Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°134 : Février 2011 Loi de bioéthique : 1ère lecture à l’Assemblée nationale Le 15 février 2011, les députés ont adopté, en première lecture, le projet de loi de bioéthique à 272 voix contre 216. Retour sur les principales dispositions du texte qui sera soumis au Sénat avant l’été. Dons d’organes Allant contre l’avis du gouvernement, les députés ont ouvert les dons d’organes entre vivants à "toute personne ayant un lien affectif étroit, stable et avéré avec le receveur. " Jusqu’à aujourd’hui, ces dons étaient limités à un cadre strictement familial. Diagnostic prénatal (DPN) Les députés ont adopté l’amendement 70 selon lequel le DPN ne peut être proposé que "lorsque les conditions médicales le nécessitent". Le projet de loi prévoyait, lui, une généralisation systématique du DPN en le proposant à toutes les femmes enceintes. Sur ce sujet, le député Marc Le Fur est longuement intervenu, interpellant ses condisciples sur la capacité de notre société à prendre en compte la vulnérabilité, à accueillir et accompagner des personnes vulnérables : "nous serons jugés, le degré de civilisation de notre société sera aussi jugé à cet égard". Bernard Debré a pour sa part insisté sur les risques inhérents au dépistage systématique. Plusieurs amendements prévoyant, lorsque le risque d’une affection d’une particulière gravité a été avéré, de communiquer à la femme enceinte une liste d’associations spécialisées ont été très longuement discutés. L’enjeu ici était de rééquilibrer l’information délivrée aux femmes et aux couples afin d’éclairer leur choix. C’est finalement celui déposé par le rapporteur Jean Léonetti qui a été adopté. L’amendement de Paul Jeanneteau proposant, après l’annonce d’un risque avéré d’affection particulièrement grave atteignant le fœtus, un délai de réflexion d’une semaine à la femme enceinte avant de décider d’interrompre ou de poursuivre sa grossesse, a aussi été retenu. Enfin, un article a été ajouté, à l’initiative de Dominique Souchet, selon lequel, "dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur les pistes de financement, notamment public, et de promotion de la recherche médicale pour le traitement de la trisomie 21". Assistance médicale à la procréation Les députés ont voté contre la levée de l’anonymat du don de gamètes. En revanche, le don de gamètes par des femmes et des hommes n’ayant pas d’enfants a été autorisé. Concernant les procédés utilisés dans le cadre de l’AMP, la congélation ultra rapide (vitrification) des ovocytes est autorisée. Un amendement, adopté par la Commission spéciale et présenté par les députés Jean-Sébastien Vialatte, Olivier Jardé et Jean-Luc Préel, prévoyait de limiter à trois le nombre d’embryons conçus lors d'un processus de fécondation in vitro afin d’"éviter un trop grand nombre d'embryons surnuméraires". Mais en séance plénière après un débat animé, cette disposition a été rejetée. Elle a été remplacée par un amendement de Jean Léonetti stipulant que le nombre d’embryons conçus "est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation, compte tenu du procédé mis en œuvre". L’accès à l’AMP reste interdit aux couples homosexuels et aux femmes célibataires. Jean Léonetti a rappelé que "c’est à l’infertilité médicale que doit répondre l’aide médicale à la procréation". Le transfert d’embryons post-mortem a, lui, été autorisé, et ce contre l’avis du gouvernement. Enfin, la gestation pour autrui reste interdite. Recherche sur l’embryon Enjeu fondamental de cette révision de la loi et point de clivage entre la majorité et l’opposition, la recherche sur l’embryon a fait l’objet d’une discussion particulièrement animée, retenant les députés dans l’hémicycle jusqu’à 4 heures du matin. Il s’agissait soit de maintenir le principe d’interdiction assorti de dérogations comme le prévoyait le projet de loi, soit de passer à un régime d’autorisation. Sans satisfaire l’ensemble des députés présents, c’est le compromis du principe d’interdiction assorti de dérogations qui l’a emporté. Signalons que plusieurs amendements demandant l’interdiction totale de ce type de recherche avaient été déposés par une trentaine de députés, dont Marc Le Fur, Xavier Breton et Jean Marc Nesme. Le texte adopté rappelle donc l’interdiction de principe des recherches sur l’embryon humain tout en ajoutant que celles-ci "peuvent être autorisées lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès médicaux majeurs et lorsqu’il est impossible, en l’état des connaissances scientifiques, et à condition que soit expressément établie, sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine, l’impossibilité de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons". Le moratoire de 5 ans a donc été supprimé et les conditions de dérogation élargies : la précédente condition de "progrès thérapeutiques majeurs " a été remplacée par celle, moins contraignante, de "progrès médicaux majeurs ". Gènéthique - n°134 – Février 2011 Au cours du débat, M. Le Fur a dénoncé l’hypocrisie de la formule : "l’affirmation d’un principe n’est que le masque dont on s’affuble pour organiser la dérogation". "Le vrai débat, c’est : soit l’embryon est un être humain en devenir et, dans ce cas, la recherche avec destruction n’est pas licite, (…), soit il ne s’agit pas d’un être humain et, à ce moment, la logique peut être celle de l’autorisation". Il a fait remarquer que le 20 septembre 2010, l’Europe avait dans une directive (directive 2010-63 UE), interdit la recherche sur les embryons des grands primates. De leur côté, Xavier Breton et Dominique Souchet ont rappelé qu’aucun résultat scientifique pertinent n’avait été atteint avec ces recherches et que, depuis 2004, "des méthodes alternatives ont été découvertes, tant pour les perspectives d’application thérapeutique, avec les cellules souches adultes et issues du cordon ombilical, que pour la recherche pharmaceutique, avec les cellules pluripotentes induites". Jean Léonetti et Xavier Bertrand ont rappelé que ceux-là même qui réclament un régime d’autorisation -Marc Peschanski et Philippe Menasché – ont reconnu dans le cadre de la mission d’information sur la révision de la loi de bioéthique, que les dispositions de la loi de 2004 n’ont nullement gêné les chercheurs. Lors de son audition, P. Menasché avait indiqué qu’il souhaitait un régime d’autorisation pour permettre un développement commercial et industriel plus important. Un vrai débat d’idées Si la majorité a largement approuvé le texte, plus de 70 députés (UMP, NC et MPF) l’ont refusé. Parmi eux Marc Le Fur, Hervé Mariton, Christian Vanneste, Philippe Gosselin, Jean-Marc Nesme, Xavier Breton. J.