Médecine & enfance La maladie cœliaque : un îlot volcanique à explorer… GASTROENTÉROLOGIE O. Mouterde, gastroentérologue pédiatre, département de pédiatrie, CHU, Rouen, et faculté de médecine, université de Sherbrooke, Canada Individualisée depuis quelques décennies, la maladie cœliaque est « une hypersensibilité digestive avec une réponse immunitaire muqueuse inappropriée à une séquence de certaines prolamines, dont la gliadine de blé, survenant chez un sujet génétiquement prédisposé » [1, 2]. Elle a vécu une révolution avec l’apparition du dosage d’anticorps de plus en plus spécifiques [3]. Cela a permis de mieux préciser l’épidémiologie de la maladie et ses différentes formes cliniques, des plus bruyantes aux totalement asymptomatiques [4-7]. L’objectif de cet article est de préciser les modalités de diagnostic clinique et paraclinique de la maladie cœliaque chez l’enfant et les enjeux liés aux nouvelles données épidémiologiques. Rubrique dirigée par O. Mouterde UN ÎLOT VOLCANIQUE La maladie cœliaque pourrait être décrite comme une île volcanique (figure 1). Le fond de la mer représente la population générale. L’île prend naissance sur un plateau représentant 30 % de la surface totale : en effet, la prédisposition génétique nécessaire pour développer une maladie cœliaque est portée par environ 30 % de la population. Seuls les sujets présentant cette prédisposition génétique (HLADQ 2 ou DQ 8) sont exposés ; la valeur prédictive négative de l’absence de cette configuration HLA est de 100 %. Sur cette prédisposition se produit chez certains sujets une sensibilisation par un mécanisme encore inconnu. L’événement déclenchant peut être par exemple une infection virale ou bactérienne (des séquences du génome de certains virus sont retrouvées dans la gliadine). La survenue et l’ampleur de la réaction (forme bruyante ou atténuée) seraient sous la dépendance de paramètres génétiques autres que la prédisposition initiale. Certains facteurs peuvent influencer chez l’enfant l’acquisition ou la perte de la tolérance immunitaire, comme l’âge d’introduction du gluten chez le nourrisson et l’allaitement maternel. La maladie cœliaque non traitée peut se compliquer de diverses conséquences, comme l’ostéoporose ou le retard de croissance, ou de pathologies associées, comme les maladies auto-immunes. Chez l’adulte s’ajoute le risque accru de cancers. novembre 2010 page 426 Si cette réaction immunitaire est représentée par le cône du volcan, on imagine une partie immergée, cachée, et une partie émergée comprenant le cratère et ses éruptions. L’éruption pourrait représenter les formes bruyantes de la maladie, aisément diagnostiquées chez l’enfant devant une diarrhée, une anorexie, une dénutrition, une cassure des courbes de croissance. L’incidence de ces formes serait en diminution ; elles concerneraient 1 enfant sur 1000 à 2500 [8]. Les symptômes (voir tableau), peuvent être très discrets chez le grand enfant, mais la surveillance régulière des courbes de croissance doit pouvoir faire évoquer le diagnostic devant une cassure de la courbe de poids suivie d’un retentissement sur la taille. La figure 2 montre un enfant que son médecin ne voulait pas voir, car « il n’était pas malade ». Il a fallu que les parents changent de médecin après plusieurs années de retard de croissance pour que le diagnostic de maladie cœliaque soit fait. Même les formes symptomatiques sont donc parfois diagnostiquées avec retard… La diarrhée et l’anomalie du poids ne sont cependant pas systématiques : chez l’adulte, 20 % des patients diagnostiqués sont en surpoids et 50 % n’ont pas de diarrhée. Sous le niveau de la mer se trouve la plus grande partie du volcan (figure 1), laquelle n’était pas connue avant l’utilisation des anticorps en dépistage (amélioration des techniques de plongée !). Deux zones peuvent être individuali- Médecine & enfance sées : les maladies cœliaques silencieuses et les formes latentes, toutes deux faites de sujets sensibilisés ayant des anticorps spécifiques positifs mais ayant réagi de façon atténuée. Dans les formes silencieuses, il existe une atrophie villositaire ; dans les formes latentes (un tiers des cas des sujets sensibilisés asymptomatiques), la biopsie intestinale est normale. Dans les deux cas, le sujet ne présente aucun symptôme. Faut-il