Suppl. au n° 297 décembre 2003 dossier patients Le traitement de la spondylarthrite ankylosante C. Bailly a spondylarthrite ankylosante est une maladie chronique inflammatoire et douloureuse qui affecte avec prédilection la colonne vertébrale, le bassin, le thorax et, dans certains cas, les articulations périphériques. Ces atteintes apparaissent souvent chez un adulte jeune (âgé de 20 à 40 ans) et peuvent, à long terme, aboutir à une ankylose du rachis et du thorax, source de handicap fonctionnel et d’une perte de la qualité de vie. Elles s’accompagnent parfois d’atteintes extra-articulaires (cardiaques, oculaires, pulmonaires). Le traitement a plusieurs objectifs, dont ceux de soulager les douleurs, de supprimer l’inflammation, de lutter contre l’enraidissement, de limiter les poussées et de prévenir les complications. C’est un traitement au long cours, dont les modalités diffèrent selon la sévérité de la maladie, son ancienneté et la localisation des atteintes. Il repose principalement sur la rééducation et les anti-inflammatoires. De nouvelles thérapeutiques, les anti-TNF, sont venues récemment s’adjoindre à ces traitements. Réservés aux formes les plus sévères de la maladie, ces médicaments sont remarquablement actifs sur les symptômes de la spondylarthrite et influent problement sur son évolution au long cours. L Directeur de la publication Claudie Damour-Terrasson ALJAC SA Locataire-gérant d’Edimark SA © mai 1983 CPPAP n° 0207 T 81251 - ISSN 0761- 5027 Imprimé en France Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal à parution Cette édition est diffusée avec le soutien de D O S S I E R P A T I E N T S l y a quelques décennies, les traités de médecine donnaient à l’évolution de la spondylarthrite ankylosante l’aspect inquiétant d’un patient cyphotique marchant courbé en deux, en s’aidant d’une canne. Cette image est aujourd’hui dépassée du fait d’une prise en charge précoce et active de ce rhumatisme inflammatoire chronique. Et s’il est vrai que la restriction de mobilité du rachis, du thorax et, dans une moindre mesure, des articulations des membres est l’élément vers lequel tend parfois l’évolution spontanée de ce rhumatisme, la majorité des patients atteints de spondylarthrite ankylosante arrivent à maintenir une activité physique et professionnelle sédentaire normale. Ce n’est que dans de rares cas et souvent négligés, que s’observent des ankyloses dans des positions anormales (attitudes vicieuses) telles qu’une flexion de hanche et une cyphose cervico-dorsolombaire incompatibles avec une vie socioprofessionnelle normale. De ce fait, le terme de “pelvispondylite”, qui recouvre la notion d’une inflammation du bassin (en latin, pelvis) et des ligaments qui entourent les vertèbres (en grec, spondylos), est plus approprié aujourd’hui que celui de “spondylarthrite ankylosante”. I PRINCIPES GÉNÉRAUX DU TRAITEMENT Les objectifs du traitement sont multiples : soulager les douleurs, combattre l’inflammation, limiter la raideur des articulations des membres et du rachis ou, tout du moins, prévenir leur enraidissement en mauvaise position. L’évolution spontanée de ce rhumatisme inflammatoire chronique s’effectue par poussées, plus rarement de manière continue. De ce fait, on fait appel à des médicaments d’action rapide, les anti-inflammatoires, pour vaincre les douleurs et l’inflammation. On y associe, dans les formes actives, des traitements de fond qui sont censés influer sur l’évolution de la maladie. Le traitement doit être adapté à la forme du rhumatisme (localisation axiale, forme périphérique, atteintes extraarticulaires), à sa sévérité et à son stade évolutif. En effet, la spondylarthrite revêt un grand polymorphisme symptomatique allant de formes douloureuses mais peu invalidantes avec peu ou pas d’ankylose, à des formes touchant la colonne vertébrale et le bassin (formes axiales) volontiers ankylosantes, sans oublier des formes essentiellement périphériques (arthrites des membres) ou associées à des atteintes de certains organes (oculaires et cardiaques). pathies à ces médicaments est remarquable, supérieure à celle observée dans d’autres rhumatismes inflammatoires. Prescrits à l’occasion des poussées douloureuses, à bonnes doses, ils atténuent les douleurs, réduisent la raideur matinale et améliorent la mobilité articulaire. Par ces actions, ils évitent que le sujet adopte spontanément une position antalgique (dos rond par exemple) qui prédispose à une ankylose en mauvaise position. Parmi les différentes familles d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les