DOSSIER THÉMATIQUE Cancers du poumon Perspectives : le traitement des cancers bronchiques de 2011 à 2020 Perspectives in lung cancer treatment : 2011-2020 D. Planchard* L e traitement des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) a considérablement progressé ces 25 dernières années, et la chimiothérapie et les thérapies moléculaires ciblées ont désormais un bénéfice limité mais réel. Le début du xxie siècle a été marqué par le développement des thérapies moléculaires ciblées, qui ont modifié la prise en charge des patients. L’apport des nouvelles molécules aux traitements classiques et les progrès dans la connaissance de la biologie des CBNPC nous conduisent à une amélioration croissante des résultats thérapeutiques. Actuellement, la meilleure démonstration en est la corrélation entre le statut mutationnel du récepteur du facteur de croissance épithélial (Epidermal Growth Factor Receptor [EGFR]) et la réponse aux inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) de l’EGFR (ITK de l’EGFR) et, plus récemment, la corrélation du réarrangement ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase) et de la réponse au crizotinib (1, 2). Cela nous montre que l’identification d’une signature moléculaire de la tumeur peut guider notre choix thérapeutique actuel – et plus encore dans les années à venir. Les données biologiques vont ainsi orienter de plus en plus nos choix thérapeutiques en identifiant les cibles les plus pertinentes pour chaque tumeur. L’objectif des 10 prochaines années est donc la thérapie à la carte pour chaque patient porteur d’un CBNPC. Le cancer bronchique : d’une pathologie d’organe vers une pathologie biologique * Département d’oncologie médicale, Institut Gustave-Roussy, Villejuif. Pendant de nombreuses années, la cancérogenèse était caractérisée comme le développement d’une 400 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 tumeur au sein d’un organe normal. Par la suite, les cancers bronchiques à petites cellules (CBPC) ont été séparés des CBNPC, avec divers types histologiques : les carcinomes épidermoïdes, les adénocarcinomes et les carcinomes à grandes cellules. Ces dernières années, de nombreux sous-types tumoraux ont été individualisés, notamment au sein des adénocarcinomes (bronchiolo-alvéolaire, acinaire, papillaire, etc.). Ces différents sous-types correspondent à des signatures moléculaires différentes, témoins d’activation de voies de signalisation intracellulaires propres à chaque type (EGFR, HER2, FGFR, KRAS, BRAF, PI3K/ AKT, etc.). Cette individualisation moléculaire est récente et fait suite à celle de populations bénéficiant des ITK de l’EGFR, la première étant celle des sujets non fumeurs présentant un profil oncogénique particulier (3). La vision du cancer apparaît donc comme celle d’une maladie du génome (4, 5). Des aberrations génomiques complexes visant de multiples gènes, secondaires à des mutations, des anomalies du nombre de copies ou des modifications épigénétiques aboutissent dans la plupart des tumeurs à des modifications des voies de signalisation qui déterminent le comportement de la cellule cancéreuse et du devenir des patients. Les technologies modernes de génomique et d’épigénomique modifient considérablement notre compréhension des cancers, leur caractérisation et l’approche des traitements adaptés à la biologie. L’analyse génétique permet ainsi l’identification de facteurs prédictifs du bénéfice thérapeutique pour l’obtention d’une réponse thérapeutique optimale et d’une moindre toxicité. Cette approche à la carte nous entraîne de plus en plus vers la possibilité d’individualiser le traitement selon le profil moléculaire des patients (4). Plusieurs tests moléculaires génomiques validés, réalisés à partir du Résumé Il existe dans le CBNPC une meilleure compréhension de la biologie moléculaire permettant un ciblage thérapeutique intelligent des patients en fonction des altérations moléculaires. Les principales altérations moléculaires connues à ce jour dans le CBNPC sont les mutations