SENAT
— SEANCE DU
21
JUIN
1983

1803
du fait de l'existence de textes antérieurs consacrant la retraite
anticipée pour certaines catégories sans condition de durée
d'assurance, que cette réforme constituait un déplacement de
charges considérables de l'U. N. E. D. I. C. vers la sécurité sociale
dans des conditions imprécises, que la retraite à soixante ans
ne favorisait pas, à l'exception des salariés dont les revenus
sont les plus faibles, les autres catégories sociales — cadres
moyens et supérieurs, non-salariés — et que les droits acquis
affirmés dans la loi d'habilitation n'avaient pas toujours été
respectés.
Je tenterai maintenant d'Ă©tablir une comparaison rapide
entre la garantie de ressources et la retraite Ă soixante ans.
Les conditions d'attribution particulièrement souples de la
garantie de ressources ont déjà été relevées, ainsi que la réponse
que celle-ci constituait Ă certaines situations de chĂ´mage, notam-
ment pour les chômeurs âgés n'ayant connu que des carrières
salariées de durée relativement courte.
A l'inverse, les conditions d'attribution plus contraignantes
de la retraite à soixante ans — 150 trimestres — ne paraissent
pas répondre aux mêmes situations.
S'agissant de la comparaison des prestations, le rapporteur
de votre commission formulera plusieurs remarques. Je noterai
d'abord que la garantie de ressources d'après un tableau, qui
figure d'ailleurs dans mon rapport Ă©crit, semble Ă©quitablement
répartie entre les différentes qualifications professionnelles ;
il serait excessif de dire qu'elle constitue une allocation de
classe réservée à certains.
S'agissant des prestations fournies, la substitution de la retraite
à la garantie de ressources apparaît comme un progrès indis-
cutable pour les non-cadres, notamment pour les carrières en
« dôme » et surtout pour les bas salaires avec l'existence du
minimum de 2 200 francs, ce qui représente pour le salarié payé
au Smic, avec l'Arrco — association des régimes de retraites
complémentaires — environ 95 p. 100 du salaire net.
S'agissant des cadres, la retraite totale apparaît nettement
inférieure à l'ancienne garantie de ressources mais elle soutient,
dans certains cas, cependant, la comparaison avec la garantie de
ressources au taux de 65 p. 100 si l'on tient compte du paie-
ment des cotisations maladie.
On ne peut donc parler de régression pour l'ensemble des
cadres en général, même si des écarts importants subsistent
pour nombre d'entre eux.
En revanche, le nouveau système ne favorise pas du tout les
carrières diversifiées et conforte, comme il a été dit, la situa-
tion des retraités ayant eu une longue carrière et ayant perçu
des bas et des moyens salaires — ce qui est une bonne chose
pour eux. Fallait-il pour autant, monsieur le ministre, suppri-
mer avant que les partenaires sociaux le décident une allocation
spécifique et souple qui répondait à un besoin ? La question
mérite d'être posée, d'autant plus que les partenaires sociaux
sont invités, avant novembre 1983, à revoir le système d'assu-
rance chĂ´mage.
Enfin, le nouveau régime n'est pas sans reproche puisqu'il
laisse en dehors de son champ d'application un certain nombre
de laissés-pour-compte, je l'ai rappelé. Sans insister sur chacune
de ces catégories, je noterai que la retraite à soixante ans
ne prend pas en compte les chĂ´meurs de plus de soixante ans
qui ne réunissent pas trente-sept années et demie de cotisations.
S'agissant des chômeurs âgés de moins de soixante ans, il
convient de noter que nombreux sont ceux qui parviennent en
fin de droits et qui ne pourront
pas
liquider leur retraite mĂŞme
s'ils ont satisfait à la condition de durée de cotisations —
150 trimestres.
J'insisterai enfin — vous comprendrez pourquoi — sur l'ina-
daptation des conditions d'attribution de la retraite Ă soixante
ans aux ressortissants des départements d'outre-mer. Vous savez
que ces départements bénéficient, depuis 1980, de régimes d'as-
surance chômage calqués sur le modèle métropolitain qui
devraient atteindre, à la fin de 1983, en matière de presta-
tions, le niveau de l'hexagone. Cependant, ces ressortissants,
du fait des caractéristiques de l'emploi propres aux D. O. M.
— chômage endémique avec un taux de 27 p. 100, soit plus du
double de celui qui est constaté en métropole et je vous laisse
juge de leur angoisse — ont encore plus de difficultés à satis-
faire aux conditions d'attribution de
la
retraite Ă soixante ans,
notamment en raison de l'instauration tardive, en 1948, vous
l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre, des assu-
rances sociales dans les D. O. M., malgré le statut départe-
mental voté en mars 1946. Nos ressortissants ne pourraient donc,
dans le meilleur des cas, bénéficier de la retraite qu'après
l'année 1985. Afin que la retraite à soixante ans ne reste pas
lettre morte dans ces départements pendant de longues années
encore, il conviendrait, sinon que la garantie de ressources soit
maintenue, du moins qu'avec le concours de l'Etat certaines
facilités de rachat de cotisations soient accordées aux travail-
leurs des départements d'outre-mer qui ne réunissent pas les
150 trimestres d'assurance vieillesse.
