Journée douleur Les différentes perceptions de la douleur rechercher, évaluer, transmettre, traiter et réévaluer le traitement ». Sortir de la subjectivité du soignant Nombreux sont les sentiments qui peuvent exprimer la douleur. Celle-ci, complexe, doit être définie au mieux afin que soit dispensé le traitement le plus adapté possible. i l’on reprend la définition de l’International Association for the Study of Pain (IASP), la S douleur est “une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en réponse à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans les termes d’un tel dommage”. Dans ce cadre, comment l’infirmier peut-il participer au traitement de la douleur et quel peut être exactement son rôle ? « Il est multiple, répond Hedwige Marchand, infirmière au Centre François-XavierBagnoud (Paris). Pour résumer, je dirais que, parce qu’une douleur exprimée est nécessairement une douleur et qu’il y a donc toujours quelque chose à faire, notre mission consiste à entendre, observer, Quel que soit le sentiment montré – plainte, colère, agressivité, peur... –, il peut exprimer différentes douleurs : une douleur provoquée, le plus souvent aiguë et iatrogène, par exemple par des ponctions veineuses répétitives, des manipulations et mobilisations pénibles, des pansements, etc. ; une douleur en lien avec la maladie, et due à des traitements antalgiques inexistants ou insuffisants ; la combinaison des deux ; ou encore une douleur plus complexe, spirituelle, sociale, psychologique, qui mène à une souffrance globale du patient. C’est pourquoi il est essentiel, pour essayer de comprendre les causes de la douleur, de savoir entendre, écouter et observer ce qui est exprimé spontanément – et ce qui n’est pas dit – par le patient et son entourage. Néanmoins, c’est surtout l’évaluation qui est fondamentale, d’abord parce qu’elle permet à l’équipe une meilleure adaptation du traitement antalgique et un soulagement plus rapide du patient, « mais également pour sortir de la ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 25 ●●● subjectivité du soignant et mettre à distance les émotions », souligne Hedwige Marchand. Les outils, nombreux, existent. On peut ainsi évaluer l’intensité de la douleur grâce à différents types d’échelles : l’échelle visuelle analogique (EVA), l’échelle verbale simple (EVS), l’échelle verbale numérique (EVN) ou encore les échelles comportementales (EDEGR), échelle douleur enfant Gustave-Roussy – ou échelle Doloplus). On peut encore évaluer la localisation de la douleur par l’entretien ou le schéma corporel, sa composante sensorielle et émotionnelle ; c’est l’objet du questionnaire douleur Saint-Antoine ou QDSA, et sa répercussion sur la vie quotidienne. Être créatifs Les informations ainsi recueillies doivent ensuite être transmises par écrit et oralement au médecin et à l’équipe. C’est alors que le traitement le mieux adapté pourra être choisi. « Notre rôle, ici, est de répondre sans tarder à la nouvelle prescription médicale, explique Hedwige Marchand. Parallèlement, il nous faut vérifier ce que le patient a entendu par rapport au traitement proposé par le médecin (en faisant preuve d’une vigilance particulière dans les prescriptions morphiniques), rechercher avec lui ce qui le soulage tout en vérifiant la compatibilité avec son état, et motiver l’équipe afin de mettre en place un traitement adapté. Avant une mobilisation pénible, par exemple, il convient de s’interroger en équipe sur les possibilités antalgiques, de s’assurer de le faire dans les bons délais et d’évaluer. L’objectif majeur est de travailler à plusieurs en étant créatifs ». Pour autant, ce n’est pas parce qu’un traitement médical est instauré que la partie est gagnée. « C’est la raison pour laquelle, reprend l’infirmière, il faut réévaluer en permanence son efficacité, en surveiller les effets secondaires et en vérifier la prévention. Là encore, on reprendra les outils utilisés et on transmettra à nouveau les informations. Surtout, il ne faut pas oublier de transmettre quand ça marche ! » S.H. Pansements : non à la fatalité L’enseignement et la formation semblent insuffisants pour soulager les douleurs et traumatismes provoqués par les pansements. C’est que ce que révèle la première enquête réalisée sur ce thème. n janvier 2000, le Dr Sylvie Meaume, pour la Société française et francophone des E plaies et cicatrisations (SFFPC), lançait une enquête destinée à recueillir le point de vue des infirmières sur le problème de la douleur et des traumatismes associés aux pansements. Les résultats de cette enquête inédite, qui fait d’ailleurs partie d’une étude internationale conduite dans de nombreux pays européens, aux États-Unis et au Canada, ont démontré l’importance qui doit être accordée à l’enseignement et à la formation en matière de traitement des plaies. Prévenir ou minimiser les traumatismes sur la plaie et son pourtour, prévenir la douleur du patient au retrait du pansement, sont effectivement essentiels pour effectuer un soin des plaies de qualité. Cette enquête a également révélé que la préoccupation principale des infirmières lors du retrait du pansement est avant tout de prévenir la douleur chez le patient (49 % des réponses) ou de prévenir la propagation de l’infection (33 %) ; en