C h i r u r g i e r e c t a l e d ’ e x é r è s e La radiothérapie aggrave-t-elle les séquelles fonctionnelles digestives après chirurgie du cancer du rectum ? ● J.F. Gravié* ■ La radiothérapie altère les tissus (muscles et nerfs) de l’appareil sphinctérien et du réservoir rectal ou du néoréservoir. ■ Plusieurs études contrôlées ont montré que la radiothérapie aggravait la fonction anorectale. L a radiothérapie, qu’elle soit délivrée en pré- ou postopératoire, est reconnue dans le contrôle local du cancer du rectum. Les séquelles fonctionnelles de cette chirurgie et la qualité de vie des patients opérés sont des facteurs plus récemment étudiés. Il y a huit ans déjà, en dépit d’un consensus en France sur la radiothérapie préopératoire, l’un des experts (1) concluait qu’il était nécessaire de réaliser une évaluation minutieuse et prospective de sa toxicité tardive sur la fonction sphinctérienne. “ Elle pourrait, écrivait-il alors, devenir un facteur limitant du traitement. ” INFLUENCE DE LA RADIOTHÉRAPIE SUR LA FONCTION ANORECTALE Paradoxalement, l’influence de la radiothérapie a été évaluée initialement chez des patients ayant subi une irradiation pelvienne pour des cancers de la prostate ou de l’utérus. Dans l’étude de J.S. Varma (2, 3), 10 patients ayant eu une irradiation pelvienne pour un cancer de la prostate, et * Clinique du Château, Toulouse ■ Dose totale, nombre de champs d’irradiation, fractionnement et volume cible incluant l’appareil sphinctérien sont les principaux facteurs influençant le résultat fonctionnel. ■ Quoique moins bien évalués, les schémas longs d’irradiation préopératoire semblent avoir le moins d’effets délétères. suivis avec deux à six ans de recul, ont eu une étude manométrique de la fonction anorectale. La radiothérapie a altéré la contraction sphinctérienne par diminution de la pression de repos du sphincter ainsi que la capacité et la compliance rectales. Les mêmes conclusions sont retrouvées dans l’étude de T. Iwamoto (4). Chez 31 patientes atteintes d’un cancer du col de l’utérus, l’exploration manométrique de la fonction anorectale au décours immédiat de la radiothérapie et à distance (délai supérieur à six mois) a mis en évidence une aggravation des effets avec le temps. Des analyses multivariées ont également mis en relief le rôle de la radiothérapie sur la fonction digestive et anorectale chez des patients opérés d’un cancer du rectum. Dans l’étude de P.B. Paty (5), chez 81 patients ayant subi une résection rectale avec anastomose coloanale ou colorectale basse, la radiothérapie a augmenté la fréquence d’émission des selles et aggravé l’exonération. Elle ne semble pas avoir influencé la continence ni modifié le caractère impérieux des selles. De même, dans une étude suédoise (6), 70 patients non irradiés ont été comparés à un groupe de 35 patients 50 irradiés en préopératoire (25 Gy) : l’augmentation de la fréquence des selles apparaît comme une variable significative dans le groupe irradié (3,0 versus 1,1, p = 0,003), alors que l’influence sur la continence des selles liquides n’est pas significative (51 % versus 31 %, p = 0,12). Une étude de la fonction anorectale à la fois clinique et manométrique (7) a été entreprise sur trois groupes de huit patients ayant été opérés d’une résection antérieure avec anastomose coloanale sur réservoir. Deux groupes de patients avaient subi une brachythérapie intraluminale préopératoire de 30 et 80 Gy. Seul le troisième groupe (80 Gy) a présenté des altérations significatives de la fréquence des selles et des scores de continence. Il existe une corrélation des résultats manométriques de la contraction sphinctérienne et du volume du réservoir avec la dose reçue. La conclusion est que de fortes doses de rayons modifient l’appareil sphinctérien et la fonction du réservoir. Il semble que ces altérations soient liées à des modifications histologiques (8) qu’induisent les rayons ; fibrose tissulaire avec dépôt de collagène, atteinte des fibres nerveuses et dégénération des plexus nerveux. EFFETS DE LA RADIOTHÉRAPIE EN FONCTION DES SCHÉMAS D’ADMINISTRATION Mettre en évidence les effets toxiques de la radiothérapie sur la fonction anorectale nécessite la comparaison de groupes homogènes, car ces effets dépendent de la source d’énergie, de la dose totale administrée, du volume cible, du champ d’irradiation et du fractionnement. Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002 D o s s i e r L’étude de la Mayo Clinic (9) est une des rares qui évaluent les effets de la radiothérapie postopératoire. Avec un recul de deux ans, elle compare un groupe de 59 patients non irradiés à un groupe de 41 patients irradiés (50-54 Gy + 5 FU). Cette étude clinique démontre l’altération de la fonction anorectale après irradiation, pour tous les facteurs étudiés: nombre de selles par jour (2 versus 7, p < 0,001), selles nocturnes (14% versus 46 %, p < 0,001), incontinence (p < 0,001), port de garniture (10 % versus 41 %, p < 0,001), selles liquides (5% versus 29%, p = 0,001), impériosité (19 % versus 78 %, p < 0,001) et dépendance aux toilettes (37 % versus 88 %, p < 0,001). Ces résultats ont été renforcés par le travail d’une équipe de Leeds (10), publiant, un an après, les effets néfastes de la radiothérapie postopératoire sur la fonction anorectale, grâce à une évaluation à la fois clinique et physiologique. Cette étude comparait, avec un recul de 12 mois, un groupe de 50 patients non irradiés et un petit groupe de neuf patients ayant subi une irradiation postopératoire. Les pressions de repos et de contraction volontaire n’étaient pas modifiées dans les deux groupes, mais il existait une différence significative de la compliance rectale (1,5 ml/cm H2O versus 3,7 ml/cm H2O, p = 0,018) et de la capacité rectale (VMT 53 ml versus 110 ml, p = 0,008). Il existait également une altération de la sensibilité rectale (diminution RRAI, p = 0,005). Ces études prouvent l’influence néfaste de la radiothérapie lorsqu’elle est administrée en postopératoire. La fréquence des diarrhées, qui constitue un des principaux effets secondaires de l’association radiochimiothérapie postopératoire (11), explique peut-être l’aggravation clinique de la continence de ces patients. Malgré tout, les modifications physiologiques constatées sur l’appareil sphinctérien et sur le rectum résiduel ou le néorectum laissent penser que les schémas d’administration en préopératoire pourraient aboutir aux mêmes conclusions. Les études publiées à ce sujet donnent des résultats plus discordants, car il faut distinguer les schémas d’irradiation courts, de Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002 t h é m a t i q u e type suédois – 25 Gy, en 5 séances de 5 Gy, suivis d’une chirurgie immédiate – des schémas d’irradiation longs – 45 Gy, 2 Gy par séance, suivis d’une chirurgie secondaire trois à cinq semaines plus tard, davantage pratiqués en France. L’étude de référence (12) est celle de M. Dahlberg (171 patients du Swedish Rectal Cancer Trial), qui a comparé avec un recul moyen de 80 mois (63-98) un groupe de 87 patients non irradiés avec un groupe de 84 patients irradiés selon le schéma court 25 Gy (5 x 5). Comme l’étude de la Mayo Clinic, cette étude clinique (questionnaire) a mis en évidence une altération significative des fonctions anorectales dans le groupe de patients irradiés et, notamment, pour la fréquence des selles par semaine (20,5 versus 10 % ; p < 0,01), l’impériosité (durée 5 versus 10min;p<0,001), la dépendance aux toilettes (25 % versus 5 % ; p < 0,001), la difficulté de vidange rectale (fréquence: 44 versus 31 ; p < 0,05), le retour à la selle précoce (57 versus 38 ; p < 0,01), l’incontinence (gaz : 57 versus 44 ; p < 0,05, liquide : 42 versus 21 ; p < 0,001, solide : 12 versus 3 ; p < 0,05), et le port de garniture (41 versus 19 ; p < 0,001). Ces effets sur la fonction anorectale sont différents de la morbidité propre de ce type de traitement. L’intérêt de multiplier les champs d’irradiation (3 à 4 champs) a certainement contribué à limiter les effets néfastes des rayons. L’essai Stokholm II a montré une morbidité équivalente entre patients irradiés et non irradiés avec, comme seule différence, les taux de cicatrisation périnéale des patients amputés (10 % versus 20 %). Afin de limiter l’effet des rayons sur la fonction anorectale, L. Pahlman (13) suggère de limiter le volume cible de ces champs et d’exclure le sphincter anal lorsque cela est possible. La dose totale d’irradiation est globalement équivalente entre schéma court 25 Gy (5x5) et schéma long 42Gy-50Gy (2x5 j/4-5 s). Peut-on s’attendre aux même résultats pour ce dernier ? Les évaluations manquent encore ici cruellement. La seule étude prospective est celle d’une équipe de SaintLouis qui a d’abord publié (14) les résul- 51 tats précoces de 20 patients évalués par manométrie mettant en évidence des effets minimes de la radiothérapie qui, selon les auteurs, ne devaient pas aggraver les résultats fonctionnels. Ces conclusions semblent être confirmées par une deuxième publication de la même équipe (15) sur les effets à long terme (évaluation préopératoire, postopératoire et entre 14 et 42 mois). Cette étude n’incluait plus que 10 patients : quatre patients 45 Gy (25 x 1,8) et six patients 45 Gy (25 x 1,8) et 60 Gy localement. Le sphincter était inclus dans le volume d’irradiation, mais seulement trois patients ont eu la dose maximale sur le sphincter. La fréquence des selles par jour était peu modifiée (1,4 en préopératoire, 1,4 en postopératoire et 2,3 à long terme), l’incontinence aux gaz, aux liquides et aux solides restait inchangée durant ces trois périodes, de même que le réflexe rectoanal inhibiteur et le test d’expulsion du ballonnet. Volume maximal tolérable et compliance rectale n’ont pas été explorés. La radiothérapie préopératoire schéma long serait donc celle qui entraîne le moins de séquelles fonctionnelles. En conclusion, on peut admettre que la radiothérapie influence les séquelles fonctionnelles dans la chirurgie du rectum. Radiothérapie postopératoire et schémas courts préopératoires semblent montrer le plus d’effets délétères. Mais l’amélioration constante des doses délivrées, les calculs des volumes cibles et, d’une manière générale, des techniques d’irradiation conduisent de jour en jour à limiter ces effets. Cependant, à l’heure où l’excision totale du mésorectum améliore le contrôle local et où la radiothérapie ne semble ajouter de bénéfice supplémentaire qu’à un nombre limité de patients, il paraît de plus en plus urgent d’en mieux évaluer les séquelles fonctionnelles et les conséquences sur la ■ qualité de vie. Mots clés. Radiothérapie – Cancer du rectum – Continence. C h i r u r g i e R É F É R E N C E S 1. Bosset JF. Critères de choix entre radiothérapie préet postopératoire, et de leur association. Chez quels patients les utiliser ? In : Conférence de consensus. Le choix des thérapeutiques du cancer du rectum. Texte des experts. Paris, décembre 1994. 2. Varma JS, Smith AN, Busuttil A. Correlation of clinical and manometric abnormalities of rectal function following chronic radiation injury. Br J Surg 1985 ; 72 : 875-8. 3. Varma JS, Smith AN, Busuttil A. Function of the anal sphincters after chronic radiation injury. Gut 1986 ; 27 : 528-33. 4. Iwamoto T, Nakahara S, Mibu R et al. Effect of radiotherapy on anorectal function in patients with cervical cancer. Dis Colon Rectum 1997 ; 40 : 693-7. 5. Paty PB, Enker WE, Cohen AM et al. Long-term functional results of coloanal anastomosis for rectal cancer. Am J Surg 1994 ; 167 (1) : 90-4. r e c t a l e d ’ e x é r è s e 6. Graf W, Ekström K, Glimelius B, Pahlman L. A pilot study of factors influencing bowel function after colorectal anastomosis. Dis Colon Rectum 1996; 39: 744-9. adjuvant chemotherapy and radiotherapy for resectable rectal cancer : an overview. Dis Colon Rectum 1999 ; 42 (3) : 403-18. 7. Kusunoki M, Shoji Y,Yanagi H et al. Anorectal function after preoperative intraluminal brachytherapy and colonic J pouch-anal anastomosis for rectal cancer. Br J Surg 1997 ; 84 (10) : 1449-51. 12. Dahlberg M, Glimelius B, Graf W, Pahlman L. Preoperative irradiation affects functional results after surgery for rectal cancer : results from a randomized study. Dis Colon Rectum 1998 ; 41 (5) : 543-9. 8. Varma JS, Smith AN. Anorectal function following 13. Pahlman L. Neoadjuvant and adjuvant radio- and coloanal sleeve anastomosis for chronic radiation injury to the rectum. Br J Surg 1986 ; 73 : 285-9. radio-chemotherapy of rectal carcinomas. Int J Colorectal Dis 2000 ; 15 (1) : 1-8. 9. Kollmorgen CF, Meagher AP, Wolff BG et al. The long-term effect of adjuvant postoperative chemoradiotherapy for rectal carcinoma on bowel function. Ann Surg 1994 ; 220 (5) : 676-82. 14. Birnbaum EH, Dreznik Z, Myerson RJ et al. Early effect of external beam radiation therapy on the anal sphincter : a study using anal manometry and transrectal ultrasound. Dis Colon Rectum 1992 ; 35 : 75761. 10. Lewis WG, Williamson ME, Kuzu A et al. Potential disadvantages of postoperative adjuvant radiotherapy after anterior resection for rectal cancer : a pilot study of sphincter function, rectal capacity and clinical outcome. Int J Colorectal Dis 1995 ; 10 (3) : 133-7. 11. Ooi BS, Tjandra JJ, Green MD. Morbidities of 15. Birnbaum EH, Myerson RJ, Fry RD et al. Chronic effects of pelvic radiation therapy on anorectal function. Dis Colon Rectum 1994 ; 37 : 909-15. ✂ À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU TRIMESTRIEL Le Courrier de colo-proctologie Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. 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