D O S S I E R 2001-2003 Quoi de neuf en radiothérapie ? ● B. Cutuli*, B. de Lafontan** (* Polyclinique de Courlancy, Reims.** Institut Claudius-Regaud, Toulouse) urant ces dernières années, les indications de la radiothérapie se sont confirmées, avec une efficacité reconnue sur les récidives loco-régionales, bien sûr, mais aussi sur la survie des patientes traitées. Il a enfin été admis que, réalisée dans des conditions optimales, elle n’était pas délétère sur la survie. Nous allons développer plusieurs chapitres : D – carcinomes canalaires in situ ; – carcinomes infiltrants traités par chirurgie conservatrice : irradiation du sein ; – carcinomes infiltrants : irradiation de la paroi et des aires ganglionnaires ; – bénéfice de la radiothérapie sur la survie ; – effets secondaires de la radiothérapie. Intérêt de l’irradiation mammaire dans le traitement conservateur des carcinomes canalaires in situ Avec le développement du dépistage mammographique, les carcinomes canalaires in situ vont représenter, dans les années à venir, environ 25 % de tous les cancers du sein (1). Après chirurgie conservatrice, les taux de récidive locale (RL) à 10 ans passent de 12 % avec radiothérapie à 30 % sans radiothérapie. Environ la moitié de ces récidives sont invasives, dont une sur cinq aura une évolution métastatique. Deux essais randomisés ont confirmé ces données : – L’essai B-17 du NSABP a inclus 818 patientes aux États-Unis et au Canada. Les derniers résultats actualisés ont été publiés en 2001, avec une médiane de suivi de 10 ans. L’analyse a confirmé le bénéfice d’une irradiation complémentaire du sein à la dose de 50 Gy. En effet, parmi les patientes traitées par tumorectomie seule, on notait 31 % de récidives locales, dont la moitié étaient des cancers invasifs. Lorsque la chirurgie était suivie de radiothérapie, on a constaté 15 % de récidives locales, dont la moitié également étaient sous forme invasive. Ces différences sont très significatives (p < 0,0005). – Le deuxième essai a été conduit par l’EORTC en Europe. Il a inclus 1 010 patientes ayant eu une chirurgie conservatrice et une radiothérapie du sein (randomisée). Le recul est inférieur (4 ans). Par ailleurs, on observe 16 % de récidives locales (dont la moitié sont sous forme invasive) dans le groupe chirurgie seule et 9 % (la moitié sous forme invasive) dans le groupe irradié. Cette différence est aussi significative (p = 0,005). L’irradiation après chirurgie conservatrice pour carcinome canalaire in situ réduit le risque annuel de récidive mammaire de moitié. On ne doit pas perdre de vue qu’après mastectomie, le taux de récidive est très faible. Garder le sein est donc possible, sous réserve d’éviter au maximum les récidives locales par les radiations mammaires. Toutefois, jusqu’à présent, et très certainement du fait d’une insuffisance de recul, il n’y a pas de différence entre les différents traitements en termes de rechutes métastatiques, de survie globale et de taux de cancers du sein controlatéraux. Intérêt de l’irradiation après traitement conservateur des cancers infiltrants Pour les cancers infiltrants, six essais randomisés ont été réalisés afin de comparer la tumorectomie seule à la tumorectomie 16 suivie d’une irradiation mammaire (2). Dans tous les cas, il a été observé une réduction très significative du taux de récidives …/… La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003 …/… locales grâce à l’apport de la radiothérapie. Dans quatre études sur six, des différences de survie commencent à apparaître, mais le recul insuffisant des séries ne permet pas de mettre en évidence une différence significative. D’autre part, la récidive locale a été pendant longtemps considérée comme un événement sans gravité. On s’est rendu compte qu’elle a une influence défavorable sur la survie à long terme. L’intérêt de la surimpression (boost) au niveau du lit tumoral a été confirmé par un essai randomisé européen ayant inclus plus de 5 000 patientes. Une dose supplémentaire de 16 Gy réduit de 59 % les récidives