s i o t n a e r s v Ob v ations Obs e r Syndrome dépressif majeur avec deux épisodes d’angoisse et d’agitation, chez un patient sous interféron alpha-ribavirine (hépatite chronique C) et sous traitement de substitution aux opiacés Michelle-Anne Touati*, Laurence Sayet** i t o n a s v r e Obs M. A, âgé de 37 ans, a un poste de responsable de trésorerie, dans une société d’assurance. Il consulte en juin 1999, à l’hôpital, pour une dépendance au Codoliprane® (codéine-paracétamol), associée à des alcoolisations massives. M. A consomme de l’héroïne en sniff à partir de 16 ans et de l’alcool à 17 ans. Par deux fois, il utilise la voie intraveineuse et il contracte le virus de l’hépatite C. Depuis l’âge de 16 ans, il consomme régulièrement de l’héroïne et de la codéine avec un arrêt forcé de trois ans (séjour en prison de 25 à 28 ans). En juin 1999, il débute un traitement par méthadone au dosage de 60 mg par jour. Il arrête complètement sa consommation d’alcool en juillet 1999 lorsqu’il découvre, suite à un bilan biologique, que son hépatite C est chronique. M. A est en instance de divorce, et vit depuis trois ans avec sa compagne, sans soucis financiers. Il est le père d’une petite fille de 8 ans. Il a un passé familial difficile, où tous les membres proches sont décédés. Sa mère est décédée en 1991 d’un cancer utérin, son père en 1995 d’une tumeur rénale, son frère d’un suicide par défenestration. Quatre mois après le début d’un traitement par méthadone, et suite à la découverte de son hépatite chronique active C, il bénéficie en novembre 1999 d’une bithérapie par interféron alpha et ribavirine aux doses *Médecin généraliste et spécialiste en médecine du travail, espace Mürger, hôpital Fernand-Widal. **Médecin psychiatre, espace Murgër, hôpital Fernand-Widal. usuelles. Il entame au même moment une psychothérapie avec un suivi régulier. Il est donc, à partir de novembre 1999, suivi par trois médecins : un hépatologue, une psychiatre, un médecin généraliste. Bientôt, il a une asthénie, une absence d’appétit, un amaigrissement de 7 kg en cinq mois, des troubles de la libido, des pleurs fréquents, une perte d’élan vital, une humeur triste, des idées suicidaires. Un traitement par milnacipran (Ixel®) à 1 comprimé par jour puis 2 comprimés par jour, pendant deux mois reste inefficace. Ni le traitement médicamenteux, ni le suivi médical régulier n’enrayeront l’aggravation de ce syndrome dépressif. Mi-avril 2000, après quatre mois de bithérapie, il a une première crise d’agitation avec une grande irritabilité et une agressivité. Sa femme alerte alors les pompiers qui font appel à la police, devant le caractère violent et menaçant de M. A, qui a, par ailleurs, une arme à plomb dans les mains. M. A agresse physiquement un représentant des forces de l’ordre (un coup de poing au niveau de l’œil) et est hospitalisé 24 heures à l’institut psychiatrique de la préfecture de police. Il devra se présenter devant le tribunal correctionnel trois semaines plus tard. 29 La bithérapie n’est pas arrêtée devant l’importance de ce traitement pour l’hépatite chronique C, mais le suivi médical est accentué avec un passage journalier au centre méthadone hospitalier. Huit jours plus tard, il a de nouveau une crise d’agitation moins intense et essentiellement dominée par une angoisse massive. Il consulte aux urgences psychiatriques, puis est hospitalisé deux jours plus tard pour une durée de huit jours dans un secteur semi-fermé pour un syndrome dépressif majeur. La bithérapie est immédiatement arrêtée. Un traitement par Effexor® est instauré à la dose de 250 mg par jour. Les examens complémentaires montrent : – un bilan hépatique légèrement perturbé à l’entrée avec des GGT à 2,5 N ; – un VGM à 104,7 µmol3 ; – une euthyroïdie biologique ; – une hémoglobine à 10,7 g/dl. L’électroencéphalogramme ne montre pas d’anomalies paroxystiques, et il n’existe aucune anomalie décelable sur le scanner cérébral. Un mois après l’arrêt de la bithérapie, M. A souffre toujours d’un syndrome dépressif qui diminue nettement. Il reste très irritable et très anxieux. Il a un suivi médical très régulier avec son médecin généraliste et son psychiatre. Il reçoit un traitement médicamenteux : venlafaxine (Effexor® 50 mg), 5 comprimés par jour, soit 250 mg par jour et de la méthadone, qui a été augmentée à 80 mg par jour. La méthadone a été augmentée devant une anxiété majeure qui a cédé progressivement. La venlafaxine est maintenue à des doses élevées pendant un mois et demi après l’hospitalisation, puis le dosage est diminué. Le syndrome dépressif et les décompensations psychiatriques aiguës peuvent être expliqués par quatres facteurs classés par ordre d’importance : • Une difficulté à gérer le traitement de substitution, les psychotropes En juin 1999, M. A a tout d’abord essayé de faire le deuil d’une consommation massive de codéine. Il calmait ainsi son anxiété, et ce comportement lui paraissait indispensable pour pouvoir assumer son travail à haute responsabilité (trésorier). Il a également fait le deuil d’une consommation d’alcool (deux apéritifs, et 75 cc de vin), s i o t n a e r s v Ob v ations Obs e r exclusivement le soir. Il s’agissait d’une recherche d’ivresse, de plaisir immédiat pour pouvoir assumer sa position d’adulte. M. A était insatisfait de l’effet trop peu anxiolytique, trop peu euphorisant de la méthadone. Aussi, du fait des nausées dues au traitement – ribavirine-interféron alpha – et de la perte d’appétit liée à l’humeur dépressive, l’ingestion de méthadone est devenue difficile. M. A avait des nausées et des vomissements après la prise de méthadone. M.A a pris alors du dextropropoxyphène (Antalvic®), pendant la période précédant les deux épisodes de décompensation psychiatrique, seul ou associé à la méthadone. Lors de ces deux décompensations, un doute persiste sur une prise d’alcool. En effet, malgré le fait qu’il dise lui-même ne pas avoir pris d’alcool, les GGT, et le VGM étaient élevés lors du prélèvement biologique, au début de l’hospitalisation. Il se présente comme une personne à la physionomie et aux comportements enfantins, timides. Il établit rapidement une relation filiale où le soignant ressent la nécessité de poser les limites. On retrouve dans son histoire une confrontation avec la justice (trois ans de prison). Il a une volonté inconsciente de se mesurer à la justice ou d’être stoppé par la loi, pour la deuxième fois. Cette confrontation à la loi est la seule sortie possible de sa position dépressive, et correspond à une réaction de toute puissance mégalomaniaque. L’agression gratuite qu’il fait subir à l’agent des forces de l’ordre reflète sa façon de fonctionner, il bascule brutalement dans un fonctionnement pervers. L’ensemble de ses réactions correspond à une oscillation entre un comportement dépressif et un comportement pervers. i t o n a s v r e Obs • Une difficulté à gérer ses émotions M. A a, pendant dix ans, jusqu’au mois de juin 1999, fait face à ses difficultés en utilisant de fortes doses de psycholeptiques (héroïne, codéine, alcool). Ainsi, il neutralise l’anxiété liée à sa position d’adulte lors de son activité professionnelle, et le soir, dans sa vie privée. En effet, sa consommation est en rapport direct avec son rythme de travail : “codoliprane” la journée, alcool le soir. La psychothérapie lui a permis de verbaliser, mais aussi d’affronter, avec difficulté son passé. Grâce à cette démarche, il a pu sortir d’une position de victime, et choisir d’être le sujet de son histoire. M. A a pris conscience du clivage