d’EGFR et de KRAS, les translocations EML4-ALK, les amplifications de MET, HER2 et FGFR1 auxquelles correspondent des thérapies ciblées potentielles. De nombreuses anomalies moléculaires supplémentaires sont régulièrement mises au jour avec de nombreuses nouvelles molécules en cours d’essais thérapeutiques. Le tissu tumoral reste à ce jour la clé de l’analyse moléculaire et du ciblage thérapeutique avec le développement d’analyses sur de la cytologie et des cellules tumorales circulantes. tissu tumoral, font maintenant partie de la prise de décision thérapeutique pour de nombreux cancers, dont celui du poumon (2, 6). Cependant, le champ des nouvelles thérapies à la carte comporte beaucoup de défis, avec un niveau d’échec thérapeutique qui reste important, des difficultés d’identification des cibles, de validation de biomarqueurs, et des mécanismes de résistances inconnus. L’achèvement du séquençage du génome humain, associé aux développements technologiques majeurs, a ouvert la voie à une analyse complète des déterminants génétiques des cancers bronchiques. Dans le cadre de la cancérologie, les questions à résoudre sont complexes, car il faut prendre en compte non seulement les variations génétiques propres à chaque individu, mais aussi les altérations acquises du génome tumoral ainsi que la génomique fonctionnelle ; celle-ci vise en effet à déterminer la fonction et l’expression des gènes en caractérisant le transcriptome et le protéome, donnant accès à des notions de perturbation des réseaux génétiques, indispensables à la compréhension des conséquences fonctionnelles des anomalies chromosomiques (5). Les techniques modernes passent par l’étude de l’expression haut débit du génome, transcriptome, protéome… qui nécessite l’utilisation de l’informatique et de la bio-informatique pour accélérer la phase d’analyse complexe de multiples données. De plus, il va être facile d’obtenir la séquence complète d’un génome humain, et ce à des coûts abordables. Le défi à venir est donc d’inté- Inconnu (33 %) grer le développement des technologies “omiques” (génomique, protéomique, métabolique, etc.) haut débit qui étudient les tumeurs au niveau de l’ADN, de l’ARN, de la protéine et du métabolite. La découverte de la coordination de ces événements constituera un moment crucial dans le processus du développement des thérapies ciblées, qui vise à trouver le “talon d’Achille” de la dépendance oncogénique de chacune des tumeurs et ainsi à pouvoir induire une “mortalité synthétique”. Évolution vers de nouvelles cibles et classification du CBNPC L’identification d’une voie d’addiction oncogénique au niveau tumoral permet ainsi de reclasser les CBNPC non plus en fonction d’une classification histologique mais en fonction d’une classification moléculaire. Cela a pour implication de proposer une thérapie adaptée à une anomalie moléculaire, en fonction du profil mutationnel de la tumeur (différentes validations sont en cours). Si l’on considère les principales altérations moléculaires connues dans le CBNPC (mutations d’EGFR [10 %], translocation EML4-ALK [4 %], amplification de Met [3 %], amplification de HER2 [1 à 2 %], amplification de FGFR [3 %], mutations de KRAS [20 à 30 %]) auxquelles correspondent des thérapies ciblées potentielles, l’on s’aperçoit qu’il est actuellement possible de Mutation de PI3K c Mutation de HER2 d Summary There is a better understanding of biology disease in NSCLC allowing personalized therapy. This offer the potential of identifying patients with those tumour types considered most likely to benefit from “molecularly targeted therapies”. The most frequent molecular alterations in NSCLC are the EGFR, and KRAS mutations, the EML4-ALK translocation, the MET, HER2, and FGFR1 amplifications with potential targeted therapies. Numerous additional abnormalities are regularly updated with new drugs tested in clinical trials. The tumoral tissue remains the key of molecular analysis. Keywords Non-small-cell lung cancer Target therapy EGFR ALK ERCC1 Sensible aux