Soins de support en oncogériatrie Besoins spécifiques d’une prise en charge personnalisée[1] Supportive care in elderly oncology specific needs for personalised treatment ● ● F. André-David* C ette réunion thématique pluridisciplinaire, organisée en partenariat avec le Réseau Convergence Cancer (R2c) de Marseille, est au cœur d’une préoccupation actuelle de santé publique. Plusieurs experts de ce domaine (oncologues, gériatres, psychologues, etc.) ont permis aux participants de faire le point sur cet aspect particulier de l’oncologie d’aujourd’hui. DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES Quelques données épidémiologiques ont été rappelées par le Dr F. Retornaz (hôpital Sainte-Marguerite et hôpital AmbroiseParé, Marseille). Le cancer est une pathologie du sujet âgé (incidence 194/100 000 chez les moins de 65 ans et 2 085/100 000 après 65 ans) : au Canada, il se placera en 2010 au premier rang des causes de mortalité devant les pathologies cardiovasculaires. Cependant, il faut souligner que les données exactes en ce domaine manquent souvent, les patients âgés de plus de 70 ans étant généralement exclus des essais cliniques. L’espérance de vie (EV) à la naissance est en constante augmentation (77 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes actuellement). Pour les cliniciens, l’EV globale incluant l’impact des comorbidités est un paramètre important à prendre en compte. Par exemple, une femme âgée de 70 ans avec comorbidités aura en fait un temps estimé de vie de 9 ans équivalent à celui d’une femme âgée de 85 ans sans pathologies associées (1). Aujourd’hui, l’augmentation de l’EV, l’amélioration du diagnostic, des traitements oncologiques et celle de la qualité de vie, incitent à une prise en charge très personnalisée d’un sujet âgé cancéreux. Encadré Autonomie : activités de la vie quotidienne (ADL) et activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL) Nutrition : indice de masse corporelle (IMC) et évaluation par Mini MNA Humeur : recherche de symptômes dépressifs Fonction intellectuelle supérieure (test de l’horloge) Douleur : échelles visuelles analogiques et autres outils Comorbidités et comédications Enquête sociale : identifier l’aidant naturel Biologie : hémoglobine (dépistage d’une anémie), albumine et préalbumine (état nutritionnel), clairance de la créatinine (altération de la fonction rénale) Soins de support en oncologie S oins de support en oncologie Cette évaluation gériatrique orientera le choix thérapeutique spécifique de l’oncologue et permettra la mise en place des SdS. Renouvelée en cours et en fin de traitement et a minima avant chaque cure de chimiothérapie par exemple, elle permet d’anticiper les complications. Les SdS viseront notamment le traitement des effets indésirables (EI) des traitements anticancéreux, la prise en charge nutritionnelle, celle de la douleur et de la fatigue, ainsi que le soutien psychologique et le recours à l’assistance sociale. Il existe des liens étroits entre ces différents besoins. LES SDS EN ONCOGÉRIATRIE SONT AUJOURD’HUI RECONNUS (Plan cancer, recommandations de l’ASCO et de la Société internationale d’oncogériatrie) [2, 3]. LES SPÉCIFICITÉS DU CANCER CHEZ LE SUJET ÂGÉ (Dr M. Vittot, Institut Paoli-Calmettes) Elles sont à bien connaître : sensibilité accrue des tissus âgés aux carcinogènes, diagnostic souvent plus tardif (absence de dépistage, négligence des patients, etc.). De plus, le pronostic du cancer est lié à l’âge et les comorbidités ont ici une valeur pronostique très importante. L’oncogériatrie nécessite donc une prise en charge carcinologique de pointe associée à une évaluation gériatrique approfondie. L’évaluation gériatrique initiale d’un sujet âgé atteint de cancer est essentielle afin de pouvoir mettre en place une prise en charge appropriée et personnalisée avec soins de support (SdS). L’encadré ci-dessous résume les différents critères de cette évaluation initiale qui doit être systématique à partir de 70 ans. [1] Symposium organisé par MSD-Chibret le 12 avril 2007 à Marseille. * Paris. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 Ils font appel à une organisation ad hoc et à la coordination de multiples intervenants (oncologue, infirmière, psychologue du réseau de SdS, infirmière libérale, médecin généraliste, assistante sociale, etc.). Les objectifs sont de taille : traiter au mieux le cancer (protocoles thérapeutiques de recherche du sujet âgé), prévenir et traiter les EI de la maladie et des traitements et mesurer l’intérêt des SdS sur la survie et la qualité de vie. APRÈS LA CHIMIOTHÉRAPIE (CT) : QUELS EFFETS INDÉSIRABLES ET QUELLE PRISE EN CHARGE CHEZ LE SUJET ÂGÉ ? (Dr F. Rousseau, Réseau R2c de l’Institut Paoli-Calmettes) Dans la littérature, les études cliniques aboutissent souvent à une absence de différence significative en ce qui concerne 197 Soins de support en oncologie S oins de support en oncologie la tolérance entre les sujets les plus âgés et les plus jeunes. Cependant, le concept de “vulnérabilité liée à l’âge” semble être réaliste. À l’appui de ce concept, l’intensification de la toxicité de la CT peut être en rapport avec l’allongement de la demi-vie des cytotoxiques augmentant l’organisme à leur exposition ainsi qu’à d’autres modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques liées à l’âge. Jour 1 Aprépitant* Jours 2 et 3 Jour 4 125 mg 80 mg - Dexaméthasone** 12 mg p.o. 8 mg p.o. 8 mg p.o. Ondansétron*** 32 mg i.v. - - *Administré par voie orale une heure avant la chimiothérapie au jour 1 et le matin des jours 2 et 3. **Administré 30 minutes avant le début de la chimiothérapie au jour 1 et le matin des jours 2 à 4 (dose choisie en fonction des interactions médicamenteuses). *** Administré 30 minutes avant le début de la chimiothérapie au jour 1. LES TOXICITÉS DIGESTIVES Les nausées-vomissements (NV) chimio-induits sont ceux les plus éprouvants pour les patients : malgré l’arrivée des sétrons en 1995, ils restent en tête de liste des EI les plus redoutés (4, 5). Ils sont un facteur de risque supplémentaire de déshydratation, complication particulièrement grave chez le sujet âgé, l’hydratation pouvant être déjà compromise par une diminution de la sensation de soif, et donc des apports. Les facteurs de risque des NV chimio-induits sont rappelés dans le tableau I. 80 mg pour J2 et J3). Chez les sujets âgés pour lesquels une CT hautement ou moyennement émétisante est prescrite, il est donc essentiel de prévenir efficacement les NV afin de ne pas compromettre l’équilibre hydrique et nutritionnel de ces patients et d’optimiser le traitement anticancéreux. LES FACTEURS DE CROISSANCE HÉMATOPOÏÉTIQUES, G-CSF ET ÉRYTHROPOÏÉTINE Tableau I. Facteurs de risque des NV chimio-induits. Spécifiques du patient ATCD de NV CT induits Anxiété accrue Faible motivation Troubles du sommeil Âge plus jeune Sexe féminin Appréhension des EI Voisin de chambre avec NV Faible indice des performances Consommation de nourriture avant CT Faible consommation d’alcool Spécifiques de la CT Agent à potentiel émétisant élevé Associations thérapeutiques Hautes doses de CT Vitesse de perfusion plus rapide ATCD : antécédents ; CT : chimiothérapie ; NV : nausées-vomissements ; EI : effets indésirables. Parmi les différentes classes d’antiémétiques (antidopaminergiques, corticoïdes et antagonistes des récepteurs 5-HT3), l’aprépitant est un antagoniste sélectif de haute affinité pour les récepteurs NK1 de la substance P. Cet antiémétique puissant d’action centrale a une efficacité supérieure à celle d’un protocole classique à base de corticoïdes et de sétrons (aprépitant + protocole classique > protocole classique) [6, 7]. Les recommandations 2006 de l’ASCO l’ont positionné comme étant un nouveau standard de prévention des NV aigus et retardés des CT hautement et moyennement émétisantes telles que les protocoles à base de cisplatine ou l’association doxorubicine + cyclophosphamide (AC) [3]. Le protocole recommandé est décrit dans le tableau II (3). L’aprépitant est adapté aux patients suivis en ambulatoire : il est disponible en ville sous la forme d’un conditionnement adapté aux 3 jours de traitement (1 gélule à 125 mg pour J1 et 2 de 198 Tableau II. Protocole recommandé dans les CT hautement et moyennement émétisantes. Ils sont particulièrement recommandés en prophylaxie chez les sujets cancéreux âgés recevant une CT hématotoxique (8, 9). En effet, plusieurs études ont montré que l’âge > 60 ans et l’existence de comorbidités augmentent le risque de complications infectieuses graves (sepsis sévères de grades 3-4) et celui de décès (10, 11). En ce qui concerne l’anémie, dont l’incidence et la prévalence augmentent avec l’âge, elle est présente en dehors de tout traitement chez environ 30 % des patients atteints de cancer (taux d’hémoglobine < 10 g/l) [12]. Chez le sujet âgé, l’anémie est une source majeure d’asthénie et donc de dépendance fonctionnelle altérant la qualité de vie. De plus, elle détériore, entre autres, l’appétit, l’état cardiovasculaire et les fonctions cognitives. C’est pourquoi il est essentiel de la dépister et de la traiter avant tout traitement hématotoxique. L’administration d’érythropoïétine recombinante (EpoR) est ici un traitement de choix pour maintenir de façon durable un taux d’Hb de 12-13 g/l, dès lors que seront exclus des carences en vitamine B12, folates fer et un saignement chronique. Les transfusions ne seront réservées qu’aux non-répondeurs à l’EpoR (9). LES AUTRES TOXICITÉS DES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX Les diarrhées, notamment, qui peuvent être sources de complications graves chez le sujet âgé cancéreux (risque de déshydratation), mais aussi les mucites (douleurs et troubles nutritionnels), les toxicités cutanées telles que le syndrome “mains-pieds” (douleur). Enfin, une vigilance particulière est nécessaire quant à l’utilisation des agents potentiellement néphrotoxiques, la fonction rénale du sujet âgé étant souvent déjà altérée. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 LES SOINS PALLIATIFS ET LA FIN DE VIE DU SUJET ÂGÉ CANCÉREUX (Drs G. Capodano, Institut Paoli-Calmettes et S. Dubois et C. Jurdant, psychologue, RèSP 13) Dans ce domaine, la mise en place des nouveaux réseaux de soins palliatifs (SP) tels que le RèSP 13 offre une prise en charge organisée et évolutive permettant de réduire la souffrance des malades en fin de vie, le patient restant “au centre” des préoccupations de cette organisation opérationnelle et humaine de soins. Au nombre de 93 sur 53 départements et 23 régions, ces structures permettent, grâce à une articulation “Ville-Hôpital”, le maintien à domicile du patient cancéreux âgé en fin de vie. Le choix privilégié du patient concernant le lieu de fin de vie (domicile) est ainsi respecté grâce à une meilleure orientation et un accès à des soins de qualité. Les personnes et les ressources sanitaires et sociales qui entourent le patient sur un territoire donné sont ainsi mobilisées, coordonnées et organisées autour de rencontres entre tous les acteurs de santé et d’un réseau de proximité. De plus, les différents acteurs de soins et les bénévoles ont accès à un programme de formation multidisciplinaire ainsi qu’à une structure de soutien. CONCLUSION L’oncogériatrie est un domaine à la croisée de problématiques spécifiques à la fois de la pathologie cancéreuse et du terrain vulnérable du sujet âgé : la prise en compte vigilante de cette problématique spécifique, bien que difficile, est possible grâce à la prise en compte de nombreux facteurs intriqués (évaluation gériatrique initiale indispensable), mais aussi avec l’aide ses SdS et des structures des réseaux de proximité. Le respect du patient âgé cancéreux doit rester la priorité de la mise en place des soins en cours de traitement, et encore plus en fin de vie. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Walter LC, Covinsky KE. Cancer screening in elderly patients: a framework for individualized decision making. JAMA 2001;285(21):2750-6. 2. Plan Cancer 2003-2007 (www.plan-cancer.fr). 3. Kris M, Hesketh PJ, Somerfield MR et al. American Society of Clinical Oncology. Guidelines for Antiemetics in Oncology: update 2006. J Clin Oncol 2006;24:2932-47. 4. De Boer-Dennert M, de Wit R, Schmitz PL et al. Patient perceptions of the side-effects of chemotherapy: the influence of 5HT3 antagonists. Br J Cancer 1997;76(8):1055-61. 5. Coates A, Abraham S, Kaye SB et al. On the receiving end-patient perceptions of the side effects of cancer chemotherapy. Eur J Cancer Clin Oncol 1985;19(2):203-8. 6. Hesketh PJ, Van Belle S, Aapro M et al. Different involvement of neurotransmitters through the time course of cisplatin-induced emesis as revealed by therapy with specific receptor antagonists. Eur J Cancer 2003;39:1074-80. 7. Schmoll HJ, Aapro MS, Poli-Bigelli S et al. Comparison of an aprepitant regimen with a multiple-day ondansetron regimen, both with dexamethasone, for antiemetic efficacy in high-dose cisplatin treatment. Ann Oncol 2006;17:1000-6. 8. Smith TJ, Khatcheressian J, Lyman GH et al. Update of recommendations on Soins de support en oncologie S oins de support en oncologie white blood cell growth factors: an evidence-based clinical practice guideline. J Clin Oncol 2006; 24:3187-205. 9. Reppetto L, Moeremans R, Annemans L for the European Organisation for Research and Treatment of Cancer. European guidelines for the treatment of chemotherapy-induced anaemia and health economic aspect of treatment. Cancer Treat Rev 2006;32:S5-9. 10. Engert A, Ballova V, Haverkampet H et al. Hodgkin lymphoma in elderly patients: a comprehensive retrospective anlaysis from the Germans Hodgkin’s Study Group. J Clin Oncol 2005;23:5052-60. 11. Kuderer NM, Dale DC, Crawford J et al. Mortality, morbidity, and cost associated with febrile neutropenia in adult cancer patients. Cancer 2006;106:2258-66. 12. Gascon P, Barrett-Lee J, for the ECAS investigators. Prevalence of anaemia in cancer patients not receiving Anticancer Treatment (ANT): data from the European Cancer Anaemia Survey (ECAS). J Clin Oncol 2006;24 Abst. 8565. 199