explorer cette partie immergée et envisager un dépistage de masse ? Si l’on réalisait un dosage d’anticorps spécifiques à toute une population, il apparaîtrait que, selon les régions du monde, entre 1/80 et 1/200 sujets sont sensibilisés. Une autre option serait de détecter les sujets prédisposés (le plateau) au moyen du groupe HLA, puis de rechercher les anticorps chez ceux-là seulement. La décision de lancer ce dépistage n’est pas prise à l’heure actuelle, car les conséquences seraient majeures et difficilement contrôlables : que dirait-on à ces « patients », faudrait-il faire une biopsie à tous, mettre au régime une partie aussi importante de la population et qui par définition ne se plaint de rien ? Il est probable que les conséquences à long terme de l’évolution naturelle de telles formes de la « maladie » cœliaque sont moindres que les conséquences des formes symptomatiques (maladies autoimmunes, ostéoporose, cancers…). Le dépistage ne serait donc pas justifié. Les éruptions étant spectaculaires et l’exploration des profondeurs étant inuti le, l’amélioration de la prise en charge de la maladie cœliaque passerait actuellement par l’exploration du cône terminal et de la localisation du niveau de l’eau… En effet, les études sérologiques ont montré que certains patients dépistés étaient en fait symp to ma ti ques : présence de symptômes atypiques ou atténués, ou pathologies connues pour être associées à l’intolérance au gluten, cette association n’étant pas connue de tous les médecins [9]. C’est dans cette zone que doivent se concentrer les efforts pour une meilleure performance diagnostique de cette pathologie. Par exemple, un diabétique mal Pathologies et symptômes devant faire évoquer une maladie cœliaque Symptômes de la maladie : 첸 Aménorrhée 첸 Anémie ferriprive 첸 Anorexie 첸 Constipation 첸 Diarrhée chronique 첸 Douleurs abdominales 첸 Douleurs osseuses 첸 Grand front 첸 Hippocratisme digital 첸 Hypoplasie de l'émail dentaire 첸 Hypotrophie fœtale 첸 Invagination 첸 Ostéoporose 첸 Petite taille 첸 Retard pubertaire 첸 Tétanie 첸 Ulcérations intestinales 첸 Vomissements 첸 Erythème noueux 첸 Fausses couches 첸 Glossite 첸 Hémosidérose pulmonaire 첸 Hépatite auto-immmune 첸 Hyposplénisme 첸 Insuffisance pancréatique 첸 Insuffisance surrénalienne 첸 Leucopénie 첸 Maladie inflammatoire du tube digestif 첸 Néphropathie à IgA 첸 Neuropathies périphériques 첸 Non réponse sérologique à la vaccination hépatite B 첸 Œsophagite à éosinophiles 첸 Pigmentation cutanée 첸 Pneumopathie interstitielle 첸 Psoriasis 첸 Sacro-iléite 첸 Sarcoïdose 첸 Sclérodermie 첸 Stérilité 첸 Syndrome hémorragique 첸 Syndrome de Sjögren 첸 Thrombopénie 첸 Thyroïdite auto-immune 첸 Transaminases augmentées 첸 Vascularite Autres pathologies associées : 첸 Alopécie 첸 Aphtose buccale 첸 Arthrite 첸 Ataxie 첸 Auto-immunité 첸 Calcifications cérébrales 첸 Cancers 첸 Cholangite sclérosante 첸 Cirrhose biliaire primitive 첸 Colite microscopique 첸 Dermatite herpétiforme 첸 Diabète de type I 첸 Déficits immunitaires 첸 Epilepsie Syndromes et situations associés à une prévalence accrue de maladie cœliaque : 첸 Trisomie 21 (8-15 %) 첸 Syndrome de Turner (5-7 %) 첸 Jumeau monozygote d’un enfant atteint (75-100 %) 첸 Jumeau dizygote d’un enfant atteint (17 %) 첸 Apparentés au premier degré à un malade (5 à 10 %) 첸 Déficit en IgA (2 à 3 %) équilibré peut être atteint de maladie cœliaque ; le diagnostic et le traitement de celle-ci vont améliorer l’équilibre du diabète et diminuer le risque de complications de l’intolérance au gluten. Le tableau ci-dessus montre toutes les situations et symptômes devant faire évoquer de principe la maladie cœliaque, afin de mettre en route la stratégie diagnostique et le régime spécifique. Placé dans le sous-main des médecins, il augmenterait grandement le taux de reconnaissance de cette maladie. Enfin, le passage ou non d’un niveau à l’autre, à partir du plateau (ascension de la lave !), a probablement des mécanismes divers dans lesquels interviennent plusieurs facteurs : le temps (il faut donc répéter les dosages d’anticorps devant une pathologie pouvant être associée à la maladie cœliaque, tous les trois ans pour certains aunovembre 2010 page 427 teurs) ; les événements déclenchants (infections) ou protecteurs (allaitement) ; les paramètres génétiques associés (perméabilité de la