C A N C E R G Y N É C O L O G I Q U E Les cancers gynécologiques ! J.P. Spano* LE CANCER DE L’OVAIRE Quel taxane sera utilisé à l’avenir ? Depuis la moitié des années 1990, certaines combinaisons à base de sels de platine et de taxanes sont devenues des traitements standard dans la prise en charge des cancers de l’ovaire de stade avancé (stades IIB à IV). La dernière décennie du XXe siècle s’est focalisée sur la détermination du sel de platine ayant le meilleur index thérapeutique et sur des durées et des doses de paclitaxel les plus efficaces. La prochaine décennie de ce nouveau siècle, quant à elle, sera indubitablement marquée par l’arrivée de nouvelles drogues et devra déterminer surtout quel taxane présente le meilleur index thérapeutique en première ligne de traitement du cancer de l’ovaire. Le rôle du docétaxel dans le cancer de l’ovaire a été largement analysé ces dernières années par des études tant précliniques que cliniques. Au niveau préclinique, certaines études semblent suggérer une supériorité du docétaxel sur le paclitaxel, à la fois en termes d’efficacité et d’index thérapeutique (1). Kaye et al. (2, 3) ont montré que le docétaxel permettait d’obtenir un taux de réponse de 28 % chez des patientes ayant un cancer de l’ovaire réfractaire aux sels de platine. Ce résultat a été confirmé par une étude japonaise (4) portant sur 90 patientes traitées par docétaxel à 70 mg/m 2 toutes les trois semaines pour une tolérance correcte. À partir de ces données, des études de phase II associant le docétaxel soit à du cisplatine soit à du carboplatine ont été conduites. Elles ont mis en évidence la faisabilité de telles associations et leur intérêt potentiel en termes d’efficacité. On retiendra l’étude de Vasey (5), associant docétaxel et cisplatine en première ligne chez des patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire avancé. Il s’agit d’une étude de 100 patientes réparties en deux cohortes, l’une de 49 patientes recevant du docétaxel à 75 mg/m2 et du cisplatine à 75 mg/m2, et l’autre de 51 patientes associant du cisplatine à 75 mg/m2 et du docétaxel à 85 mg/m2. Les résultats en termes de réponse sont donnés dans le tableau I. * Service d’oncologie médicale, hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93000 Bobigny. 240 Tableau I. Réponse RC RP Stabilité Progression NE Patients (N) 15 12 8 4 8 % 38 31 21 10 RC : réponse complète ; RP : réponse partielle ; NE : non évaluable. La dose retenue en termes de tolérance est de 75 mg/m2 pour le docétaxel. Ainsi, afin de limiter la toxicité neurologique, le GOG a conduit une étude de phase II, publiée récemment, associant carboplatine (AUC5) et docétaxel (60 mg/m2) toutes les trois semaines (6). Cette étude démontre que cette combinaison de chimiothérapie peut être hautement active chez les patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire à un stade avancé, pour une toxicité principalement hématologique et d’hypersensibilité, sans pour autant qu’il soit nécessaire d’arrêter le traitement. En tenant compte de ces données récentes, des études de phase III ont été mises en place, dont les résultats fort encourageants ont été présentés lors du dernier congrès de l’ASCO. Au nom du Scottish Gynaecologic Cancer Trials Group (SGCTG), Vasey et al. (7) ont présenté l’étude du SCOTROC comparant carboplatine (AUC5)/paclitaxel (175 mg/m2) à carboplatine (AUC5)/docétaxel (75 mg/m2) administrés toutes les trois semaines pour une durée totale de six cycles chez 1 077 patientes traitées en première ligne pour un cancer de l’ovaire de stades Ic à IV. Les caractéristiques des patientes provenant de 83 centres (dix pays) sont données dans le tableau II. Tableau II. SCOTROC : caractéristiques des patientes. Atteintes péritonéales FIGO Ic/II FIGO III/IV Résidu tumoral 0/micro 2 cm > 2 cm Paclitaxel/carboplatine n = 538 9% 20 % 80 % Docétaxel/carboplatine n = 539 8% 19 % 81 % 33 % 30 % 37 % 33 % 30 % 37 % La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 Les caractéristiques histologiques conformes à celles habituellement rencontrées dans les études sont données dans le tableau III. Les différentes causes de sortie d’essai ont également été répertoriées (tableau IV), et on note trois décès toxiques, un dans le bras paclitaxel/carboplatine (PC) et deux dans le bras docétaxel/carboplatine (DC). En termes de toxicité, les différences significatives ont été respectivement, dans les bras PC et DC (chez 927 patientes évaluables) : neutropénie de grade 4 = 55/80, neutropénie fébrile ou compliquée = 3/9, neuropathie de grade 2/3 = 28/10. La combinaison DC semble donner plus de myélotoxicité, sans pour autant compromettre la dose-intensité ou la survie du patient et en préservant un taux de réponses objectives comparable. En effet, l’étude de la réponse clinique et radiologique, qui a porté sur 485 patientes évaluables, est donnée dans le tableau V. Il n’y a pas de différence significative en termes de dose-intensité (98 % versus 98 %) ou de cycles administrés (79 % versus 84 %) respectivement entre les combinaisons PC et DC. L’étude de la réponse biologique par le dosage du CA125, qui a porté sur 645 patientes évaluables, est rapportée dans le tableau VI. L’étude de la survie sans récidive à un an ne montre pas non plus de différence significative entre les deux bras (environ 65 %). La qualité de vie a été évaluée selon le questionnaire de l’EORTC QLQ-C30 (version 3.0) tenant compte de l’état de santé général de la patiente, d’échelles fonctionnelles et de symptômes. Neuf cent quarante-cinq patientes ont été évaluées au premier jour de chaque cycle, à six mois, et tous les quatre mois pendant deux ans. Il en ressort une plainte significativement plus marquée en termes de neurotoxicité pour le bras PC par rapport au bras DC (p < 0,001), les patientes ayant qualifié leur symptômes neurologiques soit par “un peu” soit par “beaucoup”. En conclusion de cet essai, l’association paclitaxel/carboplatine semble induire, de façon significative, plus de neuropathies, si l’on tient compte des sorties d’essai prématurées, et semble prolonger la symptomatologie. L’association docétaxel/carboplatine entraîne davantage de neutropénies, cependant facilement contrôlables, et sans qu’il y ait d’augmentation du nombre d’arrêts thérapeutiques. Bien qu’il ne s’agisse que de résultats préliminaires, ces deux combinaisons affichent finalement une même efficacité en termes de réponses cliniques, y compris en survie sans récidive à un an. Ces résultats méritent d’être confirmés par une analyse à plus long terme ou par d’autres essais randomisés comprenant un aussi grand nombre de patientes. Au total, l’association paclitaxel-carboplatine reste pour l’instant le traitement standard, de première ligne, chez les patientes atteintes de cancer de l’ovaire à un stade avancé. Une étude franco-allemande portant sur 1 281 patientes et randomisant paclitaxel-carboplatine à paclitaxel-carboplatine-épirubicine, a été présentée à l’ASCO 2001 (8) : l’apport de l’épirubicine ne modifie pas la survie sans progression chez les patientes présentant un résidu tumoral de plus de 1 cm en postopératoire, même après une chirurgie de debulking. La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 Tableau III. SCOTROC : caractéristiques histologiques des patientes. Histologie Séreux Mucineux Cellules claires Endométrioïde Anaplasique Adénocarcinome Autres Peu différencié Paclitaxel/carboplatine 44 % 2% 4% 10 % 0% 15 % 23 % 54 % Docétaxel/carboplatine 44 % 4% 5% 12 % 1% 15 % 18 % 54 % Tableau IV. SCOTROC : sorties d’essai. 