É D I T O R I A L L’éducation des patients : un traitement orphelin ? ● J.S. Giraudet-Le Quintrec* n ce début de XXIe siècle, le médecin est confronté à plusieurs défis : – les maladies chroniques qu’il ne guérit pas encore et pour lesquelles les patients doivent prendre des traitements au long cours (asthme, polyarthrite rhumatoïde, diabète...) ; – les risques liés au mode de vie (tabac, stress, sédentarité, régimes alimentaires carencés, médecines alternatives...) et les difficultés socio-professionnelles qui peuvent retentir sur la santé ; – le grand nombre d’“informations médicales” dont disposent les patients via les médias grand public (presse, télévision, radio, Internet) et les associations de malades. La spirale des connaissances s’est emballée – trop d’informations tue l’information – au risque de lasser, voire de perturber ; – le devoir du médecin d’informer complètement les patients (et d’être en mesure de prouver qu’il l’a fait). E Il s’agit donc de concevoir de nouveaux moyens d’aider les patients à se prendre en charge, de dialoguer avec eux et de les accompagner. L’objectif n’est plus simplement de lutter contre les maladies chroniques, mais d’inciter les malades à participer activement à la gestion de leur maladie et de ses traitements : le patient n’est plus l’objet des soins qui lui sont délivrés, mais l’un des acteurs essentiels de sa santé (“patient partenaire”). La démarche médicale classique fondée sur la prescription doit faire maintenant une large place à un travail d’accompagnement et de conseils. ● Lorsque le médecin prend en charge un patient souffrant d’une maladie chronique, cette communication d’un savoir médical a tout intérêt à être renforcée par une démarche éducative, car la transmission du message ne suffit plus. Le patient doit vivre au jour le jour (et parfois la nuit) avec une maladie responsable de symptômes chroniques et lui interdisant quelquefois de mener une vie normale ; le caractère harcelant et l’évolution incertaine des symptômes sont à l’origine d’un stress épuisant. L’éducation a pour but d’aboutir à une modification profonde des habitudes et du comportement (véritable formation, acquisition, apprentissage). Ce processus d’apprentissage comporte plusieurs étapes : – l’information est l’étape préalable incontournable (transmission du savoir) ; – la deuxième étape est la compréhension et la mémorisation de l’information, pour acquérir le savoir-faire, la compétence ; – la troisième étape est le transfert au quotidien des connaissances acquises pour modifier un comportement, changer une habitude (le “faire”) ; – la dernière étape est une démarche personnelle active pour “savoir être”, “faire face” (le coping des Anglo-Saxons, du verbe to cope, “adopter des stratégies d’adaptation face à l’adversité”), de sorte que le patient qui est dans la maladie, dans la souffrance, puisse négocier avec l’adversité, trouver des solutions concrètes pour “positiver” la situation. Ainsi, l’éducation est caractérisée par un transfert planifié et organisé des compétences du soignant vers le soigné. UNE NOUVELLE DÉMARCHE MÉDICALE ● L’information, étape préalable à tout soin, consiste à transmettre la connaissance, à fournir des explications, à donner des conseils, à instruire. Le message est reçu passivement. L’information donnée lors du colloque singulier doit être “simple, accessible, intelligible et loyale”, mais également prudente, pondérée, pour éveiller la curiosité du patient et son désir de participer activement à la gestion de sa maladie et de ses traitements. Primum non nocere : il faut rappeler que le refus d’information est également un droit des patients et que le médecin ne doit pas informer à tout prix, au risque d’inquiéter. * Rhumatologue, médecin des hôpitaux, services de rhumatologie A (Pr A. Kahan) et d’orthopédie A (Pr J.P. Courpied), hôpital Cochin, Paris. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 2 - mars-avril 2002 UN DÉVELOPPEMENT TIMIDE L’éducation individuelle (colloque singulier) est incontournable. Proposée lors de la consultation (en ville ou à l’hôpital), elle permet de délivrer des informations personnalisées et de répondre aux questions d’un patient. Toutefois, le temps est compté, les patients sont de plus en plus “savants”, les soins de plus en plus techniques, les informations nécessaires au consentement de plus en plus nombreuses... L’hôpital est souvent un lieu privilégié pour un travail éducatif d’équipe au service des patients souffrant d’affections chroniques sévères. Ce travail spécialisé pluridisciplinaire permet de proposer une éducation structurée individuelle ou collective et des échanges fructueux