revanche, la prévention des traumatismes sur la plaie ou au niveau de la peau périlésionnelle a été peu citée (respectivement 9 et 5 % des réponses). Autre enseignement : d’après les infirmières interrogées, le patient ressent de la douleur principalement au cours des procédures de nettoyage de la plaie (63 %), lors du retrait du pansement (32 %) et non lorsque le pansement est appliqué (0 %) ou en place (1 %). Enfin, et il s’agit là d’un élément particulièrement éclairant, les trois caractéristiques considérées comme primordiales par les infirmières pour un pansement sont : atraumatique au retrait, non adhérent à la plaie et utilisable sur peaux fragilisées. Les pansements hydrogels, hydrofibres et siliconés sont considérés comme les catégories de pansements entraînant le moins de traumatismes et de douleurs au retrait. Pourtant, 58 % des infirmières affirment ne pas avoir connaissance de produits spécifiquement conçus pour prévenir ces problèmes de retrait. ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 27 Spécial RSTI ●●● Des efforts louables mais insuffisants Le Dr Blanchet-Bardon, dermatologue à l’hôpital Saint-Louis, rappelle combien la qualité des soins infirmiers et des pansements sont la pierre d’angle du pronostic et de la qualité de vie de certains patients : « Les soins infirmiers pour les patients atteints d’épidermolyse bulleuse peuvent demander 1 h 30 à 2 heures par jour. D’où la nécessité d’utiliser des pansements non adhérents et anti-douleur. Ils doivent permettre une vie sociale et professionnelle convenable ». La tolérance d’un pansement est ici jugée sur la douleur ressentie pendant le port du pansement (sensation de brûlure par exemple), lors du changement de pansement (adhérence à la plaie, saignement...) et sur les effets secondaires observés sur la peau périphérique (essentiellement allergie à l’adhésif, macération et irritation, ou désépidermisation de la peau périphérique). « Aujourd’hui, constate Catherine Saleun-Donval, infirmière à Kerpape (Morbihan), aucun professionnel de santé ne peut nier la douleur. Pourtant, la souffrance du patient reste une difficulté pour le soignant. L’évaluation, le suivi, la concertation et l’analyse sont souvent mal adaptés au besoin. Une formation précaire La formation reste précaire. « Nous avons certes beaucoup progressé, notamment sur la reconnaissance de la douleur, poursuit Catherine Saleun-Donval. La prescription d’antalgiques ou d’anesthésies ponctuelles se fait de manière plus systématique. Mais en ce qui concerne le rôle préventif qui incombe à l’infirmière et consiste à reconnaître et quantifier la douleur, nous devons poursuivre nos efforts. En effet, l’utilisation des différentes méthodes d’évaluation, d’une part, et la participation selon l’état psychique des patients, d’autre part, ne permettent pas toujours le succès de nos actions. Notre rôle est de rester à l’écoute des soignés et, à défaut de pouvoir supprimer la souffrance, nous devons en tenir compte sans jamais douter de la véracité de son expression. » En acceptant que la douleur appartienne à la personne qui l’exprime, les professionnels pourront mieux la prévenir, l’analyser, l’évaluer, la modifier et la traiter. S.H. D’après les propos tenus lors de la conférence organisée en collaboration avec Mölnlycke. 28 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 Les antiseptiques sur les plaies chroniques : une controverse ! L’utilisation des antiseptiques dans l’antisepsie du champ opératoire et dans le nettoyage chirurgical des plaies aiguës n’est pas remise en question. En revanche, l’utilisation des antiseptiques dans le traitement des plaies chroniques fait l’objet d’une controverse. Les éléments de la controverse sont les suivants : – in vitro, les différents antiseptiques sont actifs contre les bactéries, les champignons et/ou les virus. Ces propriétés sont également démontrées in vivo. En revanche, aucune étude n’a démontré cette activité in vivo sur la peau lésée ; – in vitro, l’activité de nombreux antiseptiques comme la chlorhexidine et la polyvidone iodée est diminuée en présence de substances interférentes. Ces substances sont celles présentes dans les exsudats ; – in vitro, les antiseptiques sont cytotoxiques vis-à-vis des fibroblastes et des kératynocytes en culture. Ces cellules sont pourtant indispensables à la cicatrisation ; – toute plaie chronique ouverte est colonisée par des germes. Il est illusoire de vouloir les éliminer car ils sont alors remplacés par d’autres germes ; – lorsqu’une plaie est infectée, une antibiothérapie est nécessaire. Les antiseptiques n’ont donc plus leur place à ce stade ; – le libellé des propriétés de chaque antiseptique précise l’activité temporaire du produit. En pratique, il n’est donc pas concevable d’envisager une antisepsie de la plaie toutes les deux heures et jusqu’à cicatrisation complète, seule attitude par laquelle l’antisepsie serait raisonnable ; – il existe des résistances croisées entre certains antiseptiques et certains antibiotiques. Le recours aux antiseptiques dans les plaies chroniques pourrait conduire à sélectionner certaines bactéries résistantes à une antibiothérapie ultérieure ; – quasiment tous les antiseptiques ont été incriminés dans des dermites de contact. Comme