6 cycles complets Progression Décès (non toxique) Autre (non toxique) Toxicité Neurotoxicité Hématologique Hypersensibilité Hépatique Décès Autre Paclitaxel/carboplatine Docétaxel/carboplatine 79 % 84 % 5% 5% 1% 0% 4% 3% 12 % 8% 32 4 9 6 4 13 7 8 1 1 11 9 Tableau V. SCOTROC : réponse clinique. Réponse évaluable RC RP RO Stabilité Progression Non évaluable PC* n = 289 29 % 33 % 62 % 24 % 9% 5% DC* n = 297 29 % 36 % 65 % 24 % 6% 5% * PC = paclitaxel/carboplatine ; DC = docétaxel/carboplatine. Différence en RO (DC – PC) = 3 % (p = 0,50 ; IC 95 % : 5 à 11 %). Tableau VI. SCOTROC : réponse biologique selon le CA125. Évaluables Réponse Pas de réponse PC* n = 355 76 % 24 % DC* n = 354 75 % 25 % * PC = paclitaxel/carboplatine ; DC = docétaxel/carboplatine. Différence en termes de taux de réponse (PC-DC) = 1 % (p = 0,84 ; IC 95 % : 7 à 6 %). En bref, pour le cancer de l’ovaire… L’utilisation des contraceptifs estroprogestatifs est un facteur protecteur du cancer de l’ovaire. Cependant, ces derniers protègent-ils toutes les femmes ? Une étude réalisée en Israël entre 1994 et 1999 chez des patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire et publiée cette année, a rapporté que les femmes présentant des mutations sur BRCA1 (mutations 185 et 538) et 241 C A N C E R G Y BRCA2 (mutations 617), par rapport à des femmes présentant ces mêmes mutations mais sans cancer de l’ovaire, ne semblent pas être protégées par la prise d’estroprogestatifs oraux. En effet, chaque naissance ajoutée et chaque année supplémentaire d’utilisation des contraceptifs oraux diminue le risque de cancer de l’ovaire de façon globale, mais la prise d’un contraceptif oral ne semble réduire le risque que chez les femmes non porteuses des mutations (9). Ces résultats sont en totale contradiction avec ceux publiés par Narod et al. (10) il y a trois ans. Points forts Un autre point fort de cette année 2001 est la publication des recommandations POUR LE CANCER de l’ESMO, DE L ’ OVAIRE dans Annals of Oncology (12). Pour le cancer de l’ovaire, les principales approches thérapeutiques sont décrites ci-dessous : Stades précoces – FIGO Ia/b, bien différenciée, sans carcinome à cellules claires : chirurgie seule. – FIGO Ia/b, moyennement différenciée, avec adhérence, carcinome à cellules claires, ou FIGO Ic : chirurgie plus staging plus chimiothérapie adjuvante. – FIGO II : chirurgie plus staging plus chimiothérapie. Options : carboplatine AUC5 ou 6 toutes les 3 semaines, 6 cycles, ou carboplatine (ou cisplatine) plus paclitaxel toutes les 3 semaines, 6 cycles. É C O FIGO IV : une chirurgie cytoréductrice optimale semble indiquée pour améliorer la survie, bien qu’aucune étude randomisée n’ait encore réellement abordé cette question. Les patientes jeunes, en bon état général, avec comme seule atteinte extra-abdominale un épanchement pleural, avec un faible volume métastatique, sans autre maladie grave, doivent bénéficier d’une chirurgie. Si la chirurgie initiale n’est pas envisageable d’emblée, après confirmation histologique par biopsie, une chimiothérapie pourra être entreprise selon les mêmes modalités que pour le stade FIGO III. On sait l’intérêt de réaliser une association de radio-chimiothérapie concomitante (ARCC) avant la chirurgie pour les patientes atteintes d’un cancer du col utérin non métastatique depuis les nombreux essais randomisés publiés en 1999. Une méta-analyse (13) a été publiée cette année, qui a sélectionné 11 essais randomisés portant sur l’ARCC dans le cancer du col utérin. On retrouve essentiellement parmi ses résultats, l’intérêt de réaliser une ARCC, en termes de bénéfice sur la survie sans progression et sur la survie globale, plus marqué pour les stades I et II, au prix toutefois d’une toxicité aiguë sur le plan hématologique et d’une toxicité digestive retardée. L O G I Q U E En revanche, une analyse rétrospective réalisée chez 232 patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire de type BRCA1 ou BRCA2 muté comparées à 232 femmes sans cancer de l’ovaire mais de génotype BRCA1 et BRCA2 muté a montré que la ligature des trompes entraînait une diminution significative du risque de