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Depuis l’âge de 16 ans, il consomme régu-
lièrement de l’héroïne et de la codéine avec
un arrêt forcé de trois ans (séjour en prison
de 25 à 28 ans).
En juin 1999, il débute un traitement par
méthadone au dosage de 60 mg par jour.
Il arrête complètement sa consommation
d’alcool en juillet 1999 lorsqu’il découvre,
suite à un bilan biologique, que son hépa-
tite C est chronique.
M. A est en instance de divorce, et vit depuis
trois ans avec sa compagne, sans soucis
financiers. Il est le père d’une petite fille de
8 ans. Il a un passé familial difficile, où tous
les membres proches sont décédés. Sa re
est décédée en 1991 d’un cancer utérin, son
père en 1995 d’une tumeur rénale, son frère
d’un suicide par défenestration.
Quatre mois après le début d’un traitement
par méthadone, et suite à la découverte de
son hépatite chronique active C, il bénéfi-
cie en novembre 1999 d’une bithérapie par
interféron alpha et ribavirine aux doses
usuelles. Il entame au même moment une
psychothérapie avec un suivi régulier.
Il est donc, à partir de novembre 1999, suivi
par trois médecins : un hépatologue, une
psychiatre, un médecin généraliste.
Bientôt, il a une asthénie, une absence
d’appétit, un amaigrissement de 7 kg en
cinq mois, des troubles de la libido, des
pleurs fréquents, une perte d’élan vital, une
humeur triste, des idées suicidaires.
Un traitement par milnacipran (Ixel®) à 1
comprimé par jour puis 2 comprimés par
jour, pendant deux mois reste inefficace. Ni
le traitement médicamenteux, ni le suivi
médical régulier n’enrayeront l’aggravation
de ce syndrome dépressif.
Mi-avril 2000, après quatre mois de bithéra-
pie, il a une première crise d’agitation avec
une grande irritabilité et une agressivité.
Sa femme alerte alors les pompiers qui font
appel à la police, devant le caractère violent
et menaçant de M. A, qui a, par ailleurs,
une arme à plomb dans les mains.
M. A agresse physiquement un représen-
tant des forces de l’ordre (un coup de poing
au niveau de l’œil) et est hospitalisé 24 heures
à l’institut psychiatrique de la préfecture de
police. Il devra se présenter devant le
tribunal correctionnel trois semaines plus
tard.
La bithérapie n’est pas arrêtée devant l’im-
portance de ce traitement pour l’hépatite
chronique C, mais le suivi médical est
accentué avec un passage journalier au
centre méthadone hospitalier.
Huit jours plus tard, il a de nouveau une
crise d’agitation moins intense et essentiel-
lement dominée par une angoisse massive.
Il consulte aux urgences psychiatriques,
puis est hospitalisé deux jours plus tard
pour une durée de huit jours dans un sec-
teur semi-fermé pour un syndrome dépres-
sif majeur.
La bithérapie est immédiatement arrêtée.
Un traitement par Effexor®est instauré à la
dose de 250 mg par jour.
Les examens complémentaires montrent :
– un bilan hépatique légèrement perturbé à
l’entrée avec des GGT à 2,5 N ;
– un VGM à 104,7 µmol3;
– une euthyroïdie biologique ;
– une hémoglobine à 10,7 g/dl.
L’électroencéphalogramme ne montre pas
d’anomalies paroxystiques, et il n’existe
aucune anomalie décelable sur le scanner
cérébral.
Un mois après l’arrêt de la bithérapie, M. A
souffre toujours d’un syndrome dépressif
qui diminue nettement. Il reste très irritable
et très anxieux.
Il a un suivi médical très régulier avec son
médecin généraliste et son psychiatre.
Il reçoit un traitement médicamenteux : venla-
faxine (Effexor®50 mg), 5 comprimés par
jour, soit 250 mg par jour et de la méthadone,
qui a été augmentée à 80 mg par jour. La
méthadone a été augmentée devant une anxié-
té majeure qui a cédé progressivement. La
venlafaxine est maintenue à des doses élevées
pendant un mois et demi après l’hospitalisa-
tion, puis le dosage est diminué.
