La chirurgie élargie pour cancer du col précoce est-elle encore légitime ?

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DOSSIER
Innovations en onco-gynécologie
La chirurgie élargie
pour cancer du col précoce
est-elle encore légitime ?
Is systematic radical hysterectomy justified in
all small size or post -brachytherapy, FIGO IB1,
pN0 cervix cancer patients?
E. Leblanc*, F. Narducci*, S. Taieb**, B. Castelain***, E. Vanlerenberghe*, I. Farre****
L
* Départements de gynécologie.
** Service d'imagerie médicale.
*** Service de radiothérapie.
**** Service de pathologie, centre
Oscar-Lambret, Lille.
e dogme du traitement chirurgical des cancers
du col utérin est la colpohystérectomie élargie
à la fois au vagin proximal et aux paracervix.
Le but est d’obtenir des marges d’exérèse suffisantes dans toutes les directions pour une plus
grande sécurité oncologique. Cette politique a fait
preuve d’efficacité, mais aussi de morbidité périopératoire et à distance, en particulier fonctionnelle
urinaire. Aussi, dès les années 1950, a-t-on cherché
à adapter la radicalité à l’importance des lésions.
Querleu et al. (1) ont récemment redéfini sur des
bases anatomiques précises et internationalement
reconnues, les différentes classes d’hystérectomie
radicale initialement proposées par Piver (2). Si l’on
convient que l’hystérectomie radicale de type A n’est
pas une hystérectomie radicale et, à l’opposé, que
celle de type D confine à l’exentération pelvienne,
il reste à discuter les indications de la radicalité de
type B (proximale [Piver II], c’est-à-dire à l’aplomb
des uretères) et celle de type C (distale [Piver III])
soit en dehors des uretères (à l’aplomb de l’origine
de l’artère utérine). Il est internationalement admis
que les tumeurs de petit stade et de faible volume
(≤ 2 cm) peuvent être efficacement traitées par une
hystérectomie radicale de type B. Mais cette radicalité est-elle toujours histologiquement justifiée (3) ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous
rapportons les résultats d’une étude rétrospective
de carcinomes cervicaux précoces (FIGO IA2-IB1),
sans atteinte ganglionnaire, qui ont été traités soit
par chirurgie élargie de type B, d’emblée en cas de
tumeur mesurant jusqu’à 2 cm de plus grand axe (en
IRM ou conisation), ou 6 semaines après 60 Gy en
curiethérapie cervico-vaginale si la tumeur mesurait
entre 2 et 4 cm. Nous avons focalisé notre attention
sur les résultats histologiques des paramètres et du
vagin, puis vérifié la fréquence de leur atteinte et,
enfin, tenté de définir des indications actuelles à
ce type de geste.
Entre 2000 et 2009, 150 carcinomes cervicaux
précoces IA2-IB1, pN0 pelvien ont été pris en
charge. L’évaluation laparoscopique des ganglions
a été systématique et toujours négative pour cette
série. L’âge et l’IMC moyens des patientes étaient
respectivement de 45,2 ans (écart type : 12,8), et de
24,9 kg/m2 (écart type : 6,27). Soixante patientes
avaient subi une conisation préalable et 6, une hystérectomie simple. On comptait respectivement 7, 134,
4 et 5 patientes pour les stades FIGO IA2, IB1, IIA
et IIB proximal. La taille tumorale clinique a été en
moyenne de 2,09 cm (écart type : 0,9) et de 2,29
(écart type : 1) en IRM. Au final, 93 patientes ont
été opérées en chirurgie première (91 par laparoscopie seule ou par combinaison de chirurgie vaginale et par laparoscopie), et les 57 autres ont été
traitées par association curiethérapie-chirurgie (15
par laparotomie et 42 par laparoscopie). Aucune
différence significative n’a été retrouvée entre ces
2 groupes concernant la morbidité péri-opératoire
ou la durée de séjour.
La revue des résultats histopathologiques a retrouvé
3 atteintes paramétriales (3 %) pour le groupe de
93 patientes ayant eu une chirurgie première :
2 par ganglions paramétriaux envahis, la troisième
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Points forts
Mots-clés
»» L’hystérectomie radicale a une morbidité urinaire fonctionnelle significative qui croît parallèlement à
l’importance de la résection paracervicale.
»» L’absence d’atteinte paracervicale et vaginale après curiethérapie cervico-vaginale préopératoire ne justifie
plus la pratique systématique d’une hystérectomie radicale, sauf à titre “tactique”.
»» La rareté de l’atteinte paracervicale pour les tumeurs de moins de 2 cm opérées d’emblée, en l’absence
d’atteinte profonde du stroma cervical, d’atteinte des ganglions sentinelles ou d’emboles tumoraux justifierait
une étude randomisée comparant, pour ces cas, une chirurgie simple à une chirurgie élargie.