inhibiteurs EGFR. Résistant aux inhibiteurs EGFR. c Sensible aux inhibiteurs de PI3K. d Sensible aux inhibiteurs d’HER2. e Sensible aux inhibiteurs d’ALK. b Fusion de ALK e Mutation de LKB1 Mutations de l’EGFR a Cancer bronchique non à petites cellules Thérapies ciblées EGFR ALK ERCC1 a Amplification de Met b Mutations de KRAS b Mots-clés ALK : Anaplasic Lymphoma Kinase ; EGFR : Epidermal Growth Factor Receptor ; HER2 : Human Epidermal growth factor Receptor-2 ; PI3K : phosphoinositide 3-kinase. Figure 1. Anomalies moléculaires clés dans le CBNPC, pouvant influencer la prescription de thérapies ciblées (4). La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 | 401 DOSSIER THÉMATIQUE Cancers du poumon Perspectives : le traitement des cancers bronchiques de 2011 à 2020 cibler environ 30 % des CBNPC (figure 1, p. 401) [4]. ­L’objectif des 10 prochaines années est donc clairement la découverte et la validation d’autres anomalies ou cibles thérapeutiques dans l’espoir de parvenir à laisser l’ensemble des CBNPC. Le CBNPC ne sera alors plus une pathologie d’organe mais une pathologie relevant d’anomalies biologiques et il s’agira alors d’un ensemble de maladies rares. Aujourd’hui, avec les progrès de la biologie et de la biochimie, il est relativement facile de créer des molécules visant une anomalie moléculaire déterminée. Ce qui, en revanche, constitue une gageure est l’identification des cibles moléculaires responsables des addictions oncogéniques. Le véritable défi réside donc dans nos capacités actuelles et futures à disposer des outils biologiques nécessaires à l’identification de ces cibles. Étudier le nombre de copies de l’ADN Les aberrations du nombre de copies de l’ADN induisent une modification de la quantité et, ainsi, une modification de l’organisation du matériel génomique, ce qui peut conduire à une augmentation ou à une diminution de l’activité transcriptionnelle de gènes clés ou de l’ARN régulateur. Ces aberrations du nombre de copies d’ADN peuvent être à l’origine de la modification d’un seul gène ou affecter une région chromosomique plus importante comportant plusieurs gènes. Ces aberrations du nombre de copies de l’ADN sont soit héréditaires, soit causées par des anomalies somatiques telles que les délétions, duplications, inversions ou translocations. De nombreux gains (1q31, 3q25-27, 5p13-14, 8q23-24, etc.) ou pertes de chromosomes ou de fragments de chromosomes (3p21, 8p22, 9p21-22, 13q22, 17p12-13, etc.) sont retrouvés dans les CBNPC (5). Les technologies à haut débit incluent différentes techniques – comme l’hybridation génomique comparative, le caryotype numérique, les microarrays d’oligonucléotides (Representational Oligonucleotide MicroArray [ROMA]), les microarrays de polymorphismes nucléotidiques simples, les sondes moléculaires d’inversion ou le séquençage de nouvelle génération – qui sont maintenant capables de détecter rapidement et efficacement des modifications du nombre de copies à travers un génome tumoral entier. Jusqu’à récemment, les réarrangements chromo­ somiques, comme les translocations, ne faisaient pas partie du tableau des anomalies chromosomiques des CBNPC. Or, il est clair aujourd’hui qu’une translocation comme ALK-EML4 (étude par hybridation 402 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 in situ en fluorescence ou fluorescence in situ hybridization [FISH]) est une voie oncogénique importante dans certains CBNPC (4 %) avec un ciblage moléculaire possible (2). Étudier la présence de mutations de l’ADN La présence de mutations au niveau de certains gènes représente actuellement le critère le plus prédictif à la fois du risque de développer certains cancers et de réponse à certaines thérapies ciblées (1, 6). Cette analyse est relativement simple par séquençage du gène cible permettant de déterminer la présence ou l’absence de la mutation d’un gène. Cette étude génomique paraît d’interprétation plus aisée que celle du transcriptome ou du protéome (7). L’enjeu des années futures va donc être de déterminer si