M I S E A U P O I N T Ostéoporose masculine induite par les analogues de la LH-RH Gonadotropin-releasing hormone agonists-induced osteoporosis in males P. Ornetti, J.F. Maillefert* P o i n t s f o r t s ■ Plusieurs éléments suggèrent que l’utilisation des analogues de la LH-RH chez l’homme s’accompagne d’une diminution de la densité minérale osseuse (DMO). ■ Plusieurs éléments suggèrent qu’elle peut également s’accompagner d’une augmentation du risque fracturaire. ■ Des mesures de prévention de la perte osseuse pourraient être proposées chez les hommes traités. Bien que certains bisphosphonates bloquent la perte osseuse chez l’homme traité par analogues de la LHRH, il est difficile, en l’état actuel des connaissances, de les proposer dans le cadre de la prévention systématique. Mots-clés : Analogues de la LH-RH - Homme Ostéoporose. Keywords: Gonadotropin-releasing hormone agonists - Man - Osteoporosis. l’effet de la testostérone sur le remodelage osseux. Les analogues de la LH-RH (Luteinising Hormone-Releasing Hormone) à savoir, en France, la buséréline, la goséréline, la leuproréline et la triptoréline diminuent le taux de testostérone circulant, à des niveaux équivalents à ceux d’une castration chirurgicale et leurs résultats en termes de survie lors de méta-analyses récentes sont comparables (1). Cela explique que la castration chimique soit rapidement devenue le traitement de référence du cancer de la prostate métastatique. D’autre part, les indications des agonistes de la LHRH tendent à s’étendre (2), puisqu’ils sont maintenant parfois utilisés en traitement adjuvant, après une prostatectomie radicale ou une radiothérapie externe dans les cancers localisés (hors AMM en France), voire en néoadjuvant dans certains protocoles non encore validés en présence de certains facteurs de mauvais pronostic. Les résultats des contrôles du taux de PSA et de survie semblent effectivement en faveur de l’adjonction précoce du traitement hormonal dans ces nouvelles stratégies thérapeutiques. Les effets secondaires principaux des agonistes du LH-RH sont bien connus, à savoir les bouffées de chaleur, la diminution de la libido, les troubles de l’érection, la gynécomastie et parfois une anémie. Les fractures ostéoporotiques favorisées par ces traitements représentent toutefois une complication non exceptionnelle et potentiellement invalidante chez des patients souvent âgés et fragiles. CONSÉQUENCES DU BLOCAGE ANDROGÉNIQUE SUR LE MÉTABOLISME OSSEUX E n France, le cancer de la prostate est désormais le premier cancer chez l’homme en termes de prévalence et il arrive en deuxième position derrière le cancer bronchique en termes de mortalité. Il représente ainsi un enjeu majeur de santé publique dans une population où l’espérance de vie s’accroît. La probabilité de développer un cancer prostatique augmente fortement avec l’âge, passant d’un risque de 1/10 000 avant 45 ans à 1/8 à 75 ans. Les progrès réalisés dans la prise en charge du cancer de la prostate évolué, avec la mise sur le marché des thérapies hormonales à la fin des années 1980, ont contribué à l’apparition d’un nouveau type d’ostéoporose secondaire, liée à la suppression de * Service de rhumatologie, hôpital général, Dijon. 22 Les effets des androgènes (avec comme chef de file la testostérone) sur le remodelage osseux ont longtemps été uniquement imputés à l’action des estrogènes issue de leur aromatisation dans l’os, en particulier par ralentissement de la résorption osseuse. Toutefois, les androgènes ont aussi un effet ostéoformateur propre (3). CONSÉQUENCES SUR LA DENSITÉ MINÉRALE OSSEUSE Plusieurs études prospectives (4, 5) ont comparé la densité minérale osseuse (DMO) des patients sous analogues de la LH-RH, soit à des patients souffrant de cancer prostatique non traité, soit à des sujets sains appariés par âge. Une étude française (4) a évalué la DMO chez 12 hommes, âgés de 70 ans en moyenne et La Lettre du Rhumatologue - n° 305 - octobre 2004 M traités par triptoréline. La diminution moyenne de la DMO après 6 mois, 12 mois et 18 mois de traitement était respectivement de 3, 4, 6 et 7 % au rachis et de 2,7, 3,9 et 6,6 % au col fémoral. L’importance de la perte osseuse semble donc corrélée à la durée du traitement, ce qui est confirmé par les résultats d’une étude américaine portant sur 26 patients traités par agonistes de la LHRH (5) qui retrouvaient une diminution de la DMO d’environ 