cancer de l’ovaire chez les femmes BRCA1 muté, mais pas chez les femmes BRCA2 muté (11). Au total, la meilleure prophylaxie du cancer de l’ovaire chez les femmes porteuses de mutations BRCA1 et 2 nous sera peutêtre dévoilée au cours de l’année 2002. Stades avancé FIGO III : chirurgie de debulking requise, avec cytoréduction maximale, si possible résidu de moins de 1 cm puis chimiothérapie. Options : carboplatine (ou cisplatine) plus paclitaxel toutes les 3 semaines, 6 cycles. Pas de bénéfice pour la réalisation d’une chirurgie de second look, en termes de survie. Elle ne sera alors entreprise que dans le cas d’un essai thérapeutique. LE CANCER DU COL UTÉRIN 242 N Évaluation tumorale Le CA125 est parfaitement corrélé à la réponse tumorale et à la survie sous chimiothérapie, et doit être dosé avant chaque cycle. Pour les patientes ayant une TDM anormale initiale, le scanner abdomino-pelvien sera réalisé après le 6e cycle. Si le scanner initial est normal, il n’y a pas d’indication à en programmer d’autre, sauf si des signes de progression biologique et/ou clinique sont notés. Aucune étude randomisée (comprenant un taxane) n’a montré de bénéfice à poursuivre la chimiothérapie au-delà de 6 cycles ; en cas de réponse partielle après 6 cycles (associée à une diminution persistante du CA125), 3 nouveaux cycles pourront alors être envisagés. En termes de surveillance, le CA125 doit être dosé systématiquement avant chaque visite de contrôle, et un bilan scanographique ne doit être envisagé que devant des signes cliniques et/ou biologiques de progression de la maladie. Le SCC (Squamous Cell Carcinoma) a-t-il le même impact dans la surveillance des patientes traitées pour un cancer du col utérin que le CA125 chez les patientes traitées pour un cancer de l’ovaire ? Actuellement, la surveillance des patientes traitées pour un cancer du col utérin de stade Ib/IIa est clinique et radiologique. Une étude prospective portant sur 225 patientes suivies pour un cancer du col a analysé l’impact du dosage du SCC à chaque consultation de surveillance. Trente-cinq patientes ont présenté une rechute et, pour 74 % d’entre elles, la rechute a été précédée d’une élévation du SCC. Cependant, les auteurs finissent par démontrer que la détection plus précoce de la récidive, objectivée par l’élévation du SCC, ne se traduit pas La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 6 - novembre-décembre 2001 par un gain en survie ; en revanche, une élévation du SCC au moment de la rechute apparaît comme facteur de mauvais pronostic pour la survie (p < 0,01) par rapport à un chiffre normal au moment de la récidive tumorale. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Bissery Nohynek G, Sanderink GJ, Lavelle Docétaxel (Taxotere ) : a review ® of preclinical and clinical experience. Part I : Preclinical experience. Anticancer Drugs 1995 ; 6 (3) : 339-55, 363-8. 2. Kaye SB, Piccart M, Aapro M, Francis P, Kavanagh J. Phase II trials of docétaxel ( Taxotere®) in advanced ovarian cancer ; an updated overview. 3. Kaye SB. The integration of docétaxel into first-line chemotherapy for ovarian Cancer. Int J Gynecol Cancer 2001 ; 11 (suppl. 1) : 31-3. 4. Katsumata N, Tsunematsu R, Tanaka K et al. A phase II trial of docétaxel in platinum pre-treated patients with advanced epithelial ovarian cancer : a Japanese cooperative study. Ann Oncol 2000 ; 11 : 1531-6. 5. Vasey PA, Paul J, Birt A et al. Docétaxel and cisplatin in combination as first line chemotherapy for advanced epithelial ovarian cancer. Scottish Gynaecological Trials Group. J Clin Oncol 1999 ; 17 : 2069-80. 6. Markman M, Kennedy A, Webster K, Peterson G, Kulp B, Belinson J. Combination chemotherapy with carboplatin and docétaxel in the treatment of cancers of the ovary and fallopian tube and primary carcinoma of the peritoneum. J Clin Oncol 2001 ; 19 : 1901-5. 7. 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