113
AFPSSUCesélèvesetétudiantsquinousinterpellent16janvier2009àParis
Enfantinstable,enfantagité,enfantexcité
RobertVoyazopoulos
Psychologueàl’Éducationnationale,chargéd’enseignementà
l’universitéParisV
Articlepubliédans«Enfance&Psyno142001/2,p.26à34
Résumé
L’enfantagité,instable,excité,hyperactif...suscitedepuisquelques
annéesdesinterrogationsetdesdébatspassionnelsentrelesdiverses
disciplinesquis’intéressentàcettequestiondesanpubliqueet
d’éducation.Danscetarticle,estproposéeunerevuerapidedusujet,depuis
l’approchediagnostique,discutableselonlesréférencesauxclassifications,
jusqu’auxapprochesthéoricocliniquesdelaneuropsychologieàla
psychanalyse.
Motsclés:agitation,enfance,hyperactivité,instabilité,
psychopathologie,troublesdel’attention.
Hyperactivité,agitation,excitation,instabilité,troublesdel’attention…
Motifsdeconsultationdupédiatreparmilesplusfréquents,maissurtoutde
consultationdupsychologueoudupédopsychiatre,cesontdessymptômes
manifestesmalsupportésparl’entouragedel’enfant,dufaitdeleurs
conséquencessurlaviefamiliale,l’adaptationscolaireetlesapprentissages,
etdesdésordresqu’ilsentraînentdanslaviedetouslesjours.
Sicestroublessonttrèsfréquents,ilssontaussiparmilesplusdiscutés.
D’ailleurs,lapartdesubjectivitédansleurreconnaissanceest
particulièrementimportante.Eneffet,cesmanifestationsousymptômes
formentuneentitépathologiqueproblématiquequinefaitpasl’objetd’un
consensusminimalchezlesspécialistesdelasantémentale.Enpratique,les
symptômesréunissouscetermesontdenaturetrèsdifférente.Ils’agit
surtoutd’enfantsmontrantunehyperactivitémotrice,uneagitation
inefficace,uneactivitédécousueetdésordonnée.Cesenfants,que
l’entouragequalifievolontiersd’«excités»,souffrentaussid’unegrande
fragilitéémotionnelle,d’impulsivité,d’uneincapacitéàdifférerunplaisir,
d’uneapparenteindifférenceauxsollicitationsouauxconsignes.Ledéfautde
contrôledesactivitésmenéesainsiquelemanqued’inhibitiondansde
nombreusescirconstancesdelaviequotidiennesontàl’originedesituations
conflictuellesquifont«craquer»lesadultesconcernés.
114
AFPSSUCesélèvesetétudiantsquinousinterpellent16janvier2009àParis
L’inattention,encorenomméedistractionoudistractibilité,défautde
concentration,manqued’attention,estsouventvariableetinconstante.
Surleplanclinique,lesenfantssujetsauxtroublesdel’attentionont
unefaiblecapacitéàseconcentrer,fontdenombreuseserreursd’étourderie,
nepeuventsefixersurunetâcheouorganiserleuractivité.Ilssemblentne
pasécoutercequ’onleurdit,nerespectentpaslesconsignes,perdentou
détériorentleursobjetspersonnels.Enfin,ilsinterrompentsouventl’activité,
lejeuouletravailencourspourprêterattentionàdesévénements
secondaires,sansprotectionparrapportaumoindredistracteur.
Dansl’hyperactivité,l’activitémotriceestexagéréepourl’âge,avecun
comportementpermanentde«bougeotte».Ilscourentsansarrêt,ontdela
difficultéàresterassis,grimpentouexplorentl’espacesansretenue.
Remuantsetagitésàl’écolecommeàlamaison,ilstiennentdifficilementen
place,fonttombermaladroitementlesobjets.Leursmouvementsparaissent
désorganisés,ilsagitentleursmains,leursbrasouleursjambes,mêmeàtable
ouenregardantlatélévision,avecuneparticipationcorporelleleplus
souventglobale.
L’impulsivitésetraduitsurleplancomportementaletcognitif.L’enfant
paraîtincapabledecontrôlerlescomportementsverbauxouphysiques
inadaptés.L’excitationphysiquegénéralelesrendinaptesàdifférerlesactes,
àattendreleurtour,àprendrelaparoleaumomentquiconvient.Laquête
immédiateduplaisir,lesimpulsionssoudainementagies,imprévisiblespour
leurentourage,lesrendentsouventvictimesd’accidentscorporelsà
l’extérieurcommeaudomicile.Surleplancognitif,l’impulsivitéfaitréférence
àladifficultéd’évaluerl’ensembledesréponsespossiblesdanslesrésolutions
deproblèmesnécessitantl’analysesimultanéedeplusieurssolutions,età
l’incapacitéd’inhiberlesréponsesspontanéesfréquemmenterronées.Les
démarchesintellectuellesnécessitantuntraitementséquentielettemporel
sontaltérées,lamémoireàcourttermeétantparticulièrementfragilisée.