pyrazolés sont réputés être les plus efficaces. Le seul encore commercialisé à ce jour, la phénylbutazone, est d’ailleurs réservé à cette indication, son efficacité dans la spondylarthrite contrebalançant des effets secondaires rares mais potentiellement sévères (tolérance digestive médiocre, risque de baisse des globules blancs). Il ne constitue toutefois qu’un recours dans les rares cas où aucun autre AINS (dont l’indométacine) n’apporte de soulagement notable. La tolérance digestive des AINS donnés au long cours peut poser problème, et nécessiter une protection gastrique à leur prescription. La venue de nouveaux anti-inflammatoires, les coxibs, qui possèdent une faible toxicité pour l’estomac et le duodénum, est une alternative intéressante qui devrait se développer. l Les corticoïdes administrés par voie orale occupent peu de place dans le traitement des manifestations rachidiennes de la spondylarthrite. On peut y avoir recours dans les formes périphériques (arthrites) ou pour traiter les atteintes oculaires (uvéite) ou cardiaques. TRAITEMENTS ADJUVANTS l Les antalgiques sont d’un apport appréciable en cas de mauvaise tolérance des anti-inflammatoires ; mais ils peuvent aussi y être associés pour renforcer leur action antalgique. l Les myorelaxants sont des médicaments qui, en relâchant la tension musculaire, aident à lutter contre la raideur rachidienne. l Les traitements à visée anti-ostéoporotique (calciumvitamine D, bisphosphonates) sont justifiés dans certains cas car la spondylarthrite s’accompagne souvent d’une augmentation de la fragilité des vertèbres du fait, notamment, de l’immobilisation à laquelle elle conduit. Des plages de repos peuvent être proposées au moment des poussées inflammatoires. Efficacité remarquable des anti-inflammatoires TRAITEMENTS DE FOND l Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (dépourvus de cortisone) sont, avec la rééducation, une des pierres angulaires du traitement. La sensibilité des spondylarthro- Ils se distinguent des anti-inflammatoires par trois caractéristiques essentielles : II La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 297 - décembre 2003 D – leur délai d’action (ils ne sont efficaces qu’après plusieurs semaines d’administration) ; – leur effet anti-inflammatoire à la fois clinique (douleur, gonflement, raideur) et biologique (diminution de la vitesse de sédimentation et de la protéine C-réactive mesurées dans le sang) ; – leur action frénatrice supposée sur le cours évolutif de la maladie (réduction des poussées et de l’ossification des ligaments). Leur prescription n’est pas systématique. Ils sont indiqués dans le traitement des formes actives qui répondent mal aux AINS. Une surveillance clinique et biologique régulière, tous les mois, est nécessaire pour détecter des effets indésirables. On distingue schématiquement les traitements de fond conventionnels et les anti-TNF alpha. Traitements de fond conventionnels Ils sont essentiellement proposés dans les formes avec atteintes articulaires périphériques. l La sulfasalazine occupe une place de choix. Ce composé salicylé (dérivé de l’aspirine) a été utilisé initialement dans des maladies intestinales inflammatoires (maladie de Crohn, recto-colite hémorragique). Son efficacité a été démontrée sur les inflammations des enthèses (zones d’attache des tendons sur les os) mais elle reste somme toute modeste. l Le méthotrexate est utilisé dans les formes périphériques des spondylarthropathies telles que le rhumatisme psoriasique. l Les sels d’or sont aujourd’hui peu utilisés. l Des immunosuppresseurs (cyclophosphamide, ciclosporine, azathioprine) sont peu prescrits, et le sont seulement dans des formes sévères comportant des atteintes extra-articulaires (digestives, oculaires, etc.). Anti-TNF alpha Ils appartiennent à une nouvelle classe thérapeutique qui a déjà fait preuve d’une efficacité remarquable dans les polyarthrites rhumatoïdes sévères et les entéropathies chroniques (maladie de Crohn). Ces “anti-inflammatoires” très puissants ont pour cible une cytokine particulière, le TNF alpha (Tumor Necrosis Factor). Cette molécule est naturellement produite dans l’organisme en cas d’inflammation, mais elle a des effets nocifs sur les cellules et les tissus lorsqu’elle est sécrétée en grande quantité. Trois anti-TNF sont actuellement disponibles (infliximab, etanercept, adalimumab), mais seuls l’infliximab et l’etanercept ont à ce jour confirmé leur efficacité dans les spondylarthropathies. Tous deux ont des effets bénéfiques