muqueuse, capacité de digestion des peptides, réaction immunitaire…). DIAGNOSTIC Devant des symptômes ou des situations évoquant une maladie cœliaque (tableau), la stratégie est simple [6, 10]. Le diagnostic est suggéré par deux examens sanguins : le dosage pondéral des immunoglobulines et le dosage des IgA anti-transglutaminase. En cas de déficit congénital en IgA, le bilan devra être complété par le dosage d’un anticorps de classe IgG : transglutaminase ou endomysium (en l’absence de déficit en IgA, un taux élevé d’IgG isolé n’est pas spécifique). Le dosage Médecine & enfance Figure 1 Modèle de « l’île volcanique ». Le plateau continental représente les sujets prédisposés, le volcan les sujets sensibilisés. Sous le niveau de l’eau se trouvent les sujets asymptomatiques qui ne seraient repérés que par un dépistage de masse. Le cône terminal est le siège de l’éruption (formes symptomatiques) et des formes pauci symptomatiques ou associées à d’autres pathologies. Figure 2 Comparaison avec un enfant bien portant du même âge d’un enfant ayant un nanisme cœliaque à – 4 DS à l’âge de quatorze ans dans une forme paucisymptomatique négligée Formes classiques 1/2500 Formes peu symptomatiques ou autres pathologies associées niveau de l’eau Formes silencieuses (2/3) Formes latentes (1/3) 1 % de la population Sujets ayant une autre prédisposition ? Sujets ayant une prédisposition génétique (HLA DQ2 ou DQ8) 30 % de la population Population générale des anticorps anti-gliadine ou anti-réticuline n’a plus de place dans cette stratégie, de même que les tests d’absorption, non spécifiques et ne donnant pas directement le diagnostic. Des anticorps anti-transglutaminase IgA positifs (ou les IgG positifs en présence d’un déficit en IgA) imposent une biopsie intestinale avant toute prescription de régime restrictif. Il n’est pas recommandé actuellement, même devant un tableau clinique et sérologique typique, de porter le diagnostic de maladie cœliaque sans biopsie intestinale (mais cela peut évoluer dans les prochaines années). Une sérologie négative écarte quasiment à coup sûr le diagnostic. Des bandelettes réactives apparaissent actuellement sur le marché, permettant à la fois le dépistage d’un déficit en IgA et celui de la maladie cœliaque sur une goutte de sang au cabinet. Ce test n’est pas remboursé et son utilisation doit être discutée : il s’adresse à des patients suspects de la maladie chez qui une sérologie et une biopsie seraient de toute façon nécessaires quel que soit le résultat. Le risque est celui d’un diagnostic et d’un traitement express… mais à vie, sans preuves suffisantes. TRAITEMENT Le traitement de l’intolérance au gluten est le régime sans blé, orge et seigle. L’avoine serait tolérée par la majorité des patients. Ce régime est difficile et coûte 30 à 100 euros par mois pour les produits de substitution (pâtes, pain, biscuits…), remboursés partiellement par la sécurité sociale (environ 30 euros par mois sur ordonnance et justificatifs) via une procédure particulière d’affection de longue durée. Il ne se conçoit qu’avec l’aide initiale d’un diététicien. L’association de patients AFDIAG peut fournir des informations à jour sur les produits disponibles. De plus en plus de produits agroalimentaires ont un étiquetage précis en ce qui concerne la présence ou non de gluten, et certaines grandes surfaces ont des rayons dédiés. Des traitements nouveaux sont à l’étude, comme l’utilisation d’enzymes scindant les peptides toxiques. Le régime doit être poursuivi à vie pour novembre 2010 page 428 la plupart des auteurs [1, 6]. Certains proposent un essai de réintroduction après quelques années chez les patients dont les anticorps sont devenus négatifs, avec contrôle des anticorps et de la biopsie intestinale. Plus de 90 % des patients rechutent cliniquement ou histologiquement en quelques mois ; les autres, qui sont exposés à des rechutes tardives, nécessitent une surveillance au long cours pour laquelle les sérologies sont moins performantes que pour le diagnostic. L’aspect psychosocial de cette maladie doit être pris en compte : des conséquences à long terme comme des accidents ou des suicides plus nombreux dans cette population ont été décrites. Il n’est pas anodin d’être soumis sa vie durant à un régime restrictif perturbant la vie sociale. Des théories circulent sur internet quant à une toxicité supposée du gluten en dehors du contexte de maladie cœliaque : elles n’ont pas de fondement scientifique consensuel. Citons la recherche de Médecine & enfance peptides opioïdes urinaires dérivés du gluten dans l’autisme. Certains patients sont de fait sous un régime strict sans justification médicale étayée. Il est parfois nécessaire de revenir aux origines du régime afin de déterminer si le diagnostic de maladie cœliaque a bien été porté sur des éléments probants (diagnostic sans biopsie ou sur des examens complémentaires inadéquats). 