Pathologiesettroublesassociés
Cesperturbationssontassociéestrèsfréquemmentavecdesdifficultés
scolairesetdestroublesd’apprentissage(dontonpeutpenserqu’ellesles
entraînent),ainsiqu’àdesproblèmesrelationnels.Lesenfantsinstables
connaissentpourlaplupartunretardscolaireplusoumoinsimportantselon
leurâge,conséquencedeleurcomportementd’inattentionetdenonrespect
desrèglesetdesconsignesscolaires.Lesconflitsenfamille,aveclesautres
enfants,aveclesadultesdeleurentouragesontnombreux,entraînantune
dégradationduclimatrelationneletaffectiffamilialetsocial.
115
AFPSSUCesélèvesetétudiantsquinousinterpellent16janvier2009àParis
Desétudesépidémiologiquesaméricaines(reprisesetcitéespar
Desjardinsetlaplupartdesauteursdonnésenbibliographie)ontmisen
évidencel’associationfréquenteavecd’autresmanifestations
psychopathologiques.Ils’agitdescomportementsd’opposition,d’intolérance
àlafrustration,derefusdeparticipationauxactivitéscollectives,familiales
ouscolaires.Lescomportementsagressifsetlestransgressionstémoignent
égalementdedifficultésdanslesconduitessociales.Lestroublesanxieuxet
lestroublesdépressifssontassociésdansprèsdelamoitiédescas.
Diagnosticdifférentieletformeslimites
Dansceslimitesmaldéfiniesetéminemmentsubjectives,ilest
quelquefoisdifficilededistinguerletrouble«hyperactivité»d’une
augmentationdéveloppementaledelamotricité,nomméeparfoisturbulence
etassezhabituellechezl’enfanttoutvenant.Deplus,descomportements
d’agitationetd’inattentionmajeurepeuventêtreinduitspard’autres
troublesdudéveloppement,etpeuventmêmeconstituerlamanifestation
gênanteetvisibled’untroublebeaucoupplusglobal.
Lediagnosticdifférentielvisedonchabituellementàécarterd’emblée
touteslesgravespathologiesdudéveloppement,desétatslimitesaux
psychoses.Unexamenpsychologiqueapprofondipermetl’évaluationde
l’ensembledesvoiesdedéveloppementetdesfonctionspsychiquesde
l’enfant.Laquestiondestroublesassociésàlasymptomatologiedebase
justifieleurrecherchesoigneusedansledomainedel’examenclinique
commedansceluidel’évaluationcomplémentaire.
Lacliniquedel’agitationoudel’excitationchezl’enfant,de
l’hyperactivitéetdestroublesdel’attentionestàlacroiséedesgrandes
conceptionsdudéveloppementhumainetdufonctionnementcérébral,dela
neuropsychologieàlapsychanalyse,delapsychologiecognitiveàla
psychologieclinique,etrenvoieauxpositionsindividuellesthéoriqueset
philosophiquessurlenormaletlepathologique.Cesujetestdoncunterrain
deprédilectionpourlesaffrontementsdesdisciplinesetdesconceptions;
uneapprochepluriellepourraitcependantsinonlesconcilier,dumoinsen
autoriserlacomplémentarité.
L’agitation,l’instabilité,l’hyperkinésie…envisagéescommesyndrome
posentlaquestiondesonhomogénéitéetdesacohérence.Ladéfinition
largeetsommetouteimprécise,uniquementfondéesurdesappréciationset
desobservationscomportementales,luipermetdeconnaîtreuneextension
majeuredanslesmilieuxpédopsychiatriquesetmédicopsychologiquesdela
plupartdespaysanglosaxonseteuropéens,l’arrièrefondscientifico
116
AFPSSUCesélèvesetétudiantsquinousinterpellent16janvier2009àParis
théoriquededysfonctioncérébraleminimevalidantcette«nébuleuse
syndromique»,ainsiqueladésigneMarcelli(1996).
Pourlepsychologued’enfant,celacommencesouventainsi:
Lepèred’Hugo,6ans:«C’estinsupportable.Monfilsnetientpasen
place.Ilcassebeaucoupdechosesàlamaison,ilgrimpepartout.Ilamême
faittomberletéléviseurlasemainedernière.Àl’école,cen’estpasmieux,et
ilnefaitpasgrandchose,iladesproblèmespourapprendre.Onlepunit,
maisçanechangerien.Jenepensepasqu’illefasseexprès.»
L’enseignanted’Arthur,7ans:«Ilm’épuise.Soninstabilitéestterrible.Il
n’estjamaissursachaise,toujoursdeboutouparterre.Ilnesuitpasle
déroulementdesleçons,niceluidesactivitésparcequ’ilbavarde,papillonne.
Ilala«bougeotte»enpermanenceetilnesefixesurrien.Ilsebatassez
souventavecsescamarades,iln’ad’ailleurspasvraimentdepetitcopain.
