cicatricielles, triturer leurs cheveux, ta-
per leurs cuisses ou leur ventre. Ces com-
portements impressionnants ont para-
doxalement une fonction apaisante pour
l’enfant, et le recours à un traitement
anxiolytique en sus des approches psy-
chothérapiques peut s’avérer utile.
Au final, la sémiologie de l’anorexie
mentale de l’enfant et du préadolescent
est très proche de celle du grand adoles-
cent ou de l’adulte. Deux spécificités
sont néanmoins relevées pour cette
tranche d’âge par Mouren-Siméoni et
al. dans la seule étude française portée
à notre connaissance : l’intensité des
symptômes habituels peut mener à une
généralisation des conduites de refus et
à la restriction hydrique [11].
L’ÉVOLUTION
Ce sont les travaux de Rachel Bryant-
Waugh sur l’évolution de l’anorexie
mentale chez les plus jeunes qui nous
proposent la cohorte d’étude la plus ho-
mogène en âge, et les résultats de l’une
de ces études sont en faveur d’une évo-
lution positive dans 62 % des cas [12].
C’est un taux moyen en comparaison de
ceux observés dans des études compor-
tant des sujets plus avancés dans la pu-
berté, évalués entre 49 % et 76 %, et su-
périeur à celui observé dans la revue de
littérature de Nancy Berkman, qui nous
indique qu’une évolution positive est ob-
servée chez, en moyenne, 27 à 58 % des
adolescents et des adultes [13].
L’évolution des enfants souffrant d’ano-
rexie mentale est également marquée
par la dépression et l’anxiété, dont les
prévalences sur la vie entière varient de
60 à 100 %.
Dans l’unité spécialisée dans les TCA du
sujet jeune, nous nous sommes intéres-
sés à l’évolution à l’âge adulte d’une po-
pulation d’enfants qui avaient bénéficié,
alors qu’ils étaient prépubères, de soins
en hospitalisation à temps plein pour
anorexie mentale. Une première enquête
a permis de recruter des sujets âgés au
minimum de dix-huit ans au moment de
l’étude, d’accord pour répondre dans un
premier temps à un questionnaire écrit
de santé générale [14]. Puis des données
ont été recueillies par entretien télépho-
nique et/ou directement ; 15 d’entre eux
ont accepté l’entretien. Tous ces sujets
avaient bénéficié d’une hospitalisation
entre 1991 et 2003. Le temps moyen
écoulé entre leur hospitalisation pour
anorexie mentale et le moment de l’étu-
de était de 11,3 ans. Nous avons évalué
des variables somatiques et psychoso-
ciales : l’évolution de l’IMC et du déve-
loppement pubertaire et statural ; l’évo-
lution des TCA et le développement de
nouveaux troubles psychiatriques ; l’évo-
lution des symptômes alimentaires, ainsi
que l’évolution psychosociale et de la
qualité de vie. Les résultats sont en fa-
veur d’une évolution similaire à celle des
adultes : l’évolution est positive à l’échel-
le de Morgan et Russell pour 71 % des
sujets de notre groupe. La variabilité de
l’IMC est faible sur la durée d’évolution,
et les sujets ne sont en moyenne pas plus
dénutris au moment de l’évaluation. En-
fin, 60 % d’entre eux ne présentent plus
de signes d’anorexie mentale ou de bou-
limie nerveuse mais présentent une co-
morbidité élevée en termes de troubles
de l’humeur et de troubles anxieux.
CONCLUSION
L’évolution de l’anorexie mentale vécue
dans l’enfance semble positive dans des
proportions semblables à celles obser-
vées chez des adultes, mais elle serait
marquée par une forte comorbidité
anxieuse, à la différence des adultes,
qui sont eux plus exposés aux troubles
dépressifs [15]. Ces résultats sont à inter-
préter avec prudence du fait des biais
méthodologiques et de la nécessité de
répliquer ce type d’étude avant d’en gé-
néraliser les conclusions. Néanmoins, si
l’évolution potentiellement longue du
trouble alimentaire est dans la majorité
des cas positive, ces enfants sont à
risque de présenter à l’âge adulte des
troubles émotionnels anxieux ou dé-
pressifs. Et cette observation nous ren-
voie de fait à la question de la nature de
la prévention des troubles alimentaires
chez les sujets jeunes. Si ces résultats
s’avéraient valides, à savoir que l’appa-
rition d’un trouble alimentaire dans
l’enfance serait un signe précurseur de
troubles émotionnels ultérieurs, alors
ils souligneraient l’intérêt du dévelop-
pement de programmes de « promotion
de la santé » qui paradoxalement ne ci-
blent pas les troubles du comportement
alimentaire mais adoptent une ap-
proche écologique, développementale
et féministe [16].
첸
Médecine
& enfance
mars 2012
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