans le cadre de leur politique d‟expansion.
466
SHD, série 7N, carton numéro 3297, Note du 11 juin 1934
SHD, série 7N, carton numéro 3293, note du 7 avril 1936, des marins russes formaient des matelots à
Tsingtao
468
SHD, série 7N, carton numéro 3299, note du 1er mai 1927
467
130
Les conseillers militaires en Mandchourie (1928-1929, 1931)
Bien qu‟étant des petites missions, le maréchal Zhang Zuolin, et plus tard son fils
Zhang Xueliang, firent venir à Moukden plusieurs militaires étrangers afin d‟améliorer
l‟état des troupes du Fengtien. Ils étaient particulièrement désireux de diriger des
troupes plus compétentes 469 et c‟était en partie à cause des instructeurs étrangers auprès
du Kuomintang qu‟ils n‟avaient pu s‟opposer à la réunification du pays en 1928.
Recherchant auprès des puissances occidentales des conseillers, la France accepta de
laisser partir quelques officiers de son armée afin d‟aider Zhang Zuolin. C‟est ainsi que
quatre officiers français travaillèrent pendant l‟année de 1929 comme conseillers en
Mandchourie. De par le passé Zhang Zuolin avait déjà eu affaire à des français car
l‟attaché militaire Roques, en place à Pékin pendant 1925, s‟était permis de lui donner
des conseils stratégiques pendant le conflit contre Feng Yuxiang 470
Ces officiers formèrent les troupes du maréchal à une meilleure utilisation des
avions et des chars qu‟ils possédaient 471. Puis au bout d‟une année, les contrats passés
avec Moukden ne furent pas renouvelés et les quatre officiers furent rapatriés en toute
discrétion par le Transsibérien. La raison du retour des officiers Français provenait du
fait que le quai d‟Orsay avait autorisé le départ de ces ressortissants à condition que
l‟affaire ne s‟ébruite pas. L‟état-major leur demanda de prendre une année de congé sans
solde afin que personne ne puisse accuser le gouvernement français de protéger les
seigneurs de guerre de Mandchourie. Ce qui fut réussi car aucun journal ne releva la
présence de ces quatre officiers. L‟expérience ne sera cependant pas renouvelée et les
échanges entre la Mandchourie et la France n‟allèrent pas plus loin.
Au cours de la même période on retrouve aussi dans les archives la trace de
plusieurs ingénieurs allemands qui travaillaient dans l‟arsenal de Moukden pour
s‟assurer de la qualité de la production. Le jeune maréchal Zhang Xueliang avait à
l‟exemple de Tchang Kaï-chek la volonté de s‟entourer de conseillers allemands 472. En
effet suite à la défaite de la clique Fengtien et de la mort de son père en 1928 le nouveau
maître de la Mandchourie avait dû accepter de reconnaître le Kuomintang comme seul
gouvernement légitime de la Chine. Mais mis à part ces ingénieurs qui travaillèrent dans
469
SHD, série 7N, carton numéro 3310, note du 3 mars 1926
SHD, série 7N, carton numéro 3284, note du 7 décembre 1925
471
SHD, série 7N, carton numéro 3310, notes du 25 février et 15 mars 1928
472
SHD, série 7N, carton numéro 3297, notes du 29 juin et 26 août 1929
470
131
les arsenaux il ne parvint jamais à pouvoir embaucher d‟anciens officiers de la
Deutsches Heer. Nous pouvons sans peine imaginer que la filière d‟Erich Ludendorff
avait promis au Kuomintang de ne pas envoyer d‟officiers allemands auprès d‟autres
seigneurs de guerre chinois. Du fait que ces officiers permettaient à l‟industrie de guerre
allemande de vendre des armes au gouvernement chinois en grand nombre ils n‟avaient
pas intérêt à favoriser un autre clan politique chinois. Cette supposition peut se vérifier
du fait que pratiquement pas un seul seigneur pendant cette période ne reçut le concours
d‟officiers allemands. Et l‟unique fois où cela arriva le gouvernement de Nankin réagit
promptement contre ce qu‟il considérait comme une menace 473.
Ainsi coupé de la possibilité de recevoir l‟aide de conseillers allemands, russes
ou français aucune mission occidentale ne partit pour former les troupes de Moukden.
L‟unique mission visant à former des officiers chinois fut d‟origine japonaise. Arrivée
au milieu de l‟été 1931, une poignée d‟officiers Japonais formèrent des pilotes. Mais
suite à l‟attaque des troupes japonaises sur la Mandchourie le 18 septembre 1931 ceux-ci
durent repartir. Après la fuite de son armée Zhang Xueliang se contenta de cantonner
son armée sur le nord du pays jusqu‟à l‟incident de Xi'an en 1936 qui lui coûtera sa vie
politique et surtout sa liberté.
Les tentatives de missions Françaises (1929, 1932, 1936, 1939)
Alors que les conseillers russes venaient de partir, le gouvernement de Nankin
demanda au quai d‟Orsay si des officiers français pouvaient être détachés auprès
d‟écoles et d‟unités chinoises afin de former l‟Armée Nationale Révolutionnaire. Les
diplomates français refusèrent une telle demande sous prétexte qu‟il n‟était pas certain
que le Kuomintang représenta encore longtemps la Chine du fait de l‟instabilité qui
agitait continuellement le pays 474. Plus tard en 1929 et 1930 ce fut l‟armée française
elle-même, soutenue par certains milieux marchands, qui proposa de détacher certains
officiers en Chine afin d‟aider la formation de l‟armée du gouvernement de Nankin et de
contrer l‟influence grandissante de la mission militaire allemande 475. Mais le quai
473
Voir les conseillers étrangers à Canton page 134 de cette étude
SHD, série 7N, carton 3310, note du 21 septembre 1928
475
SHD, série 7N, carton numéro 3299, notes 19 juillet 1929 et 16 avril 1930
474
132
d‟Orsay refusa afin de ne pas impliquer la république française dans les luttes
intestines chinoises et de ne pas être placé en porte à faux vis à vis des Japonais.
Au vu de ce qu‟apportaient les conseillers militaire allemands en Chine, et de
l‟influence que cela donnait à leurs industries et à leurs marchands, certains diplomates
français changèrent d‟avis. Ils tentèrent pendant plusieurs années de demander au
gouvernement chinois de renvoyer les conseillers militaires allemands pour qu‟ils soient
remplacés par des militaires français 476. Il y avait un double but dans cette manœuvre ; le
premier était de pouvoir mieux placer les produits français pour l‟achat d‟armements car
les conseillers militaires jouissaient d‟une grande confiance de la part de l‟état-major
chinois en ce qui concernait l‟achat des armes. Ensuite ils souhaitaient contrer
l‟influence des conseillers allemands qui, étant très nationalistes et détestant la
république française, auraient pu grandement influencer Tchang Kaï-chek quant à la
conduite à tenir face au gouvernement français. Mais il était trop tard et cette
proposition fut refusée par Tchang Kaï-chek.
Malgré les refus, le quai d‟Orsay tenta de renégocier l‟envoi d‟instructeurs
militaires. Il proposa que les conseillers militaires français n‟aient pas à être payés par le
gouvernement chinois, la mission était simplement fournie gratuitement. Puis voyant
que cela ne fonctionnait toujours pas il fut de nouveau proposé que ce ne soit non pas
des français qui partiraient en Chine mais des militaires belges. Un fois de plus le
gouvernement de Nankin refusa poliment la proposition 477. En 1932, la France tenta une
fois de plus d‟envoyer une mission aéronautique pour entrainer les cadets de l‟aviation
militaire chinoise mais les chinois finalement préférèrent embaucher le colonel Jouett 478.
A la veille de la deuxième guerre Sino-japonaise les attachés militaires français à
Pékin proposèrent aux affaires étrangères d‟envoyer des officiers pour soutenir l‟arm ée
du Kuomintang. Mais avec la crainte d‟un conflit avec l‟Allemagne qui se rapprochait
de l‟empire japonais et d‟une invasion de l‟Indochine il fut préconisé de ne pas prendre
parti dans cette guerre asiatique 479. Quelques militaires français cependant travaillèrent
comme conseillers militaires auprès de Tchang Kaï-chek en 1939. Si la mission fut
officiellement soutenue par le gouvernement d‟Edouard Daladier, les militaires étaient
476
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 15 janvier 1931
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport ―Colonel Bauer‘s military mission on China‖ 9 juin 1929
478
Guangqiu Xu, op. cit., p. 60
479
SHD, série 7N, carton numéro 3299, notes du 25 juin 1936 et du 29 avril 1939
477
133
déjà à la retraite et surtout cette mission n‟était composée que de deux pers onnes480. Un
chiffre particulièrement saugrenu comparé aux soviétiques qui, au même moment au
même moment les soviétiques envoyèrent mille fois plus de conseillers, techniciens et
pilotes présents en Chine. Ainsi ces deux officiers semblent n‟avoir joué aucu n rôle dans
le conflit qui allait opposer encore pendant six années le Japon et la Chine. Tout comme
un seul officier fut envoyé discrètement à la frontière indochinoise auprès de la clique
du Guangxi pour apporter des conseils à l‟armée 481.