locales à 5 ans, tout particulièrement chez les patientes de moins de 50 ans (3). L’irradiation après chirurgie conservatrice pour carcinome infiltrant est un standard. Elle réduit de façon très significative le taux des récidives locales, qui peuvent elles-mêmes être pourvoyeuses de métastases. Des différences sur la survie commencent à apparaître. Une surimpression au niveau du lit tumoral est indiquée chez les femmes de moins de 50 ans afin d’augmenter le contrôle local. Intérêt de l’irradiation locorégionale L’irradiation locorégionale (paroi et aires ganglionnaires) diminue de façon très significative les récidives locales et ganglionnaires en cas de facteurs de risque tels qu’un envahissement ganglionnaire axillaire histologique (pN+), surtout quand plus de trois ganglions sont atteints, ou en cas de lésions évoluées (T3) et/ou avec présence d’emboles vasculaires ou lymphatiques. Les récidives tant locales (pariétales) que ganglionnaires observées après mastectomie ont un pronostic défavorable parce qu’elles ne sont pas toujours rattrapables et, d’autre part, car elles s’accompagnent dans plus de 50 % des cas d’une évolution métastatique, simultanée ou ultérieure (4). Deux essais danois ont confirmé ces résultats (5). Le premier essai danois (protocole 82-b) avait été conduit chez 1 708 patientes non ménopausées présentant des facteurs de risque de récidive locale, traitées par mastectomie-curage et CMF. La randomisation concernait l’irradiation de la paroi thoracique et de tous les relais ganglionnaires, y compris axillaires. Fait très important, la paroi thoracique et la chaîne mammaire interne étaient traitées exclusivement par électrons, afin qu’aucune toxicité pulmonaire ou cardiaque ne se manifeste. Avec un recul de 10 ans, les taux de récidive locorégionale, isolée ou associée à une dissémination métastatique, étaient de 32 % dans le groupe CMF seul, et de 9 % (p < 0,001) dans le groupe CMF + radiothérapie. De même, les taux de survie passaient respectivement de 45 à 54 % (p < 0,001). Le deuxième essai danois (protocole 82-c) avait inclus 1 460 patientes ménopausées, avec les mêmes critères d’inclusion que ceux de l’étude 82-b. La chimiothérapie était en revanche remplacée par le tamoxifène. Les taux de récidive locorégionale sont passés de 35 % à 8 % pour le groupe tamoxifène-radiothérapie (RT). Parallèlement, le taux de survie était de 45 % dans le groupe RT et de 36 % (p = 0,003) pour le groupe tamoxifène seul. Le bénéfice est donc comparable à celui observé chez les femmes plus jeunes. Après mastectomie, l’irradiation locorégionale complémentaire réalisée avec des techniques modernes améliore nettement le contrôle locorégional (même avec l’utilisation des traitements médicaux adjuvants). Elle améliore également la survie de l’ordre de 9 % chez les patientes à risque. Résultats des nouvelles méta-analyses et confirmation du bénéfice global de la radiothérapie Les résultats de la nouvelle méta-analyse de l’EBCTCG avaient été publiés en 2000 (6). Les dossiers de 20 000 femmes ont été analysés, y compris ceux des patientes incluses dans les deux essais danois. Les taux de récidive sont très significativement réduits par l’irradiation, passant, à 20 ans, de 30,1 % à 10,4 %, respectivement sans et avec radiothérapie (2p < 0,00001) ; cela correspond à une réduction globale du risque de 68,4 %. Le taux de survie globale est amélioré par l’irradiation : 37,1 % La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003 versus 35,9 % à 20 ans. En revanche, le bénéfice observé en termes de réduction des décès par cancer du sein (4,8 %) était contrebalancé par une augmentation du taux de décès par autre cause (essentiellement cardiovasculaire) dans des séries anciennes. Deux nouvelles méta-analyses incluant des essais plus récents et utilisant des techniques d’irradiation moderne ont montré des bénéfices en survie de 12 % et 17 % respectivement (2). 