4 % par an lors des deux premières années de traitement, puis de 2 % par la suite. Lors d’une étude rétrospective récente portant sur 60 patients (6) porteurs d’un cancer de la prostate évolué, la diminution de la DMO a été jugée comme significative en ce qui concerne le rachis lombaire, la hanche totale, le radius et le corps entier (de 10 % à 17 %) pour le groupe traité par goséréline (durée moyenne du traitement : 41 mois) par rapport au groupe avec un cancer de la prostate non traité. La perte osseuse prédominait avant tout à l’extrémité distale du radius et au niveau de la hanche totale, ce qui est une différence notable avec l’ostéoporose postménopausique où la perte osseuse affecte en premier lieu le rachis. En revanche, aucune différence n’était trouvée du point de vue densitométrique entre les patients non traités par agonistes de la LH-RH et les volontaires sains, ce qui corrobore le fait que le cancer de la prostate n’est pas un facteur de risque d’ostéoporose par lui-même, en l’absence de métastases osseuses. Par ailleurs, l’évolution de la DMO a été comparée entre des patients ayant subi une orchidectomie bilatérale et ceux traités par analogues de la LH-RH (7) : la diminution de la DMO était significativement plus importante après castration chirurgicale qu’après castration chimique. CONSÉQUENCES SUR LE RISQUE FRACTURAIRE Intuitivement, l’augmentation de l’ostéorésorption et la diminution de la densité osseuse induites par ces thérapies hormonales devraient s’accompagner d’une augmentation du risque fracturaire. Cela a été suggéré après orchidectomie bilatérale dans une étude rétrospective portant sur 235 patients (8) atteints de cancer prostatique évolué : le risque de fracture ostéoporotique était multiplié par 13 par rapport à ceux n’ayant pas subi l’ablation chirurgicale. D’autres études rétrospectives (9, 11) ont évalué le risque fracturaire chez des patients sous analogues de la LH-RH (200 patients en moyenne par série) et suggèrent également une augmentation du risque. L’incidence de l’ensemble des fractures ostéoporotiques (après exclusion des fractures traumatiques ou métastatiques) variait entre 4 % à 20 % contre 1 % à 2 % chez les patients non traités. Les fractures ostéoporotiques apparaissaient après un délai moyen de traitement de 20 à 30 semaines. Les facteurs de risque de fractures ostéoporotiques étaient représentés par la durée du traitement, un indice de masse corporelle bas, une densité minérale osseuse basse au niveau lombaire avant traitement et une valeur élevée de N-télopeptides urinaires. Par ailleurs, la présence d’une fracture ostéoporotique était corrélée à une diminution de la survie. Ces travaux suggèrent une augmentation du risque fracturaire chez les patients traités par agonistes de la LH-RH, mais des études prospectives sont nécessaires pour confirmation. La Lettre du Rhumatologue - n° 305 - octobre 2004 I S E A U P O I N T MESURES PRÉVENTIVES Les mesures hygiéno-diététiques visant à ralentir la perte osseuse conservent évidemment tout leur intérêt : une activité physique régulière, l’arrêt du tabac, une consommation modérée d’alcool ainsi qu’un apport alimentaire quotidien en calcium de 1g à 1,5 g doivent être recommandés. Le bénéfice d’une supplémentation en calcium et en vitamine D chez ces patients n’a jusqu’à présent pas été étudié. En outre, un apport de calcium supérieur à 2 g/jour pourrait être associé à une augmentation du risque d’adénocarcinome prostatique (12), ce qui n’est pas retrouvé en cas de supplémentation excessive en vitamine D. À l’heure actuelle, il n’existe pas de donnée objective concernant l’éventuel lien entre une supplémentation calcique normale et la progression du cancer de la prostate. Les modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes (SERM), à savoir le raloxifène à la dose de 60 mg/jour, sont en cours d’évaluation dans une étude randomisée en prévention de l’ostéoporose induite par les agonistes de la LH-RH, avec mesure de la DMO et dosage des marqueurs du remodelage osseux. Le pamidronate a été évalué lors d’une étude prospective sur 48 semaines (13) à raison de 60 mg en i.v. par trimestre, chez les patients sous leuproléide pour un cancer de la prostate évolué, sans métastases osseuses. Sur les 47 patients évalués, la DMO ne variait pas à un an pour le groupe sous pamidronate alors qu’elle diminuait de 3,3 % au rachis lombaire dans l’autre