é c h o d e s c o n g r è s COURAGE : l’événement de l’ACC ❏ P.G. Steg* L * Service de cardiologie, hôpital Bichat, Paris. a présentation probablement la plus marquante du congrès de l’American College of Cardiology 2007, à la Nouvelle-Orléans, aura été celle (et la discussion !) des résultats de l’étude randomisée COURAGE (1). Il s’agit d’une étude menée par des centres américains de la Veterans Administration (c’est-à-dire les centres médicaux qui soignent les anciens combattants), ainsi que par des hôpitaux canadiens, et qui a consisté à comparer des patients coronariens stables pris en charge par un traitement médical intensif dans un bras, ou par un traitement médical intensif associé à une revascularisation par angioplastie coronaire dans l’autre bras. Près de 35 000 patients ont été évalués pour être inclus dans l’étude mais, finalement, 2 287 ont pu être randomisés entre 1999 et 2004 dans les 50 hôpitaux participants. Après 4,6 années de suivi, les taux d’événements (mortalité toutes causes et infarctus du myocarde non mortels) étaient de 19 % dans le groupe angioplastie et de 18,5 % dans le groupe traitement médical seul. Cette absence de différence était également retrouvée pour le critère composite “décès, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral, hospitalisation pour syndrome coronaire aigu ou infarctus du myocarde”. Elle n’est pas expliquée par un taux inhabituellement élevé d’infarctus du myocarde après la revascularisation par angioplastie. Il est important de souligner que le traitement médical qui a été appliqué aux deux bras de l’étude est un traitement intensif et plus “agressif” que ne le prônaient les recommandations internationales à l’époque où l’essai a été entrepris. Tous les patients devaient recevoir un traitement antiagrégant plaquettaire au long cours, un médicament antiangineux majeur, un bloqueur du système rénine-angiotensine, ainsi qu’un traitement hypolipidémiant visant un LDL-c < 85 mg/dl, un HDL-c > 40 mg/dl et des triglycé- Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. V - n° 2 - avril-mai-juin 2007 rides < 150 mg/dl. Les objectifs tensionnels et de lipides que s’étaient fixés les investigateurs ont été atteints. En revanche, un pourcentage non négligeable de patients a continué à fumer à cinq ans de suivi, et les recommandations concernant les modifications du mode de vie (diététique et activité physique) ont été médiocrement suivies. Ces résultats ont soulevé un immense intérêt et une controverse passionnée. Pour certains, ils n’étaient que la confirmation de données déjà largement connues sur la grande efficacité du traitement médical chez les coronariens stables et le risque relativement faible d’évolution imprévue vers des événements aigus chez ces patients. Pour d’autres, ils étaient le fruit d’une étude biaisée sur une population extraordinairement sélectionnée, non représentative de la vie réelle, et leur pertinence clinique serait limitée, car cantonnée à un petit sous-groupe des patients candidats à la revascularisation. Pour les investigateurs, en revanche, la majorité des angioplasties coronaires réalisées aux États-Unis concerne des patients stables, voire asymptomatiques, et les résultats de COURAGE devraient conduire à une remise en cause drastique des indications de la revascularisation par angioplastie coronaire. La vérité se situe probablement dans une zone intermédiaire entre ces différents points de vue. Il est certain qu’avec l’avènement de méthodes toujours plus perfectionnées d’imagerie non invasive des coronaires, il a existé et il existe toujours une grande tentation de revascularisation large des patients asymptomatiques chez lesquels des lésions coronaires, considérées comme potentiellement menaçantes, ont pu être décelées avant même que des symptômes se soient manifestés. Même chez les patients symptomatiques, il est fréquent qu’une revascularisation soit entreprise avant tout traitement médical, alors même qu’un grand nombre d’entre eux pourraient être stabi- 67 é c h o d e s lisés et devenir totalement asymptomatiques grâce au traitement médical. Les observations que l’on peut faire quant aux résultats de COURAGE sont les suivantes : – Même dans la population très sélectionnée