Cancer du col
Hystérectomie
radicale
présentait des cellules tumorales dans les espaces
capillaires. Les 2 premières ont reçu une radiochimiothérapie pelvienne complémentaire et sont
à ce jour indemnes d’évolution. La dernière n’a pas
été traitée immédiatement et a récidivé localement à
40 mois. Une radio-chimiothérapie pelvienne délivrée
alors a permis sa guérison. Les explications possibles
de l’atteinte paramétriale de ces 3 patientes (pN0
pelvien) ont été : un échec total de la technique du
ganglion sentinelle (GS) pour l’une ; un GS retrouvé
négatif (mais l’exploration a été réalisée au bleu seul,
sans couplage avec la technique au technétium) pour
la deuxième et, enfin, pas de GS pratiqué mais un type
histologique plus agressif (carcinome mésonéphrique)
pour la troisième. À 33 mois de recul moyen pour
cette série, 6 patientes ont présenté une récidive :
4 étaient locales et ont pu être contrôlées par une
radio-chimiothérapie pelvienne, elles étaient à la fois
locales et métastatiques pour 2 patientes qui en sont
décédées.
Dans le groupe des 57 patientes traitées par association curie-chirurgie, 38 avaient une stérilisation
complète de la lésion initiale. Aucune atteinte
paramétriale ou vaginale n’a été retrouvée. Les
19 patientes présentant un résidu (de quelques
millimètres à 3 cm) n’ont jamais eu de traitement complémentaire. À 43 mois de recul moyen,
10 patientes ont récidivé : 5 sur le mode métastatique, 5 localement (toutes avaient un résidu
cervical) ; 8/10 sont décédées de la maladie. Il n’y
a pas de différence significative avec le taux de récidive locale après chirurgie première.
Au final, d’après ces résultats, on peut estimer que
la chirurgie radicale n’a pas d’intérêt après curiethérapie. Pour les tumeurs de moins de 2 cm, un
GS négatif permettrait aussi d’éviter la radicalité.
La littérature est très pauvre concernant les résul-
tats de l’association curiethérapie-colpo-hystérectomie élargie, car cette modalité de prise en
charge est presque une spécificité française. En
revanche, plusieurs publications confirment la
définition possible d’un sous-groupe de patientes
pour lesquelles une chirurgie utérine simple pourrait suffire au traitement d’un carcinome cervical
de moins de 2 cm. Ainsi, les lésions de moins de
2 cm, sans emboles, avec une infiltration stromale
de moins de 10 mm et pN0 pelvien ont un risque
quasi nul d’atteinte paramétriale (4-6). Les travaux
récents confirment qu’un GS négatif est à la fois
prédictif d’une négativité de l’atteinte ganglionnaire
pariétale pelvienne (7, 8) mais aussi du paramètre
(9). En conclusion, le dogme de l’hystérectomie
élargie de type B peut être remis en cause dans
les carcinomes précoces du col utérin. Il est clair
qu’après curiethérapie, une chirurgie extra-fasciale
(type A) paraît suffisante. La chirurgie élargie de
type B ne se justifierait qu’à titre "tactique" en
cas d’adhérences ou d’inflammation post-thérapeutiques. Pour les lésions de moins de 2 cm, les
résultats rétrospectifs de cette série et ceux d’autres
auteurs laissent à penser que si l’infiltration du
stroma cervical est inférieure à 10 mm et qu’il n’y a
pas d’atteinte des ganglions sentinelles (bilatéraux),
la chirurgie élargie présente davantage d’inconvénients que d’avantages. Dans ces conditions, une
étude randomisée comparant hystérectomie simple
à hystérectomie de type B paraît justifiée. Toutefois,
étant donné que la fréquence des cancers du col
invasif diminue et que les événements deviendront
rares, une dimension nationale, voire internationale,
avec un grand nombre de malades sera nécessaire
pour espérer obtenir des résultats significatifs avec
une puissance statistique suffisante et pour qu'une
telle étude soit légitime. ■
Highlights
– Radical hysterectomy
produces significant functional
urinary morbidity whose degree
is directly related to the extent
of the paracervical resection.
– The absence of paracervical and vaginal lesions after
preoperative cervicovaginal
radiotherapy renders systematic practice of radical hysterectomy unjustified, except as a
“tactical” procedure.
– The rarety of paracervical
involvement associated
with tumors less than 2 cm
in size removed at once, in
the absence of deep cervical
stromal invasion, sentinel
lymph node lesions or tumoral
emboli, calls for a randomized
trial comparing simple hysterectomy with extended hysterectomy in the treatment of these
patients.
Keywords
Cervix cancer
Radical hysterectomy
Références bibliographiques
1. Querleu D, Morrow CP. Classification of radical hysterectomy. Lancet Oncol 2008;9:297-303.
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4. Covens A, Rosen B, Murphy J et al. How important
is removal of the parametrium at surgery for carci-
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5. Wright JD, Grigsby PW, Brooks R et al. Utility of parametrectomy for early stage cervical cancer treated with radical
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6. Frumovitz M, Sun CC, Schmeler KM et al. Parametrial involvement in radical hysterectomy specimens for
women with early-stage cervical cancer. Obstet Gynecol
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7. Rob L, Strnad P, Robova H et al. Study of lymphatic
mapping and sentinel node identification in early
stage cervical cancer. Gynecol Oncol 2005;98:281-8.
8. Lecuru F, Mathevet P, Querleu D et al. Bilateral negative
sentinel nodes accurately predict absence of lymph node
metastasis in early cervical cancer: results of the SENTICOL
study. J Clin Oncol 2011;29:1686-91.
9. Strnad P, Robova H, Skapa P et al. A prospective study of
sentinel lymph node status and parametrial involvement in
patients with small tumour volume cervical cancer. Gynecol
Oncol 2008;109:280-4.
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