CHARNY Analyse des vestiges architecturaux de la grange du Mont

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CHARNY
Analyse des vestiges architecturaux
de la grange du Mont
Association Archéologique et Anthropologique
de Dracy *.
Les fouilles de la grange du Mont se sont achevées en 1984. Depuis,
les données archéologiques ont été complétées par des recherches
d'archives et une enquête de type ethnographique 1. L'étude est
désormais achevée et en voie de publication. Elle permet d'éclairer
la réalité d'une grosse exploitation agro-pastorale de la fin du Moyen
Age, dépendant de la seigneurie de Mont-Saint-Jean et installée
ex nihilo à la fin du xme siècle aux marges des terroirs villageois.
Dans un « désert » dominant à plus de 570 m d'altitude la vallée
du Serein d'un côté, celle de l'Armançon de l'autre, elle entendait
mettre en valeur des terres auparavant négligées car éloignées du
centre domanial et ingrates.
Le contexte démographique et économique de la fin du siècle
de Saint-Louis explique ce défrichement tardif gagné sur des terres
répulsives. La pénurie de terres est générale en cette période de
pression démographique et les documents conservés aux Archives
départementales de la Côte-d'Or 2, bien que lacunaires, montrent
au moins le souci des sires de Mont-Saint-Jean d'accroître alors
la capacité productive de leur réserve ; d'autre part, la spécialisation
dans l'élevage ovin que révèlent les données de la fouille, répond
bien aux possibilités de débouchés qu'offrait le commerce de la
laine florissant à l'époque dans la région, alimenté comme l'a montré
Jean Richard 3 par les grands troupeaux du Châtillonnais, de l'Auxois et
de l'Arrière-Côte, animé par les foires de Dijon, Sombernon et Saulieu.
L'implantation fut cependant un échec. Elle est frappée par les
crises de la seconde moitié du xive siècle : par la dépression démographique suivant la Peste Noire de 1348 et par la fermeture pro* Texte établi par P. Beck.
1. Elles ont été notamment conduites par C. Bossard-Beck et M. A. Morisson.
2. Notamment XV F Fonds de Charny.
3. J. Richard, « La laine de Bourgogne : production et commerce (xiu°-xve siècles) », La lana corne matériel prima. I fenomeni délia sua produzione e circolazione
nei secoli XIII-XVII, Florence, 1974, p. 325-240.
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gressive des foires lainières délaissées par leurs clients milanais. Les
mobiliers datants recueillis sur les sols de la grange du Mont limitent
son occupation au xive siècle. Elle n'aura vécu qu'un siècle au plus.
Mais elle avait été à l'évidence conçue et réalisée pour durer,
pour établir définitivement un habitat sur « la montagne» de MontSaint-Jean. Les vestiges retrouvés, bien que très arasés, témoignent
encore de la qualité de l'architecture édifiée, de l'importance de
l'investissement consenti (fig. 1). Il s'agit de constructions de pierre,
des parois aux toitures, aux angles chaînés et renforcés de gros
moellons, aux ouvertures habillées de pierres de taille. Une habitation de 120 m2 de superficie, divisée en deux pièces, se caractérise
encore par une niche murale, un foyer et un sol soigneusement
apprêté (bât. IV) ; 1 100 m2 de bâtiments d'exploitation, soit une
grange de 540 m2 (bât. I), un abri à cheptel de 300 m2 (bât. II) associé
à deux enclos totalisant 4 000 m2 de surface, enfin une remise de
280 m2 (bât. III), l'accompagnent. La structure V, sans doute un
abri léger et, au centre de la cour, le four à pain (VII) côtoyant
une « lavière » d'où étaient vraisemblablement extraits les matériaux des toits (VI), complètent l'ensemble qui constitue un centre
de résidence et de production imposant tant par ses dimensions
que par la qualité, voire la sophistication de la construction.
Deux édifices notamment, la grange et la remise, attirent l'attention
par les dispositifs qu'ils devaient présenter en élévation. Leur largeur en effet, de 15 m pour le premier, de 13 m pour le second, rend
problématique des charpentes sans supports intermédiaires.
Dans le bâtiment I (fig. 2) ceux-là étaient signalés au sol par deux
alignements longitudinaux de dés de pierre régulièrement espacés.
Ils constituaient les bases des piliers de bois soutenant deux par
deux les entraits des sept fermes de la charpente. L'espace interne
était ainsi divisé en une large et haute nef centrale et deux bas-côtés
plus étroits. Il s'ouvrait au pignon : au centre par un porche de
plus de quatre mètres de large aux piédroits munis de chasses-roues
et, de part et d'autre, par des seuils piétonniers.