l’évaluation de diverses mutations est le reflet ou non d’une meilleure compréhension de la biologie cellulaire et si elle constitue un meilleur facteur prédictif pour l’adaptation thérapeutique que l’analyse de la génomique fonctionnelle (6). Cela est probablement vrai lorsque la mutation isolée concerne un oncogène majeur de l’oncogenèse dont l’expression de la protéine “anormale” constitue un “driver” du processus tumoral. L’exemple par excellence est celui que fournissent les mutations du gène de l’EGFR, dont l’inhibition seule par les ITK de l’EGFR suffit à bloquer efficacement l’oncogenèse tumorale (1). Le deuxième exemple est celui du gène ALK et de l’inhibition de la protéine de fusion ALK-EML4 par le crizotinib (2). Cela est sans doute aussi le cas pour d’autres anomalies génomiques, le bénéfice de leur inhibition restant par ailleurs à valider (mutations de KRAS, HER2, PI3K, etc.). À l’inverse, d’autres mutations vont ne participer qu’à la prolifération, à la croissance, à l’invasion, à l’angiogenèse… tumorales, sans être de véritables “drivers” de l’oncogenèse. Dans ce cas, l’analyse génomique devra être plus complexe (séquençage à haut débit) et devra s’intéresser à l’étude de plusieurs milliers de gènes pour en dégager des profils (8). Étudier le profil épigénétique Les modifications épigénétiques liées à des anomalies de la méthylation sont des événements fréquents dans les CBNPC (9). L’inactivation génique par méthylation dans des régions promotrices est fréquente dans les CBNPC (par exemple l’inactivation par méthylation des gènes CDKN2A, MGMT, DOSSIER THÉMATIQUE Cancers du poumon Perspectives : le traitement des cancers bronchiques de 2011 à 2020 DAPK, TIMP-3, APC, RASSF1A, etc.). Il est alors possible de cibler cette méthylation par des thérapies. À l’inverse, la déméthylation de régions promotrices de gènes normalement inhibés au cours du développement serait la cause de la réexpression de gènes embryonnaires, comme MAGE dans les CBNPC. Un certain nombre de techniques pour l’évaluation de l’état de méthylation des gènes du génome (méthylome) sont en cours de développement. Comme cela est le cas pour d’autres technologies, les approches de séquençage de dernière génération devraient supplanter les technologies actuelles. Restent des défis : la validation des observations et le développement d’approches biologiques pour déterminer la pertinence fonctionnelle des modifications du statut de méthylation de certains gènes. Étudier le profil d’expression des gènes La capacité à mesurer des milliers de transcrits d’ARNm dans une simple analyse a abouti à une augmentation rapide de notre compréhension de la pathophysiologie tumorale, qui nous a permis de nous orienter vers une classification moléculaire des tumeurs et l’établissement de profils transcriptionnels pronostiques et prédictifs (10). L’évaluation de profils transcriptionnels fournit la possibilité d’isoler des groupes pronostiques différents parmi les patients opérés d’un CBNPC et de déterminer le risque de récidive et l’intérêt d’un traitement adjuvant (11). De la même manière, il est a priori possible de déterminer des profils prédictifs de réponse aux molécules de chimiothérapie et thérapies ciblées (12, 13). Il est aussi possible de classer les tumeurs en fonction du profil transcriptomique (14). Un certain nombre de tests génomiques sont en cours d’évaluation aux différents stades de la maladie, notamment pour évaluer la capacité de prédiction du bénéfice des thérapies ciblées en fonction de l’activation des voies de signalisation. Par ailleurs, l’étude de l’expression des microARN (fragments d’ARN non codants [miARN]) paraît de plus en plus importante. Les miARN interviennent dans la régulation des gènes et leur implication dans le cancer sont actuellement – et depuis quelques années – l’objet d’une importante activité de recherche (15). Il est vraisemblable que des stratégies thérapeutiques ciblées (via des oligonucléotides interagissant avec leurs messagers cibles) sur un ou quelques miARN puissent voir le jour dans les prochaines années. 