17 D O S S I E R Effets secondaires de la radiothérapie TOXICITÉ CARDIAQUE Un travail publié en 1999 et qui avait cumulé les données des deux essais danois (82b et 82c) avait déjà confirmé un taux de mortalité par infarctus myocardique identique (0,8 % versus 0,9 %) chez les patientes traitées par RT ou non, alors que la mortalité par cancer du sein passait de 44 % à 52,5 %. D’autres études ont confirmé la disparition de la surmortalité cardiaque grâce aux techniques modernes, en particulier l’utilisation des électrons (en partie ou en totalité) pour le traitement de la chaîne mammaire interne, qui est située juste au-dessus de l’aire cardiaque. Cela est vrai tant après mastectomie qu’après traitement conservateur. En revanche, il semble que l’utilisation de fortes doses d’anthracyclines associées à la radiothérapie augmente le risque de complications cardiaques. TOXICITÉ PULMONAIRE La fréquence des pneumopathies radiques est estimée à 1-6 % en fonction des techniques utilisées et des définitions (pneumopathie de traduction radiologique ou avec symptômes cliniques nécessitant un traitement). Plusieurs articles ont désormais clairement identifié les facteurs aggravants : il s’agit du volume pulmonaire traité, de la dose par fraction (> 2,5 Gy), de l’utili- R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E sation associée de la chimiothérapie, ainsi que d’une insuffisance respiratoire préexistante (emphysème ++). L’âge élevé semble également être un facteur aggravant. Ces pneumopathies ont rarement un retentissement clinique (fièvre, toux, dyspnée) ; celui-ci, lorsqu’il existe, apparaît entre un et six mois après la fin de l’irradiation. Elles sont presque toujours rapidement régressive sous corticothérapie. CANCER CONTROLATÉRAL Plusieurs études ont confirmé que le risque de cancer controlatéral n’était pas aggravé par l’irradiation, tant pour les cancers in situ que pour les cancers infiltrants. Le risque de cancer œsophagien et/ou pulmonaire reste très faible, et a été retrouvé surtout dans des séries anciennes utilisant des techniques considérées aujourd’hui comme inadaptées. De même, le risque de sarcome radio-induit (surtout angiosarcome) reste faible et ne diffère pas de la fréquence spontanée dans la population générale. Compte tenu de l’augmentation des indications de traitement adjuvant, et en particulier des protocoles incluant des anthracyclines à “fortes doses” (type FEC 100 : 5-fluorouracile, épirubicine, cyclophosphamide), l’optimisation des techniques est indispensable afin d’éviter la toxicité cardiaque et pulmonaire potentielle à long terme. S 1. Cutuli B, Cohen-Solal-Le Nir C, De Lafontan B et al. Breast conserving therapy for ductal carcinoma in situ of the breast : the French cancer center experience. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2002 ; 53 : 868-79. 2. Fourquet A, Cutuli B, Luporsi E, Mauriac L. Standards, Options et Recommandations 2001 pour la radiothérapie des patientes atteintes d’un cancer du sein infiltrant non métastatique. Cancer Radiother 2002 ; 6 : 1-21. 3. Bartelink H, Horiot JC, Poortmans P et al. Recurrence rates after treatment of breast cancer with standard radiotherapy with or without additional radiation. N Engl J Med 2001 ; 345 (19) : 1378-87. 4. Cutuli B. Cancer du sein : résultats et toxicités de l’irradiation locorégionale après mastectomie. Cancer Radiother 2000 ; 4 (suppl. 1) : 167-79. 5. Overgaard M. Radiotherapy as part of a multidisciplinary treatment strategy in early breast cancer. Eur J Cancer 2001 ; 37 (suppl. 7) : s33-s43. 6. Early Breast Cancer Trialist Collaborative Group. Favourable and unfavourable effects on long-term survival of radiotherapy for early breast cancer : an overview of the randomised trials. Lancet 2000 ; 355 : 1757-70. Congrès 2003 en radiothérapie ECCO 12 (ESTRO 22) The European Cancer Conference, 21-25 septembre 2003, Copenhague, Danemark. Site web : http://www.estro.be 45th ASTRO annual Meeting 19-23 octobre 2003, Salt Lake City, États-Unis. Site web : www.astro.org SFRO 5-7 novembre 2003, Paris. Site web : www.sfro.org 18 La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003