de l’essai COURAGE, le risque d’événements coronaires majeurs n’est pas faible. Il est proche de 20 % à cinq ans, même sous traitement médical intensif, et les taux de mortalité sont d’environ 8 %. – La population de l’essai est très sélectionnée, comme cela est habituel dans les essais à long terme, où une adhésion minimale aux mesures de l’essai et au suivi est indispensable, et où il est nécessaire d’exclure, préalablement à la randomisation, tous les patients qui ne pourraient pas être considérés comme traités équitablement dans les deux bras de l’essai (par exemple, les patients ayant des lésions du tronc commun de la coronaire gauche, ceux ayant une dysfonction ventriculaire gauche sévère et les patients instables étaient légitimement et logiquement exclus de la randomisation. Bien entendu, les résultats de COURAGE ne leur sont pas applicables). – Les bons résultats du traitement médical intensif ne sont applicables qu’aux patients capables et désireux de le prendre de façon prolongée. – Surtout, comment peut-on expliquer l’inefficacité de la revascularisation coronaire quant à la protection vis-à-vis d’événements coronaires aigus, même chez les patients porteurs de lésions serrées non revascularisées ? Cela est très vraisemblablement à mettre en rapport avec les données, maintenant largement classiques et convergentes, de la littérature sur les mécanismes des événements coronaires liés à des ruptures de plaques multiples, qui surviennent proportionnellement plus fréquemment sur des lésions modérées, jeunes, riches en lipides, que sur les plaques fibreuses, calcifiées, serrées, qui sont typiquement seules responsables de symptômes angineux (2). Les lésions les plus serrées, qui sont responsables des symptômes, sont plutôt un marqueur de l’existence de lésions non obstructives beaucoup plus nombreuses, riches en lipides, à risque d’inflammation et de rupture, que directement responsables des événements. Elles identifient donc un groupe qui, de façon 68 c o n g r è s cumulée, aura une plus grande fréquence d’événements coronaires, mais leur traitement local et focal est inapproprié pour réduire ce risque. Cela nous ramène à l’observation très générale concernant la maladie artérielle athéro-thrombotique. C’est une maladie diffuse, à la fois au niveau des artères coronaires (non pas cantonnée à une lésion mais touchant généralement l’ensemble du réseau coronaire) et au sein du réseau artériel dans l’ensemble de l’organisme, puisque c’est fondamentalement la même maladie qui touche les artères cérébrales, celles des membres inférieurs et les artères coronaires. Il est donc souhaitable et nécessaire de passer d’une vision du patient centrée sur la lésion coronaire (et, par voie de conséquence, d’une vision du traitement centrée sur la “plomberie”) à une vision et une prise en charge du patient plus globales, centrées sur la lutte contre le processus athéro-thrombotique et les traitements systémiques. – Enfin, la dernière remarque qui doit être faite est que le traitement par revascularisation a néanmoins eu le mérite de permettre une réduction plus franche et plus rapide des symptômes angineux, et qu’il a été indispensable chez un tiers des patients du groupe traité médicalement. Il est donc tout à fait essentiel de garder en mémoire qu’un traitement médical initial est une option parfaitement légitime, mais qu’un tiers environ des patients ne seront pas contrôlés par ce seul traitement sur le plan symptomatique et auront besoin, dans les cinq ans suivant la prise en charge, d’une revascularisation. Il y a donc probablement, dans les résultats de COURAGE, à la fois des confirmations importantes, mais aussi matière à réfléchir sur la prise en charge et l’organisation des soins pour les patients coronariens, ainsi que les éléments d’une réflexion salutaire pour les cardiologues interventionnels eux-mêmes sur les indications, les bénéfices et la pratique de leur spécialité. ■ Références bibliogr aphique s 1. Boden WE et al. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med 2007;356:1503-6. 2. Hochman JS, Steg PG. Does preventive PCI work? N Engl J Med 2007;356:1572-4. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. V - n° 2 - avril-mai-juin 2007