Le dispositif permet de ménager de très vastes volumes nécessaires
à l'engrangement des récoltes et la nef centrale, accessible aux charrois, distribue l'ensemble de l'intérieur.
L'agencement évoque immédiatement certains bâtiments d'exploitation monastiques conservés depuis le Moyen Age et que de nombreuses études, telle celle qu'Albert Colombet a consacrée aux « Domaines ruraux de l'abbaye de La Bussière », ont largement fait connaître 4.
4. A. Colombet, « Les domaines ruraux de l'abbaye de La Bussière, du xn°
au xixc siècle. Histoire et archéologie», Mémoires de la C.A.C.O., 30-J976/J977,
p. 279-309.
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F i e 2. — Charny, la grange du Mont.
Vestiges du Bâtiment I.
Ce type architectural est certes lié au milieu seigneurial car il
excède les possibilités et les besoins des exploitations paysannes.
Mais les documents d'archives, bien qu'avares de descriptions,
attestent sa diffusion dans les domaines laïcs. En 1658, une estimation de la baronnie de Mont-Saint-Jean place « au dessus dudit
chasteau... une vieille grange soutenue par six colonnes, laquelle
est à moitié ruinée» 5 ; le compte de la châtellenie d'Aisey-le-Duc
pour l'année 1385, décrit les réparations qu'il convient de réaliser
à « la grange du foin » ducale, notamment sur six de ses colonnes 6 .
L'enquête ethnographique, menée autour du site dans 20 communes actuelles, a permis de repérer de tels édifices conservés en
élévation : « la Bouverie du château » à Mont-Saint-Jean, « la Grange
de la dîme» à Allerey, trois autres granges encore, à Beurey-Beaugay,
Châteauneuf et Châtellenot, montrent le même plan, la même organisation. La figure 3 détaille les agencements de la grange de BeureyBeaugay : son pignon ouvert au centre d'une large issue charretière
et sur les côtés de deux portes piétonnes (A), les deux fermes inter5. Côte-d'Or XV F, 19, XX[[, f" 19 v°.
6. Côte-d'Or B 2083, f" 69 sq.
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FIG. 3. — Beurey-Beaugay.
Graange à piles, charpente symétrique,
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médianes de sa charpente, soutenues par deux colonnes (B), le plan
schématisé d'une ferme de ce type (C), enfin le plan au sol (D).
Le bâtiment III de la grange du Mont (fig. 4), s'ouvrait lui aussi
par deux issues piétonnes et un vaste seuil charretier, de 2,70 m
de large, aux piédroits munis de chasses-roues ; mais ce dernier
était situé au centre de l'un des gouttereaux. A l'intérieur, un alignement de quatre dés de pierre a été mis au jour. Décentré vers
le mur de fond, il divisait la surface en deux nefs longitudinales
de largeur inégale : derrière l'issue, l'espace dégagé s'étendait sur
près de 9 m de profondeur, derrière les bases de colonnes, il se réduisait à guère plus de 3 m.
C'est l'enquête ethnographique qui permit de visualiser clairement
le dispositif, repéré dans deux bâtiments d'exploitation situés dans
le village voisin de Blancey (fig. 5, A et B pour le premier, C pour
le second). Il implique une toiture à pente dissymétrique : le faîtage
FIG. 4. — Charny, la grange du Mont.
Vestiges du Bâtiment III.
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FIG. 5. — Blancey.
Grange à piles, charpente dissymétrique.
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est reporté sur la ligne médiane de la grande nef, les entraits des
fermes reposent sur les piliers d'une part, sur un gouttereau de
même élévation d'autre part. Une demi-ferme peut armer le bas
de la pente la plus large, au-dessus de la petite nef.
Dans le bâtiment III de la grange du Mont, le volume utilisable
ainsi libéré était maximum au contact avec l'extérieur et la porte
charretière, dans le gouttereau surélevé, pouvait se développer en
hauteur. Des engins volumineux, de lourdes charges avaient alors
la possibilité de pénétrer, de circuler et de stationner aisément dans
ce bâtiment, l'espace pour eux inaccessible étant très réduit.
Aux côtés des bâtiments II et IV, aux toits soutenus par des charpentes à fermes simples, ces deux édifices présentent des caractères
originaux. L'érection de leur charpente ne mettait sans doute pas
en œuvre des connaissances particulières, car ce ne sont là somme
toute que des variantes de la charpente à triangulation couramment
employée ; mais elle nécessitait assurément l'acquisition de matériaux coûteux, des bois de haute futaie notamment.
La puissance économique des sires de Mont-Saint-Jean, comme
le dessein ambitieux qu'ils poursuivaient, étaient ainsi ostensiblement
montrés.
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