Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002
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L’étude de la Mayo Clinic (9) est une des
rares qui évaluent les effets de la radiothé-
rapie postopératoire. Avec un recul de deux
ans, elle compare un groupe de 59 patients
non irradiés à un groupe de 41 patients irra-
diés (50-54 Gy + 5 FU). Cette étude cli-
nique démontre l’altération de la fonction
anorectale après irradiation, pour tous les
facteurs étudiés: nombre de selles par jour
(2 versus 7, p < 0,001), selles nocturnes
(14% versus 46%, p < 0,001), incontinence
(p<0,001), port de garniture (10% versus
41%, p<0,001), selles liquides (5% versus
29%, p = 0,001), impériosité (19% versus
78%, p < 0,001) et dépendance aux toi-
lettes (37% versus 88%, p < 0,001).
Ces résultats ont été renforcés par le tra-
vail d’une équipe de Leeds (10), publiant,
un an après, les effets néfastes de la radio-
thérapie postopératoire sur la fonction
anorectale, grâce à une évaluation à la fois
clinique et physiologique. Cette étude
comparait, avec un recul de 12 mois, un
groupe de 50 patients non irradiés et un
petit groupe de neuf patients ayant subi une
irradiation postopératoire. Les pressions de
repos et de contraction volontaire n’étaient
pas modifiées dans les deux groupes, mais
il existait une différence significative de la
compliance rectale (1,5 ml/cm H2O versus
3,7 ml/cm H2O, p = 0,018) et de la capa-
cité rectale (VMT 53 ml versus 110 ml,
p = 0,008). Il existait également une alté-
ration de la sensibilité rectale (diminution
RRAI, p = 0,005).
Ces études prouvent l’influence néfaste de
la radiothérapie lorsqu’elle est administrée
en postopératoire. La fréquence des diar-
rhées, qui constitue un des principaux
effets secondaires de l’association radio-
chimiothérapie postopératoire (11),explique
peut-être l’aggravation clinique de la conti-
nence de ces patients. Malgré tout, les
modifications physiologiques constatées
sur l’appareil sphinctérien et sur le rectum
résiduel ou le néorectum laissent penser
que les schémas d’administration en pré-
opératoire pourraient aboutir aux mêmes
conclusions.
Les études publiées à ce sujet donnent des
résultats plus discordants, car il faut dis-
tinguer les schémas d’irradiation courts, de
type suédois – 25 Gy, en 5 séances de 5 Gy,
suivis d’une chirurgie immédiate – des
schémas d’irradiation longs – 45 Gy, 2 Gy
par séance, suivis d’une chirurgie secondaire
trois à cinq semaines plus tard, davantage
pratiqués en France.
L’étude de référence (12) est celle de
M. Dahlberg (171 patients du Swedish
Rectal Cancer Trial), qui a comparé avec un
recul moyen de 80 mois (63-98) un groupe
de 87 patients non irradiés avec un groupe
de 84 patients irradiés selon le schéma
court 25 Gy (5x5). Comme l’étude de la
Mayo Clinic, cette étude clinique (ques-
tionnaire) a mis en évidence une altération
significative des fonctions anorectales dans
le groupe de patients irradiés et, notam-
ment, pour la fréquence des selles par
semaine (20,5 versus 10 %;p < 0,01), l’im-
périosité (durée 5 versus 10min;p<0,001),
la dépendance aux toilettes (25 % versus
5%;p < 0,001), la difficulté de vidange
rectale (fréquence: 44 versus 31;p < 0,05),
le retour à la selle précoce(57 versus
38;p< 0,01), l’incontinence (gaz: 57 ver-
sus 44; p < 0,05, liquide: 42 versus
21;p<0,001, solide: 12 versus 3 ;
p<0,05), et le port de garniture (41 versus
19; p<0,001).
Ces effets sur la fonction anorectale sont
différents de la morbidité propre de ce type
de traitement. L’intérêt de multiplier les
champs d’irradiation (3 à 4 champs) a cer-
tainement contribué à limiter les effets
néfastes des rayons. L’essai Stokholm II a
montré une morbidité équivalente entre
patients irradiés et non irradiés avec,
comme seule différence, les taux de cica-
trisation périnéale des patients amputés
(10% versus 20%). Afin de limiter l’effet
des rayons sur la fonction anorectale,
L. Pahlman (13) suggère de limiter le
volume cible de ces champs et d’exclure le
sphincter anal lorsque cela est possible.
La dose totale d’irradiation est globalement
équivalente entre schéma court 25 Gy (5x5)
et schéma long 42Gy-50Gy (2x5 j/4-5 s).
Peut-on s’attendre aux même résultats pour
ce dernier? Les évaluations manquent
encore ici cruellement. La seule étude
prospective est celle d’une équipe de Saint-
Louis qui a d’abord publié (14) les résul-
tats précoces de 20 patients évalués par
manométrie mettant en évidence des effets
minimes de la radiothérapie qui, selon les
auteurs, ne devaient pas aggraver les résul-
tats fonctionnels. Ces conclusions sem-
blent être confirmées par une deuxième
publication de la même équipe (15) sur les
effets à long terme (évaluation préopéra-
toire, postopératoire et entre 14 et 42 mois).
Cette étude n’incluait plus que 10 patients:
quatre patients 45Gy (25x1,8) et six
patients 45Gy (25x1,8) et 60Gy locale-
ment. Le sphincter était inclus dans le
volume d’irradiation, mais seulement trois
patients ont eu la dose maximale sur le
sphincter. La fréquence des selles par jour
était peu modifiée (1,4 en préopératoire,
1,4 en postopératoire et 2,3 à long terme),
l’incontinence aux gaz, aux liquides et aux
solides restait inchangée durant ces trois
périodes, de même que le réflexe rectoa-
nal inhibiteur et le test d’expulsion du bal-
lonnet. Volume maximal tolérable et com-
pliance rectale n’ont pas été explorés.
La radiothérapie préopératoire schéma
long serait donc celle qui entraîne le moins
de séquelles fonctionnelles.
En conclusion, on peut admettre que la
radiothérapie influence les séquelles fonc-
tionnelles dans la chirurgie du rectum.
Radiothérapie postopératoire et schémas
courts préopératoires semblent montrer le
plus d’effets délétères. Mais l’amélioration
constante des doses délivrées, les calculs
des volumes cibles et, d’une manière géné-
rale, des techniques d’irradiation condui-
sent de jour en jour à limiter ces effets.
Cependant, à l’heure où l’excision totale
du mésorectum améliore le contrôle local
et où la radiothérapie ne semble ajouter de
bénéfice supplémentaire qu’à un nombre
limité de patients, il paraît de plus en plus
urgent d’en mieux évaluer les séquelles
fonctionnelles et les conséquences sur la
qualité de vie.
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Mots clés. Radiothérapie – Cancer du rectum –
Continence.
Dossier thématique