Danssesaffaires,c’estundésordreinouï,ilneretrouvejamaisrien.Iln’apas
deproblèmedecompréhensionetilapprendraitbiensiseulementil
écoutait»!
LemédecinpédiatredeMargaux,7ans:«Jevousadresselapetite
Margauxquisouciebeaucoupsesparents.Jelaconnaisdepuissanaissance
etelleadetouttempsmontréuneexcessiveirritabilitéducaractère.Les
troublesdusommeiletducomportementonttoujoursétéprésents,avec
cependantuneaugmentationdesmanifestationscesdernierstemps.Une
consultation,ilyadeuxans,enservicehospitalierspécialiséaécartéle
diagnosticéventueld’uneévolutionpsychopathologiquedelapersonnalité.
Elleestactuellementtrèsinstableetagressiveavecsonentourageetles
autresenfantsdel’école.Ellesouhaitequ’onl’aideetelleditnepaspouvoir
seretenird’êtreainsi.Mercidenousapportervotreregardetvotreanalyse.»
Désordreaffectifouaffectionneurologique?
Larelativesimilitudedessymptômesd’hyperkinésieetd’agitation
observésdeplusenplusfréquemmentchezdenombreuxenfantsconsultants
(onnepeutcependantécarterunegrandepartdesubjectivitéàceniveau)
aveclesyndromedeséquellescomportementalesetpsychologiques
d’enfantsvictimesdetraumatismescrâniensouatteintsd’encéphalites
infectieusesaconduit,selonunecertainelogique,àposerl’hypothèsed’une
lésioncérébraleminimechezlesenfantsinattentifsetinstables.
L’hypothèseneuropsychologiqued’undysfonctionnementcérébral
minime,considérécommeconstitutionnel,proposeunmodèle
particulièrementinfluentetpeutêtreplusrassurantetplusséduisant
auprèsdugrandpublicetdecertainesstructuresetéquipesdesoins–,parmi
lesmodèlesexplicatifsetétiologiquesdel’instabilitéetdel’inattention.Elle
proposedelierl’instabilitéàuneperturbationneurophysiologiqueprimaire,
117
AFPSSUCesélèvesetétudiantsquinousinterpellent16janvier2009àParis
unehypovigilancecognitive,unniveaud’éveilcorticalplusbasquelanormale
contrequoilesujetlutteraitparunehyperactivitémotrice.Lesrécentes
découvertesenimageriemédicale(irmetscanner)montreraientcertaines
anomalies(basdébitsanguinetmétabolismeglucidiqueréduitdanslesaires
frontales)qui,cependant,nesontpasretrouvéescheztouslesenfants
instables.
Lesétudesd’imageriefonctionnelleetlesessaisthérapeutiquesontmis
enévidence,danslesyndromehyperactivitéavecdéficitdel’attention,un
dysfonctionnementdelabouclestriatocorticaleet,plusparticulièrement,
entrelestriatumetlarégionpréfrontale.Plusrécemment,ilaétédémontré
l’implicationducerveletetdesrelationscérébellofrontales.Celarendrait
compted’unepartdestroublesdel’attention,desdéficitsdesfonctions
exécutives,etdestroublesmoteursavecdéfautducontrôledelamotricité
fine.
Dernièrement,l’examenparunnouveauprocédéd’IRM(relaxométrie
T2)d’enfantssouffrantdetroublesdéficitairesdel’attention/hyperactivité
évoquedesanomaliesauniveauduputamen,structurecérébraleimpliquée
danslarégulationducomportementmoteur.
Ladémarcheetl’approcheneuropsychologiquesdel’agitationsonttrès
critiquéesparlestenantsd’uneconceptionpsychanalytique.Ceuxci
soulignentnotammentlerisquededérivechimiothérapiquequienrésulteet
laréductionconsidérabledelapriseencompteglobaledesproblèmes.
Surtout,aucunecompréhensionpsychodynamiquen’étantalors
envisagée,l’enfantestconsidérécommes’iln’étaitpasunêtreaffectifet
socialengagédansdesinteractionsquijouentànotreavisunrôleessentiel.
Lesmultiplesspécificitésdel’enfant,àlafoisdufaitdesamaturation,desa
dépendanceàl’environnement,maisaussidufaitdesonpsychismeenvoie
destructuration,semblentignorées,demêmequetoutabordaffectifet
relationneldonnantàcesconduitesunsensautrequeceluid’unsimple
déficit.
Approchepsychodynamique
Laconceptionpsychiatriqueetneurocognitivisteentraîneunevision
particulièredusymptôme.Entraitantlesdonnéespsychopathologiquesà
l’imagedesdonnéesd’unautredomainedelamédecine,ellemetenavant
lessymptômes,négligeantainsilanotiond’organisationmentaleetla
dimensionsubjectivedusujet.Ladémarcheneurocognitiveet
neuropsychologique«semblen’envisagerlacaractérisationd’une
constellationsyndromiquequedanslaperspective,d’ailleursleplussouvent
1 / 10 100%