groupe. Les résultats à deux ans confirmaient la diminution significative de la DMO dans ce dernier groupe. Le zolédronate a lui aussi été récemment évalué dans cette indication lors d’une étude multicentrique prospective contre placebo (14). Cent six patients ayant un cancer prostatique sans métastases osseuses ont reçu après randomisation des agonistes LH-RH et soit du placebo, soit du zolédronate (4 mg en perfusion toutes les 12 semaines). À 1 an, la DMO a augmenté de 5,3 % au rachis lombaire et de 2,8 % à la hanche dans le groupe zolédronate alors qu’elle a diminué respectivement de 2 % et 2,8 % dans l’autre groupe. L’ensemble de ces données atteste de l’intérêt potentiel des biphosphonates pour ralentir la perte osseuse (voire augmenter la DMO) chez les hommes traités par analogues de la LH-RH. Une autre alternative thérapeutique pourrait être de privilégier des traitements aux effets résorptifs osseux moins prononcés, comme une monothérapie par anti-androgènes périphériques stéroïdiens (cyprotérone) ou non stéroïdiens (bicalutamide par exemple). Les résultats en termes de survie avec ce dernier sont proches de ceux obtenus avec les agonistes LH-RH mais la diminution des PSA y est significativement inférieure, ce qui fait qu’ils n’ont pas l’AMM en France en monothérapie dans cette indication. Une étude cas témoin américaine (15) a mis en évidence des taux significativement inférieurs des marqueurs du remodelage osseux (déoxypyridinoline et N-télopeptides urinaires, ostéocalcine) chez des patients traités par bicalutamide comparés à ceux des patients sous analogues de la LH-RH. Une étude multicentrique (16) comparant la DMO entre les patients sous bicalutamide versus analogues de la LH-RH fait état, après deux ans de traitement, d’une augmentation de la DMO de 2,4 % au niveau du rachis lombaire pour le groupe bicalutamide contre une diminution de 5,4 % pour le groupe analogues de la LH-RH. 23 M I S E A U P O I N T Le retentissement sur le risque fracturaire concernant le bicalutamide n’a pas été évalué pour l’instant. D’autres stratégies thérapeutiques à visée d’épargne osseuse sont en cours d’évaluation, mais leur place exacte dans le traitement des cancers métastatiques de la prostate reste à préciser : – l’administration discontinue d’agonistes de la LH-RH, qui réduirait la perte osseuse sans altérer leur efficacité, mérite d’être confirmée par de nouvelles études ; – l’utilisation d’estrogènes par voie transdermique (ce qui diminue sensiblement leur toxicité cardiovasculaire) ; – l’arrivée prochaine d’antagonistes de la LH-RH qui auraient moins d’effets indésirables, en particulier sur le remodelage osseux. Les analogues de la LH-RH, dont la prescription va s’étendre, en regard de leurs nouvelles indications, dans le cancer de la prostate évolué, sont probablement pourvoyeurs d’ostéoporose secondaire, essentiellement par augmentation de l’ostéorésorption. Ces traitements mériteraient en pratique une surveillance systématique par absorptiométrie biphotonique, et la réalisation de mesures préventives efficaces telles que les mesures hygiénodiététiques, et peut être l’utilisation de biphosphonates intraveineux, dont l’efficacité a été confirmée sur le plan densitométrique. Bibliographie 1. Reese DM. Choice of hormonal therapy for prostate cancer. Lancet 2000;355: 1474-5. 2. Scherr D, Swindle PW, Scardino PT. National Comprehensive Cancer Network. National Comprehensive Cancer Network guidelines for the manage- ment of prostate cancer. Urology 2003;61(1):14-24. 3. Chang SS. Exploring the effects of luteinizing hormone releasing hormone agonist therapy on bone health: implications in the management of prostate cancer. Urology 2003;62(1):29-35. 4. Maillefert JF, Sibilia J, Michel F et al. Bone mineral density in men treated with synthetic gonadotropin-releasing hormone agonists for prostatic carcinoma. J Urol 1999;161:1219-22. 5. Daniell HW. 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Pro Am Soc Clin Oncol 2002;21:196a. Complément d’information L’article intitulé : “Les douleurs intenses d’origine rhumatologique en médecine générale : l’enquête SAFIR”, publié dans La Lettre du Rhumatologue n° 304, p. 37 à 40, a été rédigé par les Drs E. Maheu (hôpital Saint-Antoine, Paris) et C. Bailly (Noisy-Le-Sec). Nous prions les auteurs de bien vouloir nous excuser pour cet oubli. 24 La Lettre du Rhumatologue - n° 305 - octobre 2004