tous les médicaments, les antiseptiques ont des effets secondaires ; – la plaie cicatrisant, les germes disparaissent. Le traitement de la colonisation microbiologique des plaies est donc le traitement des plaies, non des germes. Historiquement néanmoins, la diminution du nombre de décès dans les services de brûlés coïncide avec l’arrivée de l’antisepsie et la prise de conscience des professionnels de santé sur les infections manuportées. Mais il est difficile de faire la part de l’apport des règles d’hygiène ou de celui des produits antiseptiques. En revanche, il apparaît clairement que l’antisepsie des mains, donc de la peau saine, est, elle, indispensable ! Douleur postopératoire : un exemple de pratique en CHU L’hôpital Tenon dispose en outre d’un Comité de lutte contre la douleur qui, depuis sa création en mars 1999, a déjà mené diverses actions. Il a notamment réalisé des enquêtes dans les services chirurgicaux afin de cibler les éventuels dysfonctionnements dans la prise en charge de la douleur ou afin d’étudier l’évolution de la consommation de morphine injectable en collaboration avec la Commission d’évaluation du médicament. Il a également élaboré et validé différents protocoles avec les services concernés. Enfin, il a organisé, avec l’appui du service de formation de l’établissement, des séances de formation pour les équipes paramédicales. A l’hôpital Tenon (AP-HP), dont la capacité d’accueil est d’environ 820 lits, l’activité de la prise en charge de la douleur dépend principalement du département d’anesthésie-réanimation (DAR). Une pédagogie au quotidien organisation de la prise en charge de la douleur peut ici se scinder en trois grands L’ pôles : les consultations externes en douleur chronique, la prise en charge des douleurs postopératoires, les consultations pour les patients hospitalisés. Les premières, effectuées par trois médecins anesthésistes, dont le chef de service du DAR et la responsable de l’Unité douleur, comportent un outil supplémentaire dans la prise en charge classique des patients présentant des douleurs chroniques : l’approche par hypnose. Pour la prise en charge des douleurs postopératoires, les anesthésistes utilisent des techniques d’analgésie spécifiques. Parallèlement, un “référent douleur” par secteur d’activité est nommé. « C’est un relais indispensable pour les équipes soignantes lors des changements de prescription, mais aussi pour l’infirmière référent douleur, pour les formations et pour la mise en place de protocoles », précise Marie Aubry, elle-même infirmière référent douleur dans le service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital parisien. Enfin, en ce qui concerne les consultations des patients hospitalisés, les membres de l’Unité douleur (le médecin responsable et l’infirmière référent douleur) se déplacent sur appel des services auprès des patients présentant des douleurs rebelles ou mal contrôlées. « L’Unité douleur ne peut prendre en charge directement l’ensemble des patients douloureux de l’établissement, explique Marie Aubry. C’est pourquoi elle joue un rôle d’expert ou de conseiller des équipes médicales et paramédicales dans les différents services où elle est appelée. Elle assure un suivi des patients en collaboration avec les équipes jusqu’au soulagement des symptômes ». Autre sujet de satisfaction : pour cette fonction transversale, l’infirmière référent douleur est un poste budgété, ce qui lui permet d’avoir une liberté d’action au sein des services. Son activité peut se répartir en trois fonctions. La fonction des soins s’exerce directement à la demande des services. Elle consiste à identifier les patients posant des problèmes de douleur non résolus puis, après avis des médecins référents, d’appliquer les techniques antalgiques et d’assurer leur suivi en collaboration avec les équipes. La gestion du parc des pompes d’analgésie autocontrôlée est assurée par l’infirmière en liaison avec ses consœurs des différentes salles d’unité postinterventionnelle. L’organisation des soins et l’évaluation des besoins (enquêtes auprès de patients et des soignants) sont une fonction qui consiste à rencontrer les équipes soignantes, à cibler les dysfonctionnements et à mettre en place des mesures correctives sur des activités de fond qui permettent au service d’améliorer la prise en charge des patients, mais aussi de s’inscrire dans une démarche qualité par l’élaboration de protocoles de soins et la création d’outils d’évaluation dans le dossier de soins. La mise en place d’actions pédagogiques théoriques et pratiques constitue la troisième fonction de l’infirmière référent douleur. « Il s’agit d’une fonction essentielle pour sensibiliser et apporter de meilleures connaissances sur les mécanismes de la douleur, son évaluation, les outils utilisés, ainsi que les différents traitements antalgiques et leur surveillance, souligne Marie Aubry. Des formations régulières sont ainsi dispensées sur la manipulation des pompes d’auto-analgésie et la surveillance de ces traitements spécifiques. C’est dire si la pédagogie s’exerce aussi bien au quotidien, au lit du patient, que lors de réunions formalisées à l’échelle d’une équipe, d’un service, voire de l’hôpital. » S.H. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 29