On peut à la lueur de ces informations, conclure que les différents gouvernements
français se montrèrent particulièrement craintifs à l‟idée d‟influencer la politique
intérieur de la Chine et de s‟attirer les foudres du Japon. Ces quelques officiers ne
semblent n‟avoir eu aucune influence sur la question militaire chinoise et aucun ouvrage
scientifique à ce jour ne semble s‟être attardé sur leurs cas 482.
Les conseillers militaires à Canton
Tout comme pour la clique Fengtien qui détenait la Mandchourie le régime de
Canton qui c‟était séparé du Kuomintang fera lui aussi appel à des instructeurs militaires
étrangers afin de former ses troupes. Au même titre que les maréchaux du nord le régime
de Canton voyant l‟influence grandissante de Nankin sur le reste de la Chine commenç a
à appliquer les même formules afin d‟améliorer son armée et de contrer l‟emprise
grandissante du gouvernement de Nankin sur le reste de la Chine. Les cantonnais
détestaient ainsi tout particulièrement les instructeurs allemands car ils les savaient
responsables de l‟amélioration des troupes du Kuomintang 483. C‟est particulièrement à
partir de 1931, suite à la prise de pouvoir de Chen Jitang sur la clique du Guangxi que
commença cette politique.
L‟effort fut d‟abord porté sur l‟aviation car c‟était souvent grâce à cette arme que le
sort des batailles était décidé en Chine lors des conflits intérieurs. C‟est pourquoi une
petite dizaine d‟aviateurs anglais, français et australiens furent embauchés comme
480
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2236, deutsche militarish berater bei
der chinesisichen nationalregierung, article du «North China daily news» le 24 mai 1939
481
SHD, série 7N, carton numéro 3310, notes du 25 juin 1937
482
Voir biographie de la présente étude à la page 160
483
SHD, série 7N, carton numéro 3297, note du 18 février 1933
134
auxiliaires afin de former les pilotes cantonnais 484. En plus de former ses pilotes la
clique du Guangxi dépensa sans compter pour posséder un nombre conséquent
d‟appareils. L‟armée de l‟air cantonaise devint ainsi la deuxième force aéronautique
chinoise après celle du gouvernement de Nankin en comptant près de 150 appareils 485,
soit juste la moitié de la flotte aéronautique de Nankin. Ce qui pour une région comme le
Guangxi était déjà un exploit. C‟était en grande partie grâce à l‟apport des constructeur s
américains que cette volonté put être mise en œuvre. Ce fut encore grâce à Edward
Howard l‟homme de la mission américaine du colonel Jouett que des américains
partirent former les pilotes cantonnais 486. Plus de 300 pilotes seront ainsi formés entre
1932 et 1936 et une usine d‟avions fut même construite.
Par ailleurs suivant toujours l‟exemple de Nankin l‟ancien précepteur des enfants du
Kaiser Guillaume II fut engagé comme instructeur militaire. Cet homme du nom de Von
Lindeman emmena avec lui une petite dizaine de conseillers afin de servir l‟armée
cantonaise487. Quant au volet industriel l‟accord H.A.P.R.O était au début une idée de
l‟industriel Hans Klein qui devait s‟appliquer à Canton. Cet accord devait permettre à
Canton de profiter des capitaux allemands afin de construire une puissante industrie qui
permettrait à la région de construire ses propres armes.
Mais Tchang Kaï-chek préconisant un conflit avec les seigneurs de guerre du sud mit
tout en œuvre pour faire capoter ces projets ambitieux. Tout d‟abord il demanda aux
puissances étrangères de ne pas accepter les cadets qu‟envoyait Canton dans les écoles
d‟officiers d‟Europe et d‟Amérique 488. Malgré cela Canton réussit à manœuvrer
secrètement pour que ses aspirants officiers puissent recevoir une bonne é ducation
militaire à l‟étranger, mais la tâche était à partir de ce moment beaucoup plus hardis 489.
Ensuite le maître du Kuomintang fit paraître un décret en mai 1930 stipulant qu‟il était
désormais interdit de vendre des armes aux seigneurs de guerre sans son accord. Le quai
d‟Orsay refusa ainsi tout export d‟armement moderne vers Canton afin de ne pas
mécontenter le gouvernement Chinois 490. Quant à l‟accord que Hans Klein avait signé
avec le gouvernement de Canton il fut annulé sur la demande de Berlin et de Nankin.
484
SHD, série 7N, carton numéro 3299, note du 11 mai 1936
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 26 février 1935
486
Guangqiu Xu, American—British Aircraft Competition in South China, 1926-1936, op. cit.
487
SHD, série 7N, carton numéro 3286, note du 31 janvier 1935
488
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 20 juin 1935
489
SHD, série 7N, carton numéro 3298, note du 22 juin 1935
490
SHD, série 7N, carton numéro 3311, note du 31 octobre 1934
485
135
Une nouvelle discussion s‟engagea directement entre les deux capitales avec pour
finalité la création d‟un accord d‟échange de produits d‟état à état. Ce n‟était donc plus
un contrat privé d‟une région avec une entreprise empêchant ainsi Chen Jitan g et ses
alliés de posséder les arsenaux modernes dont ils avaient besoin.
Quant aux conseillers militaires, leur travail fut rendu inutile car à peine trois mois
après son arrivée, Von Lindeman fut aussi l‟objet de pressions de la part du
gouvernement allemand qui lui demanda de rompre son contrat. il quitta à jamais
l‟académie où il enseignait pour ne jamais revenir.
Quant à la dernière carte qui était l‟aviation qu‟elle possédait, la clique du Guangxi
ne put jamais l‟utiliser. Au cours des années 1935 et 1936 la tension montait entre le
régime du sud et celui de Nankin. Tout comme les communistes, les cantonnais
pressaient Tchang Kaï-chek de défendre le pays contre les japonais, et se trouvaient
naturellement plus aptes que lui à le faire 491. Cette propagande cachait cependant des
motifs politiquement moins nobles à savoir continuer d‟assurer l‟indépendance politique
et militaire de la région. Ne voulant pas risquer de perdre des hommes dans un nouveau
conflit civil face à la menace japonaise grandissante Tchang Kaï-chek employa la
méthode de la corruption qui avait le mérite de n‟engager aucune bataille à l‟issue
incertaine. Soudoyant les commandants aéronautiques et navals une partie des navires et
l‟ensemble des avions cantonnais changèrent simplement de camps pendant l‟été 1936.
Chen Jitang qui était l‟investigateur de cette rébellion s‟enfuit en exil à Honk Kong et
lors de l‟incident du Xi‟an la clique du Guangxi ne profita pas de l‟opportunité pour se
rebeller.
Les seigneurs de guerre de Canton copièrent donc les méthodes du Kuomintang
concernant l‟utilisation de conseillers étrangers mais ne réussirent finalement pas à
renverser la situation politique. Il est cependant très intéressant de noter que cette
volonté de copier les méthodes du Kuomintang fut fraichement accueillie par le
gouvernement central qui mit tout en œuvre pour combattre cette volonté
d‟indépendance.
491
SHD, série 7N, carton numéro 3307, note de la Société d‘études et d‘informations économiques, 4 novembre
1935
136
Les conseillers auprès du PCC (1927-1939)
A cause de la violente purge dont fut victime le Parti Communiste Chinois en 1927, le
parti se retrouva dans l‟obligation de passer dans la clandestinité la plus totale pour survivre.
Suite au rapprochement du gouvernement de Wuhan avec celui de Nankin l‟ensemble des
conseillers russes fut obligé de partir et rapidement seul quelques agents du Kominterm
restèrent en Chine. Sachant que l‟appartenance au parti communiste était passible de mort et
que l‟échec de la révolution chinoise avait été durement ressentie à Moscou, peu d‟agents
furent de nouveaux envoyés pour soutenir les communistes chinois.
Quelques soulèvements furent mis en place par le PCC avec l‟aide de quelques agents du
Kominterm dans des villes du sud entré l‟été et décembre 1927. Mais que ce soit à Nanchang,
Canton ou lors du soulèvement de « la moisson d‟automne » les troupes communistes furent
impitoyablement écrasées par les troupes envoyées les combattre. Tous ces éléments couplés
à l‟impossibilité d‟envoyer des espions sous une couverture diplomatique officielle
empêchèrent l‟envoi massif de conseillers auprès du PCC.