entre les soignants et les patients (voir les recommandations de l’ANAES sur l’éducation thérapeutique du 43 É D I T O R I patient asthmatique adulte et adolescent, La Lettre du Pneumologue, 2002, no 1, pp. 23-30 et, dans le même numéro, la fiche technique). Cette éducation institutionnalisée, standardisée est tout à fait complémentaire de la prise en charge individuelle traditionnelle ; elle ne se substitue pas à elle mais la renforce. En France, le nombre des programmes informatifs (brochures d’information, carnets de soins et de suivi, cédéroms) et éducatifs proposés pour des groupes restreints de patients en ambulatoire (consultations éducatives, écoles ou ateliers pour les maladies chroniques...), ou en hospitalisation pour les patients souffrant de maladies chroniques sévères (asthme, polyarthrite rhumatoïde, diabète, etc.), va croissant, mais il s’agit souvent d’initiatives ponctuelles, peu évaluées, non relayées en ville. À l’hôpital Cochin, pour regrouper et développer toutes les actions informatives et éducatives proposées depuis de nombreuses années en rhumatologie, en orthopédie et en rééducation aux patients souffrant de rhumatismes chroniques, nous avons créé, en collaboration avec les représentants des associations de malades, le CERC (Centre d’éducation pour les rhumatismes chroniques). Ce centre offre aux patients souffrant d’arthrose, de polyarthrite rhumatoïde, d’ostéoporose, de spondylarthrite ankylosante, de lombalgies ou de fibromyalgie les moyens de s’informer sur leur maladie, les traitements (brochures, carnets de suivi, fiches d’information, films), de rencontrer d’autres personnes atteintes de la même maladie et de dialoguer avec les membres de l’équipe soignante (groupes de paroles, consultations éducatives spécifiques, etc.). Des centres d’éducation existent également en pneumologie, en diabétologie : leur fonctionnement devrait être encouragé. UNE INTÉGRATION AUX SOINS INDISPENSABLE L’éducation doit être intégrée aux soins. Il existe des preuves de son efficacité (satisfaction des patients, motivation et confiance accrues, amélioration des connaissances, de l’observance, action thérapeutique par diminution de l’anxiété avant un geste invasif, raccourcissement de la durée de l’hospitalisation, diminution des coûts...) qui justifient la mise en place d’une politique d’éducation à l’hôpital. La vraie difficulté se situe au niveau des mentalités : il est important que les patients ne discernent aucune réticence ou indif- 44 A L férence. On nous objecte souvent que, l’éducation n’étant pas encore reconnue comme un acte thérapeutique à part entière (des travaux sont actuellement en cours à la CNAM), la pénurie de personnel oblige à donner la priorité aux activités de soins plus classiques, alors qu’il faudrait pourtant l’intégrer dans un projet médical, avec un budget spécifique s’ajoutant au budget de fonctionnement normal d’un service hospitalier. Car l’éducation des patients est le travail de toute une équipe, qui nécessite beaucoup de temps et des moyens. UNE ÉVALUATION SPÉCIFIQUE Il paraît donc important de proposer des formations spécifiques aux soignants (sciences humaines, expression orale, pédagogie...), de favoriser et d’encourager l’organisation de programmes éducatifs nationaux faisant intervenir tous les membres de l’équipe médicale et paramédicale auprès des patients souffrant d’affections chroniques. Ces programmes pourraient être initiés à l’hôpital et relayés en ville (éducation de proximité). Ils doivent respecter des critères de bonnes pratiques. Un programme d’éducation, pour être efficace, doit être systématique, réaliste, reconductible, organisé par des équipes volontaires, spécialisées, formées aux techniques d’éducation pour la santé, réalisé auprès de petits groupes de personnes (les échanges entre patients permettent de relativiser les problèmes personnels, de trouver des solutions concrètes) et en dehors d’une poussée (le patient est plus réceptif). Les programmes d’éducation doivent être évalués à plusieurs niveaux : satisfaction des patients, acquisition des connaissances, transfert des connaissances pour modifier les comportements, efficacité thérapeutique, inconvénients éventuels et, enfin, impact sur la société. Ces évaluations sont lourdes, mais indispensables pour que les autorités de tutelle reconnaissent l’utilité de l’éducation et débloquent les moyens humains et financiers nécessaires. L’éducation des patients sera alors réellement reconnue comme ■ partie intégrante du soin. (D’après un article paru dans La Lettre du Rhumatologue 2001 ; 274 : 3-4.) La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 2 - mars-avril 2002