Le syndrome dépressif et les décompensa-
tions psychiatriques aiguës peuvent être
expliqués par quatres facteurs classés par
ordre d’importance :
Une difficulté à gérer le traitement de
substitution, les psychotropes
En juin 1999, M. A a tout d’abord essayé de
faire le deuil d’une consommation massive
de codéine. Il calmait ainsi son anxiété, et
ce comportement lui paraissait indispen-
sable pour pouvoir assumer son travail à
haute responsabilité (trésorier). Il a égale-
ment fait le deuil d’une consommation
d’alcool (deux apéritifs, et 75 cc de vin),
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Syndrome dépressif majeur avec deux
épisodes d’angoisse et d’agitation, chez un
patient sous interféron alpha-ribavirine
(hépatite chronique C) et sous
traitement de substitution aux opiacés
Michelle-Anne Touati*, Laurence Sayet**
M. A, âgé de 37 ans, a un poste de responsable de trésorerie,
dans une société d’assurance. Il consulte en juin 1999, à l’hôpi-
tal, pour une dépendance au Codoliprane®(codéine-paracétamol),
associée à des alcoolisations massives.
M. A consomme de l’héroïne en sniff à partir de 16 ans et de
l’alcool à 17 ans. Par deux fois, il utilise la voie intraveineuse et il
contracte le virus de l’hépatite C.
*Médecin généraliste et spécialiste en médeci-
ne du travail, espace Mürger, hôpital
Fernand-Widal.
**Médecin psychiatre, espace Murgër, hôpital
Fernand-Widal.
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Le Courrier des addictions (3), n° 1, mars 2001
exclusivement le soir. Il s’agissait d’une
recherche d’ivresse, de plaisir immédiat
pour pouvoir assumer sa position d’adulte.
M. A était insatisfait de l’effet trop peu
anxiolytique, trop peu euphorisant de la
méthadone.
Aussi, du fait des nausées dues au traite-
ment – ribavirine-interféron alpha – et de la
perte d’appétit liée à l’humeur dépressive,
l’ingestion de méthadone est devenue diffi-
cile. M. A avait des nausées et des vomis-
sements après la prise de méthadone. M.A
a pris alors du dextropropoxyphène
(Antalvic®), pendant la période précédant
les deux épisodes de décompensation psy-
chiatrique, seul ou associé à la méthadone.
Lors de ces deux décompensations, un
doute persiste sur une prise d’alcool. En
effet, malgré le fait qu’il dise lui-même ne
pas avoir pris d’alcool, les GGT, et le VGM
étaient élevés lors du prélèvement biolo-
gique, au début de l’hospitalisation.
Une difficulté à gérer ses émotions
M. A a, pendant dix ans, jusqu’au mois de
juin 1999, fait face à ses difficultés en utili-
sant de fortes doses de psycholeptiques
(héroïne, codéine, alcool). Ainsi, il neutralise
l’anxiété liée à sa position d’adulte lors de
son activité professionnelle, et le soir, dans sa
vie privée. En effet, sa consommation est en
rapport direct avec son rythme de travail :
“codoliprane” la journée, alcool le soir.
La psychothérapie lui a permis de verbali-
ser, mais aussi d’affronter, avec difficulté
son passé. Grâce à cette démarche, il a pu
sortir d’une position de victime, et choisir
d’être le sujet de son histoire.
M. A a pris conscience du clivage de sa per-
sonnalité, qu’il a lui-même stigmatisé dans
sa difficulté à porter un double prénom.
Il essaie d’assumer le statut de malade, et
verbalise la difficulté du deuil de la toute
puissance. Il a l’impression d’être dépassé
par ses émotions, et de ne plus rien contrô-
ler. M. A a effectivement un flot d’émo-
tions à gérer, et il a transposé son anxiété sur
l’extérieur : il a des craintes paranoïaques.
Il est dans l’état d’esprit d’une quête de
sensations fortes (une façon d’évacuer ses
émotions par le biais des consommations
de psychotropes) avec l’ambivalence de les
vouloir et d’en avoir peur.
Pendant plusieurs semaines, cette ambiva-
lence est exprimée avec une certaine
jouissance.