Cependant comme le parti était membre du Kominterm et devait prendre ses ordres de
Moscou, un petit réseau composé d‟à peine 5 personnes occidentales aidé par des militants
chinois fut établi à Shanghai. Possédant un émetteur radio ils recevaient et transmettaient les
ordres de Moscou aux diverses bases communistes qui prospéraient dans l‟arrière-pays. De
ces espions qui transmettaient des informations et des ordres aux communistes deux noms
sont à retenir. Le premier, Manfred Stern (1896-1954), était un espion d‟origine ukrainienne
qui s‟était battu dans les troupes de l‟armée rouge lors de la guerre civile russe. Plus tard il fut
envoyé à New-York pour de l‟espionnage industriel. Démasqué par les services secrets
américains il s‟enfuit à Shanghai pour y travailler de 1932 à 1935. Responsable de
l‟espionnage en Chine et donnant des instructions militaires aux communistes chinois il sera
le supérieur de l‟allemand Otto Braun (1900-1974) arrivé lui en Chine en 1934. Otto Braun
sera retenu par la postérité comme l‟unique occidental ayant vécu et raconté l‟épisode de la
Longue Marche qui mobilisa 80 000 personnes de 1934 à 1935492. Au début il aida le PCC en
492
Otto Braun, A CominternAgent in China, C. Hurst & Company, Londres, 1982
Inconnu du grand public car son nom n‟avait pas été révélé à l‟époque malgré sa rencontre avec le célèbre
journaliste Edgard Snow. Ce livre parut en 1975 révéla ainsi comment fonctionnaient à cette période les réseaux
du Komintern en Chine et sortit mystèrieusement au moment où le kremlin rencontrait des difficultés face à Mao
Zedong. Au delà de son témoignage exceptionnel, Otto Braun se révèle être aussi le pourfendeur rêvé contre le
grand timonier en l‟accusant d‟être un “faussaire de l‘histoire” ainsi qu‟“un ennemi de la classe ouvrière, du
monde communiste et de l‘union soviétique”
137
donnant des conseils d‟ordres stratégiques à l‟armée rouge chinoise pour briser les offensives
des troupes nationalistes. Et rien que par ce moyen les troupes de Tchang Kaï-chek furent
défaites lors de la quatrième campagne d‟annihilation en 1932. Trois divisions nationalistes
furent ainsi encerclées et détruites sans coup férir, ce qui amena l‟état-major du Kuomintang à
faire cesser immédiatement l‟assaut. A partir de janvier 1933 tous les chefs importants du
PCC avaient quitté Shanghai et il devra en faire de même en septembre 1933 car sa sécurité
n‟était plus assurée. On décida alors de l‟envoyer au sein de la république soviétique chinoise
pour qu‟il continue son travail d‟instructeur militaire. Ce qui se révéla être une sage décision
pour la sauvegarde d‟Otto Braun car moins d‟un an plus tard la cache secrète du PCC à
Shanghai sera découverte, coupant ainsi pendant de nombreux mois la communication entre
les communistes chinois et Moscou.
Après un périple de plusieurs jours il arriva dans le Jiangxi avec pour mission d‟assister
l‟état-major de l‟armée, d‟instruire les officiers et d‟établir une base soviétique là où l‟URSS
pourrait envoyer du matériel de guerre. De par son éducation à l‟académie militaire de Frunze
à Moscou il possédait toute la légitimité pour conseiller militairement les chinois du PCC.
Dans cette république soviétique où l‟armée rouge chinoise ne possédait aucun armement
lourd Otto Braun vécut quotidiennement les combats et préconisât l‟abandon de la zone lors
de la cinquième campagne d‟annihilation des nationalistes en 1933. L‟état-major chinois et le
parti ne souhaitaient pas au début partir mais suite à la nouvelle technique d‟utilisation des
blockhaus conseillé par les concitoyens d‟Otto Braun, les communistes Chinois acceptèrent
de partir.
Malade lors de la Longue Marche il continua de donner des conseils tactiques et après
l‟arrivé au nord du Shaanxi il continua son travail d‟instructeur et de conseiller militaire
d‟abord contre les troupes du gouvernement de Nankin puis contre les Japonais. Il perdit
cependant beaucoup de son influence politique et militaire lors de la conférence de Zunyi en
janvier 1935 où il s‟opposa avec Qin Bangxian (1907-1946) contre Mao Zedong493.
Lors du deuxième conflit Sino-Japonais l‟URSS envoya des milliers d‟instructeurs
auprès du Kuomintang à partir dès le mois de septembre 1937. Mais le PCC ne put se
contenter que de la présence d‟Otto Braun ce qui rendit Mao Zedong particulièrement furieux
comme le conseiller allemand le raconta plus tard dans ses mémoires. Cette mesure avait été
493
Dieter Heinzig, The Otto Braun Memoirs and Mao's Rise to Power, Cambridge University Press, The China
Quarterly, No. 46, avril-juin 1971, page 274-288
138
prise pour consolider au maximum le gouvernement nationaliste contre l‟agression Japonaise
et étonna d‟ailleurs grandement le général Vassili Tchouïkov (1900-1982) qui partit diriger la
mission soviétique. Celui-ci fit par à Staline en disant qu‟il ne comprenait pourquoi on
l‟envoyait à Chongqing soutenir les nationalistes et non à Yennan qui était la capitale de la
zone rouge. Ce à quoi le maître du Kremlin lui répondit :
« Votre rôle, c‟est de lier solidement les mains de l‟agresseur japonais en Chine » 494
C‟est pourquoi il était hors de question de soutenir les troupes de l‟armée rouge. Un geste qui
aurait pu pousser Tchang Kaï-chek à se rendre face aux Japonais, laissant ainsi des milliers de
kilomètres de l‟Union Soviétique sous la menace d‟une invasion.
C‟est pourquoi mis à part la visite de deux pilotes soviétiques et du célèbre
documentariste Roman Karmen (1906-1978) aucun agent, pilote ou instructeur ne vint prêter
main forte aux communistes chinois pendant qu‟Otto Braun séjourna à Yennan. Après lui
quelques agents de liaison comme Pierre Vladimirov495 furent présents mais il faudra attendre
1945 pour que des officiers soviétiques puissent véritablement instruire des soldats de l‟armée
rouge chinoise.
Puis au cours de l‟été 1939 Otto Braun reçut l‟ordre de rentrer à Moscou afin de présenter
un rapport sur son activité en Chine. Son long séjour au sein des communistes chinois lui
avait permis de se rendre particulièrement utile lors des engagements militaires contre les
troupes nationalistes ; mais du fait qu‟il était seul, et selon lui, souvent en conflit avec les
dirigeants du PCC, son travail de conseiller pourrait être considéré comme important.
Cependant il ne représenta jamais un pivot dans l‟histoire du communisme en Chine et il
faudra attendre la parution de ses mémoires en 1975 pour savoir qui était le mystérieux
homme blanc qui séjournait auprès des communistes chinois.
494
495
Jung Chang et Jon Halliday, op. cit., p. 251
Peter Vladimiro, The Vladimirov diaries, Yenan, China : 1942-1945, éditeur Garden City, Etats-Unis, 1975
139
Les conseillers russes auprès de Feng Yuxiang (1925-1927)
Alors que les russes aidaient les Chinois de Canton à prendre le contrôle de la Chine
un évènement politique qui allait aider le Kuomintang se produisit tout au nord du pays en
1924. Un général du nom de Feng Yuxiang venait avec ses troupes de trahir le puissant
seigneur de guerre Wu Peifu dont il était le vassal en prenant sous contrôle la région de Pékin.
Il était par ailleurs surnommé le « général chrétien » suite à sa conversion au baptisme en
1914. Après sa prise de pouvoir il expulsa le président fantoche Cao Kun (1862-1938), qui
était un allié de Wu Peifu, pour y placer une de ses propres marionnettes, le politicien Huang
Fu (1883-1936). Coincé entre la clique du Fengtien qui détenait la Mandchourie et celle du
Zhili qui contrôlait le centre du pays il appela à une « conférence nationale » à la fin de 1924
pour trouver une solution politique à la division du pays. Mais à cause du décès de Sun Yatsen et de certains seigneurs de guerre qui souhaitaient uniquement réunir des notables et des
militaires, la conférence fut un échec. Suite à cet insuccès de cette tentative politique pour
réunifier le pays, une paix précaire s‟installa dans le nord entre un triumvirat de seigneurs de
guerre composé de Feng Yuxiang, Zhang Zuolin et du nouveau président Duan Qirui (18651936) de la clique Anhui.
Mais rapidement la situation se détériora entre les alliés et bientôt éclata une nouvelle
guerre entre les alliés d‟hier. Pris à partis par les deux plus grandes forces au nord du Yangzi
qu‟étaient Wu Peifu et Zhang Zuolin, le maréchal chrétien ne put résister longtemps. Il dut
abandonner ses positions pour se replier sur la partie nord-ouest du pays non loin de la
frontière mongole au début de 1926. Pressentant quelques mois avant le début des hostilités
que sa position était précaire il demanda de l‟aide au Kuomintang qui retransmit sa demande à
Moscou.
Le Kominterm accepta sa demande d‟aide matériel et l‟envoi de conseillers militaires
pour plusieurs raisons. Tout d‟abord Feng Yuxiang était politiquement plus proche du
communisme et avait fondé avec ses généraux Hu Jingyi (1892-1925) et Sun Yue (18781928) le « Guominjun » soit « l‟Armée nationaliste » dans laquelle on professait une doctrine
mêlant socialisme, nationalisme et morale chrétienne. C‟est ainsi que contrairement aux
troupes de Zhang Zuolin, ou même de la majorité des soldats Chinois, qui pillaient, battaient,
violaient sans vergogne les populations civiles, les hommes de Feng Yuxiang avait
140
interdiction de porter préjudice aux populations civiles496. De plus sur les territoires qu‟il
contrôlait il était interdit de bander les pieds des jeunes filles et un impôt sur le capital avait
été mis en place afin de taxer les classes supérieurs. Quant aux questions politiques il
acceptait la présence de militants du Kuomintang ainsi que ceux du PCC et mena même une
politique progressiste de soutien aux syndicats et unions paysannes497. Ce qui était
formellement interdit dans d‟autres régions de Chine
C‟est pourquoi en février 1925 Moscou envoya Borodine depuis Canton pour
rencontrer Feng Yuxiang afin de négocier l‟aide de l‟Union Soviétique. Le général accepta
ainsi de recevoir des conseillers ainsi que des propagandistes dans son armée en échange
d‟armes et de munitions et de soutenir l‟effort du Kuomintang498. Cet accord était
logistiquement d‟autant plus facile à mettre en place que sa zone d‟influence était proche de la
Mongolie qui était depuis 1924 un pays fantoche sous le contrôle de l‟URSS. En effet après
une série de négociations rondement menées par l‟ambassadeur Kharakhan les troupes russes
qui occupaient le pays depuis 1921 purent à la barbe des Chinois placer des éléments
communistes aux postes clés du gouvernement499. Alors que selon le traité signé entre les
deux pays la Mongolie devait pouvoir revenir au sein de la république chinoise.