첸 L’incidence de la maladie cœliaque chez l’enfant est de 1/2 500 pour les formes symptomatiques, mais elle va jusqu’à 1 % et plus quand elle est recherchée par des sérologies systématiques. 첸 De nombreuses situations cliniques touchant de nombreux organes doivent faire rechercher une maladie cœliaque ; la liste doit en être connue pour améliorer le dépistage des formes pauci symptomatiques. L’existence d’une diarrhée ou d’un retard de croissance n’est pas indispensable pour évoquer cette pathologie. 첸 Le diagnostic est suggéré par le dosage des IgA anti-transglutaminase associé au dosage pondéral des IgA totales. En cas de déficit en IgA, le bilan est complété par un anticorps de classe IgG (transglutaminase ou endomysium). 첸 La confirmation du diagnostic est faite par une biopsie intestinale, qui doit être systématique avant la prescription d’un régime. 첸 Le traitement est un régime sans gluten, le plus souvent à vie. 첸 Références tr., 2009 : 168 : 839-45. [4] RAMIVUKARA M., TUTHILL D.P., JENKINS H.R. : « The changing presentation of celiac disease », Arch. Dis. Child., 2006 ; 91 : 969-71. [5] HUTCHINSON J.M., ROBINS G., HOWDLE P.D. : « Advances in celiac disease », Curr. Opin. Gastroenterol., 2008 ; 24 : 129-34. [6] OLIVES J.P. : « Maladie cœliaque : nouvelles perspectives », Méd. Thér. Pédiatr., 2006 ; 9 : 87-98. [7] MOUTERDE O., BEN HARIZ M., DUMANT C. : « Le nouveau visage de la maladie cœliaque », Arch. Pédiatr., 2008 ; 15 : 501-3. [8] MOUTERDE O., CHAFAI S., AMAR R., LELUYER B., MALLET E. : « Profil épidémiologique de la maladie cœliaque en SeineMaritime », Arch. Pédiatr., 1993 ; 50 : 539-41. [9] BARKER J.M., LIU E. : « Celiac disease : pathophysiology, clinical manifestations, and associated autoimmune conditions », Adv. Pediatr., 2008 : 55 : 349-65. [10] RICHEY R., HOWDLE P., SHAW E., STOKES T. : « Recognition and assessment of coeliac disease in children and adults : summary of NICE guidance », BMJ, 2009 ; 338 : b1684. QUE DIRE AUX PATIENTS ? 첸 Pour tous les nourrissons, une introduction du gluten entre quatre et six mois, en faibles quantités et si possible pendant un allaitement maternel, aurait un effet protecteur. 첸 Sur une prédisposition génétique fréquente, un événement non identifié entraîne une réaction du système immunitaire lorsqu’on ingère du gluten. Les conséquences peuvent être graves, mais sont évitées par un régime strict, le plus souvent définitif. Une erreur de régime isolée n’a pas de conséquences brutales ou menaçantes, contrairement à ce qui se passe avec certaines allergies. 첸 Adresses utiles : – Association française des intolérants au gluten (association de malades) : www.afdiag.org ; – Groupe d’étude et de recherche sur la maladie cœliaque (site scientifique et grand public) : www.maladiecoeliaque.com ; – Intégrascol (site s’intéressant à l’accueil en milieu scolaire des enfants malades ou handicapés) : www.integrascol.fr. [1] MEARIN M.L. : « Celiac disease among children and adolescents», Curr. Probl. Pediatr. Adolesc. Health Care, 2007; 37 : 86-105. [2] BEATTIE R.M. : « The changing face of coeliac disease », Arch. Dis. Child., 2006 ; 91 : 955-6. [3] LURZ E., SCHEIDEGGER U., SPALINGER J., SCHONI M., SCHIBLI S. : « Clinical presentation of celiac disease and the diagnostic accuracy of serologic markers in children », Eur. J. Pedia- L E D E P A R T À RETENIR E M E N T D U M O R B I H A N Merci d’adresser votre candidature (lettre de motivation et CV) sous réf. « Appel n° 260 », par courrier à : CONSEIL GENERAL - DEC - Service de la Gestion du personnel médico-social - 32, bd de la Résistance - 56035 VANNES CEDEX. Offre de poste détaillée sur www.morbihan.fr rubrique « nous recrutons ». novembre 2010 page 429