de sa personnalité, qu’il a lui-même stigmatisé dans sa difficulté à porter un double prénom. Il essaie d’assumer le statut de malade, et verbalise la difficulté du deuil de la toute puissance. Il a l’impression d’être dépassé par ses émotions, et de ne plus rien contrôler. M. A a effectivement un flot d’émotions à gérer, et il a transposé son anxiété sur l’extérieur : il a des craintes paranoïaques. Il est dans l’état d’esprit d’une quête de sensations fortes (une façon d’évacuer ses émotions par le biais des consommations de psychotropes) avec l’ambivalence de les vouloir et d’en avoir peur. Pendant plusieurs semaines, cette ambivalence est exprimée avec une certaine jouissance. Le Courrier des addictions (3), n° 1, mars 2001 • Le traitement interféron alpha-ribavirine D’après l’article de l’interview du Dr Hélène Scarpa (1), l’interféron est susceptible de provoquer, dans certains cas, des troubles psychiatriques plus ou moins sévères. Les patients les plus exposés sont ceux qui ont des antécédents psychiatriques. Ainsi, les sujets névrotiques peuvent être exposés, à des manifestations d’angoisse ou à des épisodes dépressifs, alors que les sujets psychotiques peuvent risquer des complications à type de bouffées délirantes. Selon elle, de manière surprenante, les sujets borderline, habituellement toxicomanes, sont peu exposés au risque de complications. Dans l’ordre chronologique, ce sont les complications de type névrotique qui apparaissent les premières, au cours du premier trimestre avec une relation dose-dépendante : au cours du premier mois de traitement, il s’agit de troubles dépressifs, et de phénomènes d’angoisse et d’anxiété au cours du deuxième mois. Les états psychotiques surviennent plus tardivement, au cours du cinquième mois de traitement et se manifestent plus souvent par des épisodes délirants hallucinatoires ou interprétatifs arrivant de façon brutale, et imposant une hospitalisation sans délai. Enfin, d’autres complications sont possibles : troubles du sommeil, troubles cognitifs avec troubles mnésiques très souvent mal vécus par les patients. Les troubles régressent à l’arrêt du traite- 30 ment : c’est ce que nous avons nous-même constaté. M. A, cinq mois après l’arrêt du traitement, n’a plus de syndrome dépressif, et nous envisageons de baisser, puis d’arrêter progressivement les antidépresseurs sur trois mois. Parallèlement, le traitement par méthadone est diminué : 60 mg par jour, cinq mois après l’arrêt de la bithérapie. Conclusion La bithérapie a probablement accentué un déséquilibre mental sur une personnalité de type narcissique, oscillant entre une humeur dépressive et un fonctionnement pervers. Le syndrome dépressif et les deux décompensations psychiatriques s’intègrent dans ce contexte particulier. Un contexte où ce patient n’est pas arrivé à faire le deuil de sa consommation, et où l’on note l’émergence d’émotions inconscientes difficiles à gérer. Épisode juridique M. A est passé devant le tribunal correctionnel le 5 mai 2000 pour l’accusation de l’agression physique d’un officier de police (œdème de la face). M. A avait, malheureusement, et par ailleurs, un an de prison avec sursis. Son médecin généraliste est venu expliquer au juge, la part de responsabilité de la bithérapie dans son épisode agressif, ainsi que l’existence de données de la littérature sur les décompensations psychiatriques avec ce traitement. M. A a été condamné une amende de 4 000 francs pour le policier agressé. Référence bibliographique 1. Complications psychiatriques chez les patients traités pour une hépatite chronique C. Interview du Dr Hélène Scarpa, psychiatre attachée de consultation dans le service d’hépato-gastroentérologie du Pr. Opolon (PitiéSalpêtrière). Réseaux hépatites n° 14, mars 2000.