Suite à l‟accord Borodine-Feng Yuxiang les premiers conseillers arrivèrent en mai
1925 et tout comme leurs homologues présents à Canton ils étaient des vétérans du parti et de
la guerre civile. S‟ils formèrent par exemple des brigades de cavalerie pour contrer les
cavaliers Mandchous de Zhang Zuolin ils ne purent travailler aussi efficacement que leurs
camarades de Canton500. Selon la jeune traductrice Vera Vishnyakova-Akimova qui travailla
au sein de cette mission d‟une quinzaine de membres les relations entre Feng Yuxiang et ses
conseillers étaient assez difficile. S‟ils recevaient volontiers les armes soviétiques et des
conseils tactiques il empêcha tant que possible les commissaires politiques d‟éduquer ses
troupes au marxisme. Les reléguant souvent à l‟arrière il accepta cependant de temps à autres
qu‟ils soient présents au front comme lors de la bataille de Tsientsin à la fin de 1925, mais en
règle générale ils ne purent travailler aussi efficacement. Même lors de la guerre entre Zhang
Zuolin ils ne purent assister les généraux de Feng Yuxiang. A partir de l‟hiver 1927 il recevra
l‟aide d‟une trentaine de communistes chinois qui avaient été formés à Moscou pour mener
496
Boris Pilniak, Une femme russe en Chine, edition L'Âge d'Homme, Lausanne, Suisse, 1976
Jean Chesnaux, Françoise Le Barbier, op. cit.
498
Lucian w. Pye, Warlords politics, conflicts and coalition in the modernization of China, Prager Publishers,
Columbia University, New York, États-Unis, 1971
499
Boris Pilniak, Une femme russe en Chine, edition L'Âge d'Homme, Lausanne, Suisse, 1976
500
Vera Vishnyakova-Akimova, op. cit
497
141
des actions de propagande. Il reçut aussi la possibilité d‟envoyer 25 officiers à Moscou pour
être formés dans des écoles d‟officiers501.
En mars 1926 Feng Yuxiang aura même le privilège d‟être invité à Moscou où il sera
accueilli telle un dignitaire étranger ; on lui fera faire selon ses propres mots le « vodka
circuit »
502
. Cette invitation coïncida alors que les préparatifs de l‟expédition du Nord
battaient leur plein, c‟est pourquoi les soviétiques lui demandèrent en quoi ils pouvaient
l‟aider. Acceptant de recevoir à nouveau de grosse sommes d‟argent Feng Yuxiang promit
d‟adhérer cette fois-ci au Kuomintang. Ce qui permettait au Kominterm d‟assurer le succès de
l‟Expédition du Nord au moment où Tchang Kaï-chek comptait s‟élancer avec moins de
100 000 soldats à la conquête de toute la Chine.
Mais rapidement les soviétiques réalisèrent que le général Feng Yuxiang était un
homme fantasque et politiquement peu stable. Une légende tenace affirmait par exemple qu‟il
avait baptisé lui-même une partie de ses troupes avec rien de moins qu‟une lance à incendie.
Alors que ses conseillers russes étaient présents dans son armée il s‟épancha dans la presse du
« péril rouge » qu‟il fallait combattre alors qu‟il venait juste de revenir de Moscou. Et au
Kremlin il avait loué Lénine et critiqué les Anglais en disant qu‟ils étaient des impérialistes
« doué dans le commerce de la mort ». Il dit aussi par ailleurs à Borodine qu‟il n‟espérait rien
de moins que devenir un « simple ouvrier » en Russie ! Et ce alors qu‟il était l‟un des plus
puissants dirigeants chinois de son époque503. Son attitude rocambolesque commença à
alarmer sérieusement l‟un de ses conseillers qui écrivit à l‟ambassadeur Kharakhan qu‟il ne
fallait pas prendre pour argent comptant les nombreuses démonstrations d‟amitiés de Feng
Yuxiang. Il préconisa de garder l‟aide matériel à un minimum vital pour assurer la survie du
Guominjun et de n‟instruire que les hommes de troupes afin que ses généraux soient tout aussi
incompétents qu‟ils ne l‟étaient auparavant504.
Lorsque l‟Expédition du Nord débuta en juillet 1926 Feng Yuxiang apporta son
soutien à Tchang Kaï-chek. Après que le futur chef de la Chine ait purgé Shanghai des
communistes le général chrétien resta prudemment pendant plusieurs mois en bon terme avec
ses conseillers ainsi que le gouvernement du Wuhan. Cependant il opéra le rapprochement
politique entre les éléments non-communistes du gouvernement de Wuhan et de la faction de
501
Odoric Y. K. Wou, Mobilizing the Masses: Building Revolution in Henan, Stanford University Press, ÉtatsUnis, 1994, p. 31-32
502
Lucian w. Pye, op. cit
503
Vera Vladimora Vishnyakova, op. cit
504
Martin Wilbur, Julie Lien-ying How, op. cit., document 37 lettre à Lev Karakhan à propos de Feng Yusiang
142
Tchang Kaï-chek. Il demanda donc aux communistes chinois de partir de l‟armée du
Guominjun et leur offrit même un peu d‟argent pour le voyage505. Puis en juillet 1927 alors
que Mikhaïl Borodine retournait en Union Soviétique par la voie terrestre il aurait pu être
facilement arrêté par Feng Yuxiang car sa tête était mise à prix. Mais le général une fois de
plus préféra ne pas froisser le puissant voisin soviétique.
Après la prise de Pékin par ses troupes pendant l‟été 1927 il fit savoir à la population
que comme à Shanghai, il n‟accepterait lui non plus aucun débordement communiste506 et
rentra officiellement dans le Kuomintang en octobre 1927 après avoir dissous le Guominjun.
Par la suite, une lutte s‟engagea entre lui et Tchang Kaï-chek pour le contrôle du parti et il
s‟alliera avec plusieurs clans pour évincer le généralissime. Mais il fut battu la Guerre des
plaines centrales, et en partie à cause des conseillers allemands qui avaient formé des
« divisions de fer » et proposé des plans de bataille à Tchang Kaï-chek. En 1933 Feng
Yuxiang recommença à faire parler de lui lors d‟une tentative pour se dresser contre les
Japonais au Chahar mais il fut de nouveau vaincu par Tchang Kaï-chek qui ne souhaitait
aucun problème avec le puissant voisin nippon. Il se vit offrir un strapontin comme « viceprésident de la commission des affaires militaires », que présidait Tchang Kaï-chek, de 1935 à
1945 et combattit les Japonais. Il décéda en 1948 dans un l‟incendie du navire qui l‟emmenait
en Union Soviétique.
505
Benjamin Yang, The Making of a Pragmatic Communist: The Early Life of Deng Xiaoping (1904-1949), The
China Quarterly, Numéro 135, Special Issue: Deng Xiaoping: An Assessment, septembre 1993, page 448
506
Mission Étrangères de Paris, Journal mensuel « Bulletin catholique de Pékin », numéro d‟août 1927
143
Annexe 2 : Étude de cas sur l’apport industriel et
idéologique de la mission militaire allemande de
1930 à 1937
L‟utilisation de conseillers militaires privés au sein de l‟armée chinoise ouvrit la
voie à une coopération militaire entre la Chine et l‟Allemagne. Même si elle se fit très
longtemps de manière non officielle, elle permit à la Chine de réaliser plusieurs
avancées non négligeables dans les domaines technologique et économique. Rappelons
qu‟au début de la mission militaire allemande, le niveau de développement économique
de la Chine pouvait être comparé à celui d‟un actuel Pays en voie de développement : le
colonel Bauer, analysant la situation chinoise en 1928, estimait la capacité potentielle de
puissance électrique à 0,88 millions MWatt/h., contre 5 millions pour l‟URSS et 88
millions aux États-Unis507. Sur le plan de la couverture médicale, on comptait seulement
un médecin pour 45 000 personnes contre 1 pour 800 aux États-Unis508 et le pays était
très instable du fait des guerres, des famines et des inondations. Six millions de
personnes perdirent ainsi la vie entre 1928 et 1931 suite à ce genre d‟événements 509. Ces
nombreux échanges entre l‟Allemagne et la Chine aidèrent considérablement cette
dernière dans son développement – essentiellement sur le plan militaire, cependant.