404 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 Étudier l’expression protéique Les techniques traditionnelles d’étude des protéines, comme le Western-Blot ou l’Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay (ELISA), ne permettent d’étudier l’expression et la phosphorylation que d’un nombre limité de protéines et ne donnent pas la possibilité de dresser une cartographie complète des différentes voies de transduction du signal intracellulaire. Des systèmes d’arrays haut débit (Reverse Phase Proteins Arrays [RPPA], etc.) permettent d’étudier un plus grand nombre de protéines candidates avec peu de matériel protéique nécessaire (10). Compte tenu du fait que la plupart des marqueurs moléculaires et des cibles thérapeutiques sont des protéines, la détermination du profil protéique apparaît potentiellement comme l’une des meilleures évaluations de la fonctionnalité et de la pharmacologie cellulaire, notamment comparativement au profil transcriptionnel. Les systèmes d’évaluation à haut débit peuvent mesurer simultanément l’activation, la prolifération, l’apoptose, ou n’importe quel autre processus cellulaire pour lequel des anticorps spécifiques existent. La validité clinique et les avantages potentiels de tels systèmes sont en cours de validation, et leurs résultats sont prometteurs. La clé du progrès : le matériel tumoral (modèles cellulaires, biopsies tumorales) Il est important de pouvoir travailler à partir d’échantillons tumoraux de patients. Cependant, les modèles utilisant des lignées cellulaires sont un outil précieux pour nous aider à avancer dans l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. Le succès des thérapies antitumorales est dépendant de la compréhension minutieuse des interactions à un niveau moléculaire (sensibilité/résistance). En dehors de la compréhension mécanistique, l’autre approche sur le plan cellulaire est représentée par le screening de molécules au travers de lignées cellulaires, représentatives de différents types d’aberrations génomiques et protéiques (11). Il est possible d’imaginer que, dans les années à venir, nous disposerons d’un système d’analyse des différentes molécules sur lequel il suffira de déposer des cellules tumorales issues de la tumeur primitive du patient afin d’en déterminer la sensibilité tumorale in vitro. Au-delà des modèles cellulaires, il nous faut savoir explorer les données cliniques et biologiques des DOSSIER THÉMATIQUE patients bénéficiant de nouvelles thérapies dans le cadre d’essais cliniques. Un certain nombre de patients (généralement faible mais indéniable) inclus dans les essais précoces (phases I/II) présentent un bénéfice clinique avec une réponse tumorale qui peut être majeure. L’analyse tumorale de ces patients doit nous aider à comprendre les mécanismes sousjacents du bénéfice thérapeutique et à identifier des biomarqueurs des thérapies. Les nouvelles technologies nous permettront sans doute de mieux caractériser ces tumeurs et de définir l’aberration moléculaire qui sous-tend leur sensibilité thérapeutique. Ainsi, des études sur un petit nombre de patients nous mènent à la démonstration, par exemple, que la présence de mutations de l’EGFR et celle d’une translocation ALK-EML4 identifient des populations de patients sensibles respectivement aux ITK de l’EGFR ou au crizotinib. Ces résultats soulignent l’importance et la nécessité primordiale qu’il y a à disposer de tissu tumoral récent pour les analyses biologiques. bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante à base de sels de platine des CBNPC opérés et, à l’inverse, un fort niveau d’expression d’ERCC1 en prédit l’absence de bénéfice. Une confirmation de l’utilité d’ERCC1 dans des études prospectives est nécessaire afin d’envisager son utilisation en routine clinique. C’est pourquoi une étude prospective française de phase II/­III est actuellement en cours pour confirmer ERCC1 comme biomarqueur prédictif du bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante à base de sel de platine (étude TASTE [TAilored post-Surgical Therapy in Early stage NSCLC], sous l’égide de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique [IFCT]) [figure 3]. D’autres études au stade métastatique sont également menées. Le deuxième biomarqueur actuellement très “médiatisé” (notamment dans Systèmes de réparation de l’ADN MMR Ciblage des voies de la réparation de l’ADN Les cellules disposent d’au moins six voies différentes de la réparation de l’ADN : réparation directe (Direct Repair [DR]), réparation par excision de nucléotides (Nucleotide Excision Repair [NER]), réparation par excision de base (Base Excision Repair [BER]), réparation des mésappariements (Mismatch Repair [MMR]), réparation homologue (Homologous Repair [HR]) et réparation par recombinaison non homologue (NonHomologous End-Joining [NHEJ]) [figure 2]. Chacun des mécanismes de la réparation est “spécialisé” dans la prise en charge d’un ou de plusieurs types de lésion de l’ADN. De manière générale, c’est la forte capacité de la cellule à réparer les dommages qui entraîne une baisse de l’instabilité génétique dans la cellule cancéreuse (facteur pronostique favorable en l’absence de traitement). À l’inverse, une altération des fonctions de réparation conduit à la mort cellulaire face aux dommages de l’ADN (facteur prédictif favorable de réponse au traitement). Les biomarqueurs moléculaires de la réparation de l’ADN semblent être l’une des voies de la sélection thérapeutique ainsi qu’une cible potentielle. L’Excision Repair Cross-Complementation group 1 (ERCC1) [voie de réparation du NER] semble actuellement être l’un des biomarqueurs les plus prometteurs pour prédire le bénéfice d’une chimiothérapie à base de sel de platine (16). En effet, l’absence ou un faible niveau d’expression de la protéine ERCC1 prédit le BER Erreurs Lésions réplication des bases ADN (mésappariements) Glycosylase A-G, T-C APE1 PARP MSH2-MSH6 MLH1-PMS2 NER HR Adduits intrabrins Adduits volumineux ERCC1 TFIIH RPA XPF XPA XPG XPC NHEJ Cassures double-brin DR Adduits d’alkyles bases d’ADN ATM DNA-PK Rad51 Ku70, Ku80 BRCA1 MRN BRCA2 XRCC4 AGT BER : Base Excision Repair ; BRCA1 : BReast CAncer 1 ; DR : Direct Repair ; ERCC1 : Excision Repair Cross-Complementation group 1 ; HR : Homologous Repair ; MMR : Mismatch Repair ou réparation des mésappariements ; NHEJ : Non-Homologous End-Joining ; NER : N­ ucleotide Excision Repair ; PARP : Poly (ADP-Ribose) Polymerase. Figure 2. Les différentes voies de réparation de l’ADN. Bras contrôle Cisplatine + pémétrexed EGFR muté R Bras expérimental Erlotinib ERCC1+ Observation ERCC1– Cisplatine + pémétrexed EGFR non muté EGFR ; Epidermal Growth Factor Receptor ; ERCC1 : Excision Repair Cross-Complementation group 1 ; R : randomisation. Figure 3. Étude de phase II (TASTE) de stratégie selon le statut EGFR et ERCC1 en adjuvant chez des patients opérés d’un CBNPC non épidermoïde de stades II et IIIA (non N2). La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 | 405 DOSSIER THÉMATIQUE Cancers du poumon Perspectives : le traitement des cancers bronchiques de 2011 à 2020 les cancers du sein triple-négatifs) est la protéine poly(ADP-ribose) polymérase 1 (PARP-1) [voie de réparation du BER]. Des études effectuées dans le cancer du sein et les cancers de l’ovaire montrent que son inhibition peut conduire à une létalité synthétique chez des patientes sélectionnées pour présenter des anomalies de la réparation des lésions double-brin par déficience en BRCA1 ou BRCA2 (voie de réparation du HR) [14]. En effet, une forte sensibilité aux inhibiteurs de PARP a été observée dans des cellules déficientes en BRCA1 ou BRCA2. Les cassures simple-brin, non réparées du fait de l’inhibition de PARP-1, se transforment en cassures double-brin au cours de la réplication. Ces cassures conduisent à un blocage au niveau de la fourche de réplication des cellules déficientes en BRCA1 et BRCA2, qui ne peuvent réparer les lésions, ce qui induit l’apoptose cellulaire par létalité