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autant  à  la  stratégie  des  entreprises  de  la  nouvelle  économie  qu’à  la  régulation  de  la
concurrence,  domaine  dans  lequel  ils  sont  régulièrement  sollicités  par  la  Commission
européenne.
Auteur de contributions notables dans des domaines aussi variés que la finance, la théorie
des organisations ou la communication, J. Tirole est également partie prenante de l’essor
récent de la psychologie économique, un champ de recherche qui reconsidère un autre
postulat de la théorie économique : l’Homo œconomicus. 
En quoi consiste la nouvelle économie industrielle ? 
Elle se penche sur des questions aussi diverses que les ententes entre les entreprises, les
« regroupements de brevets », le modèle économique de Google… Sur chacune de ces
questions, nous étudions les deux dimensions du problème. D’un côté, nous analysons la
stratégie des entreprises : quelles sont les meilleures décisions de leur point de vue ? De
l’autre, nous menons une analyse en termes de « bien-être social » : à quelles conditions
les  décisions  des  firmes  conduisent-elles  à  un  résultat  satisfaisant  pour  les
consommateurs ?  Quelles  règles  les  pouvoirs  publics  doivent-ils  mettre  en  œuvre  pour
atteindre cet objectif ?
Prenons un exemple. Quel est le point commun entre Google, les quotidiens gratuits et les
fichiers PDF ? Ce sont des activités dans lesquelles l’un des côtés du marché – celui des
consommateurs – est caractérisé par la gratuité. Vous ne payez pas pour utiliser le moteur
de recherche de Google, ni pour lire un quotidien gratuit ou consulter un fichier PDF. Mais
ces services s’adressent aussi à d’autres clients, des sociétés qui elles devront payer cher
pour  placer  une  publicité  ou  pour  créer  un  fichier  PDF.  Un  côté  du  marché  est  gratuit,
l’autre payant : c’est la caractéristique des « marchés bifaces ».
Devant de telles activités, le théoricien peut dégager un cadre de réflexion, ce que nous
avons  fait,  avec  Jean-Charles  Rochet,  en  montrant  que  ces  activités  répondent  à  un
même modèle économique général. Il peut ensuite aider les entreprises à trouver la bonne
stratégie  sur  ces  marchés.  Les  firmes  apprennent  par  l’expérience :  elles  tâtonnent,
choisissent un modèle économique, le modifient jusqu’à converger vers celui qui assurera
la rentabilité de l’activité. Mais elles peuvent aussi apprendre de la théorie. Par exemple,
l’un  des  enseignements  de  nos  travaux  est  qu’il  convient  d’accorder  des  conditions
avantageuses  au  côté  du  marché  qui,  d’une  part,  est  le  plus  sensible  aux  prix  (les
utilisateurs  de  Google  déserteraient  le  site  s’ils  devaient  payer)  et  dont,  d’autre  part,  la
présence est particulièrement prisée par l’autre coté du marché (ici les annonceurs).
Le théoricien s’adresse aussi au décideur public qui se pose quant à lui la question de la
réglementation  de  la  concurrence.  Deux  firmes  fusionnent :  quelles  en  seront  les
conséquences  sur  le  prix  de  vente  des  produits,  sur  l’innovation ?  Le  nouveau  groupe
aura-t-il tendance à freiner l’introduction de nouveaux produits, à réduire sa dépense de
recherche-développement ? Si c’est le cas, la fusion risque d’être défavorable à l’efficacité
économique. La Commission européenne a chargé l’IDEI d’éclaircir ces questions, afin de
l’aider à définir dans quels cas une fusion est dangereuse ou pas. L’économie n’est pas
une science exacte, mais elle peut offrir des repères très utiles aux politiques publiques. 
Vous  avez  également  beaucoup  travaillé  sur  les  « monopoles  naturels »  que
sont par exemple l’électricité, les télécommunications, la poste. L’introduction
de la concurrence est-elle toujours bonne à prendre ? 
La concurrence ne doit pas être une religion. J’y suis favorable, mais il s’agit d’un moyen
et  non  d’une  fin.  L’introduction  de  la  concurrence  est  un  bienfait  lorsqu’elle  suscite
l’apparition de produits nouveaux, fait baisser les prix, oblige l’opérateur historique à sortir
de sa torpeur. Mais, mal conçue, elle peut tout aussi bien avoir des effets néfastes. 
Par exemple, la libéralisation du secteur de  l’électricité en Californie a donné
lieu  à  une  véritable  catastrophe :  pendant  l’été  2001,  le  sous-investissement
dans  la  production  d’électricité  s’est  soldé  par  une  pénurie  de  courant,  des
coupures massives d’électricité… 
Le cas de la déréglementation électrique californienne illustre parfaitement à quel point la
concurrence peut  être  dangereuse lorsqu’elle  devient  une  religion.  Des économistes de
renom avaient été consultés pour mener à bien cette réforme, mais ils ont peu été écoutés
et l’affaire a été menée en dépit du bon sens.
Si l’introduction de la concurrence était si facile que cela dans des industries de réseaux
comme  l’électricité,  elle  aurait  été  effectuée  il  y  a  un  siècle.  Ces  industries  avaient  été
délibérément laissées  aux  mains de monopoles.  Avant de libéraliser  de  tels  secteurs,  il
convient  de  savoir  dans  quel  segment  de  l’industrie  cela  pourra  marcher,  comment
introduire de la concurrence de façon efficace, etc. On peut montrer que la concurrence
marche plutôt bien dans les domaines de la production d’électricité. En revanche, il vaut
mieux,  à  mon  avis  (ce  sujet  fait  l’objet  de  débats)  que  le  transport  soit  assuré  par  une