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Le Courrier des addictions (3), n° 1, mars 2001
exclusivement le soir. Il s’agissait d’une
recherche d’ivresse, de plaisir immédiat
pour pouvoir assumer sa position d’adulte.
M. A était insatisfait de l’effet trop peu
anxiolytique, trop peu euphorisant de la
méthadone.
Aussi, du fait des nausées dues au traite-
ment – ribavirine-interféron alpha – et de la
perte d’appétit liée à l’humeur dépressive,
l’ingestion de méthadone est devenue diffi-
cile. M. A avait des nausées et des vomis-
sements après la prise de méthadone. M.A
a pris alors du dextropropoxyphène
(Antalvic®), pendant la période précédant
les deux épisodes de décompensation psy-
chiatrique, seul ou associé à la méthadone.
Lors de ces deux décompensations, un
doute persiste sur une prise d’alcool. En
effet, malgré le fait qu’il dise lui-même ne
pas avoir pris d’alcool, les GGT, et le VGM
étaient élevés lors du prélèvement biolo-
gique, au début de l’hospitalisation.
•Une difficulté à gérer ses émotions
M. A a, pendant dix ans, jusqu’au mois de
juin 1999, fait face à ses difficultés en utili-
sant de fortes doses de psycholeptiques
(héroïne, codéine, alcool). Ainsi, il neutralise
l’anxiété liée à sa position d’adulte lors de
son activité professionnelle, et le soir, dans sa
vie privée. En effet, sa consommation est en
rapport direct avec son rythme de travail :
“codoliprane” la journée, alcool le soir.
La psychothérapie lui a permis de verbali-
ser, mais aussi d’affronter, avec difficulté
son passé. Grâce à cette démarche, il a pu
sortir d’une position de victime, et choisir
d’être le sujet de son histoire.
M. A a pris conscience du clivage de sa per-
sonnalité, qu’il a lui-même stigmatisé dans
sa difficulté à porter un double prénom.
Il essaie d’assumer le statut de malade, et
verbalise la difficulté du deuil de la toute
puissance. Il a l’impression d’être dépassé
par ses émotions, et de ne plus rien contrô-
ler. M. A a effectivement un flot d’émo-
tions à gérer, et il a transposé son anxiété sur
l’extérieur : il a des craintes paranoïaques.
Il est dans l’état d’esprit d’une quête de
sensations fortes (une façon d’évacuer ses
émotions par le biais des consommations
de psychotropes) avec l’ambivalence de les
vouloir et d’en avoir peur.
Pendant plusieurs semaines, cette ambiva-
lence est exprimée avec une certaine
jouissance.
Il se présente comme une personne à la
physionomie et aux comportements enfan-
tins, timides. Il établit rapidement une rela-
tion filiale où le soignant ressent la néces-
sité de poser les limites.
On retrouve dans son histoire une confron-
tation avec la justice (trois ans de prison). Il
a une volonté inconsciente de se mesurer à
la justice ou d’être stoppé par la loi, pour la
deuxième fois.
Cette confrontation à la loi est la seule
sortie possible de sa position dépressive,
et correspond à une réaction de toute
puissance mégalomaniaque.
L’agression gratuite qu’il fait subir à
l’agent des forces de l’ordre reflète sa
façon de fonctionner, il bascule brutale-
ment dans un fonctionnement pervers.
L’ensemble de ses réactions correspond à
une oscillation entre un comportement
dépressif et un comportement pervers.
•Le traitement interféron alpha-ribavirine
D’après l’article de l’interview du Dr Hélène
Scarpa (1), l’interféron est susceptible de
provoquer, dans certains cas, des troubles
psychiatriques plus ou moins sévères. Les
patients les plus exposés sont ceux qui ont
des antécédents psychiatriques. Ainsi, les
sujets névrotiques peuvent être exposés, à
des manifestations d’angoisse ou à des épi-
sodes dépressifs, alors que les sujets psy-
chotiques peuvent risquer des complica-
tions à type de bouffées délirantes. Selon
elle, de manière surprenante, les sujets bor-
derline, habituellement toxicomanes, sont
peu exposés au risque de complications.
Dans l’ordre chronologique, ce sont les
complications de type névrotique qui appa-
raissent les premières, au cours du premier
trimestre avec une relation dose-dépendan-
te : au cours du premier mois de traitement,
il s’agit de troubles dépressifs, et de phéno-
mènes d’angoisse et d’anxiété au cours du
deuxième mois. Les états psychotiques sur-
viennent plus tardivement, au cours du cin-
quième mois de traitement et se manifes-
tent plus souvent par des épisodes délirants
hallucinatoires ou interprétatifs arrivant de
façon brutale, et imposant une hospitalisa-
tion sans délai.
Enfin, d’autres complications sont pos-
sibles : troubles du sommeil, troubles cogni-
tifs avec troubles mnésiques très souvent mal
vécus par les patients.
Les troubles régressent à l’arrêt du traite-
ment : c’est ce que nous avons nous-même
constaté.
M. A, cinq mois après l’arrêt du traitement,
n’a plus de syndrome dépressif, et nous
envisageons de baisser, puis d’arrêter pro-
gressivement les antidépresseurs sur trois
mois. Parallèlement, le traitement par
méthadone est diminué : 60 mg par jour,
cinq mois après l’arrêt de la bithérapie.
Conclusion
La bithérapie a probablement accentué un
déséquilibre mental sur une personnalité de
type narcissique, oscillant entre une
humeur dépressive et un fonctionnement
pervers. Le syndrome dépressif et les deux
décompensations psychiatriques s’intè-
grent dans ce contexte particulier. Un
contexte où ce patient n’est pas arrivé à
faire le deuil de sa consommation, et où
l’on note l’émergence d’émotions incons-
cientes difficiles à gérer.
Épisode juridique
M. A est passé devant le tribunal correc-
tionnel le 5 mai 2000 pour l’accusation
de l’agression physique d’un officier de
police (œdème de la face). M. A avait,
malheureusement, et par ailleurs, un an
de prison avec sursis. Son médecin géné-
raliste est venu expliquer au juge, la part
de responsabilité de la bithérapie dans
son épisode agressif, ainsi que l’exis-
tence de données de la littérature sur les
décompensations psychiatriques avec ce
traitement. M. A a été condamné une
amende de 4 000 francs pour le policier
agressé.
Référence bibliographique
1. Complications psychiatriques chez
les patients traités pour une hépatite
chronique C. Interview du Dr Hélène
Scarpa, psychiatre attachée de consul-
tation dans le service d’hépato-gastro-
entérologie du Pr. Opolon (Pitié-
Salpêtrière). Réseaux hépatites n° 14,
mars 2000.