Le commerce et la vente d‘armes
Comment la mission militaire allemande modifia-t-elle les relations Chine-Allemagne
Dès 1928, l‟arrivée du colonel Max Bauer en Chine fit de nombreux heureux chez
les Allemands qui travaillaient en Chine, comme le capitaine John Ratay, un attaché
militaire américain à Pékin, qui rencontra en avril 1928 un marchand allemand du nom
de William Weber. Celui-ci était un homme important dans la communauté germanique
car il avait la responsabilité d‟un syndicat. William Weber dit à l‟attaché militaire
507
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p. 40
Theodore H. White et Annalee Jacoby, Thunder out of China, William Sloane associates inc., New-York,
USA, 1946
509
Hans J. Van de Ven, War and nationalism in China (1925-1945), Routledge Curzon, London, Royaume-Unis,
2003, p. 130
508
144
américain qu‟il croyait que le colonel Bauer reviendrait prochainement à la tête d‟une
mission militaire allemande, et que les affaires des commerçants Allemands allaient en
profiter. Il lui confia :
« Le moment est venu pour les Allemands de devenir les étrangers les plus
influents en Chine […]. Quand le gouvernement nationaliste arrivera à Pékin [il]
deviendra le gouvernement [officiel] de la Chine. Des troubles entre les
puissances étrangères qui ont des enclaves territoriales et ce gouvernement sont
inévitables. Le boycott des produits étrangers sera inévitable [mai s les]
Allemands ne seront pas affectés par ce boycott. Nous serons les seuls amis de la
Chine [et] nous prendrons ainsi le marché chinois à l'exception du pétrole et des
voitures. [Suite à] ces années de lutte entre les étrangers avec des concessions
étrangères et la Chine, l'influence allemande et son commerce seront bien établis
en Chine. » 510
Dans la suite de son rapport, l‟attaché militaire américain confirmera qu‟après
avoir rencontré de nombreux Allemands, ceux-ci partageaient exactement les mêmes
vues sur la future influence de l‟Allemagne en Chine. Les évènements économiques qui
allaient se produire les années suivantes ne donnèrent pas tort à William Weber :
l‟Allemagne s‟imposa comme étant l‟un des principaux partenaires commerciaux de la
Chine et l‟un de ses plus grands fournisseurs d‟armes.
Les achats d‘armes, de munitions et l‘accord HAPRO
Grâce à la présence des militaires allemands, l‟armée chinoise put acheter de
nombreux produits allemands pour équiper les nouvelles divisions encadrées par les
conseillers. En effet, le pays ne possédait que très peu d‟arsenaux et ceux -ci ne
pouvaient construire que des armes légères – comme des fusils ou des mitrailleuses – ce
qui n‟était pas suffisant à une époque où les guerres se gagnaient davantage dorén avant
avec des avions, des tanks et des canons à longue portée 511. Les nombreux liens
qu‟entretenaient les conseillers avec l‟industrie, au cours de la Première Guerre
mondiale, permirent de multiples contact qui débouchèrent sur des achats de matériel
militaire de qualité512. D‟ailleurs, ces Allemands occupaient souvent une position
510
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport ―German economic aspiration in China‖, 12 juin 1928
511
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p. 125
512
Hans J. Van de Ven, op. cit.
145
d‟intermédiaires pendant les négociations et recevaient une commission sur la vente qui
venait d‟être effectuée 513. Ils étaient de temps à autre même démarchés par des
industriels qui proposaient les services de leurs propres entreprises militaires 514. Quant
au général Hans von Seeckt, il emmena avec lui lors de son retour en Chine en 1934 un
marchand et aventurier allemand dénommé von Lustig afin qu‟il puisse l‟aider à réaliser
des affaires. Cet homme s‟était spécialisé dans la contrebande : il avait notamment
vendu des armes à des personnes avec qui aucun gouvernement n‟aurait accepté de
commercer. C‟est ainsi qu‟il vendit des armes à l‟URSS en 1923 ainsi qu‟aux rebelles
Rifains lors de leur soulèvement contre la France et l‟Espagne 515.
Puis en août 1934, un industriel allemand du nom de Hans Klein (1879 -1957), qui
fut aussi le partenaire financier de Hans von Seeckt 516, signa un accord avec le
gouvernement chinois
signifiant
par le biais de sa compagnie H.A.P.R.O. – cet acronyme
« Handelsgesellschaft
für
industrielle
Produkte »
soit
« Compagnie
commerciale de produits industriels », un nom fort discret qui fut choisi afin de cacher
ses activités au gouvernement allemand 517. Cet accord ne proposait rien de moins que
l‟entreprise aide à construire la base industrielle de la Chine (usines pour créer de l‟acier
à partir du fer abondamment présent en Chine, arsenaux modernes) et à approfondir la
relation entre les deux pays 518. En échange de quoi la Chine vendrait à l‟entreprise des
minerais pouvant être utilisés pour la fabrication d‟armes modernes et dont Hitler avait
énormément besoin pour son programme de reconstruction d‟une armée allemande
moderne519. Le ministère des affaires étrangères ne fut pas enchanté par cet accord car il
compromettait les relations avec le Japon ; il avait même par le passé réussi à annuler un
projet pour la construction en Chine d‟une usine d‟avions de guerre par peur des
critiques de l‟Empire du Soleil Levant 520. Mais le projet H.A.P.R.O fut soutenu
conjointement par les ministères de la guerre et de l‟économie. C‟est pourquoi
513
N.A.R.A, boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13, rapport
―German advisers to Chiang Kai Shek‖, 9 avril 1930, USA
514
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2239, deutsche militarish berater bei
der Chinesisichen nationalregierung, lettre du 29 novembre 1929 où le colonel Bauer fut démarché par un
ingénieur vivant à Tsingtao en lui proposant de lui vendre des tanks et des voitures blindées pour l‟armée
chinoise.
515
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 10 avril 1934
516
Ibid, note du 28 juillet 1936
517
William C.Kirby, op. cit., p. 120
518
Ibid., p. 125
519
John P. Fox, Germany and the far eastern crisis (1931-1938), A study in diplomacy and ideology, London
school of economics and political science, Oxford, Royaume-Unis, 1982, p. 54
520
Ibid, p. 70
146
l‟entreprise fut nationalisée peu de temps après au moyen d‟une une augmentation de
son capital d‟un tiers, le ministre de la guerre Werner von Blomberg (1878-1946)
déclarant que rien ne s‟y passerait sans son consentement 521. Les ressources chinoises
étaient une opportunité unique pour la Wehrmacht car elles pouvaient accélérer
sensiblement le processus de réarmement de l‟Allemagne 522. Cet accord, signé le 9 avril
1936, établissait que les Chinois devraient recevoir pour 100 millions de Reichsmarks en
crédit d‟achat, en échange de quoi les Allemands obtenaient la priorité sur l‟achat de
ressources chinoises 523. À titre de comparaison, l‟Allemagne n‟avait vendu à la Chine
que l‟équivalent de 4 millions de Reichsmarks d‟équipement militaire lors du premier
semestre 1936 524.
Ainsi en 1938, suite à cette relation sino-germanique, près de 70% des munitions
que l‟armée chinoise utilisait provenaient d‟Allemagne 525. L‟ensemble des divisions
chinoises formées par les Allemands possédaient le même équipement qu‟un fantassin
de la Wehrmacht 526 et l‟on pouvait voir du matériel de guerre lourd allemand dans les
rues de Nankin (canons, tanks, « Flak » anti-aériens)527. L‟accord HAPRO fut aussi
largement bénéfique pour l‟Allemagne puisqu‟en 1936 presque 30% de ses exportations
d‟armes partaient en direction de la Chine alors qu‟en 1935 seulement 8% y étaient
acheminées528.
Suite à cette relation, certains diplomates du quai d‟Orsay parlèrent alors de
« danger pour notre industrie [d‟armement] » et ce avant même la signature de
l‟accord529. Pour tenter de contrer le quasi-monopole des armes allemandes, un
marchand français tenta même de se nouer d‟amitié avec les conseillers allemand s afin
de gagner une part du marché 530. Du coté des États-Unis, l‟attaché militaire en Chine,
John Magruder (1887-1958), décrira déjà en 1930 cette situation en des termes très
pessimistes :
521
William C.Kirby, op. cit.,, p. 134
John P. Fox, Germany and the far eastern crisis (1931-1938), A study in diplomacy and ideology, London
school of economics and political science, Oxford, Royaume-Unis, 1982, page 129
523
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
524
Archives du quai d‟Orsay, carton 678 « relation Allemagne et Chine », 1936
525
Journal « Ouest France », 23 mai 1938, France
526
http://dzh.mop.com/whbm/20060416/0/zSS33I6396a98xsaS5.shtml, Image numéro 32
527
William C.Kirby, op. cit., p. 220
528
Ibid, p. 221
529
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 26 mars 1935
530
Ibid., note du 8 juillet 1931
522
147
« Le commerce américain [en Chine] est tellement affecté par l‟extraordinaire
influence de la mission militaire allemande que cela devrait forcer notre
gouvernement à combattre ce subtile monopole » car « Nous en sommes au point
où le gouvernement de Tchang Kaï-chek achète tout [le matériel militaire]
d‟Allemagne quand ce pays peut le lui vendre. » 531
L‟Allemagne ne pourra cependant pas être compétitive sur l‟ensemble de la vente
des produits militaires car il lui était interdit de fabriquer des gaz de combats, des tanks
et de l‟aviation suite au traité de Versailles 532. Mais malgré ces interdictions pendant les
années où la mission militaire officiera auprès du Kuomintang, elle sera accusée
plusieurs fois d‟avoir permis l‟arrivée de chimistes en Chine, ce qui attirera l‟attention
des services de renseignements 533. Cependant, le gouvernement allemand se défendra
toujours contre ces accusations 534.