cliniques importants : La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 297 - décembre 2003 O S S I E R P A T I E N T S – réduction très nette des douleurs du rachis ; – diminution de la durée et de l’intensité de la raideur matinale ; – amélioration de la mobilité et de l’inflammation des articulations ; – allègement de la fatigue, qui est fréquente au cours de ces affections. Ces effets sont confirmés par l’amélioration des paramètres sanguins mesurant l’inflammation (vitesse de sédimentation, protéine C-réactive). À la différence des autres traitements de fond, ils sont plus rapidement efficaces et agissent aussi bien sur l’inflammation de la colonne vertébrale que sur celle des articulations des membres. Ces nouveaux médicaments sont réservés à des formes sévères et actives de la maladie qui ne répondent pas aux AINS et aux autres traitements de fond. Le coût élevé de ces traitements, la prudence dictée par la nouveauté de ces médicaments ainsi que la survenue possible d’infections (tuberculose) expliquent cela. À ce jour, seul l’infliximab a l’autorisation officielle de commercialisation (AMM) pour la spondylarthrite ankylosante alors que l’etanercept est autorisé pour le rhumatisme psoriasique. TRAITEMENTS LOCAUX l Les arthrites des membres et du bassin (articulations sacro-iliaques) qui résistent aux traitements anti-inflammatoires par voie générale sont une bonne indication des infiltrations de corticoïdes. Les infiltrations cortisoniques sont également utilisées pour traiter des atteintes inflammatoires des enthèses telles que la talalgie (enthésiopathie de l’aponévrose plantaire). l Les synoviorthèses peuvent être réalisées en cas d’arthrite rebelle. Elles consistent en l’injection intraarticulaire d’un produit chimique ou radio-actif qui détruit la synoviale (membrane tapissant l’articulation) enflammée. RÉADAPTATION FONCTIONNELLE La rééducation occupe une place importante dans la prise en charge thérapeutique de ce rhumatisme. Elle a pour but de lutter contre la douleur, de prévenir ou de limiter l’enraidissement, d’empêcher ou de corriger les déformations. On peut la pratiquer avec ou sans kinésithérapeute. l Un programme d’exercices (pluri-)quotidiens est défini pour chaque patient avec l’aide d’un kinésithérapeute III D O S S I E R P A T I E N T S Figure. Quelques exercices d’auto-rééducation conseillés par la Société anglaise des patients souffrant de spondylarthrite ankylosante (the National Ankylosis Spondylitis Society). Cette auto-rééducation (figure ci-dessus) comporte en particulier : – des exercices de dérouillage matinal ; – des mouvements respiratoires et du rachis ; – des exercices d’assouplissement ; – le maintien de postures pendant 15 à 30 minutes par jour en hyperextension du rachis (allongé sur le ventre par exemple) pour lutter contre l’installation d’attitudes vicieuses en cyphose (dos rond). l La pratique d’activités physiques non traumatisantes (natation, marche, volley-ball, etc.) est conseillée. l La kinésithérapie respiratoire aide à maintenir une bonne fonction ventilatoire en cas d’ankylose des articulations du thorax. l La balnéothérapie (rééducation en piscine) est intéressante. Le recours au kinésithérapeute et/ou à des centres de rééducation (rééducateur fonctionnel) est nécessaire lorsque les déformations sont installées. l Le port d’un corset (tel que le corset de Swaim) peut être proposé dans des formes avec atteinte sévère de la colonne vertébrale, afin de réduire les déformations suivantes : projection de la tête en avant, dos voûté (cyphose dorsale) et rectitude lombaire. IV LE TRAITEMENT CHIRURGICAL EST RAREMENT PROPOSÉ, ESSENTIELLEMENT DANS CERTAINES FORMES PÉRIPHÉRIQUES SÉVÈRES Schématiquement, il a deux grandes indications : – traitement d’une arthrite persistante (ablation de la synoviale enflammée appelée “synovectomie”) ou d’une enthésiopathie rebelle (talalgie) ; – réparation d’une articulation détruite en la fixant en position de fonction (arthrodèse) ou en la remplaçant par une prothèse. CONCLUSION Quelles que soient les modalités thérapeutiques, l’implication du patient dans la prise en charge de son rhumatisme est importante. Une bonne connaissance de la maladie et du traitement permet de moduler la prise des médicaments anti-inflammatoires, de s’inquiéter devant des signes cliniques révélateurs d’une possible complication. Elle aide également à mieux comprendre l’intérêt d’une bonne hygiène de vie et celui de la rééducation. n La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 297 - décembre 2003