-M. Nesme a expliqué les raisons de son vote : "J’ai voté contre l’hypocrisie d’un texte qui interdit la recherche sur l’embryon tout en admettant des dérogations, contre l’ambiguïté d’un texte qui tend à organiser un eugénisme d’Etat en cas de diagnostic prénatal (…). J’ai également voté contre le silence d’un texte sur les conflits d’intérêts potentiels entre la communauté scientifique et l’industrie pharmaceutique". De leur côté, Véronique Besse et Dominique Souchet (MPF), estiment que "les quelques amendements adoptés en séance ne parviennent pas à masquer l’ampleur des nouvelles transgressions contenues dans le texte". Ils refusent l’approbation de la vitrification d’ovocytes, qui va "permettre d’accroître encore le nombre d’embryons humains congelés dans notre pays" et "encourager les dérives vers l’eugénisme". Ils dénoncent enfin les dispositions de la recherche sur l’embryon : "Seules les considérations idéologiques et des intérêts financiers qui n’ont rien à voir avec les besoins de la science ont pu inspirer le maintien et l’élargissement de cette expérimentation." Les députés socialistes ont voté majoritairement contre le projet de loi (196 sur 204), dénonçant eux, l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain. Alain Claeys, président de la commission spéciale sur la bioéthique a demandé à Jean Léonetti, rapporteur de la commission, de "convaincre son groupe" d’évoluer sur ce point pendant la navette parlementaire. Diagnostic prénatal : large mobilisation contre l’eugénisme Alors que se sont ouverts, le 8 février dernier, les débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la bioéthique, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les dérives eugéniques du diagnostic prénatal (DPN). Le projet de loi soumis en première lecture aux députés renforçait en effet sensiblement le caractère obligatoire du DPN en stipulant, dans son article 9, que les examens "sont proposés à toute femme enceinte". Malaise des professionnels Rassemblant des professionnels de la grossesse (gynécologues, obstétriciens, généticiens, biologistes, sages-femmes, infirmiers, etc.), le Comité pour sauver la médecine prénatale (CSMP) n’a eu de cesse d’alerter "les pouvoirs publics et les citoyens français sur l’évolution du diagnostic prénatal". Acteurs de la mise en œuvre du DPN, les 800 professionnels signataires de l’appel du CSMP ont évoqué "le malaise croissant" ressenti dans l’exercice de leur métier. "Nous sommes entrés dans une ’traque’ généralisée du handicap", ont-ils dénoncé, constatant le détournement de l’objectif thérapeutique initial du diagnostic prénatal. Ainsi, "nombre de couples se sentent pris dans un engrenage qui aboutit à l’IMG, sans véritable réflexion, ni alternative". Rappelant que "les femmes enceintes, les couples, l’assurance maladie, les pouvoirs publics et les professionnels de la médecine prénatale sont enfermés dans un processus collectif qui les dépasse", ils ont appelé de leurs vœux une autre politique de santé publique, laquelle desserrerait la contrainte du dépistage généralisé. Le CSMP a reçu le soutien de Jean-François Mattéi, ancien Ministre de la Santé, du Pr Levy, président de la Commission d’éthique du Collège national des gynécologues obstétriciens français et de Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Dans Le Monde du 9 février, d’autres personnalités dont Emmanuel Hirsch, directeur de l’espace éthique de l’AP-HP et Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, ont réclamé une meilleure information de la femme dans le cadre du DPN. Pour eux, la proposition systématique du DPN tel que le projet de loi le prévoyait comportait "le risque de donner lieu à une information dont le seul but est la recherche du consentement de la femme" alors qu’il a été démontré que "la plupart des femmes enceintes sont loin de connaître les enjeux du test de dépistage". Les associations se mobilisent Parallèlement à ces réactions, plusieurs associations se sont regroupées pour dénoncer d’une même voix les dérives eugéniques dont sont victimes les personnes trisomiques. Dans une pleine page du Figaro et des Echos du 8 février la Fondation Jérôme Lejeune, le Collectif contre l’handiphobie, Regards 21, Down Up, le Collectif des Amis d’Eléonore et l’Association française pour la recherche sur la trisomie 21 ont demandé aux parlementaires de faire appliquer l’article 16-4 du Code civil selon lequel "toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite" et ils ont appelé, d’une part, les élus à refuser de voter l’article 9 du projet de loi de bioéthique et, d’autre part, l’Etat à soutenir la recherche thérapeutique sur la trisomie 21. Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15. Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] – Tél. : 01.44.49.73.39 Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498 Gènéthique - n°134 – Février 2011 Gènéthique - n°134 – Février 2011 Gènéthique - n°134 – Février 2011