La vente d‘armes par d‘autres nations
Les autres pays avaient dorénavant bien plus de mal à vendre des armes à la
Chine vu l‟influence des conseillers allemands. Les Etats-Unis, par exemple, se
trouvaient en outre fortement handicapés du fait que, suite à une résolution du Congrès
de 1922, ils n‟avaient pas le droit d‟exporter des armes ou tout autre type de matériel
militaire (avions, camions, radios) 535. Plus tard les citoyens américains seront autorisés à
exporter des armes pour le Kuomintang mais avec de fortes contraintes administratives
et il faudra attendre juillet 1933 pour assister à un assouplissement des régulations.
Cependant, du fait de ces restrictions sur le vente de certains t ypes d‟armes imposées à
l‟Allemagne au début des années 30, les États-Unis parviendront à être dominants sur la
vente d‟avions de guerre à partir de 1933 536, tandis que les Anglais seront majoritaires
sur le marché des tanks. De 1929 à 1937 voici quels furent les achats de véhicules
blindés que réalisa l‟armée chinoise 537 :
Royaume-Uni……...….....73 tanks
531
N.A.R.A., boîte numéro M1444, “Correspondence of the Military Intelligence”, microfilm numéro 13,
rapport ―German advisers to Chiang Kai Shek‖, 9 avril 1930
532
Ibid
533
Archives du quai d‟Orsay , carton 537 « sur la mission allemande », note du 7 mars 1930
534
Ibid, note du 23 juillet 1930
535
N.A.R.A. (National Archives and Records Administration), F.R.U.S (Foreign Relations of the U.S), volume
9834-3 “the far east”, 1933, cable numéro 974
536
Mark Pettie, Edward J. Drea, Hans van de Ven (direction)The battle of China, essays on the military history
of the sino-japanese war of 1937-1945, Stanford University Press, USA, 2011, p.294
537
http://news.xinhuanet.com/mil/2008-08/25/content_9609301.htm
148
Italie………………….…..20 tanks
Allemagne……….……….10 tanks
Quant aux marchands français, comme la société Hotchkiss spécialisée dans les
mitrailleuses, ils arrivaient aussi à vendre parfois du matériel en Chine 538.
Le commerce civil
Le commerce des armes allemandes n‟était pas le seul à se développer fortement
à cet époque : les marchandises civiles venant du III e Reich étaient aussi très
nombreuses en Chine. Il faut préciser que, suite à la pacification par le Kuomintang des
régions sous son contrôle, les investisseurs se montraient bien plus intéressés que par le
passé ; ainsi, le journal Zeitschrift für Geopolitik (la Revue de Géopolitique) pouvait
écrire en 1934 :
« Chaque kilomètre carré du sol chinois qui est sous le contrôle du gouvernement
[de Tchang Kaï-chek] offre au commerce et à l‟industrie étrangère un futur
prometteur. »539
Dès lors, profitant de la réputation des produits allemands et de l‟Allemagne, de
nombreux marchands vendront en Chine leur production et surpasseront de nombreuses
nations. Ainsi, entre 1913 et 1930, les importations en Chine de produits allemands
doublèrent 540 : au milieu des années 1930, 17% des importations de l‟Empire du Milieu
provenaient du III e Reich, tandis que dans le même temps les produits en provenance du
Royaume-Uni passaient de 17,5% à 9% 541. À la fin de l‟année 1936, l‟Allemagne devint
même le deuxième pays exportant des marchandises en Chine 542. La République de
Weimar avait été durement touchée par la crise de 1929, son industrie ne fournissait plus
que 61% de sa capacité de production contre 89% pour l‟Angleterre et 71% pour la
France543. Nous pouvons sans peine imaginer que l‟apparition d‟un nouveau marché de
consommation était une aubaine aussi bien pour les industriels de la Ruhr que pour les
marchands internationaux de Brême et de Hambourg.
538
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 31 mai 1931
William C.Kirby, op. cit., p. 233
540
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 15 janvier 1931
541
William C.Kirby, op. cit.
542
Archives du quai d‟Orsay, carton 678 « relation Allemagne et Chine » note du 26 décembre 1936
543
Harold James, The german Slump, politics and economics 1924-1936, Clarendon press, Oxford, RoyaumeUnis, 1986
539
149
Ces ventes de l‟Allemagne à destination de la Chine n‟étaient pas entièrement
composées de matériel de guerre, de nombreux biens civils étaient vendus comme le
montre le tableau suivant 544 :
Ventes allemandes à destination de la Chine (1 er semestre 1936)
Articles en fer divers
Pourcentage Deutschmark
18
Papiers ou cartons
15.9
Laminés (métal compressé sous forme de plaque)
15.7
Colorants extraits de goudrons
13.4
Explosifs, munitions, armes
7.3
Engrais azotés
6.7
Produits électriques techniques
6.4
Produits chimiques divers
5.4
Produits pharmaceutique
4.1
Machines/outils
3.3
Colorants non extraits de goudrons
2
Produits mécaniques/produits de l‟industrie optique
1.8
De plus, ce commerce civil n‟était pas un échange à sens unique. D‟une part, en
Allemagne, entre 1927 et 1937, au niveau des minerais pour une utilisation militaire,
61% du Tungstène 545 et 88% de l‟Antimoine provenaient de Chine 546. D‟autre part, juste
avant le début du deuxième conflit sino-japonais, le Troisième Reich représentait 17%
des exportations de la Chine, ce qui inquiétait considérablement les capitalistes et
544
Archives du quai d‟Orsay, carton 678 « relation Allemagne et Chine », 1936
Kurt Bloch, German interests and policies in the far east, institute of pacific relations, New York, USA, 1940
546
John P. Fox, Germany and the far eastern crisis (1931-1938), A study in diplomacy and ideology, London
school of economics and political science, Oxford, Royaume-Unis, 1982, page 54
545
150
militaires japonais qui avaient considérablement besoin des matières chinoises pour leur
industrie547.
La création d‘une industrie nationale
La création d‘usines en Chine par des capitaux allemands
Dès 1930, une mission industrielle allemande pour le compte de « l‟Union
industrielle allemande » (Reichs verband fur der Deutscher Industrie) et du
gouvernement allemand 548 fut invitée par le gouvernement chinois afin de pouvoir
investir en Chine. Mais « ce voyage désillusionna les représentants de l‟industrie
allemande sur les possibilités […] d‟écouler le surplus de sa production »549 car pour eux
le chaos le plus complet régnait dans tout le pays (guerres, famines, retards très
importants dans le versement des salaires des fonctionnaires 550). Ils en conclurent que
leurs placements ne fructifieraient pas suffisamment et ils refusèrent donc de placer leur
capital à ce moment. D‟autant plus que, suite à la crise de 1929 qui toucha durement
l‟Allemagne, le ministère des finances n‟avait pas l‟argent nécessaire pour garantir les
ventes à destination de la Chine, et ce malgré le fait que son ministre Lutz Schwerin von
Krosigk (1887-1977) fût un partisan de cette solution en 1932 551.
Pour le gouvernement chinois, la construction d‟une industrie était une priorité
absolue pour pouvoir améliorer le pays. Or, dans le milieu des années 1930, elle était
pratiquement inexistante car elle ne représentait que 2,2% du PIB du pays 552. Le général
Georg Wetzell voulait, tout comme le colonel Bauer, aider à la création d‟une industrie
nationale grâce à ses connections dans le monde des affaires allemand, pour permettre à
la Chine d‟être indépendante au niveau de la construction de matériel militaire et de
547
Service Historique de la Défense, série 7N, archives des conseillers militaires à l‟étranger (1919-1940), carton
numéro 3298, note du 10 avril 1937
548
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208), Carton 2239, deutsche militarish berater bei
der Chinesisichen nationalregierung, article du Journal de Pékin du 18 avril 1930.
549
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », rapport du service politique de la police
francaise de Shangaï, « rapport sur la mission militaire allemande », numéro 686/2, 27 décembre 1934, France
550
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), The Germany advisory group in China, publié par Droste, Düsseldorf,
Allemagne, 1981
551
William C.Kirby, Germany and Republican China, Stanford university press, USA, 1984
552
Lloyd E. Eastman, The abortive revolution, china under nationalist rule (1927-1937), Harvard University
press, USA, 1975
151
l‟extraction de métaux ; mais la situation géopolitique du pays empêcha de réaliser un
tel projet 553. Ce fut donc le général Hans von Seeckt, suite à son son rapport sur l‟état de
la Chine, qui poussa Tchang Kaï-chek à investir dans l‟industrialisation de son pays. À
titre d‟exemple, 75 à 90% des arsenaux chinois déjà existants selon von Seeckt
produisaient des armes complètement obsolètes au regard des critères des guerres
modernes554 et la Chine importait toujours 50% de ses munitions 555. Ainsi, en 1935, fut
créée la « Commission des ressources nationales » qui organisa l‟année suivante un plan
en trois ans pour l‟industrialisation de la Chine, suite à la signature de l‟accord HAPRO
qui s‟avérait très prometteur pour l‟avenir économique du pays 556.