Il se présente comme une personne à la
physionomie et aux comportements enfan-
tins, timides. Il établit rapidement une rela-
tion filiale où le soignant ressent la néces-
sité de poser les limites.
On retrouve dans son histoire une confron-
tation avec la justice (trois ans de prison). Il
a une volonté inconsciente de se mesurer à
la justice ou d’être stoppé par la loi, pour la
deuxième fois.
Cette confrontation à la loi est la seule
sortie possible de sa position dépressive,
et correspond à une réaction de toute
puissance mégalomaniaque.
L’agression gratuite qu’il fait subir à
l’agent des forces de l’ordre reflète sa
façon de fonctionner, il bascule brutale-
ment dans un fonctionnement pervers.
L’ensemble de ses réactions correspond à
une oscillation entre un comportement
dépressif et un comportement pervers.
Le traitement interféron alpha-ribavirine
D’après l’article de l’interview du Dr Hélène
Scarpa (1), l’interféron est susceptible de
provoquer, dans certains cas, des troubles
psychiatriques plus ou moins sévères. Les
patients les plus exposés sont ceux qui ont
des antécédents psychiatriques. Ainsi, les
sujets névrotiques peuvent être exposés, à
des manifestations d’angoisse ou à des épi-
sodes dépressifs, alors que les sujets psy-
chotiques peuvent risquer des complica-
tions à type de bouffées délirantes. Selon
elle, de manière surprenante, les sujets bor-
derline, habituellement toxicomanes, sont
peu exposés au risque de complications.
Dans l’ordre chronologique, ce sont les
complications de type névrotique qui appa-
raissent les premières, au cours du premier
trimestre avec une relation dose-dépendan-
te : au cours du premier mois de traitement,
il s’agit de troubles dépressifs, et de phéno-
mènes d’angoisse et d’anxiété au cours du
deuxième mois. Les états psychotiques sur-
viennent plus tardivement, au cours du cin-
quième mois de traitement et se manifes-
tent plus souvent par des épisodes délirants
hallucinatoires ou interprétatifs arrivant de
façon brutale, et imposant une hospitalisa-
tion sans délai.
Enfin, d’autres complications sont pos-
sibles : troubles du sommeil, troubles cogni-
tifs avec troubles mnésiques très souvent mal
vécus par les patients.
Les troubles régressent à l’arrêt du traite-
ment : c’est ce que nous avons nous-même
constaté.
M. A, cinq mois après l’arrêt du traitement,
n’a plus de syndrome dépressif, et nous
envisageons de baisser, puis d’arrêter pro-
gressivement les antidépresseurs sur trois
mois. Parallèlement, le traitement par
méthadone est diminué : 60 mg par jour,
cinq mois après l’arrêt de la bithérapie.
Conclusion
La bithérapie a probablement accentué un
déséquilibre mental sur une personnalité de
type narcissique, oscillant entre une
humeur dépressive et un fonctionnement
pervers. Le syndrome dépressif et les deux
décompensations psychiatriques s’intè-
grent dans ce contexte particulier. Un
contexte où ce patient n’est pas arrivé à
faire le deuil de sa consommation, et où
l’on note l’émergence d’émotions incons-
cientes difficiles à gérer.
Épisode juridique
M. A est passé devant le tribunal correc-
tionnel le 5 mai 2000 pour l’accusation
de l’agression physique d’un officier de
police (œdème de la face). M. A avait,
malheureusement, et par ailleurs, un an
de prison avec sursis. Son médecin géné-
raliste est venu expliquer au juge, la part
de responsabilité de la bithérapie dans
son épisode agressif, ainsi que l’exis-
tence de données de la littérature sur les
décompensations psychiatriques avec ce
traitement. M. A a été condamné une
amende de 4 000 francs pour le policier
agressé.
Référence bibliographique
1. Complications psychiatriques chez
les patients traités pour une hépatite
chronique C. Interview du Dr Hélène
Scarpa, psychiatre attachée de consul-
tation dans le service d’hépato-gastro-
entérologie du Pr. Opolon (Pitié-
Salpêtrière). Réseaux hépatites n° 14,
mars 2000.
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