Maintenant, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est
plus le rapporteur qui vous parle, mais l'élu de ces régions :
si aucune solution n'est encore apportée au problème du chômage
des jeunes, il faut se garder d'aggraver la situation des chĂ´meurs
âgés. Depuis 1982, les syndicats et les parlementaires de toutes
tendances tentent de sensibiliser le Gouvernement ; ce dernier
promet des solutions qui tardent Ă venir.
On ne saurait parler de progrès social sans apporter une soli-
darité aux plus défavorisés.
Je souhaite Ă©voquer
le
problème du rachat des points pour la
période antérieure à 1948. Comment comprendre qu'un chômeur
puisse trouver les moyens financiers nécessaires pour racheter
des points, au même titre que les autres salariés exerçant un
emploi permanent bien rémunéré ? Je ne parle pas du montant
de ce rachat, encore qu'il y aurait beaucoup à dire. Je ne récuse
pas le principe. Mais je veux insister sur la différence de condition
existant entre ceux qui bénéficient d'un emploi permanent —
souvent bien rémunéré — et qui, depuis 1962, ont pu prendre
certaines dispositions à cet effet, -profitant même de crédits
plus ou moins longs, et ceux qui sont aujourd'hui privés d'emploi
et qui n'ont pu bénéficier des avantages, minorés, des caisses
de chĂ´mage que depuis 1980.
Pour ceux-lĂ , monsieur le ministre, il faut faire quelque chose
Sinon les promesses de réduction des inégalités ne seraient
pour eux qu'un vain mot. Quand on connaît les privilèges qui
sont accordés dans nos régions à d'autres catégories de travail-
leurs, qui bénéficient en plus de la garantie de l'emploi, vous ne
pouvez refuser de leur venir en aide.
Je vous propose donc, pour le rachat de ces points, non pas
la gratuité mais une répartition à parts égales entre l'Etat, la
sécurité sociale et l'intéressé.
Il faut se souvenir des conditions difficiles dans lesquelles ces
travailleurs ont dû accomplir des journées de plus de huit
heures -- sous un soleil torride ou une pluie diluvienne -- pour
comprendre aujourd'hui la nécessité de leur permettre de jouir
du droit au repos, tant mérité par beaucoup.
On comprendrait mal une position moindre de l'Etat. Son refus
serait incompréhensible quand on sait que les caisses d'assu-
rance vieillesse et d'assurance complémentaire sont financées
par répartition, à charge des employeurs et des salariés, à la
différence des caisses de chômage où l'Etat apporte sa contri-
bution non négligeable, et quand il est porté à la connaissance
de tous que les caisses de retraite complémentaire des départe-
ments d'outre-mer ont déjà pris l'engagement d'accorder
des
droits gratuits à tous ceux qui réuniront cent cinquante trimestres
après rachat. C'est-à -dire que ces caisses, malgré une cotisation
réduite ou faible, ont en effet décidé d'accorder les 20 p. 100
qui revalorisent les 50 p. 100 de la sécurité sociale. Or, monsieur
le ministre, ces caisses qui ne fonctionnent que depuis 1974
admettent le principe du rachat des points gratuits.
Ainsi, devant cette solidarité, devant cette générosité, allez-
vous, monsieur le ministre, répondre par la sécheresse
des
mesures de rigueur ?
Ceux qui, aujourd'hui, pourraient bénéficier de la retraite
Ă soixante ans, sont
nés
en 1923 Ă l'Ă©poque de la monoculture
de la canne à sucre. Dès l'âge de dix ans, pour la plupart, ils
Ă©taient des travailleurs des champs. Les Ă©coles Ă©taient rares et
les Ă©quipements inexistants. Jusqu'en 1950, date de l'application
de mesures bénéfiques due à la départementalisation, le secteur
primaire était le plus important ; l'économié des quatre vieilles
colonies Ă©tait essentiellement agricole. Les plantations de cannes
à sucre, les sucreries et les distilleries ont toujours nécessité
une main-d'oeuvre nombreuse et laborieuse qui travaillait toute
l'année, sans congés payés, et du lever au coucher du soleil.
La mécanisation et les désherbants chimiques étaient inconnus ;
les cannes étaient transportées par des chars à boeuf ou à dos
de mulet. Il y avait du travail toute l'année pour tous. En effet,
en dehors de la coupe et du fonctionnement des usines, il fallait
du personnel pour la replantation, le sarclage, l'Ă©pandage des
engrais et fumures et l'entretien des animaux, bĂŞtes de somme ou
de trait.