Ainsi, à la veille de la guerre, vingt arsenaux chinois étaient capable de produire
des armes légères (fusils, mortiers, munitions) dont trois étaient même capables de
construire des armes lourdes (canons de 75mm, explosifs)557. Mais cette industrie était
largement insuffisante pour pouvoir équipper les 1,7 millions de soldats chinois présents
sur le territoire 558. Même si la plupart des troupes entrainées par les Allemands furent
décimées lors de la bataille de Shanghai, certaines industries construites par les
Allemands devinrent très utiles dans l‟effort de guerre contre les Japonais 559.
Les chemins de fer et la compagnie d‘aviation Eurasia
Sachant que la Chine était dorénavant considérée comme un pays bien plus
sécurisé, plusieurs nations commencèrent à partir de 1934 à garantir une partie de tout
investissement réalisé dans la rénovation et la construction de lignes de chemin de fer.
Une fois de plus, les Allemands étaient les plus avantagés en Chine, car sur les 80
millions de dollars d‟investissements dans les transports, 50% concernaient des firmes
allemandes560. L‟un des premiers investisseurs à s‟intéresser à ce marché se dénommait
Otto Wolff (1904-1940) ; il signa de nombreux contrats avec le gouvernement de
Tchang Kaï-chek. Or, pour cet homme, il était très important d‟être compétitif sur ce
terrain économique car les retombées financières promettaient d‟être très importantes ; il
déclara ainsi « Partout d‟où le chemin de fer se trouvera en Chine, les matériaux en
553
William C.Kirby, op. cit.
Ibid, page 117
555
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), The Germany advisory group in China, publié par Droste, Düsseldorf,
Allemagne, 1981
556
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p. 125
557
Rodney Gilbert, op. cit.,
558
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p. 125
559
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.,
560
Arthur Young, op. cit., p. 372
554
152
jailliront. »561.Mais suite au début de la guerre, la plupart des travaux ne purent être
terminés : si elle s‟était déclarée plus tard, la Chine aurait possédé un bien meilleur
réseau de chemin de fer 562.
L‟un des seuls projets industruels sino-allemands – et non militaire – qui devait
s‟inscrire dans la durée fut la création d‟une compagnie aérienne du nom de « Eurasia
Aviation Corporation ». Cette compagnie de transport aéronautique – il n‟y en avait que
deux autre dans tout le pays – dura jusqu‟en 1943. Sa création fut rendue possible en
partie grâce à des fonds allemands car la compagnie d‟aviation Lufthansa possédait 34%
du capital, tandis que le Kuomintang dispoait du reste 563. Fondée en février 1931,
l‟entreprise avait le projet de construire une ligne Berlin-Nankin, mais suite au refus de
l‟URSS de voir les avions atterrir sur son territoire, le projet ne put jamais être mis en
place564. Cependant, un autre itinéraire de 14 000 km, passant par l‟Inde, était supposé
être créé à la fin de l‟année 1935 565, mais là encore le projet ne put aboutir.
Avion Junkers Ju-52 de la compagnie Eurasia
En attendant qu‟un tel plan se réalise, la compagnie fut utilisée pour le transport
entre les villes chinoises et vit progresser sa clientèle annuelle de 2 000 personnes à près
de 11 000. La quantité de courrier transporté augmenta encore plus rapidement en
561
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
Ibid.
563
Archives du quai d‟Orsay, carton 674 « Activité des puissances étrangères en Chine », aout 1933
564
William C.Kirby, Germany and Republican China, op. cit.,, p. 74
565
“China today series” edited by Tang Leang-Li, reconstruction in China, a record of progress and achievement
in facts and figures with illustration and map, China United Press, Shangaï, Chine, 1935
562
153
passant de 784 kg à plus de 130 000566. Le transport de lettres, qui était déjà une affaire
très lucrative567, était très important sachant que l‟aviation permettait au gouvernement
de Nankin d‟envoyer des documents et représentants officiels bien plus rapi dement
qu‟auparavant, améliorant ainsi l‟unité de la Chine. D‟ailleurs, 40% des passagers qui
utilisèrent Eurasia étaient des membres du Kuomintang avec des responsabilités
officielles ou bien des individus appartenant à l‟administration gouvernementale 568. Bien
qu‟elle ne dépassa jamais sa concurrente directe, China National Aviation Company,
tant en nombre de passagers qu‟en bénéfices, Eurasia ne cessa de s‟étendre en
agrandissant sa flotte. Au début de son existence, la compagnie ne pouvait emporter que
seize passagers sur deux avions, alors qu‟à la veille de la guerre elle possédait une flotte
de sept appareils pouvant transporter une petite centaine de passagers. La compagnie
employait une équipe de 465 travailleurs et les pilotes avaient été formés par leurs
confrères allemands, tout comme les techniciens 569. Les destinations d‟Eurasia
s‟étalaient de la Chine côtière à la lointaine région du Xinjiang et permettaient de relier
Pékin à Canton en huit heures 570. La compagnie ne survécut cependant pas à la guerre.
D‟une part, pour des raisons matérielles : suite aux attaques japonaises dont ses avions
étaient souvent la cible, elle perdit plusieurs avions de sa flotte. D‟autre part, pour des
raisons politiques : la Chine et l‟Allemagne se déclarèrent mutuellement la guerre à
partir de décembre 1941, au lendemain de Pearl Harbour 571.
Le rapprochement politique
La fascination de Tchang Kaï-chek pour une nouvelle société
Grand admirateur de la manière dont la Turquie, le Japon et l‟Allemagne avaient
élevé leur « esprit national », Tchang Kaï-chek avait développé au cours des années
1930 un certain intérêt concernant le fascisme 572. Il déclara en 1932, lors de la création
566
Kuo Heng-Yü (direction), Von der Kolonialpolitik zur Kooperation, Studien zur Geschichte der deutschChinesichen Beziehungen, Minerva publikation müchen, Munich, Allemagne, 1986
567
“China today series” edited by Tang Leang-Li, reconstruction in China, a record of progress and achievement
in facts and figures with illustration and map, China United Press, Shangaï, Chine, 1935
568
William C.Kirby, op. cit., p.77
569
“China today series” edited by Tang Leang-Li, op. cit.
570
William C.Kirby, op. cit., p.77
571
Kuo Heng-Yü (direction), op. cit.
572
Jay Taylor, op. cit., p. 101
154
de la « société des chemises bleues » qui était un regroupement d‟officiers militant pour
une Chine dictatoriale :
« Le fascisme […] est un stimulant pour une société en déclin » et « est-ce que le
fascisme peut sauver la Chine ? Nous répondons : oui. Le fascisme est ce dont la
Chine a le plus besoin. »573
Il dira aussi à son fils adoptif, lorsqu‟il fut envoyé en Allemagne à Munich dans une
académie militaire :
« L‟Allemagne est le seul pays duquel nous pouvons apprendre quelque chose. Ils
nous donnent la base sur laquelle nous pourrons nous développer. »574
Cependant, il n‟était pas un partisan des idées nationales-socialistes, l‟idée de
l‟existence d‟une race suprême ou de la création d‟une sphère de co -prospérité, par
exemple, ne l‟intéressait pas 575. Tchang Kaï-chek, sous l‟influence des Chemises bleues,
lanca en 1934 le « mouvement de la nouvelle vie ». Ce mouvement politique, qui
reprenait des concepts confucéens, voulait inculquer aux Chinois des valeurs que l‟on
estimait perdues afin de relever le niveau spirituel du pays 576. Les Chemises bleues
tentèrent ainsi d‟enseigner à la population qu‟il existait quatre grandes valeurs dans la
société : la propriété privé, la justice, l‟honnêteté et le respect de soi-même. Ils
souhaitaient par ailleurs que chacun puisse appliquer chaque jour quatre -vingt seize
règles de vies, comme ne pas cracher par terre ou se laver la figure au réveil le matin.
Les Chemises bleues espéraient ainsi transformer « l‟esprit intérieur » de chaque
habitant de la Chine et en faire des citoyens meilleurs. Cependant, cette tentative
d‟éducation des masses chinoises fut globalement un échec car personne ne comprenait
réellement l‟intérêt de ces règles, et même les gens s‟en moquaient ouvertement 577. Plus
tard, la société des Chemises bleues fut dissoute sur ordre de Tchang Kaï -chek au
printemps 1938. Le chef du Kuomintang voulait prouver son désir de rapprochement
573
Lloyd E. Eastman, Jerome Ch‟en, Suzanne Pepper, Lyman P. van Slyke, op. cit., p. 28
Jay Taylor, op. cit., p. 101
575
Jay Taylor, op. cit., p. 101
576
Lloyd E. Eastman, Fascism in Kuomintang China: The Blue Shirts, Cambridge University Press, The China
Quarterly, No. 49 (Jan. - Mar., 1972), pp. 1-31, 1972
577
Constantin Rissov, op. cit.
574
155
avec les communistes ; cette dissolution marqua ainsi la fin de son penchant officiel
pour le fascisme 578.