synthétique. Il existe actuellement de nombreux inhibiteurs de PARP-1 (olaparib, veliparib, iniparib, PF-01367338, MK-4827, CEP-9722, en cours d’études de phase I/III) mais il n’existe pas d’inhibiteur, ni de modulateur à l’heure actuelle de ERCC1 (la régulation d’ERCC1 reste peu comprise). Deux études spécifiques dans le CBNPC à un stade avancé sont en cours avec l’iniparib. Les industriels développent actuellement d’autres inhibiteurs des protéines des voies de la réparation comme Chk1, RAD51, ATM et ATR, ce qui montre bien l’intérêt porté à cette classe thérapeutique. Dans un futur proche, le ciblage de la réparation de l’ADN va continuer à se développer et constituera probablement une voie majeure des futurs traitements antitumoraux. Exemples de ciblage et de bénéfice thérapeutiques dans le CBNPC Mutations de l’EGFR Les essais IPASS (Iressa® for Pan ASian Study) et OPTIMAL (erlotinib en première ligne thérapeutique) confirment le bénéfice de l’inhibition de l’EGFR chez les patients porteurs d’une mutation de l’EGFR (17, 18). Translocation de ALK-EML4 L’étude de phase I/II de E.L. Kwak et al. démontre le bénéfice du crizotinib en monothérapie chez 406 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 6 - juin 2011 82 patients déjà polytraités, transloqués ALK (2). Des études de phase III d’enregistrement sont en cours et devraient rendre rapidement accessible cette molécule en pratique clinique. Altération d’HER2 La présence d’une mutation d’HER2, présente dans environ 2 % des CBNPC, est accessible à un traitement par trastuzumab, avec une efficacité démontrée en association avec le paclitaxel (19). Plus récemment, R.J. Kelly et al. ont rapporté le cas d’un patient HER2 amplifié, dont l’adaptation thérapeutique par une association vinorelbine + inhibiteur HER1 et HER2 a permis de conduire à un bénéfice clinique (20). Amplification de Met Met est amplifié, muté ou surexprimé dans un grand nombre de tumeurs solides. Son activation est impliquée dans la résistance aux ITK de l’EGFR chez des patients ayant une mutation activatrice de l’EGFR. L’anticorps MetMAb apporte un bénéfice clinique en association à l’erlotinib chez les patients qui présentent une hyperexpression du récepteur en immunohistochimie (21). Dans les tumeurs non épidermoïdes, l’inhibiteur de Met (ARQ 197-209) montre un bénéfice en association à l’erlotinib. Par ailleurs, le bénéfice paraît plus important chez les patients non mutés EGFR que chez ceux mutés KRAS. Des études de phase III sont en cours. Amplification de FGFR1 Récemment, la fréquence d’une amplification à un haut niveau des récepteurs des facteurs de croissance fibroblastique (Fibroblast Growth Factor Receptor [FGFR1]) a été identifiée dans des CBNPC de type épidermoïde de sujets fumeurs. Une étude rapporte que cette amplification sensibilise de façon importante les tumeurs à un inhibiteur du FGFR1 via l’induction d’une apoptose cellulaire (22). Ainsi, l’amplification de FGFR1 représente une cible thérapeutique potentiellement importante dans le cancer du poumon de type épidermoïde. Des études en cours vont tenter de valider ce biomarqueur et cette cible thérapeutique. DOSSIER THÉMATIQUE Mutation de KRAS Environ 15 % des cancers bronchiques présentent une mutation de KRAS et des traitements comme le sorafénib (inhibiteur du VEGFR, PDFGR, c-KIT, BRAF) ou des inhibiteurs de mTOR, MEK paraissent potentiellement intéressants chez ces patients (23, 24). Une étude avec le ridaforolimus (inhibiteur de mTOR) est actuellement en cours chez les patients mutés KRAS. Avenir des essais cliniques : vers une meilleure individualisation Les essais cliniques précoces sont en pleine évolution et leur importance ne va cesser d’augmenter avec le ciblage des patients. Il sera de plus en plus difficile d’étudier de grandes cohortes de patients (phase III) présentant un profil moléculaire connu et dont une moitié devrait être randomisée dans le bras sans la nouvelle thérapie. Le développement de ces études précoces peut reposer sur différentes stratégies. ➤➤ La première est de faire reposer l’inclusion des patients sur une altération moléculaire spécifique. Les patients sont donc pré-screenés en fonction de cette altération, et seuls ceux qui la présentent sont inclus dans l’essai. L’exemple même est celui du crizotinib, chez les patients ayant une translocation ALK (2). ➤➤ La deuxième stratégie consiste à inclure des patients avec peu de ciblage moléculaire (cela permet l’inclusion d’un plus grand nombre de patients) et d’effectuer leur portrait moléculaire complet durant l’étude, dans l’objectif de cibler le traitement lors de la progression. ➤➤ La troisième stratégie est la réalisation d’un portrait moléculaire tumoral d’emblée complet (Comparative Genomic Hybridization [CGH], transcriptome, méthylome, protéome, etc.), afin de trouver une anomalie moléculaire spécifique qui guidera l’inclusion des patients. ➤➤ La dernière stratégie est la sélection des patients sur des critères cliniques prédictifs d’anomalie génomique (histologie, tabagisme, ethnie, sexe, etc.) comme dans l’étude IPASS (17). Des études de sous-groupes sont effectuées dans un deuxième temps pour valider la cible (nécessité de disposer de tissu tumoral à l’inclusion des patients). Les essais néo-adjuvants représentent également une occasion émergente pour la validation rapide de thérapies et de biomarqueurs. Il est en effet possible de bénéficier d’une biopsie tumorale initiale et d’un deuxième prélèvement tumoral lors de la chirurgie après exposition à la molécule. L’on peut ainsi étudier la réponse tumorale d’une part et effectuer une batterie de biomarqueurs d’autre part, le patient étant son propre témoin, ce qui facilite l’interprétation de l’analyse moléculaire. Le meilleur exemple est celui que nous fournit l’étude menée avec le pazopanib (inhibiteur oral de VEGFR, de PDGFR et de c-KIT) chez des patients porteurs d’un CBNPC de stade I-II, en situation néo-adjuvante (25). L’étude transcriptionnelle montre que plusieurs facteurs angiogéniques et facteurs de croissance (PDGFR-α, PDGFR-ß, VEGFR-1, VEGFR-2 et du VEGF-C) sont significativement modulés par la prise de pazopanib à court terme. Conclusion Le cancer bronchique, comme beaucoup d’autres cancers, est entré dans l’ère de la thérapie à la carte. La meilleure compréhension de la biologie moléculaire permet de mettre en place une classification selon la présence ou non d’anomalies clés de l’oncogenèse constituant de véritables voies d’addiction oncogénique. Le blocage de ces voies conduit à un bénéfice clinique potentiel majeur. Les implications thérapeutiques sont fortes et les 10 prochaines années devraient se révéler passionnantes en termes d’identification de nouvelles cibles et de thérapies. En considérant les altérations moléculaires les plus fréquentes connues à ce jour dans le CBNPC (mutations d’EGFR, de KRAS ranslocation EML4-ALK, amplification de Met, HER2, FGFR1) qui peuvent faire l’objet d’une thérapie spécifique, il est déjà possible de cibler environ 30 % des CBNPC. De nombreuses anomalies supplémentaires sont régulièrement mises à jour du fait du développement des méthodes de plus en plus performantes de l’analyse chromosomique ou de la génomique tumorale. Le ciblage des voies de la réparation est un nouveau domaine dont le bénéfice démontré avec les inhibiteurs de PARP chez certains patients confirme l’intérêt. Le tissu tumoral reste la clé de l’analyse moléculaire et du ciblage thérapeutique, aussi il conviendra d’être capable de développer des techniques permettant de réaliser l’ensemble des analyses moléculaires à partir de biopsies de petite taille, voire à partir de quelques cellules tumorales (cytologie, cellules tumorales circulantes, etc.). ■ Références bibliographiques 1. Lynch TJ, Bell DW, Sordella R et al. Activating mutations in the epidermal growth factor receptor underlying responsiveness of non-small-cell lung cancer to gefitinib. N Engl J Med 2004;350(21):2129-39. 2. Kwak EL, Bang YJ, Camidge DR et al. 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