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actif de demi-vie plus prolongée vient
compliquer le tableau : “Une complica-
tion spécifique à la fluoxétine tient à sa
demi-vie extrêmement longue […]. Cela
est vrai pour les interactions non seule-
ment pharmacocinétiques, mais encore
pharmacodynamiques” (15 ; c’est moi
qui souligne). La situation devient quasi-
ment inextricable lorsque le métabolite
actif est supposé exercer un effet inhibi-
teur sur la molécule mère (2, 6). Les dif-
ficultés qui en résultent pour ajuster les
posologies d’un antidépresseur à longue
demi-vie sont bien connues des clini-
ciens (14).
La facilité de substitution
Dans une pathologie où l’on s’attend, en
moyenne, à une réponse insuffisante
chez quelque 30 % des patients, envisa-
ger dès la première prescription une
éventuelle substitution après quelques
semaines ne traduit pas, chez le prescrip-
teur, une névrose d’échec mais un réflexe
sain de bon usage. Or, il est évident que
l’arrêt d’un composé à très longue demi-
vie, avec des métabolites actifs dont l’éli-
mination peut prendre plusieurs
semaines, est susceptible de conduire à
des problèmes aigus en pratique cli-
nique – surtout si le potentiel d’interac-
tions de ce composé interdit, durant toute
cette durée, l’introduction d’un autre
antidépresseur : c’est précisément le cas
de la fluoxétine, dont l’élimination peut
prendre jusqu’à cinq semaines (9, 15), et
dont les interactions, potentiellement
graves avec les tricycliques et les inhibi-
teurs de la monoamine oxydase – fus-
sent-ils sélectifs –, sont parfaitement
documentées (4) (voir ci-dessous).
Diverses publications ont illustré les
situations dramatiques auxquelles peut
conduire la longue demi-vie d’un antidé-
presseur (1, 10).
Devant une telle abondance de données
fondamentales et cliniques validées, on
s’étonne que tant d’attention ait été
accordée récemment au rôle de la demi-
vie dans le problème mineur et médicale-
ment peu significatif du “syndrome”
d’interruption brutale, tandis qu’en
parallèle, on se soit si rarement préoccupé
d’examiner si la demi-vie d’un antidé-
presseur ne devrait pas, en pratique,
constituer un paramètre clé dans le choix
d’un traitement de première intention…
Gérer les risques
Avec un médicament, il est sécurisant de
savoir que le traitement pourra être arrê-
té facilement en cas de nécessité. Cette
exigence tout à fait banale, eu égard au
risque d’effets indésirables ou de patho-
logie intercurrente, se trouve encore
accrue dans une pathologie comme la
dépression, dont les thérapeutiques ont
également le potentiel de provoquer des
réponses paradoxales. Il va de soi qu’il
est d’autant plus facile d’arrêter un traite-
ment en cas d’urgence que sa demi-vie
est brève.
La perspective d’un arrêt motivé par une
complication urgente évoque les traite-
ments correcteurs, rappelant de nouveau
l’hypothèque des interactions : éliminée
beaucoup plus lentement que les autres
inhibiteurs de la recapture de la sérotoni-
ne (IRS) et réputée être l’IRS qui expose
le plus aux interactions cliniquement
significatives, la fluoxétine maximise le
risque de réaction nocive à l’introduc-
tion d’un éventuel traitement correcteur
(14).
Les difficultés susmentionnées d’ajuste-
ment posologique soulèvent la question
d’une éventuelle liaison entre la dose
administrée et la fréquence ou la gravité
des problèmes de tolérance. Bien que
nous n’ayons pas connaissance d’une
investigation systématique sur cette cor-
rélation, on notera que, lors des essais cli-
niques entrepris avec les IRS, le taux de
sorties d’essai semble généralement lié à
la dose (12).
Qu’elle complique l’interruption de trai-
tement ou qu’elle brouille l’ajustement
posologique, une demi-vie longue tendra
plus à compliquer la tâche du prescrip-
teur qu’à la faciliter.
Minimiser les interactions
La lecture des revues consacrées à la
pharmacocinétique des IRS est parfois
trompeuse en ceci qu’elles se concen-
trent souvent sur le potentiel d’inhibition
des divers composés de la classe avec le
système du cytochrome P450. Or, d’une
part, ces données in vitro ne disent pas
grand-chose des phénomènes obser-
vables in vivo, qui dépendent aussi des
métabolites, et moins encore des taux
systémiques effectifs. D’autre part, en
thérapeutique, d’innombrables interac-
tions ont pu être identifiées, qui se limi-
tent généralement à de simples fluctua-
tions pharmacocinétiques sans traduction
clinique évidente : avec les antidépres-
seurs – comme avec bien d’autres médi-
caments – le véritable problème des
interactions tient aux effets indésirables
documentés qui en résultent.
Il n’est que de consulter n’importe quel-
le base de données pour constater que la
fluoxétine apparaît, et de loin, comme
l’IRS ayant suscité le plus grand nombre
de publications rapportant des interac-
tions médicamenteuses médicalement
significatives. Sans prétendre en faire ici
l’inventaire systématique, mentionnons
que des interactions cliniquement symp-
tomatiques – certaines graves, voire
fatales – ont été rapportées avec les tricy-
cliques, les IMAO, le bupropion, le
lithium, la carbamazépine et d’autres
antiépileptiques, la buspirone, les benzo-
diazépines, l’halopéridol et d’autres neu-
roleptiques, les bêtabloquants, les anti-
histaminiques, la warfarine, le
sumatriptan… (nous renvoyons le lecteur
à la base de données Reactions pour une
sélection de références bibliographiques
mise au point
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