Le rapprochement avec l‘Allemagne
Tchang Kaï-chek et son entourage éprouvaient une grande admiration à l‟égard
des régimes dictatoriaux européens comme l‟Allemagne ou l‟Italie. Ces sentiments,
couplés à la grande influence qu‟exerçaient les conseillers militaires auprès du chef de la
Chine, donnèrent des sueurs froides à certains spécialistes. Ceux-ci commencèrent à
imaginer des scénarios dans lesquels l‟Empire du Milieu se serait rapproché
politiquement de l‟Allemagne. À titre d‟exemple, un diplomate du quai d‟Orsay, en
1933, avait très peur que la Chine puisse aider l‟Allemagne en cas de guerre européenne
en envahissant l‟Indochine579. Le Kuomintang se permit de refuser de signer un accord
de type HAPRO avec l‟Hexagone 580 et en 1934 les services diplomatiques français
relevaient que :
« Le renforcement de l‟armée de Tchang Kaï-chek [par les conseillers militaires
allemands] signifie une sérieuse menace pour les troupes rouges chinoises et donc pour
l‟URSS et qu‟il est ainsi conforme aux buts de la politique extérieure allemande. »581
L‟Allemagne hitlérienne reconnut ensuite le gouvernement de Nankin comme le
seul et unique gouvernement légitime de la Chine en cessant d‟envoyer de l‟armement
aux autorités provinciales chinoises, chose que la république de Weimar n‟avait jamais
faite582. Un projet d‟industrialisation par l‟industriel Hans Klein qui aurait profité au
seigneur de guerre Li Zongren (1890-1969), ancien adversaire de Tchang Kaï-chek fut
ainsi torpillé par le III e Reich afin de ne pas mécontenter le gouvernement de Nankin 583.
Puis à partir d‟octobre 1936, suite aux accords HAPRO, l‟Allemagne commença à
vendre du matériel de guerre dernier cri qui équipait les soldats de la Wehrmacht. Elle
promit pour l‟année 1938 de nouveaux canons pour les forts côtiers, la livraison des
douze premiers sous-marins de la marine chinoise et des navires possédant les derniers
modèles de torpilles ; les pilotes chinois devaient même pouvoir manœuvrer dès 1939
578
Lloyd E. Eastman, Fascism in Kuomintang China: The Blue Shirts, Cambridge University Press, The China
Quarterly, No. 49 (Jan. - Mar., 1972), pp. 1-31, 1972
579
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 25 juin 1933, France
580
Ibid, note du 16 juillet 1936
581
Archives du quai d‟Orsay, carton 537 « sur la mission allemande », note du 10 avril 1934
582
Hsi-Huey Liang, op. cit., p. 52
583
Fu Pao-Jen, Bernd Martin (direction), op. cit.
156
des avions flambant neufs comme des bombardiers et des Stukas 584. Si le début des
hostilités sino-japonaise avait été reculé, ces échanges auraient ainsi permis à la Chine
d‟être en mesure de confronter, et possiblement de vaincre, les Japonais. Le Kuomintang
aurait aussi par ailleurs signé sans aucun doute une alliance avec l‟Allemagne vu que
l‟organisation de son armée toute entière était calquée sur les techniques allemandes et
que Tchang Kaï-chek ne portait pas les communistes dans son cœur.
Mais la guerre commença bien
avant les livraisons de ces armes et les
pressions de la diplomatie japonaise
éloignèrent l‟Allemagne et la Chine. Les
accords diplomatiques entre les deux
pays ne dépassèrent donc pas le cadre de
partenariats commerciaux 585. Ainsi, les
relations diplomatiques entre les deux
pays en restèrent aux échanges de
marchandises, aux invitations par le
gouvernement chinois pour les membres des Campement d’un groupe de la Hitlerjugend en Chine (1935)
Hitlerjugend de passer quelques jours dans
la campagne chinoise pour faire du camping et à la suppression des passages critiquant
les Chinois dans le livre Mein Kampf 586. Pourtant, pendant le mois de juin 1937, le
ministre de l‟économie H.H. Kong (1881-1967) rencontra Adolf Hitler dans son « nid
d‟aigle » des Alpes Bavaroise. Il se vanta ensuite rapidement d‟avoir convaincu le
chancelier allemand de se méfier de son allié Japonais et l‟assura que la Chine
considérait l‟Allemagne comme son meilleur allié 587. Le futur montra que cet entretien
ne fut pas aussi fructueux que cela pour la diplomatie chinoise, car à partir de la guerre
sino-japonaise, l‟Allemagne ne proposa que d‟être l‟intermédiaire lors de négociations
qui n‟aboutirent pas à la paix. Et suite au traité de non-agression signé entre la Chine et
l‟URSS en août 1937, Hitler ne souhaita pas continuer à apporter son soutien à un
régime qu‟il considérait comme faible face aux communistes.
584
Jay Taylor, op. cit., p. 120
F. F. Liu, op. cit.
586
John P. Fox, Germany and the far eastern crisis (1931-1938), A study in diplomacy and ideology, London
school of economics and political science, Oxford, Royaume-Unis, 1982, page 70
587
Hannah Pakula, The last empress: Madame Chiang Kai-shek and the birth of modern China, Simon and
Schuster, New York, USA, 2009, page 340
585
157
Crédits photos et illustrations
Couverture :
- Troupes d‟élites chinoises équipé avec du matériel allemand
http://dzh.mop.com/whbm/20060416/0/zSS33I6396a98aS5.shtml
Chapitre 1 : Les conseillers militaires soviétiques
- Page 19, Photo de Mikhaïl Borodine
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b9/Mikhail_Markovich_Borodin_%28Gru
zenberg%29.jpg
- Page 20, Photo de Mikhaïl Borodine en 1923
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/89/1923_vasily_bljucher.png
- Page 25, exemple d‟un dessin de propagande réalisé par le département politique de la
première armée du Kuomintang en 1926 inspiré par les soviétiques.
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Chapitre 2 : Consolider le pouvoir (1928-1937)
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http://webopac0.hwwa.de/DigiJPG/P/01161/P011610013000000H_B.jpg
- Page 50, Hermann Kriebel avec les organisateurs du putsch de la Brasserie
Das Digitale Bildarchiv des Bundesarchivs, photo numéro 146-1977-082-35
- Page 61, le général Georg Wetzell
http://home.comcast.net/~jcviser/akb/wetzell.htm
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Das Digitale Bildarchiv des Bundesarchivs, photo numéro 102-10883
- Page 73, le général Alexander von Falkenhausen entouré de certains membres de la mission
militaire allemande à Nankin
Das Digitale Bildarchiv des Bundesarchivs, photo numéro 146-1978-007-13
- Page 75, Reste d‟un bunker de la « ligne Hindenburg chinoise » dans les années 2000
http://hi.baidu.com/%BF%F1%B1%BC%C3%E6%B0%FC/album/item/6d091637859ef1ffa3
cc2b31.html#
- Page 94, carte des cinq provinces du nord de la Chine
The New-York Time, 19 novembre 1935
Chapitre 3 : Résister à la menace japonaise
- Page 99, Photo de soldats de la 88e division marchant vers Shangaï, aout 1937
http://ww2db.com/image.php?image_id=9937
- Page 110-111, Photos de soldats chinois avec du matériel allemand
Seeds of conflict: The sino-japanese conflict (1931-1941), éditeur Nendeln Kraus Reprint,
Pays-Bas, 1980
- Page 111, Couvertures du magazine The War Pictorial
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- Page 113, Captures d‟écran du film Why we fight – The battle of China de Frank Capra
Frank Capra (réalisation), Why we fight – The battle of China, USA, 1943, 41e à 43e minute
Annexe 2 : Étude de cas sur l’apport industriel et idéologique de la
mission militaire allemande de 1930 à 1937
- Page 153, avion Junker s JU 52 d‟Eurasia
Kuo Heng-Yü (direction), Von der Kolonialpolitik zur Kooperation, Studien zur Geschichte
der deutsch-chinesichen Beziehungen, Minerva publikation müchen, Munich, Allemagne,
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Das Digitale Bildarchiv des Bundesarchivs, photo numéro 137-049297
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Archives
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Carton 168 - troupes internationales stationnés en chine
Carton 169 - troupes internationales stationnés en chine
Carton 314 à 322 – relation URSS et Chine
Carton 419 - relation commerciale avec le monde (sauf la France)
Carton 537 - sur la mission allemande
Carton 538 - sur la mission allemande
Carton 674 - activité des puissances étrangère en chine
Carton 677 - relation Allemagne et chine
Carton 678 - relation Allemagne et chine
Carton 679 - relation Allemagne et chine
Carton 782 à 785 – relation URSS et Chine
Carton 784 – relation Italie et Allemagne
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Série de 28 cartons sur la Chine de 1919 à 1945. Numéro 3284 à 3312
Politischen Archivs (Allemagne – Berlin)
Politishen archivs des Auswärtigen Amts - Peking II (R 9208)
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Bundesarchives – Abteilung Filmarchive (Allemagne – Berlin)
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- Chinesiche Städte/SP06033
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DTW367/1939,
DTW376/1939,
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DTW527/1940,
DTW538/1940,
DTW560/1941,
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- UTW302/1936, UTW362/1937, UTW364/1937, UTW368/1937, UTW227/1935,
UTW372/1937,
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UTW415/1938,
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UTW431/1938,
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